B. UN FINANCEMENT GREVÉ D'INCERTITUDES

Alors que la trajectoire des dépenses militaires pour la période 2017-2019 a été révisée par l'Exécutif comme on vient de l'exposer ci-dessus, au financement de ces décisions s'attache une double incertitude : d'une part, ce financement n'est défini que pour l'année prochaine, et non pour les années 2018 et 2019 ; d'autre part, les ressources nouvelles dégagées à cet effet par le PLF 2017 présentent plusieurs risques.

Évolution de la programmation du budget de la défense jusqu'en 2019

(CP, hors pensions, en milliards d'euros courants)

2016

2017

2018

2019

Total

2017-2019

Total

2016-2019

LPM initiale de 2013 (a)

31,38

31,56

31,77

32,52

95,85

158,61

Actualisation de 2015 (loi du 28 juillet 2015 et LFI 2016) (b)

31,98

32,26

32,77

34,02

99,05

162,41

Variation 2013-2015 (b/a)

en valeur

+ 0,6

+ 0,7

+ 1,0

+ 1,5

+ 3,2

+ 3,9

en volume

+ 1,9 %

+ 2,2 %

+ 3,1 %

+ 4,6 %

+ 2,6 %

+ 2,4 %

Actualisation de 2016 (rapport du Gouvernement du 18 octobre 2016) (c)

31,98

32,68

-

-

-

-

Variation 2015-2016 (c/b)

en valeur

0

+ 0,4

n.c.*

(besoin = 1)

n.c.*

(besoin = 1,2)

n.c. *

n.c.*

en volume

0

+ 1,3 %

-

-

-

-

Variation 2013-2016 (c/a)

en valeur

0

+ 1,1

n.c.*

n.c.*

n.c.*

n.c.*

en volume

0

+ 3,5 %

-

-

-

-

(*) : Faute d'actualisation du budget prévisionnel de la défense pour 2018 et 2019 compte tenu des mesures nouvelles arrêtées en conseil de défense le 6 avril 2016, le total actualisé jusqu'en 2019 n'est pas possible.

Source : LPM 2014-2019 actualisée par la loi du 28 juillet 2015, LFI 2016, et rapport du Gouvernement relatif à la programmation militaire pour les années 2017-2019

1. Des prévisions de dépenses nouvelles pour 2018 et 2019 (au total 2,218 milliards d'euros) en attente d'un plan de financement

Comme on l'a indiqué plus haut, la mise en oeuvre des décisions arrêtées en conseil de défense le 6 avril 2016 doit représenter, sur un coût total de 2,993 milliards d'euros pour 2017-2019, une dépense nouvelle de 996 millions d'euros en 2018 et de 1,222 milliards d'euros en 2019 . Or, ainsi que le note expressément le rapport précité du Gouvernement daté du 18 octobre dernier, pour couvrir ce coût - 2,218 milliards d'euros au total - que devront supporter les deux dernières années de la programmation militaire en cours, « les modalités de financement [...] seront arrêtées dans le cadre de la préparation des budgets annuels ». Seul le financement pour 2017 (775 millions d'euros) est à ce jour défini, dans le cadre du présent PLF.

En d'autres termes, les ressources de la défense pour 2018 et 2019 ne sont pas, aujourd'hui, sécurisées. S'agissant de ces exercices, le rapport du Gouvernement relatif à la programmation militaire pour les années 2017-2019 a détaillé les besoins de financement reconnus en conseil de défense, mais sans dégager les moyens d'y répondre.

Certes, cette situation tient compte du principe d'annualité budgétaire. Toutefois, elle révèle la limite, au plan technique, et la faiblesse, sur un plan politique, du choix du Gouvernement de ne pas avoir procédé à une nouvelle actualisation législative de la LPM, à l'instar de celle à laquelle avait procédé la loi du 28 juillet 2015.

2. Des prévisions de ressources nouvelles pour 2017 (775 millions d'euros) en partie affectées de risques

Pour couvrir le besoin de financement de 775 millions d'euros engendré pour l'an prochain par les mesures nouvelles arrêtées en conseil de défense le 6 avril 2016, le PLF 2017, par rapport aux prévisions inscrites dans la LPM actualisée en juillet 2015, procède à un triple ajustement :

- la mission « Défense » est abondée à hauteur de 317 millions d'euros de crédits budgétaires supplémentaires ;

- le compte d'affectation spécial « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » (CAS « Immobilier ») ouvre au bénéfice du ministère de la défense un droit à consommer additionnel de 100 millions d'euros de recettes de cessions immobilières ;

- enfin, au sein de la mission « Défense », le redéploiement interne de 358 millions d'euros doit être permis par une économie de crédits. Celle-ci, suivant les précisions données par le ministre de la défense à l'Assemblée nationale 18 ( * ) , résulte de nouveaux gains sur le coût des facteurs (prix du pétrole, prix de certains marchés de fourniture, cours de la monnaie) pour 205 millions d'euros, d'un prélèvement sur la trésorerie du compte de commerce des essences 19 ( * ) (accrue du fait de l'évolution favorable du prix des carburants) à hauteur de 50 millions d'euros , et de l'actualisation « fine » des échéanciers financiers des programmes d'armement pour le solde de 103 millions d'euros.

De la sorte, seuls 41 % des nouveaux besoins sont couverts par des crédits budgétaires nouveaux. Or, sur les autres ressources mobilisées, pèsent des risques tenant à la nature même des recettes de cessions immobilières et des économies attendues sur le coût des facteurs.

a) Les risques tenant aux cessions immobilières (200 millions d'euros au total)

Compte tenu de l'ouverture précitée d'un droit supplémentaire de 100 millions d'euros à consommer sur les recettes du CAS « Immobilier », la prévision de ressources extrabudgétaires du budget de la défense pour 2017 s'élève désormais à 250 millions d'euros : 200 millions d'euros de produits de ventes immobilières , contre 100 millions prévus par la LPM actualisée par la loi du 28 juillet 2015, et 50 millions d'euros de produits de cessions de matériel, déjà prévus depuis cette loi d'actualisation.

La loi d'actualisation de 2015, comme on l'a rappelé plus haut ici, tout en remplaçant l'essentiel de la programmation initiale de 2013 en ressources exceptionnelles (REX) par des crédits budgétaires, avait cependant procédé, par rapport cette programmation initiale, à un quasi doublement du niveau de ces REX subsistantes, cessions immobilières et cessions de matériel cumulées, et même à un triplement pour l'année prochaine. La prévision de recettes immobilières inscrites dans le PLF 2017, comparée à celle qui figurait dans la LPM en 2013, conduit désormais à plus que doubler ces recettes de cessions attendues sur la période 2015-2019, et à les quintupler pour ce qui concerne l'an prochain.

Recettes de cessions affectées au budget de la défense

(CP, en milliards d'euros courants)

2015

2016

2017

2018

2019

Total

2015-2019

LPM initiale

0,23

0,20

0,05

0

0

0,48

Actualisation (loi du 28 juillet 2015 et PLF 2017*)

Total

0,23

0,25

0,25

0,15

0,15

1,03

Immobilier

0,23

0,20

0,20

0,10

0,10

0,83

Matériels

0

0,05

0,05

0,05

0,05

0,20

Variation

en volume

0

+ 0,05

+ 0,20

+ 0,15

+ 0,15

+ 0,55

en proportion

0

+ 25 %

+ 500 %

-

-

+ 215 %

(*) : Prise en compte de la majoration des recettes de cessions immobilières à hauteur de 100 millions d'euros par le PLF 2017.

Source : LPM 2014-2019 actualisée par la loi du 28 juillet 2015 et PLF 2017

Même si les recettes de cessions ne représentent qu'une fraction mineure du budget de la défense (0,75 % des CP, hors pensions, pour 2017), et malgré la confiance récemment affirmée à cet égard par le ministre de la défense devant nos collègues députés (voir l'encadré ci-dessous), l'accroissement de l'importance des produits de ventes immobilières dans la prévision budgétaire fragilise celle-ci ipso facto , eu égard au caractère aléatoire que revêtent les calendriers et les montants de ces opérations. Cette fragilisation est d'autant plus marquée que le plafonnement prévu par la loi du 28 juillet 2015, à l'initiative de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des finances du Sénat, en ce qui concerne le taux de la décote praticable en faveur du logement social - jusqu'à 100 % 20 ( * ) - sur la valeur vénale des immeubles vendus par le ministère de la défense, a été abrogée par la LFI 2016 à l'initiative de l'Assemblée nationale.

Rappelons néanmoins qu'aux termes déjà cités plus haut de l'article 2 (IV) de la loi du 28 juillet 2015 introduit par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, si les ressources attendues de cessions, ou le calendrier selon lequel les crédits correspondants doivent être affectés au budget de la défense, n'étaient pas réalisés conformément à la programmation militaire, ces ressources devraient être compensées intégralement par des crédits budgétaires, sur la base d'un financement interministériel.

Les cessions immobilières du ministère de la défense :

extrait des propos de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, le 2 novembre 2016, devant la commission élargie de l'Assemblée nationale pour l'examen du budget de la défense dans le PLF 2017

« En ce qui concerne le compte d'affectation spéciale (CAS) "Gestion du patrimoine immobilier de l'État", il est prévu par la loi de programmation militaire que des crédits budgétaires soient mobilisés si nous n'avons pas les sommes suffisantes pour atteindre le montant inscrit. Il n'a cependant jamais été nécessaire de recourir à cette possibilité, introduite par voie d'amendement parlementaire - ajout pertinent à mes yeux. Par ailleurs, ce montant de 200 millions d'euros inscrit au CAS est un droit à consommer. Cela veut dire que des fonds peuvent être utilisés du fait de recettes antérieures.

« L'ensemble Bellechasse [situé dans le VII e arrondissement de Paris] a été vendu [en 2014] pour 137 millions d'euros, celui de la Pépinière [situé dans le VIII e arrondissement de la capitale] pour un montant de 118 millions d'euros [en 2015]. Ces cessions nous ont donc procuré plus de 250 millions d'euros, alors que le montant inscrit au CAS de 2016 était de 200 millions d'euros.

« Des discussions sont en cours, avec Sciences Po, en vue de la cession de l'Hôtel de l'Artillerie, place Saint-Thomas-d'Aquin [VII e arrondissement de Paris]. L'opération devrait aboutir prochainement. Tel qu'il est configuré, ce site ne permet pas l'accueil des soldats dans le cadre de l'opération Sentinelle ; une discussion est en cours avec Sciences-Po, qui n'a pas encore pour l'heure abouti. L'îlot Saint-Germain [VII e arrondissement de Paris] est quant à lui concerné par deux opérations. Une fraction sera cédée à un bailleur social de la ville de Paris afin de réaliser des logements sociaux ; l'autre sera cédée conformément aux procédures en vigueur, sans contrainte de logement social. Cette aliénation devrait intervenir entre 2017 et 2018. Au Val-de-Grâce [V e arrondissement de la capitale], la partie du site devenue inutile aux besoins du service de santé des armées est libérée depuis le 1er juillet dernier, et sa cession fait l'objet de discussions. Il s'agit, pour le ministère de la défense, de conserver la partie monument historique et de céder la parcelle de l'ancien hôpital des armées. Le projet est inscrit en programmation 2017, mais le prix de cession n'est pas encore connu.

« Je ne suis donc guère inquiet quant à ma capacité à mobiliser 200 millions d'euros sur l'année 2017, même si nous n'avons pas encore engagé de discussions ni lancé d'appels d'offres à propos de l'îlot Saint-Germain et du Val-de-Grâce - l'un et l'autre servant aujourd'hui comme lieux d'hébergement pour l'opération Sentinelle. Nous avons par ailleurs engagé des travaux au fort de l'Est, au fort de Nogent et à Vincennes pour offrir aux soldats de Sentinelle des conditions d'hébergement et de vie collective dignes. Ce n'est que lorsque ces trois équipements seront achevés que nous pourrons libérer les deux emprises du Val-de-Grâce et de l'îlot Saint-Germain pour engranger les produits de cession [...]. »

Source : comptes rendus des travaux de l'Assemblée nationale

b) Les risques tenant aux économies attendues sur le coût des facteurs (480 millions d'euros au total)

L'intégration à la construction du PLF 2017, à hauteur de 205 millions d'euros en vue de redéploiements à due concurrence au sein de la mission « Défense », d'une économie nouvelle sur le coût des facteurs, s'ajoute à une première série de ces gains de pouvoir d'achat tenant à l'évolution favorable des prix (pétrole et marchés de fourniture) et des taux de change monétaire, retenue par la loi du 28 juillet 2015 d'actualisation de la LPM à hauteur de 275 millions d'euros pour 2017 (contre 210 millions d'euros pour 2016). Elle porte ainsi à un total de 480 millions d'euros la marge de manoeuvre escomptée pour la défense, l'an prochain, de cette évolution des indices économiques.

Or les prévisions en ce domaine comportent des risques intrinsèques, identifiés à l'occasion de l'examen du projet qui allait devenir la loi précitée de juillet 2015 21 ( * ) - laquelle, comme on l'a rappelé ci-dessus, a pris en compte, au total, un milliard d'euros d'économies sur le coût des facteurs pour la période 2016-2019 :

- d'une part, alors que cette économie est prévisionnelle , aucune certitude n'est possible en ce qui concerne les éventuels retournements de la conjoncture économique, ni quant au niveau d'activité opérationnelle qui pourra être requis de nos forces dans le proche avenir. De ce point de vue, le prélèvement susmentionné de 50 millions d'euros sur la trésorerie du compte de commerce des essences paraît hasardeux ; celle-ci, positive aujourd'hui, pourrait être négative demain, selon les cours du pétrole ;

- d'autre part, le calcul de l'économie intègre l'effet théorique de l'évolution du coût des facteurs concernant des programmes d'équipement qui sont encore à lancer, de sorte que cette prévision d'économie ne repose pas entièrement sur des devis stabilisés ou des formules contractuelles de révision de prix déjà arrêtées.

Aussi, plus encore peut-être que la prévision de recettes de cessions, il s'agit là d'un risque sérieux pris pour la gestion de l'exercice 2017 .


* 18 M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, le 2 novembre 2016, lors de la réunion de la commission élargie de nos collègues députés pour l'examen du budget de la défense dans le PLF 2017.

* 19 Compte de commerce n° 901 « Approvisionnement des armées en produits pétroliers, autres fluides et produits complémentaires ».

* 20 Disposition inscrite à l'article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques, issue de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.

* 21 Cf. le rapport déjà cité n° 547 (2014-2015) de notre collègue Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

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