IV. LES CRÉDITS FINANÇANT LA RECHERCHE ET L'INNOVATION AU-DELÀ DE LA MIRES

A. DE NOUVEAUX MOYENS EXTRA-BUDGÉTAIRES POUR UNE POLITIQUE D'INNOVATION EN COURS DE RESTRUCTURATION

1. Une gouvernance interministérielle de l'innovation

En juin dernier, le Gouvernement a annoncé la création d'un Conseil de l'innovation co-présidé par les ministres de l'Économie et des Finances et de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, rassemblant l'ensemble des ministres intéressés, le SGPI, l'ANR, Bpifrance et six personnalités qualifiées.

Ce conseil a vocation à constituer une instance de pilotage stratégique . Il a notamment pour missions de 57 ( * ) :

- définir les grandes orientations et les priorités de la politique de l'innovation ;

- formuler des recommandations sur les moyens financiers dédiés à la politique de l'innovation ;

- décider, sous la forme d'une feuille de route , des mesures susceptibles de renforcer la transversalité de la politique de l'innovation et de simplifier le paysage des aides à l'innovation.

Il devrait se réunir trois fois par an, en mars, juillet et novembre.

Ce conseil répond à deux préoccupations du rapport sur les aides à l'innovation : le renforcement du caractère interministériel des politiques d'innovation et la création d'un conseil d'orientation du fonds pour l'innovation et l'industrie composé de personnalités qualifiées.

2. L'adoption d'une feuille de route aux orientations globalement positives

La séance inaugurale du Conseil a eu lieu en juillet dernier en vue de définir une feuille de route. Elle comporte trois axes, qui rassemblent chacun des mesures déjà annoncées par ailleurs .

Il s'agit, d'abord, du soutien à l'innovation de rupture . Le Gouvernement estime qu'il investira 1,6 milliards d'euros de crédits nouveaux en cinq ans sur le sujet (soit 320 millions d'euros par an), à travers le fonds pour l'innovation et l'industrie (voir infra ) et le fonds « French Tech Seed » du PIA 3 déjà cité.

Il s'agit, ensuite, de la simplification des aides à l'innovation et d'une meilleure articulation avec les dispositifs nationaux et européens . S'agissant du premier point, celle-ci apparaît en effet nécessaire alors que, entre 2000 et 2015, le nombre de dispositifs d'aide directe à l'innovation a plus que doublé, passant de 30 à 62 58 ( * ) . Les programmes d'investissements d'avenir successifs ont abouti à la création de nombreuses structures nouvelles. La complexité et l'illisibilité de ces dispositifs est frappante. Afin que cet exercice soit vertueux et ne se traduise pas par des ruptures préjudiciables à la politique d'innovation, il conviendra de le conduire progressivement en évaluant rigoureusement chaque dispositif. Votre rapporteur ayant appelé à procéder à une telle simplification , il se réjouit de cette annonce .

Néanmoins, les projets de simplification apparaissent à ce jour limités, et la création d'une nouvelle structure - le fonds pour l'innovation et l'industrie - ne va pas dans ce sens . Selon le dossier de presse accompagnant la mise en place du Conseil de l'innovation, la simplification envisagée par le Gouvernement se traduirait notamment par :

- la fusion du FUI et des PSPC s'agissant des pôles de compétitivité, déjà étudiée ;

- la création d'une communauté des IRT et ITE, conformément aux recommandations sur rapport sur les aides à l'innovation ;

- le renforcement de l'articulation des concours d'innovation (concours i-lab et concours d'innovation) ;

- la redéfinition, par Bpifrance, de sa ligne de produits en faveur de l'innovation, pour la faire passer de 10 à 4 dispositifs ;

- l'amélioration des synergies entre l'innovation civile et militaire . Cette question est en effet cruciale alors que l'agence de l'innovation de défense a récemment été créée 59 ( * ) en vue de gérer le budget de la recherche et de l'innovation de l'armée, qui doit passer de 730 millions d'euros actuellement à un milliard d'euros d'ici à 2022, conformément à la loi de programmation militaire. La mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2019 prévoit d'ailleurs 760 millions d'euros de CP et 920 millions d'euros d'AE sur ce volet 60 ( * ) .

S'agissant des outils de valorisation de la recherche issus du PIA (SATT, IRT, CVT...), le jaune budgétaire précise que leur pérennisation dépendra de l'évaluation menée en 2018 et 2019 . Cette conditionnalité de la poursuite du soutien public à la performance apparaît bienvenue. Votre rapporteur remarque que le Gouvernement n'a pas, à ce stade, fait publiquement état de la suite qu'elle comptait réserver à la recommandation du rapport de la mission sur les aides à l'innovation portant sur l'arrêt des consortia de valorisation thématique (CVT) à l'exception du CVT ATHEN.

S'agissant du second point, relatif à l'articulation des aides avec les dispositifs nationaux et européens, le dossier de presse se limite à mentionner la mise en place d'accompagnement des entreprises pour candidater aux appels à projets.

Le troisième axe consiste en l'accélération de la croissance des entreprises. À cette fin, 38 recommandations seraient actuellement en cours de mise en oeuvre sur les 55 effectuées par le rapport de la mission sur les aides à l'innovation. Le dossier de presse cite, parmi les mesures rassemblées autour de cet axe, le projet de loi « PACTE », la réorganisation du Conseil national de l'industrie et le renforcement du soutien aux entreprises en forte croissance dans le cadre de la French Tech.

3. La mise en place du « fonds » pour l'innovation et l'industrie (FII)

Le 15 janvier dernier, le ministre de l'Économie et des Finances annonçait officiellement la mise en place du « fonds » pour l'innovation de rupture. Ce « fonds » est géré par l'EPIC Bpifrance et comprend 8,6 milliards d'euros de titres et 1,6 milliards d'euros de numéraire. Selon le Gouvernement, l'intérêt de ce montage est de flécher le produit de ces cessions et transferts de participation sur le financement de l'innovation.

Il est estimé que le « fonds » permettra de dégager environ 250 millions d'euros par an pour le financement d'actions innovantes, soit, selon la mission sur les aides à l'innovation, une hausse de 10 % des aides directes à l'innovation . Les montants dégagés seront intégrés au GPI.

La doctrine d'emploi de ces fonds a été en grande partie déterminée par la mission sur les aides à l'innovation. Ainsi, cette somme serait répartie en trois grands blocs.

1° Environ 150 millions d'euros par an pour le financement de « grands défis », sur le modèle des agences de l'innovation américaines, qui privilégient la réalisation de défis plutôt que l'octroi de subventions selon une grille d'analyse calée sur les secteurs économiques existants. Chaque grand défi sera financé au maximum à hauteur de 50 millions d'euros sur une période s'étalant de 3 à 5 ans. Ils seront arrêtés par le Conseil de l'innovation selon des critères stricts. L'ambition est de permettre la création de nouveaux marchés sur lesquels la France pourrait prendre l'avantage. Ces grands défis seront supervisés par des responsables de programme. Deux grands défis ont déjà été identifiés lors de la séance inaugurale du Conseil de l'innovation en matière d'intelligence artificielle, dont il est question dans la seconde partie du présent avis.

2° Environ 70 millions d'euros seront affectés au plan « deep tech » géré par Bpifrance, dont l'objectif est de doubler la création annuelle de jeunes pousses à forte intensité technologique (« deep tech ») et de leur permettre de grandir de manière à devenir leader sur leur marché.

Ces 70 millions d'euros seront eux-mêmes répartis en trois sous-enveloppes :

- 10 millions d'euros par an pour l'octroi de bourses « French Tech » au montant pouvant aller jusqu'à 90 000 euros (contre 30 000 aujourd'hui) ;

- 15 millions d'euros pour augmenter la dotation de concours, notamment le concours i-lab ;

- 45 millions d'euros d'aides individuelles.

Ce plan « deep tech » comprend également un volet relatif à l'accompagnement des entrepreneurs.

Une tentative de définition de la « deep tech »

Le rapport d'avril 2017 « From Tech to Deep tech » réalisé par le BCG et Hello Tomorrow propose quatre caractéristiques communes aux start-ups de la deep tech :

- une activité qui trouve sa source dans une recherche de pointe, fondamentale et/ou appliquée ;

- un processus d'industrialisation lourd, impliquant une plus grande difficulté à changer la production d'échelle (scale-up) contrairement à des entreprises numériques ;

- d'importants besoins d'investissement dans des infrastructures, des compétences, qui exigent de disposer sur une longue période d'une capacité financière substantielle ;

- une application commerciale à définir, les spécifications précises du produit final n'étant arrêtées que tardivement dans le processus de développement de l'innovation.

Le Gouvernement estime que la combinaison de ce plan et du fonds « French Tech Seed » permet de créer un continuum de financement de la « deep tech ».

3° Environ 25 millions d'euros seront mobilisés pour le plan Nano 2022.

Enfin, environ 5 millions d'euros verront leur emploi soumis à l'appréciation du Conseil - ce qui correspond à « l'enveloppe de réaction rapide » préconisée par la mission sur les aides à l'innovation.

Ce rapport préconisait également que soient, à terme, affectés au fonds les « retours » des prêts, avances remboursables et investissements en fonds propres consentis par l'État dans le cadre des PIA, qu'il estime à près de 3 milliards d'euros sur le quinquennat et près de 8 milliards d'euros sur les dix prochaines années.

Votre rapporteur souligne l'importance de rendre compte chaque année au Parlement de l'utilisation de ces crédits extra-budgétaires . Un tel compte rendu pourrait trouver place au sein du jaune relatif au GPI ou du document de politique transversal relatif à l'innovation que votre rapporteur appelle de ses voeux (voir infra ).

4. Une ambition européenne qui reste à concrétiser

Partant du constat selon lequel la France ne dispose pas seule des moyens nécessaires à rester dans la compétition économique mondiale de l'innovation, le Président de la République a, lors de son discours à la Sorbonne, le 26 septembre 2017, plaidé en faveur de la création d'une Agence européenne pour l'innovation de rupture , sur le modèle de l'Agence pour les projets de recherche avancée de défense américaine (DARPA) 61 ( * ) . L'objectif de cette agence serait de financer les recherches dans les domaines nouveaux, comme l'intelligence artificielle, avec l'ambition de placer l'Europe en champion de l'innovation et non en suiveur.

Le Président de la République a par ailleurs proposé que cette Agence de l'innovation de rupture débute sous la forme d'un programme franco-allemand commun sur l'intelligence artificielle . Selon une réponse au questionnaire budgétaire, les gouvernements français et allemand réfléchissent actuellement à la possibilité de mettre en place un « réseau » pour construire de nouveaux instruments visant à favoriser l'émergence d'innovations de rupture et leur accès rapide au marché.

Cette ambition demande donc à être concrétisée.

Parallèlement, la Commission européenne travaille depuis plusieurs années sur le soutien à l'innovation de rupture . Le 7 juin dernier, la Commission européenne a annoncé la mise en place d'un Conseil européen de l'innovation « pilote » pour la période 2018-2020 d'Horizon 2020 doté de 2,7 milliards d'euros afin de moderniser le financement de l'innovation en Europe. La proposition publiée par la Commission en juin dernier pour Horizon Europe (voir infra ) entend pérenniser un Conseil européen de l'innovation.

5. Renforcer l'information du Parlement sur les politiques d'innovation à travers un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances

Comme l'a relevé la mission sur les aides à l'innovation, l'appréciation budgétaire des politiques d'innovation nécessite « la compilation de chroniques budgétaires nombreuses et largement disséminées entre plusieurs administrations et opérateurs de l'État ». Elle lie le manque de coordination interministérielle de la politique d'innovation au défaut de visibilité budgétaire.

Le manque de coordination interministérielle ayant été traité par le Conseil de l'innovation, il convient, en conséquence, de synthétiser annuellement dans un document de politique transversale (« orange budgétaire ») annexé au projet de loi de finances, l'ensemble des données budgétaires et extrabudgétaires relatives aux aides nationales à l'innovation .


* 57 Source : SGPI, dossier de presse « notre ambition pour l'investissement et l'innovation », 21 juin 2018.

* 58 Source : rapport de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation de janvier 2016 relatif aux politiques d'innovation en France.

* 59 Décret n° 2018-764 du 30 août 2018 relatif à l'agence de l'innovation de défense.

* 60 Il s'agit de la sous-action n° 07-03 du programme 144 de la mission « Défense » et intitulée « études amont ». Au sein de cette enveloppe, le montant d'AE augmente de 8 % sur la dissuasion (atteignant 215 millions d'euros) et de 26 % (atteignant 705 millions d'euros) sur les autres études (aéronautique et missiles, espace, naval, terrestre et santé, information et renseignement et enfin innovation transverse).

* 61 Pour « Defense Advanced Research Projects Agency”. Il s'agit de l'agence de recherche à haute intensité technologique de l'armée américaine, réputée pour avoir aidé à l'émergence de nombreuses ruptures technologiques, comme le réseau Arpanet ou, plus récemment, le lanceur réutilisable.

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