C. LA DÉPENSE FISCALE, TRADUCTION DE LA DETTE DE LA RÉPUBLIQUE ENVERS LES ANCIENS COMBATTANTS

Au côté des crédits budgétaires du programme 169, la politique de reconnaissance de la Nation à l'égard de ses anciens combattants trouve sa traduction dans une dépense fiscale qui complète les prestations versées directement par le budget de l'État. Définies comme des « dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en oeuvre entraîne pour l'État une perte de recettes et donc, pour les contribuables, un allégement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l'application de la norme, c'est-à-dire des principes généraux du droit fiscal français » 48 ( * ) , celles en faveur des anciens combattants remontent, pour les plus anciennes, aux origines du droit à réparation et ont été mises en place au lendemain de la Première Guerre mondiale.

Cinq dépenses fiscales sont rattachées au programme, dont trois portant sur l'impôt sur le revenu . Si deux d'entre elles sont symboliques et, en raison du nombre très faible de bénéficiaires, n'ont qu'une incidence budgétaire très limitée, les trois autres représentent une perte de recettes pour l'État estimée en 2017 à 751 millions d'euros , en hausse de 0,5 % sur un an et de 1,1 % sur deux ans.

Ainsi, les contribuables de plus 74 ans titulaires de la carte du combattant , ainsi que leurs conjoints survivants si l'ancien combattant lui-même en a bénéficié, se voient attribuer une demi-part de quotient familial . La retraite du combattant , les PMI , les rentes mutualistes dans la limite d'un plafond imposable ainsi que l'allocation de reconnaissance que touchent les harkis et leurs veuves ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu . Enfin, les versements effectués par les titulaires de la carte du combattant ou du titre de reconnaissance de la Nation (TRN) en vue de la constitution d'une rente mutualiste sont déduits du revenu imposable .

Les dépenses fiscales associées à la mission
« Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation »

Impôt concerné

Dispositif

Nombre de bénéficiaires
2015
(ménages)

Chiffrage pour 2016
( PLF 2016 - PLF 2017)

Chiffrage pour 2017

(en millions d'euros)

Impôt
sur le revenu

Exonération de la retraite du combattant, des pensions militaires d'invalidité, des retraites mutualistes servies aux anciens combattants et aux victimes de guerre et de l'allocation de reconnaissance servie aux harkis et à leurs veuves

Date de création : 1934

1 818 666

200 -190

185

Demi-part supplémentaire pour les contribuables (et leurs veuves) de plus de 74 ans titulaires de la carte du combattant Date de création : 1945

808 545

550 -520

530

Déduction des versements effectués en vue de la retraite mutualiste du combattant Date de création : 1941

175 946

39 -37

36

Droits d'enregistrement
et de timbre

Réduction de droits en raison de la qualité du donataire ou de l'héritier (mutilé, etc.)

Date de création : 1959

nd

å

å

Exonération de droits de mutation pour les successions des victimes d'opérations militaires ou d'actes de terrorisme Date de création : 1939

nd

nc

nc

Total

2 803 157 1

789 -747 1

751 1

1 : approximation compte tenu des données manquantes

å : coût inférieur à 0,5 million d'euros

nd : non déterminé

nc : non chiffrable

Source : Commission des affaires sociales et projet annuel de performances de la mission annexé au PLF

Dans ce domaine également, le vieillissement des anciens combattants a eu des incidences financières fortes , dans un sens toutefois inverse à celui pris par l'évolution des crédits du programme 169. Il a en effet alimenté son très fort dynamisme . En dix ans, le montant total des dépenses fiscales a augmenté de 56,5 % , puisqu'il s'élevait, en 2007, à 480 millions d'euros . Cette forte croissance est essentiellement corrélée à celle du nombre des bénéficiaires de la demi-part accordée aux titulaires de la carte du combattant à partir de 74 ans, qui a doublé : 399 000 personnes en bénéficiaient en 2007 , contre 808 545 en 2015 . Son coût , quant à lui, a été multiplié par 3,1 : 170 millions d'euros en 2007 contre 530 millions en 2017. Son seul montant aujourd'hui est plus élevé que celui de l'ensemble des dépenses fiscales en faveur des anciens combattants en 2007.

En revanche, la déduction des versements effectués en vue de la retraite mutualiste a vu son coût presque divisé par deux en dix ans, passant de 60 millions d'euros en 2007 à 36 millions en 2017. De même, l'exonération d'impôt sur le revenu dont bénéficient la retraite du combattant, les PMI, les retraites mutualistes et l'allocation de reconnaissance versée aux harkis, dont le nombre de bénéficiaires est passé de 2 250 000 en 2006 à 1 818 666 en 2015 ( - 19 % ), a vu son niveau diminuer de 22 % sur la même période, de 250 millions à 195 millions d'euros . Cette baisse s'est poursuivie depuis puisque cette dépense fiscale ne devrait plus représenter, en 2017, que 185 millions d'euros .

Les dépenses fiscales associées à la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » représentent l'équivalent de 29,5 % de son budget pour l'année 2017. Ce ratio augmente chaque année, au fur et à mesure de la diminution des crédits, liée à la disparition progressive des anciens combattants les plus âgés, et de l'augmentation du niveau de la dépense fiscale : il était de 12,8 % en 2007, 16,9 % en 2012, 19,9 % en 2013, 24,2 % en 2014, 27,1 % en 2015, et 28,6 % en 2016.

De plus, le périmètre de ces dépenses fiscales est mouvant : l'an dernier, l'âge à partir duquel les titulaires de la carte du combattant bénéficient d'une demi-part fiscale a été abaissé de 75 à 74 ans 49 ( * ) à l'initiative des députés de la majorité, malgré l'opposition du Gouvernement et les réserves de votre rapporteur pour avis. En effet, les 45 millions d'euros que cette mesure a coûtés auraient sans nul doute pu être mis à profit pour approfondir le droit à réparation et satisfaire plusieurs des demandes légitimes du monde combattant, en particulier en direction des anciens combattants les plus démunis , plutôt que de bénéficier, en raison de leur nature fiscale, à ceux d'entre eux soumis à l'impôt sur le revenu.

Cette évolution récente ne fait que renforcer la nécessité d'améliorer le pilotage de la dépense fiscale en faveur du monde combattant et son chiffrage , qui se révèlent encore défaillants et n'assurent pas une information exhaustive du Parlement à leur sujet. Dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire 2015 de la mission 50 ( * ) , la Cour des comptes souligne que plusieurs exonérations fiscales , portant sur l'impôt de solidarité sur la fortune, certains droits de mutation et les droits de succession, ne sont pas retracées dans les documents budgétaires annexés au projet de loi de finances et ne sont pas évaluées. Deux exonérations de CSG et de CRDS 51 ( * ) , qui relèvent du champ du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), ne sont également pas mentionnées ou chiffrées dans le cadre de l'examen, chaque année, de ce texte alors qu'elles représentent un total de 147 millions d'euros .

Un fort écart entre l'estimation prévisionnelle et la dépense effectivement constatée persiste, tout particulièrement concernant la demi-part. S'agissant de l'année 2015, alors que les documents budgétaires annexés au PLF pour cette même année 2015 annonçaient un coût de 460 millions d'euros , ceux annexés au PLF pour 2016 revoient cette estimation à la hausse de 13 %, à 520 millions d'euros , tandis que ceux annexés au PLF pour 2017 la revoient légèrement à la baisse, à 510 millions d'euros , ce qui représente néanmoins un montant supérieur de 11 % à celui initialement annoncé. En revanche, malgré l'abaissement à 74 ans du bénéfice de la demi-part fiscale à compter du 1 er janvier 2016, et donc l'augmentation du nombre de personnes à qui elle sera accordée, son chiffrage pour l'année 2016 a été réduit entre les PLF pour 2016 et pour 2017, passant de 550 à 520 millions d'euros ( - 5,5 % ).

Votre rapporteur pour avis tient à rappeler que ces dépenses fiscales font partie intégrante du droit à réparation reconnu aux anciens combattants et en sont indissociables . Elles suscitent néanmoins parfois des critiques et des convoitises chez ceux qui, notamment à Bercy, cherchent avant tout à augmenter les recettes de l'État. Une remise en cause de leur périmètre ne serait pas acceptable et serait perçue par le monde combattant comme une rupture avec les politiques menées par les gouvernements qui se sont succédé depuis un demi-siècle. Il convient toutefois, au vu de leur impact budgétaire et de l'exigence de transparence à laquelle elles doivent être soumises, qu'un panorama exhaustif de l'ensemble de ces dépenses fiscales soit présenté chaque année au Parlement et que des efforts soient réalisés pour améliorer la précision de leur chiffrage.


* 48 Source : Evaluation des voies et moyens annexée au projet de loi de finances pour 2017, tome II : dépenses fiscales, p. 7.

* 49 Par l'article 4 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016.

* 50 Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire 2015 de la mission interministérielle « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », 25 mai 2016.

* 51 Les PMI, la retraite du combattant, la retraite mutualiste et l'allocation de reconnaissance sont exclues de leur assiette.

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