B. L'EUROPE ET LA FRANCE NE RESTENT PAS INACTIVES

1. Si l'Europe semble accuser un certain retard, son action est en cours de structuration.
a) Un retard sensible sur l'investissement privé

Les investissements publics et privés dans la R&D dans le domaine de l'IA effectués dans l' UE en 2017 sont estimés à un montant total de 4 à 5 milliards d'euros par la Commission européenne.

Selon McKinsey 93 ( * ) , l'Europe est particulièrement en retard en matière d'investissement privé dans l'IA : il serait de l'ordre de 2,4 à 3,2 milliards d'euros en 2016, contre 6,5 à 9,7 milliards en Asie et 12,1 à 18,6 milliards aux États-Unis, soit un facteur de 1 à 3 par rapport à l'Asie et de 1 à 6 par rapport aux États-Unis . Néanmoins, on constate une certaine croissance de ces investissements privés : selon Serena Capital, 2,2 milliards d'euros ont été levés en Europe par des start-ups en intelligence artificielle en 2017, la France se situant en deuxième position après le Royaume-Uni, avec 438 millions d'euros levés.

Levées de fonds en Europe (en millions d'euros)

Source : Serena capital 94 ( * ) .

L'Europe apparaît néanmoins plutôt bien positionnée lorsqu'il s'agit de la recherche publique : selon la Commission européenne, l'Europe compterait 32 institutions de recherche en IA parmi les 100 premières au monde, contre 30 pour les États-Unis et 15 pour la Chine 95 ( * ) . On peut ainsi citer, parmi les grands centres académiques de recherche en IA, les établissements suivants : DFKI et les réseaux Max Planck, Helmholtz, Fraunhofer et Leibniz en Allemagne ; Alan Turing Institute en Grande-Bretagne, IDSIA et Écoles Polytechniques Fédérales en Suisse, CWI en Hollande, IRIDIA en Belgique, Sapienza Roma en Italie.

b) Une action publique en cours de structuration

La Commission européenne a présenté une communication sur l'IA le 25 avril dernier 96 ( * ) . Elle poursuit trois objectifs : renforcer la capacité technologique et industrielle de l'UE et intensifier le recours à l'IA dans tous les secteurs de l'économie, se préparer aux changements socio-économiques induits par l'IA, garantir l'existence d'un cadre éthique et juridique approprié fondé sur les valeurs de l'Union. D'un point de vue quantitatif, la Commission considère que l'UE dans son ensemble (secteurs public et privé confondus) devrait ambitionner d'accroître le montant de ses investissements - actuellement estimé entre 4 et 5 milliards d'euros -, en vue d'atteindre un total de 20 milliards d'euros d'ici à la fin de 2020. Après 2020 , elle estime nécessaire un rythme annuel de 20 milliards d'euros d'investissements pendant dix ans.

Elle travaille actuellement à l'élaboration d'un plan coordonné avec les États-membres sur l'IA, qui sera, selon les informations transmises à votre rapporteur, communiqué le 5 décembre 2018. Un groupe d'experts européens de haut niveau a également été constitué afin de produire des lignes directrices sur l'éthique au début de l'année 2019 .

Parallèlement, la Commission a annoncé se saisir de ses compétences pour débuter la mise en oeuvre de cette communication. Elle a notamment prévu les actions suivantes :

- allouer 1,5 milliards d'euros par an entre 2018 et 2020 à la recherche en IA dans le cadre d'Horizon 2020 (cette somme devrait générer 2,5 milliards d'euros d'investissements supplémentaires dans le cadre de partenariats public-privé) ;

- mobiliser pour l'IA le programme pilote du Conseil européen de l'innovation (doté d'un budget de 2,7 milliards d'euros entre 2018 et 2020) ;

- stimuler davantage les investissements privés dans l'IA au titre du Fonds européen pour les investissements stratégiques (au moins 500 millions d'euros en 2018-2020).

Il convient également de noter que l'Allemagne a annoncé mi-novembre son plan stratégique, qui repose sur un investissement au niveau fédéral de 3 milliards d'euros d'ici à 2025 (soit 430 millions d'euros par an) et comprenant notamment la création d'une centaine de chaires universitaires, un soutien à cinq nouveaux centres de recherche en IA et une plateforme pour faciliter les échanges de données privées 97 ( * ) .

2. La France dispose d'atouts pour saisir les opportunités de l'IA.

Le rapport France IA publié en 2017 98 ( * ) a permis de faire le point sur la situation de la recherche en IA dans notre pays. La France disposerait de 268 équipes de chercheurs spécialisées en IA, issues de 63 établissements ou organismes et regroupant environ 5000 chercheurs dans tous les sous-domaines de l'IA. Les principaux établissements de recherche de pointe dans ce domaine sont l'INRIA, le CNRS et le CEA. Les compétences des chercheurs français sont reconnues au niveau international et, selon une étude de Roland Berger, la France est d'ailleurs première en Europe en nombre de laboratoires de recherche en IA 99 ( * ) .

Néanmoins, selon le Scimago journal and country rank , la France est 7 e dans le monde en termes de publications en IA, derrière le Royaume-Uni et l'Allemagne.

Surtout, comme dans les autres domaines de recherche, la recherche française en IA aboutit relativement peu à la création de start-ups . Le consultant Olivier Ezratty 100 ( * ) relève que, dans le domaine de la vision artificielle, la France se distingue par ses publications plutôt que par ses jeunes pousses, quand les États-Unis, Israël ou le Royaume-Uni valorisent au contraire très bien leurs travaux de recherche par la création de start-ups :

Source : Cognite ventures, cité par Olivier Ezratty dans son e-book « les usages de l'intelligence artificielle ».

Signe de l'attrait des compétences de nos chercheurs en IA, de nombreuses grandes entreprises du numérique implantent leurs laboratoires de recherche en IA en région parisienne . C'est ainsi le cas de Facebook, de Rakuten, de Google, de Deepmind, de Huawei, de Samsung, de Sony, de Spotify, de Fujitsu, d'IBM, ou encore de Microsoft (partagé avec l'INRIA) 101 ( * ) . Une grande entreprise française du numérique, Criteo, a également implanté son laboratoire en région parisienne. En région, on peut citer l'entreprise coréenne Naver à Grenoble. Au-delà, nos grandes entreprises, telles qu'Orange, Michelin 102 ( * ) , Axa, La Poste, Thales, Valeo 103 ( * ) et bien d'autres, investissement également dans la recherche en IA.

En termes de jeunes pousses, le portail « France is IA » de l'association professionnelle France Digitale recense plus de 305 start-ups actives en France dans ce domaine :

Source : France is IA.

Selon l'étude précitée du cabinet Roland Berger, la France se situerait à peu près au même niveau que l'Allemagne en nombre de start-ups , soit environ 14 % des jeunes pousses européennes, ce qui correspond à son poids dans l'économie de l'Union , mais qui reste loin du Royaume-Uni, qui hébergerait 2,5 fois plus de jeunes pousses 104 ( * ) .

Outre les dépenses afférentes au nombre de chercheurs, le secteur public français soutient également financièrement l'innovation en IA. Selon Bpifrance, plus de 100 millions d'euros d'aides à l'innovation ont été attribuées dans ce secteur en 2017 et, parmi les 40 lauréats du concours d'innovation réalisé en juin dernier dans le cadre du PIA 3, 70 % mettent en oeuvre des technologies d'intelligence artificielle, ce qui représentait 24 millions d'euros d'aides octroyées en lien avec l'intelligence artificielle sur les 33 millions d'euros affectés au financement de ce concours.

La France n'est donc pas en reste. Il lui faut néanmoins passer à la vitesse supérieure si elle souhaite rester dans la course. C'est l'objet du plan annoncé par le Président de la République en mars dernier et actuellement en cours de mise en oeuvre.


* 93 McKinsey, 10 imperatives for Europe in the age of AI and automation, 2017.

* 94 https://www.decideo.fr/Serena-publie-son-analyse-annuelle-des-levees-de-fonds-europeennes-en-Intelligence-Artificielle_a10577.html

* 95 La commission européenne cite la source suivante : Atomico, State of European Tech, 2017.

* 96 Commission européenne, L'intelligence artificielle pour l'Europe, 25 avril 2018, communication au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions.

* 97 Les Échos, Intelligence artificielle : le plan à trois milliards d'euros de Berlin, 14 novembre 2018.

* 98 Conduite en 2017, à l'initiative de Thierry Mandon, alors secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, et d'Axelle Lemaire, alors secrétaire d'État au numérique et à l'innovation, l'action #FranceIA a permis de dresser un inventaire des ressources françaises en matière d'IA, en mobilisant plus de 500 personnes au sein de l'écosystème de recherche et des entreprises du domaine en France.

* 99 Roland Berger, Joining the dots - A map of Europe's AI ecosystem, octobre 2018, p. 12.

* 100 Olivier Ezratty, Les usages de l'intelligence artificielle, 2018.

* 101 Selon France Digitale.

* 102 Ces deux entreprises sont citées dans l'article suivant : https://www.journaldunet.com/solutions/reseau-social-d-entreprise/1192757-carte-de-france-des-laboratoires-d-intelligence-artificielle/

* 103 Ces quatre dernières entreprises sont citées dans une réponse au questionnaire budgétaire.

* 104 Étude précitée, p. 10.

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