D. LA DÉFINITION D'UNE STRATÉGIE POUR LES TRAINS D'ÉQUILIBRE DU TERRITOIRE
1. L'offre des trains d'équilibre du territoire aujourd'hui
En 2014, le périmètre couvert par la convention pour l'exploitation des trains d'équilibre du territoire (TET) comprend les lignes suivantes 17 ( * ) :
Périmètre |
Ligne |
Jour |
Paris-Caen-Cherbourg/Trouville-Deauville |
Paris-Evreux-Serquigny |
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Paris-Rouen-Le Havre |
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Paris-Granville |
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Paris-Amiens-Boulogne |
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Paris-Saint-Quentin-Maubeuge/Cambrai |
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Paris-Montargis-Cosne-Nevers |
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Paris-Bourges-Montluçon |
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Paris-Orléans-Tours |
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Nantes-Tours-Lyon |
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Caen-Le Mans-Tours |
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Reims-Dijon |
|
Hirson-Charleville-Metz |
|
Paris-Troyes-Culmont-Belfort |
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Quimper-Nantes-Bordeaux-Toulouse |
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Hendaye-Toulouse |
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Bordeaux-Lyon |
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Paris-Clermont-Ferrand |
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Paris-Limoges-Toulouse-Cerbère |
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Bordeaux-Marseille-Nice |
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Clermont-Ferrand - Nîmes |
|
Clermont-Ferrand - Béziers |
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Nuit |
Paris-Briançon |
Paris-Latour-de-Carol/Luchon/Cerbère |
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Paris-Toulouse/Rodez-Albi |
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Paris-Tarbes-Hendaye |
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Paris-Savoie |
|
Paris-Nice |
|
Luxembourg/Strasbourg-Nice/Cerbère |
L'offre TET intègre ainsi :
- des grandes lignes rejoignant des villes non reliées par la grande vitesse (radiales au départ de Paris ou transversales), y compris des trains de nuit ;
- des lignes à courte ou moyenne distance assurant la desserte du grand bassin parisien, radiales au départ de Paris, « en concurrence avec une offre TER parfois identique », comme le reconnaît la convention signée entre l'État et la SNCF ;
- des lignes d'«irrigation » du territoire, transversales, assurant des liaisons interrégionales avec des fréquences restreintes.
Le périmètre de l'offre TET a fait l'objet des évolutions suivantes depuis 2012.
LES ÉVOLUTIONS DE L'OFFRE TET DEPUIS 2012 En 2012 - Strasbourg-Lyon : suppression des dessertes TET consécutives à la mise en circulation du TGV Rhin-Rhône ; - Metz-Lyon : suppression des dessertes TET consécutives à la mise en circulation du TGV Rhin-Rhône ; - Orléans-Les Aubrais : suppression des navettes, remplacées par le tramway ; - Paris-Troyes-Belfort-Mulhouse : limitation à Belfort, comme prévu dans la convention ; - Adaptation générale des dessertes en lien avec la mise en oeuvre du cadencement. En 2013 - Clermont-Nîmes-Marseille : limitation à Nîmes, comme prévu dans la convention ; - Hendaye-Genève : suppression, comme prévu dans la convention ; - Marseille-Nice : un aller-retour pour cause de travaux (sans substitution). En 2014 - Paris-Rouen-Le Havre : remplacement de Rouen-Dieppe par un service de TER (en raison du matériel) ; - Paris-Royan : suppression, pour cause d'absence de matériel ; - Hendaye-Nice : suppression, comme prévu dans la convention ; - Bordeaux-Lyon : limitation à Limoges de la voie nord. Source : SNCF |
Le trafic des trains d'équilibre du territoire représente 9 % du trafic national de voyageurs. Il diminue de façon régulière depuis 2008 (-5,6 % en 2013 par rapport à 2012, -9,2 % en 2012 par rapport à 2011, ce dernier chiffre étant alors justifié par les refontes d'offres liées à la mise en service du TGV Rhin-Rhône et par la « crise des sillons 18 ( * ) »).
en milliards de voyageurs-kilomètres |
2012 |
2013 |
Evolution 2013/2012 |
||
TGV France |
46,6 |
45,9 |
-1,5 % |
||
dont |
TGV domestique |
43,3 |
42,8 |
-1,0 % |
|
IDTGV |
3,3 |
3,1 |
-7,5 % |
||
International (hors Eurostar) |
4,8 |
4,9 |
2,1 %* |
||
Autres trains SNCF Voyages |
0,2 |
0,3 |
50 %* |
||
Total SNCF Voyages (hors Eurostar) |
51,6 |
51,1 |
-0,9 % |
||
TER |
14,2 |
14,0 |
-1,4 % |
||
Intercités |
8,1 |
7,6 |
-5,6 % |
||
Transilien |
12,0 |
12,3 |
2,2 % |
||
Total SNCF Proximités |
34,3 |
33,6 |
-2,2 % |
||
Total Voyageurs (SNCF) |
85,9 |
84,7 |
-1,4 % |
(Evolutions calculées sur les données hors arrondis, sauf * )
Source : Réponses au questionnaire budgétaire
Le remplissage moyen des trains était de 37 % en 2013, mais ce chiffre varie en pratique entre moins de 30 %, sur certaines lignes transversales, et plus de 60 %, sur quelques lignes radiales au départ de Paris.
L'activité TET reste cependant la moins subventionnée. Elle est déficitaire à hauteur de 25 % environ (avec toutefois de fortes disparités), alors que les activités TER et Transilien le sont respectivement à 65 % et 62 %.
2. Une redéfinition indispensable
Dès la signature de la convention entre l'État et la SNCF, en décembre 2010, celle-ci a été considérée comme un document à caractère transitoire. Elle gelait en effet une situation héritée du passé .
L'exploitation des TET fait aujourd'hui l'objet d'un certain nombre de critiques.
L'hétérogénéité de l'offre TET et la confusion entre les activités TER et TET , déjà relevées lors des Assises du ferroviaire organisées à l'automne 2011 par la ministre de l'écologie Nathalie Kosciusko-Morizet et le ministre des transports Thierry Mariani, ont à nouveau été dénoncées par la commission Mobilité 21, présidée par Philippe Duron, en juin 2013, puis dans le rapport particulier de la Cour des comptes du 2 juillet 2014.
L'imbrication des offres TER et TET est particulièrement frappante en ce qui concerne les relations avec le grand bassin parisien. Les TET y remplissent une mission de cabotage, qui relève davantage des TER. Les tarifications TER y sont d'ailleurs acceptées. Cette imbrication revient à faire bénéficier aux régions, sur certains tronçons, de transports de proximité qu'elles n'ont pas à subventionner, aux dépens de l'attractivité de l'offre TET pour les voyageurs de longue distance. Par ailleurs, certaines liaisons TER assurent des liaisons interrégionales, traversant parfois plus de deux régions.
La consistance de l'offre TET est le fruit de l'histoire, davantage que l'application d'une stratégie ferroviaire de l'État. Ainsi, le rapport de la commission n° 3 des Assises du ferroviaire invitait déjà l'État à « clarifier le périmètre de l'offre qu'il propose en vue de l'échéance de la convention signée avec la SNCF (au 1 er janvier 2014 ou, en cas de prorogation d'un an de la convention, au 1 er janvier 2015). Des choix doivent être arrêtés dans le souci d'une meilleure articulation des offres dans le respect des compétences de chacun. L'État a toute légitimité pour déterminer la consistance des services d'intérêt national ; il n'a pas vocation, même si les pressions sont grandes, à se substituer aux autorités organisatrices régionales dans la réponse à des besoins strictement locaux. » La commission Mobilité 21 a abouti aux mêmes conclusions. Le 9 juillet 2013, le Gouvernement a pour sa part annoncé, dans le cadre du plan « Investir pour l'avenir », un diagnostic des complémentarités entre les dessertes TER et Intercités.
D'après la Cour des comptes, l'offre TET « devrait être recentrée sur des liaisons de moyenne distance comportant peu d'arrêts intermédiaires, et sur un nombre limité de liaisons de longue distance complémentaires de la grande vitesse. Cela suppose de regrouper au sein des TER les lignes assurant du transport de cabotage, pendulaire ou interrégional, exploitées au profit d'une clientèle locale et requérant un matériel adapté au transport de masse. » La commission Mobilité 21 a identifié quatre lignes structurantes en particulier : Paris-Clermont-Ferrand, Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, Paris-Caen-Cherbourg, Bordeaux-Marseille-Nice.
La Cour des comptes pose aussi la question « du maintien de certaines lignes, radiales ou transversales, dont les trains présentent sur certains tronçons des taux de remplissage inférieurs à 30 % et des taux de subventionnement élevés 19 ( * ) ». Elle évoque aussi le remplacement de certaines dessertes par des liaisons routières, qui « doit au minimum être étudié » , une piste aussi évoquée par la commission Mobilité 21.
Outre l'absence de définition stratégique de l'offre TET de la part de l'État, le pilotage insuffisant de la convention a souvent été dénoncé. L'État devrait en effet contrôler davantage la réalisation par la SNCF de ses engagements. Encore faudrait-il qu'il en ait les moyens. D'après la Cour des comptes, les moyens consacrés par l'État à la fonction d'autorité organisatrice des TET sont à peine ceux dont dispose une région moyenne pour assurer sa mission d'autorité organisatrice des TER. En outre, l'État a nécessairement des relations plus éloignées avec les voyageurs que les autorités régionales. Enfin, ses rapports avec la SNCF sont caractérisés par une asymétrie d'information notable.
L'architecture financière particulière retenue, au sein du compte d'affectation spéciale, ne contribue pas à responsabiliser les deux acteurs concernés . Par exemple, si la SNCF est incitée à augmenter la qualité du service par des bonus, ces bonus sont financés... par un relèvement de la contribution de la même SNCF au CAS ! L'État n'a quant à lui qu'une faible incitation à réduire le déficit d'exploitation des trains, puisqu'il ne contribue pas directement à leur financement. Ainsi, en 2012, il est revenu sur le programme de suppression de lignes prévu par la convention initiale, sans en assumer le surcoût, puisque celui-ci a été financé par un relèvement de la contribution de la SNCF au CAS. La question du maintien de ce schéma de financement devra aussi se poser à l'aune de la perspective de l'ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire de voyageurs.
Un autre enjeu du renouvellement de la convention réside dans les arbitrages à venir entre les différents services de transport (TGV, TER, fret) pour l'accès à l'infrastructure , à l'heure où le réseau ferroviaire devrait connaître de nombreux travaux, notamment à la suite de la mise en place d'un grand plan de modernisation du réseau.
3. Le rendez-vous encore manqué du renouvellement de la convention
Alors que la convention entre l'État et la SNCF devait arriver à échéance le 31 décembre 2013, le Gouvernement et la SNCF ont décidé l'an dernier de la prolonger jusqu'au 31 décembre 2014.
Lors de son audition devant les commissions des finances et du développement durable du Sénat le 29 octobre 2014, le secrétaire d'État aux transports, Alain Vidalies, a annoncé une nouvelle prolongation de cette convention jusqu'à fin 2015, et la création d'une commission sur l'avenir de ces trains. Cette commission sera présidée par Philippe Duron, qui avait déjà présidé la commission Mobilité 21, et devra rendre ses travaux dans un délai de six mois.
LA COMMISSION « AVENIR DES TRAINS D'ÉQUILIBRE DU TERRITOIRE » Cette commission est composée de : - 5 parlementaires : Annick Billon, Dominique Orliac, Dominique Bussereau, Jean-Jacques Filleul, et Jean-Vincent Placé ; - 2 élus régionaux : Claude Gewerc, président du conseil régional de Picardie, et Luc Bourduge, vice-président du conseil régional d'Auvergne, chargé des transports ; - 4 personnalités qualifiées : Jean-Marie Bertrand, président de chambre honoraire à la Cour des comptes ; Marc d'Aubreby, coordonnateur du collège « Transports Terrestres » du Conseil général de l'environnement et du développement durable ; Deniz Boy, chargé de mission au Commissariat général à l'égalité des Territoires ; Pierre Zembri, directeur du laboratoire Ville Mobilité Transport de l'École des Ponts, de l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, et de l'Université Paris Est Marne-la-Vallée. |
À la suite de ces travaux, il est à espérer que le Gouvernement sera en mesure de mettre en oeuvre une stratégie claire. En vertu de l'article 3 de la loi portant réforme ferroviaire, il devra ensuite présenter devant le Parlement un schéma national des services de transport, incluant les transports d'intérêt national conventionnés et non conventionnés.
LES NOUVEAUX ARTICLES L. 1212-3-1 À L. 1212-3-3 DU CODE DES TRANSPORTS, CRÉÉS PAR L'ARTICLE 3 DE LA LOI PORTANT RÉFORME FERROVIAIRE Art. L. 1212-3-1. Le schéma national des services de transport fixe les orientations de l'État concernant les services de transport ferroviaire de voyageurs d'intérêt national. Art. L. 1212-3-2.-Le schéma mentionné à l'article L. 1212-3-1 détermine, dans un objectif d'aménagement et d'égalité des territoires, les services de transport ferroviaire de voyageurs conventionnés par l'État qui répondent aux besoins de transport. Il encadre les conditions dans lesquelles SNCF Mobilités assure les services de transport ferroviaire non conventionnés d'intérêt national. Art. L. 1212-3-3.-Le schéma mentionné à l'article L. 1212-3-1 est actualisé et présenté au Parlement au moins une fois tous les cinq ans. |
Votre rapporteur salue évidemment la méthode poursuivie, qui a déjà fait ses preuves pour la hiérarchisation des projets du schéma national des infrastructures de transport (SNIT), dans le cadre de la commission Mobilité 21. Il regrette toutefois vivement que l'État ait perdu deux ans dans la reprise en main de ce dossier, et espère que cette commission sur l'avenir des TET se saisira bien de l'ensemble des questions posées, à savoir la définition de la stratégie de l'Etat, mais aussi le financement du service et l'incitation donnée à la SNCF pour qu'elle respecte ses engagements et améliore la qualité du service.
4. Le renouvellement du matériel roulant, un autre exemple de l'attentisme de l'État concernant les TET
Le parc des TET est aujourd'hui composé de 276 locomotives de ligne, de 19 automoteurs tri-caisses et de 1 847 voitures, dont l'âge moyen avoisine les 35 ans. Leur renouvellement constitue donc un enjeu essentiel pour l'avenir.
Le 9 juillet 2013, le Premier ministre a annoncé, dans le cadre du plan « Investir pour la France », des crédits pour le renouvellement du matériel roulant des TET , financés par l'AFITF en dehors du compte d'affectation spéciale. En 2013, une première tranche de 510 millions d'euros, avec une option de 100 millions d'euros, a été engagée pour financer l'achat de 34 rames « Coradia Liner », en remplacement des locomotives diesel en fin de vie à compter de 2015. Ces crédits sont versés depuis 2014 à la SNCF par tranche annuelle de 100 millions d'euros.
En outre, un appel d'offres devrait être lancé en 2015 pour une deuxième tranche d'investissements, destinée cette fois-ci au renouvellement des anciens trains Corail, à compter de 2018-2019. Enfin, une troisième tranche a été annoncée pour le renouvellement des lignes du grand bassin parisien.
Loin de constituer un engagement particulier en faveur des trains d'équilibre du territoire, le financement de la première tranche d'investissements était la condition sine qua non de la poursuite de leur exploitation au-delà de 2015. La vétusté du parc des locomotives diesel, toutes âgées de plus de quarante ans, imposait en effet leur remplacement de façon urgente.
Afin d'éviter une procédure de mise en concurrence, dont la durée, estimée à six ans, n'aurait pas permis le renouvellement de ces matériels avant leur défaillance, il a été choisi de recourir à un contrat-cadre d'octobre 2009 portant sur la fourniture de rames automotrices Regiolis destinées aux TER. Ainsi, les rames Coradia Liner sont des évolutions des rames Regiolis destinées au transport de cabotage régional. Or, c'est précisément ce type de service de transport dont le maintien dans le champ de la convention des TET est remis en cause.
L'urgence de la situation a ainsi obligé l'État à investir dans un certain type de matériel, avant même d'avoir une stratégie claire sur les futurs contours de l'offre TET. Or, comme l'a démontré la Cour des comptes dans son rapport particulier, la nécessité de ce renouvellement était prévisible. Elle n'est devenue une « urgence » qu'en raison de l'attentisme de l'État dans ce domaine, pourtant régulièrement interrogé par la SNCF.
En ce qui concerne les deuxième et troisième tranches d'investissement, elles ne semblent pas encore acquises. Les réponses au questionnaire budgétaire fournies par le ministère indiquent qu'elles « nécessite[nt] au préalable que les disponibilités budgétaires de l'AFITF soient confirmées. » Leurs montants n'ont pas encore été chiffrés et dépendront de l'évolution de l'offre des TET.
Alors que le Gouvernement a fait du retour de l'État stratège l'un des axes forts de sa réforme ferroviaire - un objectif qu'approuve pleinement votre rapporteur -, il convient désormais de passer de la parole aux actes.
* 17 Cf. carte en annexe.
* 18 Liée aux travaux sur l'infrastructure, elle a souvent conduit à une mise en vente tardive des trains, surtout pour les trains de nuit et la transversale sud.
* 19 La Cour a ainsi relevé que quatre lignes de jour ont des taux de remplissage inférieurs à 25 % et des déficits allant de 54 à 83 %.