B. POUR UNE PRISE EN COMPTE DES DIFFICULTÉS D'AMÉNAGEMENT DES LITTORAUX

Le texte transmis au Sénat ne répond pas à une question pourtant fondamentale : comment « relocaliser » des logements ou des commerces menacés par le recul du trait de côte dans des communes soumises à la loi « littoral » du 3 janvier 1986 ?

En effet, la construction de nouveaux bâtiments dans l'arrière-pays s'avère parfois impossible au regard des contraintes de cette loi, comme le démontre l'exemple du GIP Littoral Aquitain 37 ( * ) .

Les règles de la « loi littoral » en matière d'urbanisme

Les communes littorales sont régies par la règle de l'urbanisation en continuité , ce qui permet d'éviter un « mitage » des bâtiments : « l'extension de l'urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement » (article L. 121-8 du code de l'urbanisme).

La notion de continuité est appréciée au cas par cas en fonction des circonstances locales. Concrètement, deux éléments sont pris en compte : la proximité avec un tissu urbanisé dense et l'absence d'éléments de séparation, physiques ou paysagers, entre la parcelle concernée par le projet et le reste de l'urbanisation (routes, reliefs, etc. ) 38 ( * ) .

À titre d'exemple, la jurisprudence interdit le prolongement d'un bâtiment existant ainsi que le comblement des « dents creuses » , qui sont des parcelles non construites entourées par des terrains bâtis.

Des exceptions au principe de continuité sont toutefois prévues , notamment pour les constructions liées aux activités agricoles ou forestières qui paraissent incompatibles avec le voisinage de zones habitées et qui peuvent être autorisées en dehors des espaces proches du rivage. L'accord du préfet et l'avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) sont alors nécessaires (article L. 121-10 du code de l'urbanisme).

Certains espaces littoraux bénéficient, en outre, de protections particulières :

a) des « coupures d'urbanisation » , qui doivent être prévues par les documents d'urbanisme pour éviter l'édification en continu de bâtiments sur le front de mer (article L. 121-22 du même code). Aucune urbanisation nouvelle n'est autorisée, à l'exception d'aménagements légers ;

b) les espaces remarquables ou caractéristiques et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques, eux-aussi inconstructibles, sauf pour des aménagements légers nécessaires à leur gestion, à leur mise en valeur ou à leur ouverture au public (articles L. 121-23 à L. 121-26 du même code) ;

c) la « bande littorale des cent mètres 39 ( * ) » , qui se caractérise également par un principe d'inconstructibilité, sauf pour les services publics ou activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau comme les fermes aquacoles ou conchylicoles, les postes de surveillance de plage, etc. (articles L. 121-16 à L. 121-20 du même code) ;

d) les espaces proches du rivage , dans lesquels les documents d'urbanisme peuvent prévoir « une extension de l'urbanisation limitée, justifiée et motivée » (articles L. 121-13 à L. 121-15 du code de l'urbanisme). Trois critères cumulatifs sont utilisés pour délimiter ces espaces : covisibilité entre le terrain et la mer, distance par rapport à la mer, caractéristiques de la zone séparant le terrain de la mer 40 ( * ) .

La proposition de loi met en exergue les difficultés soulevées par l'application de la « loi littoral » . Comme le soulignaient nos collègues Odette Herviaux et Jean Bizet, « les collectivités locales ayant une façade littorale rencontrent ainsi des difficultés pour aménager leur territoire. Les élus locaux, qui cherchent à organiser le développement, à la fois pour les populations résidentes et pour mieux accueillir les flux touristiques, sont confrontés à une application abstraite, instable et hétérogène des dispositions de la loi. Ils ont perdu le pouvoir d'impulser une vision sur le bord de mer : au lieu d'être une zone d'aménagement du territoire, le littoral est devenu le terrain d'une confrontation juridictionnelle entre des intérêts divergents » 41 ( * ) .

Vieille de trente ans, la loi du 3 janvier 1986 a rempli l'un de ses objectifs fondamentaux : la préservation de nos littoraux face à un risque de défiguration architecturale et urbaine.

Il ne s'agit pas de la remettre en cause mais de l'adapter aux nouveaux enjeux des espaces littoraux , notamment pour permettre la relocalisation d'activités menacées par le recul du trait de côte. Rappelons, d'ailleurs, que notre ancien collègue Josselin de Rohan déclarait, dès 1986, que « le littoral est une réalité géographique et économique beaucoup plus complexe et diversifiée que ne le laisse supposer le dispositif (de la loi du 3 janvier 1986). Sa gestion s'accommodera difficilement de la rigidité du texte que l'on se propose de lui appliquer » 42 ( * ) .

À l'initiative de son rapporteur pour avis, votre commission a adopté l'amendement COM-12 visant à moderniser la « loi littoral » .

Cet amendement permet, tout d'abord, de déroger au principe de l'urbanisation en continuité pour « relocaliser » des bâtiments situés dans une zone d'activité résiliente et temporaire (ZART) et menacés par le recul du trait de côte. Il s'agit, pour reprendre l'exemple de la commune de Labenne (Landes), de faciliter la construction d'édifices en direction de l'arrière-pays et d'organiser le repli stratégique des activités et habitations menacées.

Dans la même logique, le même amendement COM-12 vise à élargir - tout en les encadrant - les exceptions au principe d'urbanisation en continuité . Les constructions ou installations liées aux activités agricoles, forestières ou aux cultures marines pourraient y déroger, même lorsqu'elles ne sont pas incompatibles avec le voisinage de zones habitées.

En outre, le même amendement COM-12 précise que le principe d'urbanisation en continuité ne fait pas obstacle à la réalisation d'annexes aux constructions existantes (abris de jardin, garages, etc .), contrairement à l'état actuel de la jurisprudence 43 ( * ) . Cette disposition vise à aligner les espaces littoraux sur les territoires de montagne, où la construction de telles annexes est permise par l'article 20 A du projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne 44 ( * ) .

Enfin, l'amendement COM-12 autorise le comblement des « dents creuses » dans les hameaux existants afin de permettre leur densification et d'éviter la création de nouveaux hameaux ainsi que la consommation d'espaces naturels et agricoles. Cet amendement reprend la proposition n° 3 de nos collègues Odette Herviaux et Jean Bizet 45 ( * ) ainsi que l'un des axes de réflexion du groupe de travail sur la simplification législative du droit de l'urbanisme, de la construction et des sols 46 ( * ) .

L'ensemble de ces mesures serait strictement encadré pour éviter tout excès . Seraient ainsi prévus : l'accord du préfet, l'avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) et la nécessité de modifier le zonage des documents d'urbanisme, qui pourraient être révisés via une procédure simplifiée).

De même, cet amendement ne modifierait pas le régime applicable à la bande des cent mètres et aux espaces proches du rivage.

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Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de ses amendements, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des articles de la proposition de loi dont elle s'est saisie.


* 37 Cf. supra.

* 38 Source : « Plaidoyer pour une décentralisation de la loi Littoral : un retour aux origines » , op. cit. , p. 22.

* 39 Cette distance étant calculée à compter de la limite haute du rivage. Les communes volontaires peuvent également allonger cette bande au-delà de cent mètres (article L. 121-19 du code de l'urbanisme).

* 40 Conseil d'État, 3 mai 2004, Mme Barrière , n° 251534.

* 41 « Plaidoyer pour une décentralisation de la loi Littoral : un retour aux origines » , op. cit. , p. 9.

* 42 Rapport n° 191 (1985-1986) fait au nom de la commission des affaires économiques et du plan sur le projet de loi relatif à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, p. 10, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/1985-1986/i1985_1986_0191_01.pdf.

* 43 Cour administrative d'appel de Nantes, 28 octobre 2011, commune de Pont-l'Abbé, n° 10NT00838.

* 44 Cet article du projet de loi « montagne » a été adopté conforme par le Sénat lors de la première lecture (vote du 14 décembre 2016). Cf. , pour plus de précisions, l'avis n° 182 (2016-2017) de notre collègue Jean-Pierre Vial fait au nom de la commission des lois du Sénat, p. 79. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a16-182/a16-1821.pdf.

* 45 « Plaidoyer pour une décentralisation de la loi Littoral : un retour aux origines » , op. cit.

* 46 Rapport d'information du Sénat n° 720 (2015-2016) de nos collègues François Calvet et Marc Daunis, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, p. 101. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r15-720-1/r15-720-11.pdf.

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