II. LA PROTECTION DU PATRIMOINE DEMANDE UNE MOBILISATION BIEN AU-DELÀ DE L'AFFICHAGE BUDGÉTAIRE

La situation est paradoxale : les crédits budgétaires augmentent pour la protection et la valorisation du patrimoine, l'État affirme avec optimisme avoir mené à bien la réforme de ses outils (redéfinition de la politique de la direction générale des patrimoines, création des services territoriaux de l'architecture et des patrimoines, nouveau régime de la maîtrise d'ouvrage des monuments historiques), mais jamais l'inquiétude n'a été aussi forte parmi « les professionnels du patrimoine » : c'est ce que votre rapporteur pour avis retient des auditions qu'il a conduites.

Est-ce un effet des annonces liées au projet de loi « création, architecture et patrimoine » en cours d'examen ? Certainement, mais s'y ajoutent également le fait que la demande est de plus en plus forte parmi nos concitoyens et que les moyens publics d'y faire face diminuent, sous la pression de la crise économique et sociale, mais aussi parce que l'État conduit une politique de « redéploiement » qui se traduit par un transfert sur les collectivités locales et les propriétaires de monuments historiques.

A. UN « REDÉPLOIEMENT » DES MOYENS ÉTATIQUES DE LA PROTECTION DU PATRIMOINE

Entre 2005 et 2009, le ministère de la culture a réformé en profondeur sa politique en faveur du patrimoine monumental, ses objectifs étant d'associer davantage les collectivités territoriales et les propriétaires privés, de clarifier les rôles respectifs du maître d'ouvrage et du maître d'oeuvre et de répartir le contrôle scientifique et technique des services de l'État entre leurs échelons (administration centrale et services déconcentrés).

L'ordonnance du 8?septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés, a confié au propriétaire la maîtrise d'ouvrage des travaux de restauration des monuments historiques, alors qu'elle était jusqu'alors assurée par les services de l'État (article L. 621-29-2 du code du patrimoine).

Le propriétaire, cependant, a pu continuer à recourir aux services de l'État, mais dans le cadre d'une assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO), exercée à titre onéreux ou gratuit (dont les conditions ont été précisées par la circulaire du 1 er décembre 2009). D'après les informations communiquées à votre rapporteur pour avis, le recours à une AMO varie fortement d'une région à l'autre et il reste assez rare par les propriétaires privés, tandis que les départements et certaines intercommunalités développent des services d'ingénierie intégrant dans leurs objectifs l'entretien et la conservation du patrimoine des communes.

En 2012, le ministère a installé un observatoire de la réforme des procédures de travaux sur les monuments historiques et a confié une mission d'appui à l'Inspection générale des affaires culturelles et de l'Inspection générale des Finances (IGAC-IGF). Ces travaux conduisent le ministère à souhaiter « tendre à une programmation mieux partagée avec l'ensemble des partenaires » 2 ( * ) , qui comprend des éléments très positifs et d'autres, plus inquiétants.

Parmi les éléments positifs, l'établissement par les DRAC de schémas des priorités en matière de conservation comprenant une liste des travaux prioritaires sur cinq ans, la « rationalisation » des circuits de décision, l'adaptation du travail des services territoriaux de l'architecture et du patrimoine (STAP), ou encore la rédaction d'une circulaire conjointe Culture-Finances sur l'instruction des subventions pour les travaux d'entretien et de restauration des monuments historiques : tous ces éléments vont dans le sens d'une bonne administration des moyens publics.

En revanche, la « rationalisation » inquiète davantage quand elle passe par l'affirmation qu'une sélectivité plus grande dans le classement serait « nécessaire » 3 ( * ) : quels sont les critères de la sélectivité ? Des raisons budgétaires ne sont-ils pas le principal critère de la nécessité nouvelle qu'il y aurait à être plus sélectif ?

Le tableau suivant, qui atteste de la forte diminution des décisions de protection , ne manque pas d'inquiéter lorsque l'on sait que l'éventail de la protection ne cesse d'être étendu, en particulier au patrimoine industriel :

Période

1991-2000

2001-2010

2011-2014

Évolution 1991-2000 / 2011-2014

Nombre annuel moyen
des classements

135

54

64

-53 %

Nombre annuel moyen
des inscriptions

557

351

289

-48 %

Nombre annuel moyen
de protections

692

405

353

-49 %

Source : Ministère de la culture et de la communication. Réponse budgétaire. 2016

En vingt ans, le « flux » d'entrées dans le patrimoine protégé a diminué de moitié, ce qui fait écrire au ministère qu'il est « maîtrisé ». Si l'on peut comprendre que l'État joue un rôle prépondérant dans les décisions de classement et d'inscription au titre des monuments historiques, étant donné les conséquences budgétaires de ces décisions, on peut s'interroger sur le devenir des biens qui sont écartés des monuments historiques, et sur l'arbitrage qu'il y aurait à faire entre les biens inscrits de longue date et ceux qui mériteraient de l'être mais qui ne le serait pas « faute de place ».

D'autant que, dans le même temps, les catégories de biens à protéger ne cessent de s'accroître. On le sait avec le patrimoine industriel et, d'une manière générale, le patrimoine récent : le temps est révolu où la notion de patrimoine se situait toujours dans un passé lointain, cette évolution est tout à fait bienvenue et devrait s'accentuer avec la loi « création, architecture et patrimoine » - en particulier la consécration du patrimoine de moins d'un siècle. Et l'extension du champ de la protection passe aussi par la notion d'ensemble mobilier, consacrée elle aussi par le projet de loi « création, architecture et patrimoine ».

Dans les faits, la restriction du nombre de décisions dans un champ d'éligibilité plus large, conduit les propriétaires, publics ou privés, à devoir entretenir le patrimoine sans aide de l'État, quand bien même ce patrimoine est remarquable et qu'il participe de l'attractivité de notre territoire. Quant au patrimoine classé ou inscrit, le taux des subventions versées varie de 12 % à 50 % selon le type de monument - classé ou inscrit - et la nature des travaux, et les subventions couvrent en moyenne le tiers des travaux sur monuments historiques, un taux stable depuis 2007.


* 2 Réponse au questionnaire budgétaire

* 3 Réponse au questionnaire budgétaire.

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