N° 169

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2015

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur le projet de loi de finances pour 2016 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME V

ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES :

TRANSPORTS MARITIMES

Par M. Charles REVET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Hervé Maurey , président ; MM. Guillaume Arnell, Pierre Camani, Gérard Cornu, Ronan Dantec, Mme Évelyne Didier, M. Jean-Jacques Filleul, Mme Odette Herviaux, MM. Louis Nègre, Rémy Pointereau, Charles Revet , vice-présidents ; Mme Natacha Bouchart, MM. Jean-François Longeot, Gérard Miquel , secrétaires ; MM. Claude Bérit-Débat, Jérôme Bignon, Mme Annick Billon, M. Jean Bizet, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Patrick Chaize, Jacques Cornano, Michel Fontaine, Alain Fouché, Benoît Huré, Mme Chantal Jouanno, MM. Jean-Claude Leroy, Philippe Madrelle, Didier Mandelli, Jean-François Mayet, Pierre Médevielle, Louis-Jean de Nicolaÿ, Cyril Pellevat, Hervé Poher, David Rachline, Michel Raison, Jean-Yves Roux, Mme Nelly Tocqueville, MM. Michel Vaspart, Paul Vergès.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 3096, 3110 à 3117 et T.A. 602

Sénat : 163 , 164 à 168 et 170 (2015-2016)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Alors que 90% des échanges mondiaux transitent par la mer, nous pouvons honnêtement rougir du manque d'ambition de nos politiques et de la faiblesse consternante de nos investissements dans ce domaine. Ils sont dérisoires à ceux de celui que notre pays consent sur l'autre frontière du futur qu'est l'aérospatial.

D'après le rapport rédigé en juillet 2015 par le Commissariat général au développement durable, consacré aux comptes des transports en 2014, le secteur des transports, pris de manière globale (route, air, fer, mer, fluvial, passagers et marchandises), affiche un déficit de ses échanges extérieurs de 12,3 milliards d'euros : il contribue par conséquent à la perte de compétitivité de la France. Or dans ce paysage catastrophique, il n'y a qu'un bon élève : le transport maritime, avec un solde positif de 4 milliards d'euros et une performance qui croît de 6% en moyenne annuelle depuis 2008. Certes, le transport aérien est lui aussi en excédent commercial, mais avec un montant nettement plus bas, de l'ordre de 100 millions d'euros, alors que son chiffre d'affaires global est bien plus élevé, 19 milliards d'euros contre 14 milliards d'euros pour le transport maritime.

Ces deux secteurs, l'aérien et le maritime, ont la particularité d'être confrontés directement à la concurrence internationale, et d'être soumis à une exigence de compétitivité forte. Au lieu de les aider à se développer, à gagner des parts de marché, à générer de la croissance et de l'emploi, on multiplie les rapports qui ne sont pas suivis d'effet. Bien sûr, le Gouvernement s'empresse de mettre en oeuvre quelques mesures de simplification, mais aucune disposition économique forte n'est adoptée pour soutenir la compétitivité de nos pavillons et de nos hubs .

En matière maritime, nous sommes en train d'aller à rebours de toute logique économique et historique. Nous savons que l'avenir d'une nation se décide depuis toujours par l'avenir de ses ports. Nous savons que toutes les grandes économies du monde disposent de ports puissants et de nombreux navires pour exporter leurs productions. Il n'y a pas de grand pays industriel qui ne soit pas aussi un grand pays maritime. C'est une loi intangible, de la Venise d'hier à la Chine d'aujourd'hui.

Que constate-t-on pour la France ? Le trafic de nos grands ports maritimes ne fait que baisser quand celui de nos voisins continue d'augmenter. Le tonnage du seul port de Rotterdam représente presque le double de celui de nos sept grands ports maritimes réunis. Et le port d'Anvers, qui traite plus de conteneurs que l'ensemble des ports français, est devenu aux yeux de nombreux acteurs économiques le « premier port français » par le nombre de conteneurs à destination ou en provenance de l'Hexagone. Quant à notre flotte de commerce, elle subit de plein fouet la concurrence internationale, avec une inquiétante accélération des dépavillonnements et faillites d'entreprises.

Dans ce contexte, votre rapporteur pour avis a examiné les crédits relatifs aux transports maritimes dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2016. Ces crédits relèvent des programmes 205 et 203 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et de deux directions centrales du ministère, la direction des affaires maritimes et la direction des services de transports. Ils connaissent une légère érosion, mais le phénomène le plus inquiétant est tout simplement le niveau des crédits, observé pour la première fois de façon consolidée : nous consacrons moins d'un dixième de point de PIB à notre politique maritime, alors que nous possédons la deuxième zone économique maritime mondiale, avec une superficie maritime supérieure à la superficie terrestre de l'Europe entière !

On est bien loin des annonces grandiloquentes autour d'une politique maritime ambitieuse ou d'une nouvelle stratégie nationale de la mer et du littoral, annoncée chaque année pour mieux être repoussée. Nous devons regarder la réalité en face et assumer notre responsabilité : nous avons de l'or bleu dans les mains et nous sommes en train de mutiler notre pays en refusant sa vocation maritime.

C'est au regard de ces considérations que votre commission a émis, lors de sa séance du mercredi 18 novembre 2015, sur proposition de son rapporteur pour avis, un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports maritimes du projet de loi de finances pour 2016.

I. DES CRÉDITS QUI RÉVÈLENT L'ABSENCE D'AMBITION POUR LA POLITIQUE MARITIME DE LA FRANCE

Les crédits relatifs aux transports maritimes relèvent de deux programmes de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » : le programme 205 « Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » et le programme 203 « Infrastructures et services de transports ». Ils s'inscrivent dans le cadre plus large de l'ensemble des crédits consacrés à la politique maritime, pour lesquels on dispose enfin d'une vision consolidée.

A. UN NOUVEAU DOCUMENT DE POLITIQUE TRANSVERSALE CONSACRÉ À LA POLITIQUE MARITIME DE LA FRANCE

Alors que votre rapporteur le réclame depuis des années, un document de politique transversale « Politique maritime de la France » est présenté pour la première fois au Parlement, à l'occasion de ce PLF 2016 (il a été créé par la LFI 2015). Une vision consolidée des crédits est en effet nécessaire à l'heure où notre pays s'engage dans la croissance bleue . Cette politique interministérielle à destination du monde maritime comporte trois axes stratégiques .

Le premier axe « Préserver l'environnement maritime et la biodiversité marine » comprend cinq objectifs : 1) Renforcer la protection de l'environnement maritime ; 2) Mieux contrôler les activités maritimes et en particulier la pêche ; 3) Préserver et restaurer la biodiversité marine ; 4) Reconquérir la qualité de l'eau en Bretagne pour réduire la prolifération des algues vertes ; 5) Réduire l'exposition des populations de Martinique et Guadeloupe au chlordécone.

Le deuxième axe « Assurer la sécurité des personnes et des biens » comporte deux objectifs : 1) Renforcer la sécurité maritime ; 2) Disposer d'un système performant de prévision météorologique marine et de prévention des risques météorologiques en mer.

Le troisième axe « Développer les activités économiques et l'emploi, maintenir la protection sociale » comporte quatre objectifs : 1) Réaliser au meilleur coût les projets de desserte planifiés et moderniser efficacement les infrastructures portuaires ; 2) Développer la part des modes alternatifs à la route : accroître l'activité des grands ports maritimes ; 3) Promouvoir la flotte de commerce et l'emploi maritime ; 4) Optimiser le régime de protection sociale des marins.

Ce document de politique transversale évalue à près de 1,8 milliard d'euros (Md€) le montant total de crédits de paiement à destination de la politique marmite de la France en 2016, ventilés entre 20 programmes budgétaires.

VENTILATION DES CRÉDITS DANS LE DOCUMENT DE POLITIQUE TRANSVERSALE

Ce montant ne représente même pas 0,1 point de PIB consacré à notre politique maritime, alors que la France possède le deuxième domaine maritime du monde, et que l'on prétend faire le pari de la croissance bleue !

Il est d'ailleurs probablement surévalué , puisqu'en l'absence de comptabilité analytique, la contribution détaillée de chaque programme n'apparaît pas . Par exemple, les actions 11 et 14 du programme 203 relatif aux infrastructures et services de transport sont comptabilisées à hauteur de 117,6 millions d'euros (M€), alors qu'en réalité seulement 51,3 M€ concernent réellement la politique maritime.

Autre problème, les doublons qui consistent à affecter les mêmes crédits à plusieurs politiques transversales différentes , ce qui conduit à une surévaluation de l'effort global. Les actions 2 et 8 du programme 162 relatif aux interventions territoriales de l'État sont ainsi comptabilisées à la fois dans le document de politique transversale relatif à l'aménagement du territoire et dans celui-ci.

En outre, on observe une prépondérance du régime spécial de sécurité sociale et de retraite des gens de mer , alors que de plus en plus d'entreprises considèrent qu'il n'est plus adapté. Il s'agit certes d'un marqueur identitaire de la profession, mais votre rapporteur souligne qu' un rapprochement avec le régime général serait une mesure de bon sens , d'autant plus que l'Établissement national des invalides de la marine (ENIM) manque d'appui et d'expertise pour assurer correctement ses missions.

Au final, votre rapporteur salue l'existence de ce nouveau document de politique transversale, qui ne fait malheureusement que confirmer le diagnostic dressé depuis de nombreuses années : la France n'a tout simplement pas de politique maritime . Ce constat dramatique plaide en faveur de l' instauration d'un véritable budget dédié à la mer , à la hauteur des ambitions affichées. Autrement, la croissance bleue risque de nous échapper, une fois n'est pas coutume, alors que notre pays est idéalement doté pour en profiter.

DÉTAIL DES CRÉDITS DE LA POLITIQUE TRANSVERSALE

LFI 2015

PLF 2016

Variation

105 - Action de la France en Europe et dans le monde

2 895 823

2 769 604

-4%

110 - Aide économique et financière au développement

22 052 391

21 990 000

0%

154 - Économie et développement durable de l'agriculture et des territoires

128 986

124 800

-3%

206 - Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation

3 248 962

3 455 019

6%

146 - Équipement des forces

22 598 016

85 397 421

278%

212 - Soutien de la politique de la défense

47 692 000

49 653 000

4%

129 - Coordination du travail gouvernemental

149 000

-100%

203 - Infrastructures et services de transports

123 120 000

117 590 000

-4%

205 - Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture

198 680 632

195 650 456

-2%

170 - Météorologie

7 751 526

7 551 526

-3%

113 - Paysages, eau et biodiversité

35 919 365

37 145 895

3%

181 - Prévention des risques

1 900 000

2 400 000

26%

271 - Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables

184 216 321

181 720 076

-1%

123 - Conditions de vie outre-mer

6 822 237

7 610 462

12%

112 - Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire

8 536 923

8 123 120

-5%

162 - Interventions territoriales de l'État

5 731 188

3 204 690

-44%

172 - Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires

173 278 000

177 334 000

2%

186 - Recherche culturelle et culture scientifique

520 000

519 854

0%

119 - Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements

49 300 000

51 900 000

5%

197 - Régimes de retraite et de sécurité sociale des marins

852 952 581

824 838 307

-3%

TOTAL

1 747 493 951

1 778 978 230

2%

Source : document de politique transversale - PLF 2016

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