EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des lois s'est saisie pour avis de la proposition de loi n° 176 (2016-2017), adoptée par l'Assemblée nationale le 1 er décembre dernier sur le rapport de Mme Pascale Got.

Présenté par M. Bruno Le Roux et les membres du groupe Socialiste, écologiste et républicain, ce texte a été envoyé au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Si son intitulé paraît ambitieux, la proposition de loi traite d'une problématique concrète : les communes littorales doivent s'adapter au recul du « trait de côte » , limite entre la terre et l'eau.

Elle s'inscrit dans le prolongement de la stratégie nationale de gestion du trait de côte, lancée en mars 2012 sous l'égide du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer.

La saisine pour avis de votre commission des lois porte sur dix des seize articles du texte. Elle concerne principalement les deux nouveaux outils que nos collègues députés proposent de créer pour faire face au recul du trait de côte : la zone d'activité résiliente et temporaire (articles 3, 5 bis , 8 bis , 10 et 11) et le bail réel immobilier littoral (article 12). À titre subsidiaire, votre commission s'est également saisie d'une disposition de nature interprétative (article 2 bis ) et de mesures relatives au droit de l'urbanisme (articles 5, 7 et 9 bis ).

I. LA NÉCESSAIRE ADAPTATION DES TERRITOIRES LITTORAUX AU RECUL DU TRAIT DE CÔTE

Le territoire national compte 18 455 kilomètres de côtes maritimes , dont 12 602 kilomètres outre-mer.

Les côtes maritimes françaises

Zones

Longueur des côtes (en km)

Métropole

5 853

Antilles - Guyane -
Saint-Pierre-et-Miquelon - Clipperton

1 522

Réunion - Mayotte

401

Polynésie française

4 497

Nouvelle Calédonie - Wallis-et-Futuna

3 473

Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)

2 709

Source : service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM).

Les zones littorales représentent un grand atout : elles concentrent 40 % de la capacité d'hébergement touristique - soit environ 7, 8 millions de lits - sur 4 % du territoire national et permettent à la France de posséder le deuxième espace maritime mondial derrière les États-Unis 1 ( * ) .

Une loi spécifique s'applique à ces espaces : la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 2 ( * ) , dont la plupart des dispositions sont codifiées aux articles L. 121-1 à L. 121-51 du code de l'urbanisme. 1 212 communes sont couvertes par ce régime juridique essentiel pour protéger nos littoraux mais dont la rigidité est aujourd'hui source de complexité et d'incompréhension (Cf. infra) .

L'aménagement des territoires littoraux doit aujourd'hui s'adapter à un phénomène naturel indéniable, même s'il est difficile à évaluer : le recul de la limite entre la terre et l'eau, encore appelé « recul du trait de côte » .

A. LE RECUL DU TRAIT DE CÔTE : UN PHÉNOMÈNE RECONNU SUR LES PLANS SCIENTIFIQUE ET JURIDIQUE

1. Un phénomène naturel s'inscrivant sur le long terme

L'élévation du niveau marin n'est pas récente : la mer est « montée » de 15 centimètres au XX ème siècle . Entre 1949 et 2005, 26 kilomètres-carrés de littoraux métropolitains ont été submergés du fait de l'érosion, soit la superficie de 3 100 stades de rugby 3 ( * ) .

Ce phénomène est cependant en voie d'accélération .

La vitesse d'élévation de la mer est ainsi de 3 millimètres par an à Brest et Marseille depuis 1980, ce qui est deux fois plus rapide que sur le reste du XX ème siècle. Au nord de Biscarosse (Landes), la côte a reculé de 15 mètres entre 1997 et 2002 4 ( * ) . Durement affecté par l'érosion des sols, l'immeuble Le Signal de Soulac-sur-Mer (Gironde) 5 ( * ) se situe aujourd'hui à seize mètres du rivage, contre deux cent mètres lors de sa construction en 1967.

À l'échelle mondiale, le niveau marin pourrait augmenter de 20 à 40 centimètres d'ici 2050 et de 30 à 80 centimètres d'ici 2100 d'après le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

Le changement climatique constitue la principale cause de cette évolution : « l'expansion thermique représente 30 à 55 % de l'augmentation du niveau moyen de la mer du XXI ème siècle. La fonte des glaciers représente la deuxième contribution la plus importante, située entre 15 et 35 % » 6 ( * ) .

L'érosion peut également être accentuée par des installations artificielles . Notre collègue Alain Anziani mentionnait, à titre exemple, la construction de retenues d'eau limitant les apports sédimentaires ou la fragilisation des dunes par l'aménagement d'autres équipements 7 ( * ) .

Aujourd'hui, un quart des côtes françaises seraient soumises à érosion 8 ( * ) . 60 % des côtes normandes et 70 % du littoral du Nord-Pas-de-Calais seraient en recul.

Cartographie du risque d'érosion en métropole

Source : observatoire national de la mer et du littoral.

Le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) a été chargé d'analyser les conséquences concrètes de l'élévation du niveau marin.

Selon les premiers résultats, une centaine de bâtiments situés sur les côtes françaises pourraient être submergés par les eaux d'ici 2026 et un millier d'ici 2100 . Ces chiffres pourraient même atteindre 300 bâtiments en 2026 et 4 000 en 2100 dans un scénario plus pessimiste où la montée des eaux entraînerait également la rupture d'ouvrages de protection (digues, dunes artificielles, etc .).

La situation est toutefois variable d'un territoire à l'autre . À titre d'exemple, moins de 10 % des rivages de Corse et d'Ille-et-Vilaine seraient concernés par un recul du trait de côte.

Globalement, les côtes sableuses (environ 35 % des côtes françaises) sont les plus vulnérables, alors que les côtes rocheuses (40 %) sont plus résistantes car l'érosion de la roche constitue un processus plus lent. Les côtes vasières (25 %) sont complexes à analyser, l'évolution du niveau de l'eau entrant en interaction avec celle de la végétation.

Le risque d'érosion sur une dune de sable

Source : Centre de recherches en environnement côtier de l'université de Caen.

2. Des premières initiatives d'adaptation au recul du trait de côte

Le recul du trait de côte fait l'objet d'une prise de conscience depuis la fin des années 2010 et la remise du rapport de notre collègue Alain Cousin, parlementaire en mission 9 ( * ) .

En 2012, un comité national de suivi pour la mise en oeuvre de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, co-présidé par nos collègues députées Chantal Berthelot et Pascale Got, a été installé. Il a dressé, pour les années 2012 à 2015, un programme d'actions organisé autour de quatre axes.

Le programme d'actions 2012-2015 du comité de suivi pour la mise en oeuvre de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte

A) Développer l'observation du trait de côte et identifier les territoires à risque d'érosion pour hiérarchiser l'action publique

Action 1 : Créer un réseau d'observation et de suivi de l'évolution du trait de côte à l'échelle nationale, en s'appuyant sur les acteurs régionaux

Action 2 : Établir une cartographie nationale de l'érosion côtière et identifier les territoires à risque d'érosion

B) Élaborer des stratégies partagées entre les acteurs publics et privés

Action 3 : Dans les territoires à risque d'érosion : élaborer des stratégies locales des risques d'érosion

Action 4 : Mieux utiliser les outils d'urbanisme et de prévention des risques

Action 5 : Faire évoluer les modalités de gestion du domaine public maritime

Action 6 : Établir un plan de communication et de sensibilisation des populations aux risques littoraux

C) Évoluer vers une doctrine de recomposition spatiale du territoire

Action 7 : Préparer la mise en oeuvre de l'option relocalisation des activités et des biens dans une dynamique de recomposition territoriale

Action 8 : Innover en matière de génie écologique

D) Préciser les modalités d'intervention financière

Action 9 : Identifier des principes de financement pour la politique de gestion intégrée du trait de côte

Le législateur a déjà abordé cette problématique lors de la « loi biodiversité » du 8 août 2016 10 ( * ) : l'État est chargé d'établir une cartographie fondée sur un indicateur national d'érosion littorale 11 ( * ) et les schémas régionaux 12 ( * ) peuvent fixer des objectifs de moyen et de long termes en matière de gestion du trait de côte (articles L. 321-13 et L. 321-14 du code de l'environnement).

Sur le terrain, deux catégories de mesures sont mises en oeuvre pour s'adapter au recul du trait de côte.

La première consiste à construire des ouvrages de défense contre la mer , tels que mentionnés à l'article L. 211-7 du code de l'environnement.

En pratique, il convient de distinguer :

- les « techniques souples » , qui intègrent la dynamique naturelle du littoral (rechargement des plages en sable, plantation de végétaux pour éviter l'érosion éolienne d'une dune, élimination des ruissellements au pied d'une falaise, etc. ) ;

- les « techniques dures » , qui supposent la construction d'ouvrages solides afin de maintenir le trait de côte (murs de pierres, enrochements, épis, etc. ).

Les ouvrages de défense contre la mer

Techniques souples

Techniques dures

Source : Direction départementale des territoires et de la mer de la préfecture de la Manche.

Seconde catégorie de mesures, le « recul stratégique d'activités » vise à organiser le repli des constructions menacées par le recul du trait de côte en direction de l'arrière-pays afin d'éviter toute submersion marine.

Le recul stratégique d'activités

Source : rapport précité du député Alain Cousin, p. 31.

En mars 2012, un appel à projets a été lancé par l'État concernant la relocalisation d'activités littorales menacées . Une subvention d'un montant total de 600 000 euros a été répartie entre les cinq sites retenus (Vias, Ault, Hyères, Lacanau - la Teste-de-Buch - Labenne, Bovis - Pointe-à-Bacchus).

L'expérimentation Lacanau- la Teste-de-Buch - Labenne

Cette expérimentation a été menée par le groupement d'intérêt public (GIP) Littoral Aquitain , en collaboration avec les trois communes concernées.

Elle porte sur trois sites :

- Lacanau (Gironde), station balnéaire qui s'est fortement développée depuis les années 80 et dont le front de mer est menacé à moyen terme par le recul du trait de côte ;

- la Teste-de-Buch (Gironde) et, plus précisément, cinq campings situés à l'arrière de la dune du Pilat. D'après les premières évaluations, 25 % de la surface de ces campings pourraient être submergés d'ici 2040 ;

- Labenne (Landes), dont la plage est également menacée par l'érosion marine. Une relocalisation de divers équipements - postes de secours, douches de plage, commerces, etc . - semble nécessaire à moyen terme.

Pour chaque site, le GIP Littoral Aquitain a proposé des scénarios de relocalisation et publié des études de faisabilité en juin 2015.

Dans l'exemple de Lacanau, le GIP a examiné l'hypothèse d'une relocalisation des activités mais également la construction d'un ouvrage de défense contre la mer d'ici 2020. À ce stade, tous les scénarios soulèvent d'importantes difficultés financières . En outre, la relocalisation d'activités s'annonce compliquée, le GIP soulignant qu'aujourd'hui « on ne sait pas déconstruire préventivement des biens menacés par le recul du trait de côte sur les littoraux sableux » .

Enfin, la construction de nouveaux bâtiments en direction de l'arrière-pays n'est pas aisée comme le démontre l'exemple de Labenne, notamment au regard des rigidités de la « loi Littoral » (Cf. infra) .


* 1 « Développer la connaissance et l'observation du trait de côte » , ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer, février 2016 (www.developpement-durable.gouv.fr).

* 2 Loi relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral.

* 3 « Développer la connaissance et l'observation du trait de côte », op. cit.

* 4 Rapport n° 4241 du 23 novembre 2016, fait par notre collègue députée Pascale Got et relatif à la proposition de loi, p. 9, consultable à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rapports/r4241.pdf.

* 5 Bâtiment visé par l'article 2 bis de la proposition de loi.

* 6 « Le climat de la France au XXI e siècle » , Jean Jouzel (dir.), volume 5, mars 2015, p. 23 www.developpement-durable.gouv.fr.

* 7 « Xynthia : une culture du risque pour éviter de nouveaux drames » , rapport n° 647 (2009-2010), fait au nom de la mission commune d'information sur les conséquences de la tempête Xynthia, p. 78, consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/r09-647-1/r09-647-1_mono.html.

* 8 « Plaidoyer pour une décentralisation de la loi Littoral : un retour aux origines » , rapport d'information n° 297 (2013-2014) de Mme Odette Herviaux et de M. Jean Bizet, fait au nom de la commission du développement durable du Sénat, p. 83, consultable à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/rap/r13-297/r13-2971.pdf.

* 9 « Propositions pour une stratégie nationale de gestion du trait de côte, du recul stratégique et de la défense contre la mer, partagée entre l'État et les collectivités territoriales » , rapport remis au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer en novembre 2011. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

(http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/114000656.pdf).

* 10 Loi n° 2016-1087 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (articles 112 et 159).

* 11 Ce travail a été confié au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA, cf. supra ), qui devrait rendre ses résultats définitifs d'ici un an.

* 12 Ces documents correspondant, en pratique, aux schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) et aux schémas d'aménagement régionaux de Guadeloupe, de Mayotte et de La Réunion.

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