C. LE RENFORCEMENT DES PROCÉDURES POUR AUGMENTER LE TAUX DE RECOUVREMENT EFFECTIF DES CRÉANCES NÉES DE LA FRAUDE AUX COTISATIONS (ARTICLE 14)

1. Une intensification de la lutte contre la fraude sociale ayant accru les montants de redressements notifiés, mais des montants recouvrés en stagnation

Diverses dispositions ont été introduites lors des précédentes lois financières en vue de renforcer la lutte contre la fraude sociale , qu'elle porte sur les prestations ou sur les cotisations . Faisant le constat de progrès nécessaires dans le domaine de la lutte contre la fraude aux cotisations sociales 38 ( * ) , la loi de financement pour 2013 a introduit le principe d'une majoration des redressements dus par l'employeur de 25 % en cas de constat de travail dissimulé ainsi qu'une majoration de 10 % du redressement de cotisations dû par l'employeur en cas de réitération d'une pratique non conforme à la législation. Un renforcement de l'utilisation du numérique et du partage des données a également permis de concentrer les actions de contrôle.

Toutefois, si les montants des redressements notifiés ont fortement crû ces dernières années , progressant de 209 millions d'euros en 2011 à 462 millions d'euros en 2015 pour la lutte contre le travail illégal, le taux de recouvrement effectif des créances stagne à un faible niveau (9 %). Cette mauvaise performance s'explique notamment par les lacunes des deux outils principaux pour le recouvrement des cotisations et contributions sociales face aux stratégies de fraudes intentionnelles :

- la flagrance sociale , spécifique à la lutte contre le travail illégal ;

- l'opposition à tiers détenteur (OTD), applicable depuis 2011 à l'ensemble des créances de cotisations sociales.

Complexes et longues, ces procédures laissent le temps aux entreprises détectées d'organiser leur insolvabilité . Quoiqu'inspirées de procédures applicables en matière de fraude fiscale, elles n'ouvrent pas les mêmes pouvoirs aux organismes chargés du recouvrement qu'à l'administration fiscale (cf. tableau infra ). Dans son rapport de septembre 2014 39 ( * ) , la Cour des comptes soulignait les limites des procédures de recouvrement à disposition des organismes sociaux et recommandait que « le rapprochement des outils juridiques du recouvrement forcé des créances [soit] mené à terme afin de mettre à la disposition des deux réseaux de recouvrement, social comme fiscal, des outils présentant la même efficacité et permettant au réseau qui subit le premier les impayés d'être le premier à être en mesure d'effectuer une saisie, en protégeant ainsi plus tôt, et donc plus efficacement, les intérêts des créanciers publics » .

2. Un renforcement proposé des outils de recouvrement

Dans cette perspective, le présent article prévoit de modifier le cadre applicable à la flagrance sociale et à l'opposition à tiers détenteur . Il s'agit principalement de répondre au problème né de la durée des procédures , permettant au fraudeur présumé d'organiser sa disparition ou son insolvabilité. Pour ce faire, il est proposé de rendre possible une saisine conservatoire sur les biens de la personne concernée ou sur les créances qu'elle détient sur des tiers. Cette possibilité serait ouverte sans autorisation préalable du juge , un recours devant le juge de l'exécution selon une procédure d'urgence pouvant toutefois être formé.

Par ailleurs, en l'état du droit, l'OTD n'est pas applicable au recouvrement des prestations sociales indûment versées, à l'exception des régimes de travailleurs indépendants ; les organismes prestataires du régime général ainsi que les régimes spéciaux ne peuvent pas y recourir. Le présent article propose d'ouvrir cette faculté à l'ensemble des organismes prestataires, leur permettant d'effectuer le recouvrement de leurs indus de prestations par voie d'OTD.

Dans le même sens, il est proposé d'étendre la sanction de retrait des mesures de réduction et d'exonération de cotisations de sécurité sociale, actuellement restreinte aux cas de travail dissimulé, aux autres infractions constitutives de travail illégal, tels le marchandage ou l'emploi d'étranger non autorisé à travailler.

Selon l'évaluation préalable annexée au présent projet de loi de financement, ces mesures pourraient conduire à un recouvrement supplémentaire estimé à hauteur de 35 millions d'euros en année pleine au titre du renforcement des deux outils, et à un gain d'environ 5 millions d'euros du fait de l'extension du retrait des exonérations de cotisations de sécurité sociale.

Droit en vigueur

Modification proposée

Flagrance sociale

Article L. 133-1 du code de la sécurité sociale

Créée par la loi de financement pour 2012 sur le modèle de la flagrance fiscale, elle constitue un outil spécifique à la lutte contre le travail illégal permettant de geler des actifs de la personne contrôlée en vue de garantir le paiement des sommes dues. Elle ne peut être utilisée que dans les cas où le comportement de l'entreprise ou de ses dirigeants met en péril le recouvrement des cotisations dues.

Dans le cadre d'une procédure de contrôle, l'inspecteur du recouvrement dresse un procès-verbal de flagrance sociale évaluant le montant des cotisations dues.

Contrairement à la flagrance fiscale, le directeur de l'organisme de recouvrement doit préalablement saisir le juge de l'exécution afin d'obtenir l'autorisation de mettre en oeuvre des mesures conservatoires. L'organisme de recouvrement est donc considéré comme un créancier de droit commun. De plus, la saisine préalable du juge entraîne un délai incompressible d'environ un mois en pratique, permettant à la personne concernée d'organiser son insolvabilité.

La procédure de flagrance fiscale ne fait pas intervenir le juge pour procéder à des saisies conservatoires, mais le redevable peut contester par référé l'établissement de la flagrance fiscale ainsi que la prise des mesures conservatoires.

La modification proposée rapproche la flagrance sociale de la flagrance fiscale sur deux points :

- d'une part, en permettant, à défaut de garanties suffisantes produites par la personne contrôlée, de pratiquer des saisies conservatoires à la suite de l'établissement du procès-verbal de travail illégal, sans autorisation préalable du juge de l'exécution. De plus, la condition de mise en péril du recouvrement des cotisations est supprimée et devient présumée. À tout moment de la procédure, la personne concernée peut toutefois apporter les garanties suffisantes afin de demander la levée de la saisie ;

- d'autre part, en rendant possible le recours devant le juge de l'exécution contre la décision du directeur de l'organisme de pratiquer une saisie conservatoire ou de refuser les garanties apportées ; le juge doit alors se prononcer sous 15 jours.

OTD

Article L. 652-3 du code de la sécurité sociale

Article L. 133-4-9 (nouveau)

Introduite en 2001 pour les cas de travail dissimulé, cette procédure s'applique depuis 2011 pour le recouvrement de toute créance de cotisations et contributions de sécurité sociale. Elle s'inspire de l'avis à tiers détenteur fiscal (ATD) et rend possible aux organismes de recouvrement d'appréhender des créances détenues auprès de tiers pour obtenir le paiement des cotisations dues par une personne.

S'agissant des cas de travail illégal, cette procédure se révèle peu effective dans la mesure où elle nécessite deux préalables : l'envoi d'une mise en demeure au débiteur, puis la notification d'une contrainte, induisant un délai de 85 jours. La procédure d'ATD peut être notifiée dans les 30 jours.

De fait, si plus de 5,3 millions d'ATD ont été notifiés en 2014, le recours à l'OTD demeure marginal au sein des URSSAF, avec moins de 10 OTD en 2014 comme en 2015. Par conséquent, alors que le recouvrement forcé par ATD a permis à l'administration fiscale d'internaliser le recouvrement forcé, le réseau des URRSSAF l'a externalisé auprès des huissiers de justice.

Il est proposé d'appliquer une procédure identique de saisie conservatoire auprès d'un tiers détenteur de biens appartenant au débiteur, avec les mêmes garanties de recours devant le juge de l'exécution.

Il s'agit de renforcer l'effectivité de l'OTD en permettant un gel des actifs avant leur éventuelle attribution, au terme de la procédure en vigueur actuellement.

3. Une clarification des délais de prescription applicables

Les délais de prescription applicables à la procédure de recouvrement des cotisations et contributions de sécurité sociale sont divers et ont donné lieu à une interprétation nouvelle de la part de la Cour de cassation . Le code de la sécurité sociale définit trois types de délais de prescription s'agissant des recouvrements de cotisations (cf. schéma infra ) :

- l'article L. 244-3 dispose que la mise en demeure relative à la créance due à titre principal ne peut concerner que les cotisations exigibles au cours des trois années (cinq en matière de travail illégal) précédant son envoi ; la mise en demeure relative aux créances accessoires doit ensuite être adressée dans un délai de deux ans à compter du paiement du principal (majorations de retard) ou de la production des déclarations ou de la mise en demeure du principal (pénalités de retard) - cf. encadré 1 ;

- l'article L. 244-11 précise que l'action en recouvrement des cotisations se prescrit dans un délai de cinq ans - cf. encadré 2 ;

- l'article L. 244-9 prévoit que la contrainte comporte, à défaut d'opposition formée par le débiteur devant le tribunal des affaires sociales, tous les effets d'un jugement, permettant de réaliser des actes d'exécution dans le cadre du recouvrement forcé. Avant 2008, la Cour de cassation retenait qu'une contrainte non contestée était soumise à la prescription trentenaire définie par le code civil et non à la prescription quinquennale applicable à l'action en recouvrement, dans la mesure où la contrainte non contestée comporte tous les effets d'un jugement. Toutefois, la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile 40 ( * ) a réduit ce délai de trente à cinq ans. Récemment, la Cour de cassation 41 ( * ) a livré une nouvelle interprétation du délai de prescription de la contrainte non contestée, en le limitant à trois ans afin de l'aligner sur le délai correspondant à la nature de la créance.

Différents délais de prescription applicables en matière de recouvrement de cotisations de sécurité sociale

2 - Délai d'action en recouvrement : 5 ans pour émettre une contrainte

Mise en demeure

Contrainte : titre exécutoire

1 - Ne peut porter que sur les 3 années civiles précédant la date de la mise en demeure (5 en cas de travail illégal)

3 - Délai de prescription contrainte : 5 ans pour émettre un commandement de payer

Source : évaluation préalable annexée au présent projet de loi de financement

Le dispositif proposé vise à clarifier les délais applicables à la créance , en vue de le rendre plus lisible pour le cotisant :

- s'agissant de la créance (encadré 1), le dispositif prévoit d'inverser le mode de calcul de la prescription en faisant courir le délai non plus à rebours à compter de la date d'envoi de la mise en demeure, mais à l'endroit à compter de son fait générateur. Les créances en principal se prescriraient par trois ans à compter de l'expiration de l'année au cours de laquelle elles sont dues - cinq ans en cas de travail illégal. Le même cadre s'appliquerait désormais aux créances accessoires. En outre, sur le modèle de la procédure applicable en matière fiscale et afin de permettre une phase d'échange contradictoire, il est également proposé une suspension du délai de prescription durant cette période contradictoire ;

- s'agissant de l'action en recouvrement à la suite d'une mise en demeure (encadré 2), le dispositif prévoit d'aligner le délai de prescription sur celui de la créance, c'est-à-dire trois ans ou cinq ans pour les cas de travail illégal ;

- s'agissant de l'exécution de la contrainte (encadré 3), le dispositif prévoit de préciser explicitement le délai de prescription à trois ans - cinq ans en cas de travail illégal.

Favorable à la lutte contre la fraude sociale, votre rapporteur pour avis formule deux remarques :

- d'une part, le dispositif prévu s'agissant de l'opposition à tiers détenteur ne suit pas complètement les préconisations de la Cour des comptes 42 ( * ) , qui recommandait d'aligner les règles de l'OTD sur celles de l'avis à tiers détenteur fiscal et de mutualiser les procédures de recouvrement forcé ;

- d'autre part, dans le cadre d'une nouvelle étape de lutte contre la fraude sociale, l'amélioration des outils à disposition des organismes de sécurité sociale devrait s'accompagner d'objectifs en matière de recouvrement effectif des créances précisés dans les conventions d'objectifs et de gestion conclues entre l'État et les organismes de sécurité sociale.


* 38 Une estimation réalisée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), à la demande de la Cour des comptes, mentionnait un manque à gagner pour la sécurité sociale lié à la fraude et aux irrégularités compris entre 16,8 milliards d'euros et 20,8 milliards d'euros en 2012.

* 39 Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, septembre 2014, pages 144 et suivantes.

* 40 Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

* 41 Cf. trois arrêts rendus par la 2 e chambre civile de la Cour de cassation, 17 et 31 mars 2016.

* 42 Cf. « Simplifier la collecte des prélèvements versés par les entreprises », juillet 2016.

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