EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des lois s'est saisie pour avis de la proposition de loi n° 468 (2014-2015) créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, d'abord examinée en première lecture à l'Assemblée nationale.

Elle se prononce, dans cet avis, après la commission des affaires sociales, compétente au fond et, donc, à partir du texte que cette dernière a adopté.

Cette proposition de loi traite d'un sujet difficile et sensible, qui engage, à la fois, des considérations médicales et juridiques, des questionnements éthiques et philosophiques et, surtout, des souffrances humaines. Ce sujet est celui de la fin de vie, des douleurs qui l'accompagnent, de l'ultime choix laissé au patient et du rôle de la médecine au seuil de la mort. Il appelle une réflexion prudente et empreinte d'humilité face aux détresses qui s'expriment et aux incertitudes qui le traversent.

Rédigé à la suite de nombreux travaux préparatoires 1 ( * ) par nos collègues députés, MM. Alain Claeys et Jean Leonetti, le texte vise à revenir sur le dispositif de la loi dite « Leonetti » du 22 avril 2005 2 ( * ) ( cf . encadré, infra ), dont la mise en oeuvre, notamment pour son volet relatif aux soins palliatifs, est apparue insuffisante, et qui méritait, pour ses auteurs, d'être renforcée en consacrant, au côté des devoirs du médecin, de nouveaux droits de patients.

La présente proposition de loi y apporte en effet deux modifications principales.

En premier lieu, elle tend, dans son article 3, à consacrer le droit, pour le patient victime d'une affection grave et incurable, à recevoir une sédation profonde et continue, qui le plonge dans l'inconscience, jusqu'à sa mort, et qui est accompagnée d'un arrêt de tous les traitements médicaux.

En second lieu, elle réforme, dans son article 8, le régime juridique des directives anticipées écrites, qui doivent en principe éclairer le médecin sur le voeu de son patient, si la question de la fin de sa vie se pose alors qu'il est inconscient ou dans une autre situation où il est incapable d'exprimer sa volonté. Elle précise aussi le rôle de la personne de confiance, chargée de témoigner de la volonté du patient (article 9) et l'articulation entre ces différents témoignages, écrits et oraux, du choix du patient (article 10).

Les autres dispositions du texte concernent les conditions du refus de l'acharnement thérapeutique (article 2), l'amélioration de la prise en compte de la souffrance et le développement de l'offre de soins palliatifs (article 1 er ), et la réaffirmation du droit des patients à recevoir des soins palliatifs et à refuser un traitement (articles 4 et 5).

Le droit applicable en matière de fin de vie, depuis la loi Leonetti du 22 avril 2005
(extraits du rapport du Conseil d'État sur la révision des lois de bioéthique)

« La question de la fin de vie a longtemps été traitée en creux par le droit français. Les médecins et les personnels de santé ne pouvaient se reposer que sur les dispositions du code de déontologie qui demandait au médecin de « s'abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique » (art. 4127-37 du code de la santé publique) tout en lui rappelant solennellement qu'il « n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort » (art. R. 4127-38), ces dernières dispositions étant la traduction au plan déontologique de la prohibition de l'homicide par le code pénal.

« Une nouvelle perspective a été donnée à la question par la loi n°  99-477 du 9 juin 1999 qui a, d'une part, posé le principe d'un droit aux soins palliatifs pour « toute personne malade dont l'état le requiert » [aujourd'hui art. L. 1110-9 du code de la santé publique] et a, d'autre part, prévu que « la personne malade peut s'opposer à toute investigation ou thérapeutique ».

« Les deux fondements ainsi posés - possibilité pour le malade de refuser un traitement et obligation d'accompagnement par les soins palliatifs - ont été consolidés par les lois ultérieures. La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 a renforcé le droit du malade à ne pas subir un traitement, y compris si cela doit abréger sa vie, en indiquant que lorsque la volonté du malade de refuser « un » traitement met sa vie en danger, le médecin doit essayer de le convaincre, puis accepter la décision du patient si elle est réitérée. Le médecin doit alors sauvegarder la dignité du patient en lui dispensant des soins palliatifs (art. L. 1111-4 du code de la santé publique).

« À ces dispositions fondées sur le choix du malade d'arrêter un traitement, la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, dite loi Leonetti , a apporté plusieurs compléments :

« - elle a précisé le contenu du droit du patient, en lui reconnaissant explicitement la possibilité de refuser « tout » traitement et de s'engager ainsi dans un processus de fin de vie ;

« - elle a prévu que dans les cas où le patient est « en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable », la décision d'arrêt des traitements peut intervenir sans réitération de la demande par le patient (art. L. 1110-10) ;

« - elle a modifié l'équilibre qui résultait des dispositions précitées du code de déontologie, en ouvrant au médecin la possibilité de prendre lui-même une décision d'arrêt de tout traitement. Cette possibilité est ouverte à l'égard des patients « hors d'état d'exprimer leur volonté » (art. L. 1111-4 et L. 1111-13), la décision devant être précédée de la consultation de l'équipe soignante, de la consultation le cas échéant des directives anticipées rédigées par la personne, et de l'avis des proches. »

Source : Conseil d'État , La révision des lois de bioéthique,
La documentation française, 2009, p. 104

En se saisissant pour avis, votre commission des lois s'est principalement attachée aux interrogations éthiques que soulèvent les nouveaux droits ou les nouvelles obligations créés par la proposition de loi.

Deux principes cardinaux de la législation française sur la fin de vie ont guidé son rapporteur dans ses travaux : la prohibition absolue que la mort soit donnée activement et intentionnellement, le respect, dans ce cadre, de la volonté de la personne et de sa dignité.

Lors de ses auditions, des représentants des différentes confessions des grands courants de pensée et des institutions compétentes en matière d'éthique ont été entendus, ainsi que des représentants du personnel médical, en particulier les professionnels pratiquant les soins palliatifs, des juristes, des représentants de la Cour de cassation et du Conseil d'État et des représentants des ministères compétents.

I. UN DROIT À LA SÉDATION PROFONDE ET CONTINUE JUSQU'AU DÉCÈS QUI DOIT ÊTRE ENCADRÉ

Étymologiquement, la sédation désigne un apaisement. D'un point de vue médical, elle décrit le fait de placer, par des moyens médicamenteux, le patient dans un état où il n'a plus conscience de sa situation. Son intensité est variable, puisqu'elle peut aller d'un endormissement léger, dont l'intéressé peut être tiré par une simple sollicitation par la voix ou le toucher, au placement en coma artificiel. Elle peut être temporaire, le patient se réveillant lorsque la dose prescrite cesse de produire des effets, ou continue, lorsque le patient reçoit à intervalle régulier une dose de sédatif, destinée à maintenir son état d'endormissement.

Elle constitue une des techniques de soins palliatifs disponibles. À cet égard, la sédation profonde et continue, qui place le patient dans un état de coma artificiel, jusqu'à son décès, pour éviter, notamment, qu'il souffre, constitue sans doute le dernier degré de la gamme des soins palliatifs : la personne est placée dans un état d'inconscience totale, afin qu'elle ne ressente plus la douleur et qu'elle dorme jusqu'à ce qu'elle meurt. M. le docteur Régis Aubry, président de l'observatoire national de la fin de vie, a toutefois souligné, lors de son audition, qu'aucune étude scientifique ne confirmait ou n'infirmait l'idée selon laquelle le patient n'éprouverait, sous cet état, aucune douleur.

En prévoyant, à l'article 3 du présent texte, de reconnaître, dans certains cas, un droit pour le patient à bénéficier d'une sédation profonde et continue jusqu'à son décès, la proposition de loi ne crée pas une nouvelle pratique médicale. D'ores et déjà, les équipes soignantes y recourent, dans un souci d'humanité, pour éviter au mourant les souffrances de sa maladie ou de son agonie.

En revanche, élever cette possibilité au rang d'un droit garantirait au patient de pouvoir en réclamer le bénéfice contre un médecin qui le lui refuserait, cas fort peu probable au regard des exigences de la déontologie médicale, ou de pouvoir en réclamer le bénéfice auprès de l'établissement hospitalier ou le service qui le soigne, ce qui est plus plausible compte tenu du retard de notre pays dans le développement des soins palliatifs. Ce droit pourra en outre fonder une action en responsabilité, pour carence, contre les structures qui n'auront pu en garantir l'exercice.

A. DES SITUATIONS DIFFÉRENTES, QUI CHANGENT LE SENS QUI PEUT ÊTRE DONNÉ À LA RECONNAISSANCE DU DROIT À LA SÉDATION

1. Les quatre cas envisageables et le choix opéré par la proposition de loi

Quatre cas ont été évoqués au cours des auditions qui pourraient justifier le recours à la sédation profonde et continue jusqu'au décès.

Le premier est celui d'un patient en fin de vie, atteint d'une maladie grave et incurable, qui éprouverait une souffrance réfractaire à tout traitement. La gamme entière des soins palliatifs étant impuissante à soulager cette douleur, le patient pourrait demander à être plongé dans l'inconscience, pour ne plus souffrir.

Le deuxième cas est celui d'un patient, lui aussi en fin de vie et atteint d'une maladie grave et incurable, mais dont les souffrances seraient suffisamment apaisées par les soins palliatifs. Pour autant, il pourrait demander à bénéficier de cette sédation, parce qu'il souhaiterait éviter de vivre son agonie et préfèrerait être plongé avant dans l'inconscience. M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d'éthique, a défendu, lors de son audition, cette circonstance de recours à la sédation profonde et continue.

Le troisième cas est celui d'un patient qui, sans être en fin de vie, est atteint d'une maladie grave et incurable, et souhaite arrêter le traitement qui le maintient en vie (dialyse, traitement à l'insuline, respirateur artificiel...), ce qui le fera basculer, ce faisant, dans une situation de fin de vie. Il serait procédé à la sédation profonde et continue concomitamment à l'arrêt du traitement de maintien en vie.

Le quatrième cas est proche du troisième, puisqu'il s'agit du patient hors d'état d'exprimer sa volonté, pour lequel une décision d'arrêt de traitement de maintien en vie est prise au titre du refus de l'obstination déraisonnable. La sédation serait appliquée, préventivement, parce qu'il a été constaté, dans certains cas dramatiques, que l'arrêt de l'alimentation artificielle chez un patient en état végétatif avait provoqué d'importantes souffrances.

La proposition de loi issue des travaux de l'Assemblée nationale a retenu les premier, troisième et quatrième cas de recours à la sédation profonde et continue, et écarté le second.

Le texte adopté par la commission des affaires sociales n'a retenu que le premier et le quatrième, à la condition, dans ce dernier cas, que la souffrance soit jugée réfractaire à tout autre traitement.

2. Un droit de ne pas souffrir ou un droit de ne pas se voir mourir ?

Une question détermine le choix de retenir un cas ou un autre de recours à la sédation jusqu'au décès : s'agit-il d'assurer au patient le droit de ne pas souffrir ou celui de ne pas se voir mourir, même si l'exercice de ce droit suppose de le placer en état de sédation profonde et continue jusqu'à son décès ?

Répondre en faveur du seul droit de ne pas souffrir conduit à retenir le premier cas, celui d'une souffrance réfractaire à tout traitement, et, sans doute, le quatrième, si l'on craint que la personne hors d'état d'exprimer sa volonté souffre de l'arrêt de son traitement.

Tel est le choix opéré, à l'initiative de ses rapporteurs, par la commission des affaires sociales.

À l'inverse, retenir la consécration d'un droit de ne pas assister à sa propre mort et d'être inconscient durant son agonie, revient à autoriser la sédation profonde et continue dans l'ensemble des cas précités, en particulier celui de la sédation effectuée sur une personne en fin de vie, dont les souffrances sont pourtant soulagées par d'autres traitements.

Telle est la position défendue notamment par le président du Comité consultatif national d'éthique, M. Jean-Claude Ameisen, qui a estimé, qu'à défaut, l'apport de la proposition de loi serait faible, puisqu'il se limiterait à consacrer un droit, celui de ne pas souffrir, qui existe déjà sous la forme d'un devoir, celui du médecin de mettre en oeuvre tous les moyens possibles pour apaiser la souffrance du patient.

Votre rapporteur note que le texte des députés tient une position intermédiaire, puisqu'il reconnaît le droit, pour celui qui arrête son traitement de maintien en vie, de ne pas se voir mourir, sans qu'il soit fait référence à une souffrance réfractaire, mais qu'il ne retient pas en revanche le cas d'une personne en fin de vie, dont les douleurs sont traitées par des soins palliatifs.

3. La position de votre commission

Pour votre commission, instaurer un droit à la sédation profonde et continue pour éviter une souffrance qu'aucun autre traitement ne peut apaiser est justifié. Il ne s'agit pas seulement de convertir en un droit un devoir qui pèse actuellement sur les médecins, mais de reconnaître les obligations de notre société vis-à-vis de ceux qui souffrent au seuil de leur mort.

Après en avoir débattu, votre commission n'a en revanche pas estimé qu'il fallait encore étendre le champ du droit à la sédation profonde et continue.

Elle a tout d'abord constaté que bien des cas se résolvaient dans celui de la souffrance réfractaire. Ainsi une sédation pourrait être décidée si l'arrêt d'un traitement de maintien en vie conduisait à des douleurs qui ne pourraient être apaisées autrement.

Elle a ensuite souligné que la sédation profonde et continue n'était pas un acte anodin. En effet, plaçant le patient dans un état d'inconscience totale, elle le rend dépendant, pour sa survie, de la mise en place de traitements de suppléance vitale que sont l'alimentation et l'hydratation artificielle.

Or, les protocoles reçus par les sociétés savantes en matière de sédation profonde et continue associent souvent ce traitement à l'arrêt de tous les autres traitements. Cet aspect avait déjà retenu l'attention du Conseil d'État dans son rapport précité sur la révision des lois de bioéthique.

Le Conseil s'était en effet interrogé sur « la pratique de la sédation profonde à l'égard des patients qui ne sont pas hors d'état d'exprimer leur volonté et qui demandent un tel acte, en vue d'obtenir ensuite , sans souffrance, l'arrêt de tout traitement et notamment, de toute suppléance vitale. L'éventail des hypothèses est ici assez large : peuvent formuler une telle demande des patients connaissant des douleurs réfractaires aux soins palliatifs, des patients dont la douleur physique est prise en charge mais qui connaissent une très grande souffrance psychique et morale, ou encore des patients qui, pour d'autres raisons, refusent tout soin et demandent à obtenir une fin de vie par ce moyen ».

Après avoir rappelé que la loi ne permet pas au médecin de satisfaire une telle demande dans tous les cas de figure, le Conseil soulignait que tout dépendait ici « de l'intention qui préside au placement du patient sous sédation profonde. S'il s'agit d'atténuer la douleur ressentie par un patient conscient et en fin de vie, la mise sous sédation peut être regardée comme la forme appropriée de soins palliatifs, et l'arrêt des suppléances vitales qui lui succéderait peut constituer, compte tenu de la proximité de la fin de vie, l'issue la plus conforme à l'humanité à l'égard du patient. En revanche, dans le cas où, le patient n'étant pas en fin de vie ou la souffrance pouvant être traitée par d'autres moyens, le placement sous sédation a pour seule visée de placer le patient sous suppléance vitale dans l'objectif d'interrompre ensuite celle-ci pour mettre fin à sa vie, le geste ne correspondrait plus aux possibilités prévues par la loi. Celle-ci permet en effet [...] d'interrompre les traitements qui maintiennent en vie le malade, mais elle n'autorise pas à créer artificiellement une situation dans laquelle la vie du patient dépend de suppléances vitales en vue ensuite de mettre fin à celle-ci » 3 ( * ) .

Selon le cadre dans lequel elle intervient, et l'intention qui la porte, la sédation est donc une pratique médicale acceptable ou expose à des dérives, contraires aux principes qui fondent la législation française sur la fin de vie. À cet égard, le fait qu'elle intervienne ou non dans une situation effective de fin de vie est déterminant 4 ( * ) .

Un autre argument a retenu l'attention de votre commission : comme l'a indiqué le professeur Emmanuel Hirsch lors de son audition par votre rapporteur, la consécration d'un droit à la sédation profonde et continue, pour ne pas assister à sa propre mort, risque de créer symboliquement un modèle du « bien mourir », qui conduirait ensuite les professionnels à privilégier cette pratique, au détriment d'une prescription adaptée de soins palliatifs. Ceci rejoint une préoccupation énoncée par le Conseil d'État dans son rapport précité : « la sédation profonde ne peut en aucun cas être un substitut aux soins palliatifs, une « solution de facilité » qui viendrait en quelque sorte pallier leur absence » 5 ( * ) .

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission s'est prononcée en faveur de la rédaction retenue, sur ce point, par la commission des affaires sociales, qui limite le recours à la sédation profonde et continue jusqu'au décès aux seuls cas de souffrance réfractaire à tout autre traitement.


* 1 Le premier rapport fut celui de la commission de réflexion sur la fin de vie en France, présidée par le professeur Didier Sicard, Penser solidairement la fin de vie, Rapport au président de la République , du 18 décembre 2012. Le Comité consultatif national d'éthique a ensuite publié, le 1 er juillet 2013, un avis ( avis n° 121, Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir ), puis organisé une conférence de citoyens sur le sujet, dont il a rendu compte le 14 décembre 2013. Enfin, le Premier ministre a confié à nos collègues députés, MM. Alain Claeys et Jean Leonetti, la mission de réfléchir au développement des soins palliatifs, à une meilleure prise en compte des directives anticipées sur la fin de vie et aux conditions dans lesquelles l'apaisement des souffrances peut conduire à abréger la vie dans le respect de l'autonomie de la personne. Nos collègues ont rendu leur rapport -auquel ils ont joint le texte de la proposition de loi- au Président de la République le 12 décembre 2014.

* 2 Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie .

* 3 Conseil d'État, op. cit ., p. 108.

* 4 Cf. infra , C.

* 5 Ibid .

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