B. UN OBJECTIF DE MUTUALISATION

Dans son rapport sur les aides de l'État à la presse écrite publié en juillet 2013, la Cour des comptes préconisait la création d' une aide unique à l'exemplaire, indépendamment du canal de distribution choisi , dans le souci d'éviter un risque de distorsion économique induite par la distinction, parmi les aides publiques, entre le portage et le postage.

Une telle réforme pourrait, en première analyse, présenter certains avantages. En l' absence d'effet d'aubaine chaque éditeur serait libre de choisir le mode de diffusion le plus adapté à ses besoins. En outre, le mécanisme pourrait faciliter l'introduction d' une logique de dégressivité ou de plafonnement par titre dans le versement des aides.

Dans cette perspective, une mission sur l'avenir du transport postal de la presse a été confiée à Emmanuel Giannesini, conseiller maître à la Cour des comptes et président du comité d'orientation du FSDP. Il lui était demandé de proposer différents scénarios (politique tarifaire à compter de 2016, recentrage de l'aide postale, montant et forme de la compensation de l'État), afin de définir le nouveau cadre du soutien public à l'acheminement des abonnements de presse , comprenant à la fois l'aide au transport postal et l'aide au portage.

Le rapport, remis en septembre 2015, souligne les difficultés de mise en oeuvre d'une aide unique à l'exemplaire versée aux éditeurs et indépendante du mode de diffusion. Elle se heurte, d'une part, à une objection économique qui tient au fait que le portage est déjà compétitif , et d'autre part, à des obstacles de calibrage difficilement surmontables compte tenu des effets redistributifs induits .

En effet, les dotations budgétaires allouées à l'aide au transport postal et à l'aide au portage ne sont pas corrélées aux volumes d'exemplaires diffusés . « L'aide à l'exemplaire devrait en effet réaliser la fusion d'une aide au transport postal accordée à 442 millions d'exemplaires de presse d'information politique et générale (« en stock ») représentant environ 240 millions d'euros d'avantage tarifaire, d'une part, avec d'autre part une aide au portage qui repose sur une logique de flux, avec 987 millions d'exemplaire portés pour 36 millions d'euros d'aide au total. Ces deux masses sont irréconciliables » .

Dès lors, la création d'une aide unique à l'exemplaire entraînerait des effets redistributifs considérables en faveur des publications déjà portées . Elle se traduirait par un accroissement très important du niveau d'aide de certaines familles de presse, la presse quotidienne régionale notamment, qui représente la majorité des exemplaires portés (83 % du nombre total des exemplaires portés).

Cette piste abandonnée, il convient de réfléchir aux moyens de rendre plus efficacement complémentaires , entre eux comme au regard des lacunes de la distribution au numéro, le portage et le postage .

1. Pour une complémentarité plus efficiente avec le portage
a) Un succès qui ne se dément pas
(1) Un mode de diffusion plébiscité...

En dépit du ralentissement continu des volumes de presse diffusés, on observe une croissance tendancielle du poids relatif du portage dans les abonnements , eux-mêmes faisant l'objet d'une politique commerciale ambitieuse de la part d'éditeurs à la recherche de vecteurs de croissance face à l'abyssale régression de la vente au numéro. En 2015, la presse quotidienne locale est portée à 86,6 %, contre 86,4 % l'année précédente. Ce chiffre s'établit à 47,1 % pour la presse quotidienne nationale, à 34,7 % pour la presse hebdomadaire régionale (27,8 % en 2014) et à 17,5 % pour les hebdomadaires nationaux (9,5 % en 2014).

Nombre d'exemplaires portés par familles de presse

(en millions d'exemplaires)

Source : Ministère de la culture et de la communication

Taux de portage

(abonnés individuels portés / total des abonnements)

Source : Ministère de la culture et de la communication

Les volumes portés continuent de se développer à un rythme soutenu pour la presse nationale, quotidienne et magazine . La presse quotidienne nationale et les newsmagazines représentent néanmoins des volumes relativement faibles dans la masse globale des volumes portés, de l'ordre de 8 % du total, compte tenu, pour les uns, du poids de la vente au numéro dans le modèle économique et de la moindre importance des délais de livraison , pour les autres.

En revanche, la presse locale enregistre un tassement significatif des volumes portés - recul de 26 millions d'exemplaires entre 2011 et 2015 portant la proportion d'exemplaires portés à 53 % -, supérieur à la croissance des volumes en provenance des autres familles de presse (augmentation de 11,7 millions d'exemplaires sur la période).

Pour autant, elle continue d'accroître la part de ses abonnements portés, pour lesquels elle atteint un taux très élevé (autour de 85%), qu'il paraît difficile d'augmenter davantage , compte tenu des contraintes liées aux abonnés géographiquement excentrés que seuls la Poste est en mesure de servir. En outre, la presse locale est déjà parvenue, s'agissant de ses publications, à une utilisation optimale de ses capacités de portage , avec 30 000 points de vente exclusifs, un réseau de portage autonome desservant plus de 24 700 communes pour 2,3 millions d'exemplaires portés chaque année avant 8 heures du matin.

Structure de la diffusion de la presse locale

(en 2015)

Source : UPREG et OJD 2015

(2) ...autant que soutenu par les pouvoirs publics

Les crédits consacrés à l'aide au portage sont passés de 8,2 millions d'euros en 2008 à 70 millions d'euros en 2009, conformément aux conclusions des États généraux de la presse écrite, qui souhaitaient en favoriser l'extension. Puis, en 2013, ils ont été ramenés à 37,6 millions d'euros, avant de s'établir à 36 millions d'euros depuis 2014 . Le nombre de bénéficiaires s'est établi à 109 en 2015, année où treize réseaux de portage rattachés à un groupe de presse ou indépendants ont également bénéficié de l'aide.

Le décret n° 2014-1080 du 24 septembre 2014 portant réforme du fonds d'aide au portage de la presse a concrétisé une évolution approfondie de l'aide au portage. Il constitue la traduction des propositions établies par une étude réalisée par le cabinet Arthur D. Little à la demande de la direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la culture et de la communication, qui après avoir évalué la pertinence de l'aide au portage existante a conseillé de la réorienter vers un dispositif plus incitatif, d'une part au développement du portage, d'autre part à la mutualisation des réseaux de portage . Le cabinet Roland Berger avait ensuite été sollicité pour définir en conséquence les nouveaux paramètres de l'aide.

En application du décret du 24 septembre 2014, l'aide est désormais divisée en deux sections : la première soutient, comme l'aide antérieure, les éditeurs de titres quotidiens ou hebdomadaires d'information politique et générale faisant porter leur publication ; la seconde bénéficie aux réseaux de portage , pour la progression de la part de titres quotidiens ou hebdomadaires d'information politique et générale portés pour le compte de tiers. En 2015, onze entreprises de portage dépendant d'éditeurs de presse et deux réseaux de portage indépendants ont été subventionnés au titre de la seconde section, pour un total de 3,7 millions d'euros, soit 10,3 % des sommes attribuées au titre de l'aide au portage .

La réforme intervenue en 2014, si elle a contribué à développer le portage multi-titre, n'a pas annihilé tous les obstacles auxquels se heurtent les projets de mutualisation :

- en matière de production et d'organisation de la distribution, l'horaire de fin de l'impression de la presse quotidienne nationale sur un site adapté à son format (berlinois ou tabloïd), cumulé au temps de transport nécessaire pour arriver sur les lieux de routage de la presse quotidienne régionale, n'est pas forcément compatible avec les horaires de départ des tournées de cette dernière. Cette difficulté est encore accrue par l'horaire de bouclage tardif des quotidiens nationaux sportifs ;

- l'organisation par définition décentralisée de la presse quotidienne régionale oblige à négocier avec chaque acteur les conditions de distribution de la presse quotidienne nationale . En outre, la presse quotidienne régionale n'est pas soumise au même cadre social que Presstalis pour son impression et sa distribution. La mutualisation envisagée doit donc tenir compte des difficultés d'harmonisation de l'environnement social ;

- enfin, les éditeurs de presse quotidienne régionale peuvent parfois considérer que porter les abonnés d'autres titres, notamment de la presse quotidienne nationale, fait peser un risque de « cannibalisation » de leur propre lectorat.

En revanche, d'un point de vue juridique, la mutualisation a été simplifiée : alors que l'exclusivité du contrat Presstalis et la loi « Bichet » du 2 avril 1947 obligeaient auparavant deux titres partageant leur logistique pour la distribution d'exemplaires destinés à la vente au numéro à créer une coopérative à laquelle tout autre éditeur devait pouvoir adhérer, la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse prévoit que le CSMP « définit les conditions dans lesquelles les entreprises de presse [...] peuvent, dans des zones géographiques déterminées, sans adhésion à une société coopérative de messageries de presse commune, recourir à des réseaux locaux de distribution aux points de vente et homologue les contrats de distribution conclus dans ces conditions, au regard des principes de la présente loi ».

En 2015, les réseaux de portage ont distribué 56,8 millions d'exemplaires pour le compte de tiers, contre 572,1 millions d'exemplaires pour leurs propres titres, soit 9,9 % de portage pour compte de tiers . Pour l'année 2011, les chiffres avaient été respectivement de 23 millions d'exemplaires et 623,5 millions d'exemplaires, soit 3,7 % de portage pour compte de tiers.

L'ouverture facilitée des réseaux de portage à des titres tiers a, en réalité, considérablement varié selon les groupes de presse . Amaury et Le Figaro ont pleinement joué le jeu de la mutualisation, tandis que d'autres progressions demeurent encore modestes, voire inexistantes comme dans l'Est de la France, où les réseaux du groupe EBRA restent presque intégralement fermés. Pour sa part, le réseau de portage de La Dépêche portait en 2011 3,7 % de titres tiers ; cette proportion s'établit à 8,8 % en 2015.

Malgré les obstacles précités, le tassement du portage en propre lié à la contraction des volumes diffusés conduit les réseaux à développer le portage pour les titres tiers.

Ces dernières années, Presstalis a ainsi accompagné les initiatives des éditeurs qui souhaitaient favoriser le développement du portage multi-titres en proposant d'assurer la logistique d'approche des volumes de presse portés vers les centres de répartition régionaux. Plus récemment, le 16 juillet 2016, l'entreprise a conclu, à l'issue de deux années de négociations, un accord de sous-traitance logistique avec le groupe La Dépêche, en vue d'optimiser la distribution des publications dans le Sud-Ouest de la France en limitant le coût du dernier kilomètre grâce au parti tiré du meilleur positionnement de chaque acteur en fonction des territoires desservis . Ainsi, Presstalis est désormais dépositaire de La Dépêche à Montauban, Castres et Albi, tandis que, dans l'Hérault comme à Toulouse, le groupe régional opère la distribution des titres pour le compte de Presstalis. Quelque 1 300 points de vente sont concernés par la mutualisation de la distribution entre les deux partenaires.

Sachant que la presse quotidienne régionale dispose, en propre, de 30 000 points de vente répartis sur le territoire national, les perspectives sont immenses en matière de mutualisation du portage, comme de synergie entre portage et vente au numéro . Votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux le développement rapide de ce type d'initiatives, afin de limiter les coûts de distribution élevés qui pèsent sur le chiffre d'affaires, déjà exsangue, de la presse. Il met à cet égard grand espoir dans les propositions qui seront faites par la mission, annoncée par la ministre de la culture et de la communication, qui sera menée conjointement par l'IGAC et l'Inspection générale des finances (IGF) sur l'avenir du portage.

b) Des efforts à poursuivre en faveur des vendeurs-colporteurs de presse

Le dispositif relatif à l'activité des vendeurs-colporteurs et porteurs de presse constitue un volet complémentaire de l'aide directe au portage .

La loi n° 91-1 du 3 janvier 1991 tendant au développement de l'emploi par la formation dans les entreprises, l'aide à l'insertion sociale et professionnelle et l'aménagement du temps de travail, pour l'application du troisième plan pour l'emploi a établi un double statut pour les porteurs de presse :

- d'une part, les vendeurs-colporteurs de presse , qui exercent leur profession à titre indépendant pour le compte d'un éditeur de presse quotidienne ou assimilée, d'un dépositaire ou d'un diffuseur, qui est juridiquement leur mandant ;

- d'autre part, les porteurs de presse salariés , généralement employés par des sociétés de portage, souvent développées par des quotidiens régionaux.

La loi précitée du 3 janvier 1991 a également établi une assiette forfaitaire de cotisations , identique pour les deux professions et assise sur le nombre d'exemplaires portés chaque mois. Cette assiette correspond, par tranche de cent journaux vendus ou distribués, à 4 % du plafond journalier de la sécurité sociale pour la presse départementale, régionale, nationale et à 8 % du même plafond pour la presse dite de rue. Il en résulte qu'une entreprise peut, à chaque versement de la rémunération et pour chaque salarié :

- soit opter pour l'application de l'assiette forfaitaire des cotisations ;

- soit, en cas d'accord, calculer les cotisations de droit commun , c'est-à-dire sur les rémunérations effectivement allouées.

L'objectif, atteint, de la loi du 3 janvier 1991 visait à développer un réseau structuré de portage afin de renforcer ce mode de distribution et de réglementer une profession où le travail dissimulé était par trop fréquent .

Puis, conformément aux engagements pris lors des États généraux de la presse écrite en faveur du développement du portage, la loi n° 2009-431 du 20 avril 2009 de finances rectificative pour 2009 a modifié la loi du 3 janvier 1991 pour prévoir l'exonération des cotisations de sécurité sociale à la charge de l'employeur, du mandant ou de l'éditeur au titre des assurances sociales et des allocations familiales , hors cotisations au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles, dues pour les rémunérations versées mensuellement aux porteurs de presse.

Les bénéficiaires du dispositif sont les vendeurs-colporteurs et les porteurs de presse effectuant sur la voie publique ou par portage à domicile la vente de publications quotidiennes et assimilées consacrées pour une large part à l'information politique et générale, au sens de l'article 39 bis A du code général des impôts.

Une circulaire du 14 décembre 2009 de la direction de la sécurité sociale a étendu le bénéfice de l'exonération aux porteurs de presse quotidienne gratuite d'information politique et générale . Puis, un courrier du ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, en charge du budget, en date du 13 janvier 2014, a ouvert le bénéfice du dispositif aux porteurs de presse hebdomadaire d'information politique et générale.

Le manque à gagner qui en résulte pour les régimes de sécurité sociale est compensé par l'État sur le programme 180 « presse » et versé à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), gestionnaire du dispositif.

Cette exonération présente des caractéristiques de guichet : le tendanciel correspond aux prévisions de l'ACOSS, régulièrement ajustées en fonction des réalisations effectives et des réformes appliquées, comme récemment la diminution du taux de cotisation « famille » conformément au Pacte de responsabilité.

Ainsi, en 2016, compte tenu de la réduction des prévisions d'exécution de l'ACOSS, un versement de 12,6 millions d'euros a été effectué en juin, sur une dotation initiale de 20,7 millions d'euros en loi de finances et un « surgel » de crédits au programme de 4,35 millions d'euros a été affecté sur la dotation du dispositif en août.

Dans le cadre du présent projet de loi de finances, la trajectoire se fonde sur les prévisions de l'ACOSS en date du mois de mars 2016 , qui estime à 17 577 pour la presse payante et 18 441 pour la presse gratuite le nombre de porteurs de presse et à 4 252 pour la presse payante et 1 374 pour la presse gratuite le nombre d'exemplaires portés mensuellement. En conséquence, l'État devrait verser à l'ACOSS un montant de 16,9 millions d'euros en 2017 (10,2 millions d'euros au titre de la presse payante et 6,7 millions d'euros au titre de la presse gratuite) et en 2018, puis de 17,3 millions d'euros en 2019, correspondant à une exonération de cotisations patronales, en 2017, à un taux de 26,7 % de l'assiette de cotisations, soit à 54 euros en moyenne par mois pour l'employeur s'agissant du portage de la presse payante et à 33,4 euros pour la presse gratuite.

Les conditions de travail des vendeurs-colporteurs de presse et porteurs n'en demeurent pas moins particulièrement difficiles . Leur statut est organisé par le code du travail et par la convention collective nationale du portage de presse du 26 juin 2007, lorsque l'activité principale de l'entreprise de laquelle ils dépendent est le portage de presse. En tant qu'indépendants, ils ne bénéficient pas des garanties du droit du travail en matière de rémunération, de conditions de travail ou encore de représentation. Les porteurs, quoique salariés, bénéficient également d'un statut social peu protecteur , lié notamment à l'assiette forfaitaire de cotisation.

L'étude relative à l'impact de l'aide au portage sur les entreprises de presse, confiée en 2013 au cabinet Arthur D. Little, a mis en exergue la précarité de la situation des porteurs et des vendeurs-colporteurs de presse. Aussi, le 10 juillet 2013, dans sa communication en Conseil des ministres sur la réforme des aides à la presse, la ministre de la culture et de la communication de l'époque a présenté un volet social , en appelant notamment les professionnels à conclure un code de bonnes pratiques professionnelles.

Une mission d'étude conjointe de l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a ensuite été lancée en avril 2014, en vue d'établir un panorama général des métiers de vendeurs-colporteurs et de porteurs et des personnes qui les exercent, mais également de définir les bonnes pratiques des éditeurs et de déterminer les pistes de réforme du statut de porteur.

Plusieurs pistes sont évoquées dans le rapport de cette mission d'étude conjointe , rendu en octobre 2014 à la ministre de la culture et de la communication. Si l'évolution de l'assiette ou de l'exonération des charges a semblé peu praticable, il est en revanche apparu possible de renforcer la responsabilisation des employeurs via le dispositif des conventions-cadres avec les entreprises de presse . La nouvelle version de ces conventions doit être signée par les éditeurs avant la fin de l'année , tandis que la convention collective du 26 juin 2007 a été étendue par un arrêté du 3 juin 2016, ce dont votre rapporteur pour avis, qui plaide régulièrement pour une protection sociale renforcée et de meilleures conditions de travail pour ces professions, se réjouit.

Pour autant, si cette perspective est louable, elle n'améliorera que la situation des porteurs salariés, comme le rappelait Jean Viansson-Ponté, président du Syndicat national de la presse quotidienne régionale (SPQR), lors de son audition par votre rapporteur pour avis. En effet, la convention collective ne s'applique pas aux travailleurs indépendants que sont les vendeurs-colporteurs , autonomes dans leur tournée et leur démarche commerciale. Votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux la définition d'un statut encadré pour ces professionnels, afin notamment de développer, sur des bases juridiques solides, le portage multititre comme le proposent les multiples travaux réalisés sur la nécessaire réforme de la distribution de la presse.

2. Pour un partenariat renouvelé avec La Poste

Depuis la loi de finances pour 2014, l'aide au transport postal de la presse figure au programme 134 « développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie », sur le motif qu'elle constitue une aide à La Poste au titre de sa mission de service public. Elle demeure pour autant, dans son principe comme en vertu de ses conséquences sur l'économie du secteur, une aide à la presse.

a) La Poste ou l'allié du dernier kilomètre

Le transport et la distribution des journaux et des publications périodiques constituent une mission obligatoire de service public de La Poste , en ce qu'elle contribue, selon les termes du code des postes et des communications électroniques, à « favoriser le pluralisme, notamment celui de l'information politique et générale » .

La Poste est, avec les messageries de presse, l'un des principaux acteurs de la diffusion de la presse française. En 2015, l'entreprise a acheminé et distribué près de 1,1 milliard d'exemplaires de 7 000 publications différentes dans le cadre de sa mission de service public, soit 30 % de la diffusion payée.

Le postage constitue le deuxième mode de diffusion de la presse après la vente au numéro . Cette moyenne masque cependant des situations contrastées selon les catégories de presse et les situations géographiques . Si la presse quotidienne privilégie le portage à la diffusion postale dans les zones à forte densité de population, où la part du postage a d'ailleurs reculé depuis 2008, notamment pour des questions d'horaires de distribution, le postage demeure un vecteur de diffusion très largement utilisé par les magazines et revêt une importance particulière dans les zones rurales et peu denses , où il n'existe pas ou peu d'alternative au transport postal des abonnements. Lors de son audition par votre rapporteur pour avis, Jean Viansson-Ponté, président du SPQR, reconnaissait combien La Poste était essentielle à la distribution des titres lorsque le portage n'était pas rentable, en particulier en zone de montagne. Pour certains titres, de la presse professionnelle et associative par exemple, le taux de postage peut dépasser 75 % voire 95 % des exemplaires diffusés.

L'utilisation du postage par famille de presse

Source : La Poste

Le transport et la distribution de la presse représente 8 % des volumes de courrier distribués mais seulement 4 % du chiffre d'affaires courrier de l'entreprise, en raison de tarifs particulièrement privilégiés appliqués à la presse , soumis à l'homologation des ministres chargés des postes et de l'économie, après avis public de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Ils sont fonction de la catégorie de la publication, du niveau de service choisi par l'éditeur et du caractère mécanisable ou non du produit de presse au regard des spécifications techniques de la distribution.

Le dispositif constitutif du « régime économique de la presse » est réservé aux publications titulaires d'un certificat d'inscription délivré par CPPAP . Le cadre réglementaire distingue deux catégories de publications : celles qui relève du droit commun et celles qui bénéficient d'un régime dérogatoire (publications d'anciens combattants, mutilés ou victimes de guerre, publications éditées par les organisations syndicales représentatives des salariés, publications politiques ou électorales, publications mutualistes, publications qui contribuent à la défense des grandes causes, journaux scolaires). Pour ce qui concerne le droit commun, le tarif applicable à la presse à faibles ressources publicitaires est équivalent à 13 % du tarif dit universel, celui de la presse d'information politique et générale à 33 % et celui des magazines à 62 %.

Du fait de la modicité des tarifs postaux réglementés de presse par rapport aux coûts affectés à l'activité et du niveau de la participation financière de l'État, La Poste supporte dans ses comptes un déficit brut de près de 414 millions d'euros, ramené à 332 millions d'euros après compensation publique en 2015 . Les prix payés par les éditeurs couvrent en moyenne 44 % des coûts et la contribution publique versée à La Poste 22 % des coûts ; le déficit qui reste à la charge de La Poste constitue, de fait, une aide supplémentaire à la presse prise en charge par l'entreprise.

Écarts entres les tarifs de presse de service public
et les tarifs de service universel

(2015)

Source : La Poste

L'analyse des comptes de La Poste montre toutefois que, sur les dix dernières années, le déficit de l'activité « presse » a été quasiment réduit de moitié sous l'effet de la hausse des tarifs, du maintien de la contribution publique et, pour l'essentiel, de la réduction des coûts de La Poste , passés de 1,3 milliard d'euros en 2001 à 904 millions d'euros en 2014.

b) Les accords Schwartz ou le reniement de la parole de l'État

L'accord signé le 23 juillet 2008 par L'État, La Poste et les organisations professionnelles représentatives des éditeurs de presse à l'issue de la mission d'évaluation et de proposition conduite par Marc Schwartz avait l'ambition de ramener le déficit de l'activité « presse » de La Poste à un niveau supportable pour l'entreprise et d'apporter des solutions durables à la distribution par voie postale de la presse. Établi pour sept ans (du 1 er janvier 2009 au 31 décembre 2015), l'accord permettait aux différents acteurs, confrontés à de profonds bouleversements économiques, réglementaires et technologiques, de disposer d'une visibilité à moyen terme sur l'évolution progressive des conditions du transport et de la distribution de la presse par La Poste.

Les efforts réciproques consentis par chacune des parties devaient permettre d'assurer la pérennité du transport et de la distribution de la presse par La Poste et conduire à une réduction du déséquilibre économique structurel qui affecte cette activité et handicape l'entreprise.

L'accord 2009-2015, dit Schwartz, a ainsi fixé une trajectoire pour la revalorisation des tarifs postaux de presse concomitamment à une nouvelle réduction des charges de La Poste et au maintien d'une contribution publique significative.

L'accord prévoyait un mécanisme reposant sur la définition de trois catégories de tarifs s'appliquant respectivement aux quotidiens à faibles ressources publicitaires, à la presse d'information politique et générale et au titre agréés par la CPPAP n'appartenant pas aux deux catégories précédentes. Une évolution en pourcentage progressive et prévisible était fixée, plus favorable pour la presse à faibles ressources publicitaires (+ 1,5 % par an, soit 0,1 centime d'euros par exemplaire sur la période) et d'information politique et générale (entre + 2 % et + 3,5 % selon les années, soit 0,9 centimes par exemplaire sur la période), que pour les autres titres (entre 3 % et 5 %, soit entre 1,4 et 2,2 centimes).

Si cette évolution tarifaire fut effectivement appliquée aux éditeurs et si la Poste fit un effort considérable pour réduire ses charges, l'État, pour sa part, ne tint qu'une partie de ses engagements.

Certes, l'accord Schwartz prévoyait une diminution graduelle de la contribution publique à partir de 2012, pour atteindre une réduction de
62 millions d'euros en fin d'accord, soit 242 millions d'euros par an de 2009 à 2011, 232 millions d'euros en 2012, 217 millions d'euros en 2013, 200 millions d'euros en 2014, puis 180 millions en 2015. Certes également, entre 2009 et 2013, les sommes correspondant à l'engagement de participation de l'État au transport et à la distribution de la presse ont été versées à l'entreprise.

Mais le mécanisme vertueux de l'accord Schwartz s'est ensuite grippé . D'abord, en 2014 et en 2015, la contribution prévue a été réduite chaque année de 50 millions d'euros (soit 150 millions d'euros puis 130 millions d'euros), afin de tenir compte du bénéfice pour La Poste du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), sans que l'on comprenne très bien le rapport entre une aide au transport postal en contrepartie d'une coûteuse mission de service public assumée par La Poste et un crédit d'impôt au bénéfice de l'ensemble des entreprises.

Par ailleurs, le manque à gagner que représente pour La Poste le report d'application des hausses tarifaires, décidé en 2009 à l'issue des États généraux de la presse écrite, dit « moratoire postal », n'a été compensé intégralement que jusqu'en 2013, lorsque le Gouvernement a décidé unilatéralement d'une sortie du moratoire étalée sur deux ans (2014 et 2015) et n'a pas reconduit, sur cette période, le dispositif existant de compensation au bénéfice de La Poste

Le « moratoire postal », histoire d'un désengagement brutal de l'État

Le moratoire sur les tarifs postaux de presse, institué en 2009 à la demande du Président de la République pour parer à la situation d'urgence de la presse, a eu pour effet de décaler d'une année l'application des évolutions tarifaires fixées par l'accord tripartite du 23 juillet 2008.

Afin de préserver les équilibres négociés, ce dispositif était assorti d'un engagement de l'État de compenser intégralement le manque à gagner supporté par la Poste. Cet engagement a pris la forme d'une contribution complémentaire à due hauteur des remises opérées par la Poste sur les tarifs facturés aux éditeurs : 23,7 millions d'euros en 2009, 24,5 millions d'euros en 2010, 27,4 millions d'euros en 2011, 29,2 millions d'euros en 2012, 30,5 millions d'euros en 2013, 15,7 millions d'euros en 2014 et 4,9 millions d'euros en 2015.

La compensation intégrale du moratoire tarifaire par l'État jusqu'au terme de l'accord a été explicitement confirmé dans le contrat d'entreprise de La Poste au printemps 2013. Pourtant, le 10 juillet de la même année, Fleur Pellerin, alors ministre de la culture et de la communication, annonçait, dès 2014, le retour à la trajectoire tarifaire programmée par l'accord Schwartz, et, partant, la fin du moratoire et de la compensation versée à La Poste.

Toutefois, un dispositif spécifique dédié aux titres d'information politique et générale a été mis en place, afin de plafonner l'impact pour les éditeurs des évolutions tarifaires liées à la sortie de moratoire. À ce titre, le Gouvernement s'est engagé à une prise en charge partielle en 2014 et 2015, qui a donné lieu à une compensation, pour La Poste, d'un montant de 1,52 million d'euros en 2014 et de 2,5 millions d'euros en 2015, geste appréciable mais fort insuffisant au regard de la trajectoire prévue par l'accord Schwartz.

Source : commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Votre rapporteur pour avis déplore les conséquences de l'application par trop partielle de l'accord Schwartz par l'État : les éditeurs comme La Poste ont fourni des efforts considérables pour aboutir à un résultat certes convenable pour les comptes de La Poste et l'avenir de son activité « presse », mais très inférieur à ce qu'il aurait pu être si l'État avait tenu ses engagements .

En effet, si le rattrapage tarifaire des accords Schwartz a permis de réduire, à la charge des éditeurs, de 110 millions d'euros le déficit de l'activité « presse » de La Poste, cet effort a été réduit à néant par la diminution, non prévue initialement, de la dotation de l'État à La Poste.

Une amélioration progressive du déficit net de l'activité « presse » de La Poste

en M€

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

CA SP presse

401

395

402

404

397

396

397

Contribution de l'Etat à La Poste (y compris compensation du moratoire)

254

267

268

261

248

152

133

Coûts attribuables

1 027

1 002

952

946

952

904

862

Déficit brut

-626

-607

-550

-542

-555

-508

-465

Déficit net après compensation partielle

-372

-340

-282

-281

-307

-356

-332

Source : La Poste

c) L'après Schwartz ou la volonté imposée de l'État

Après une période de flottement quant à savoir s'il y aurait ou non un nouvel accord tripartite conclu à l'issue de l'accord Schwartz, dont les négociations furent aussi tendues que l'application mouvementée, le Gouvernement finit par imposer unilatéralement sa volonté tarifaire .

Une augmentation modérée des tarifs pour l'ensemble des familles de presse a été recherchée afin de préserver la pérennité économique des éditeurs de presse, tout en tenant compte des efforts tarifaires conséquents déjà consentis par la presse au cours des sept années de mise en oeuvre de l'accord Schwartz.

Le Gouvernement a donc décidé que les tarifs de La Poste pour la période allant de 2016 à 2020 ne croîtraient pas au-delà de l'inflation pour les quotidiens à faibles ressources publicitaires, qu'ils augmenteraient, hors inflation, de 1 % pour la presse d'information politique et générale et de 3 % pour la presse CPPAP n'appartenant aux deux catégories précédentes. Cette décision, quelque unilatérale qu'elle soit, a néanmoins le mérite, selon votre rapporteur pour avis, de garantir pour quatre ans à la presse comme à La Poste une visibilité sur l'évolution des tarifs postaux et sur la compensation publique , sauf à ce que l'État se dédise à nouveau.

À cette occasion, il a été renoncé à une promesse de la précédente ministre de la culture et de la communication, sur laquelle la presse spécialisée formait de grands espoirs : la catégorisation officielle en CPPAP d'une « presse de la connaissance et du savoir » , bénéficiant d'un régime tarifaire ad hoc dans le cadre des différents dispositifs d'aide à la presse, à mi-chemin entre les facilités accordées à la presse d'information politique et générale et le droit presque commun applicable aux magazines. S'agissant de l'aide au transport postal, il était envisagé de limiter le bénéfice de la hausse de 3 % aux publications de la presse de la connaissance et du savoir et d'imposer une augmentation de 5 % aux autres titres CPPAP.

Votre rapporteur pour avis, tout en reconnaissant les difficultés que rencontrent les publications spécialisées et professionnelles, estime que la catégorisation envisagée était effectivement délicate à opérer en pratique . Elle aurait trop obligé la CPPAP à séparer, pour près de 6 000 publications, les titres « sérieux » des publications de loisirs, sorte de jugement détourné de l'intérêt des lectures et du niveau des lecteurs. Économiquement, par ailleurs, une augmentation de 5 % des tarifs postaux aurait signé la mort de nombre de magazines , comme l'ont reconnu Denis Bouchez, directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), comme Martin Ajdari, directeur général des médias et des industries culturelles du ministère de la culture et de la communication, lors de leur audition par votre rapporteur pour avis.

L'équilibre de la réforme du transport postal repose également sur deux mesures complémentaires qui réaffirment le soutien de l'État en faveur de la presse d'information politique et générale, tout en veillant à ne pas dégrader la situation économique de La Poste.

Aussi, le coût du moratoire résiduel ne sera pas supporté par les éditeurs de la presse d'information politique et générale , ce qui correspond à une aide indirecte estimée à 4 millions d'euros. En contrepartie, par souci d'équité, les suppléments des titres d'information politique et générale verront, sur quatre ans et de façon lissée, leur tarif postal s'aligner sur celui des magazines dont le contenu est identique .

Cette mesure est source de grandes tensions entre familles de presse : soutenue par les magazines , qui souffraient d'une concurrence tarifaire injustifiée, décriée par les quotidiens , qui menacent d'aller au contentieux, pour lesquels le supplément représente un produit rentable, notamment grâce à des recettes publicitaires dynamiques, dans un contexte commercial fort morose. Selon les informations contradictoires dont dispose votre rapporteur pour avis, les négociations seraient toujours en cours s'agissant des modalités et du périmètre d'application de la réforme, ainsi que des contreparties qui pourraient être proposées aux quotidiens, notamment la possibilité de vendre leur supplément séparément. Il estime, pour sa part, que les suppléments ne devraient pas se voir appliquer de statut particulier mais bénéficier des tarifs de la presse d'information politique et générale lorsque leur contenu appartient à cette catégorie et de ceux de la presse magazine si tel n'est pas le cas.

De surcroît, la stabilisation de la compensation versée par l'État à La Poste sur la période, pour un montant variant selon les années entre 119 millions d'euros et 122,7 millions d'euros, permet de préserver les équilibres financiers de l'opérateur postal, dès lors que les efforts se maintiennent en matière de réduction des charges d'exploitation. En 2017 , la dotation de l'État à La Poste en compensation partielle de sa mission de service public de distribution de la presse s'établira à 121 millions d'euros , contre 119 millions d'euros initialement prévus.

Si les perspectives budgétaires pour les années 2016 à 2020 comme les efforts tarifaires demandés aux éditeurs apparaissent justes à votre rapporteur pour avis, il rappelle que le dispositif, quand bien même il ne comble nullement pour La Poste le déficit de chiffre d'affaires engendré par l'activité postale, doit encore être accepté par la Commission européenne , qui déjà s'était montré réticente à l'époque de l'accord Schwartz.

Votre rapporteur pour avis regrette enfin que nulle réflexion n'ait été engagée à l'occasion de la fixation des nouveaux engagements tarifaires sur la nécessaire évolution des modes de distribution . Il demeure à cet égard convaincu que, vente au numéro mise à part, le portage des abonnements constitue la solution idoine pour les quotidiens , compte tenu des horaires plus tardifs de livraison par La Poste, d'autant que les contraintes inhérentes à la distribution des quotidiens empêchent l'entreprise d'optimiser ses 60 000 tournées. Ne pas rationaliser les circuits de distribution en fonction des catégories de presse, de la périodicité des publications et des zones géographiques n'a, selon lui, dans un secteur aussi sinistré, guère de sens.

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