C. L'ENJEU DE LA PRÉVENTION

1. Une fragmentation des initiatives et des dispositifs, source de saupoudrage des crédits

Bien que l'identification des crédits consacrés à la prévention dans le programme 204 soit particulièrement mal aisée, votre rapporteure a tenté de retracer leur évolution de 2018 à 2019 :

Évolution de 2018 à 2019 des crédits consacrés à la prévention
inscrits au programme 204

(en millions d'euros)

Actions et sous-actions du programme 204
en lien avec la prévention

PLF 2018

PLF 2019

Variation 2019/2018

Partenariat associatif

1

0,72

- 28 %

Actions dans les outre-mer

0,15

0,15

0 %

Études et recherches

1,6

1,6

0 %

Veille, surveillance, évaluation et expertise

0,35

0,35

0 %

Développement et exploitation
des systèmes d'information de santé publique

4,5

4,5

0 %

ANSP

151,3

153,7

+ 1,6 %

Prévention des addictions

3,45

3

- 13 %

Infections par le VIH, les IST, les hépatites
et la tuberculose

4,54

4,8

+ 5,7 %

Nutrition et santé

0,66

0,83

+ 25,7 %

Environnement et santé

3,49

2,78

- 20,3 %

ANSéS

14,16

14,49

+ 2,3 %

Prévention des risques infectieux émergents

0,71

0,69

- 2,8 %

Préparation des crises sanitaires

0,21

0,8

+ 280,9 %

Gestion des alertes et des crises sanitaires

0,21

0,12

- 42,9 %

Actions de prévention et dépistage de l'INCa 1

5 1

5 1

-

Total

191,33

193,53

+ 1,1 %

1 Montant des dépenses de l'INCa en crédits de paiement en 2017, dont il est supposé qu'il sera maintenu à ce niveau jusqu'au terme du plan cancer 2014-2019.

Source : Projets annuels de performance de la mission « Santé » annexés aux projets de lois de finances pour 2018 et 2019

Si le niveau des crédits gérés en administration centrale semble désormais se stabiliser après avoir connu une érosion jusqu'en 2018, votre rapporteure relève la très grande fragmentation des dispositifs, source de saupoudrage des crédits. L'essentiel des dépenses en matière de prévention continue d'être supporté par :

- l'assurance maladie dans le cadre des soins de ville, des soins hospitaliers, des médicaments et des dispositifs médicaux : la dépense de prévention non institutionnelle était évaluée à 9,1 milliards d'euros en 2016 ;

- les fonds et programmes de prévention nationaux ou départementaux : la dépense de prévention institutionnelle était évaluée à 6 milliards d'euros en 2017.

Concernant la situation spécifique des outre-mer, votre rapporteure relève que les crédits du programme 204 contribuant à la prévention et à la promotion de la santé dans les collectivités ultramarines s'établissent, en 2018, à 34,5 millions d'euros, en progression de 13 % par rapport à 2017 mais toujours en-deçà des moyens consentis en 2016, qui s'élevaient à 46,7 millions d'euros 22 ( * ) .

La lutte contre les addictions sera marquée, pour sa part, par l'élargissement en 2019 du fonds de lutte contre le tabac à la lutte contre l'ensemble des addictions liées aux substances psychoactives, inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

Si le fonds de lutte contre le tabac a été porté en 2018 à 100 millions d'euros, dont 32 millions d'euros consacrés aux traitements de substitution à la nicotine, les moyens de la lutte contre les addictions inscrits sur le programme 204 ont globalement diminué sur la période de 2016 à 2018 :

- dans la lutte contre le tabac, le soutien aux associations nationales a diminué de 21,5 % et s'élève à 480 000 euros en 2018 ;

- dans la lutte contre l'alcool, le soutien à la coordination associative des mouvements d'entraide a diminué de 11 % et s'élève à 786 000 euros en 2018 ;

- dans la lutte contre les drogues illicites, le soutien aux associations nationales a diminué de 19 % et s'élève à 655 000 euros en 2018.

2. La modernisation de nos dispositifs de vigilance sanitaire

Avec l'ANSM et les autres agences sanitaires, Santé publique France a participé au déploiement en mars 2017 du portail de signalement des événements sanitaires indésirables et du système d'information sanitaire des alertes et crises (SISAC), permettant aux usagers et aux professionnels de santé de signaler par télédéclaration les effets indésirables, les incidents ou risques d'incidents liés aux produits de santé. En parallèle, les efforts de dématérialisation des déclarations obligatoires pour les professionnels de santé se poursuivent, dans le souci de pouvoir traiter les alertes dans les meilleurs délais.

Face à la multiplication des crises sanitaires, l'ANSM s'est employée à développer les réseaux de vigilances dédiés à la pharmacovigilance 23 ( * ) , à la pharmaco-épidémiologie, à l'évaluation et l'information sur la pharmacodépendance 24 ( * ) et à la matériovigilance 25 ( * ) . De surcroît, elle a pour ambition de multiplier les recherches de haut niveau scientifiques et les études ponctuelles répondant à des besoins identifiés aussi bien par elle que par la direction générale de la santé ainsi que les initiatives associatives visant à favoriser le bon usage des médicaments et à réduire les risques inhérents.

Concernant la plateforme de pharmaco-épidémiologie, des discussions ont été engagées par l'ANSM avec la Cnam afin de développer un groupement d'intérêt scientifique (GIS) dont l'objectif, à terme, est d'inclure les agences sanitaires également intéressées.

Selon les données communiquées par le ministère des solidarités et de la santé, le GIS a vocation à renforcer la collaboration dans le domaine de la surveillance épidémiologique de l'état de santé des populations consécutivement à l'exposition à certains produits de santé et de permettre la réalisation d'études à partir soit de certains signaux de vigilance, soit de données dont disposent respectivement l'ANSM et la Cnam, en vue de confirmer, infirmer ou compléter l'état des connaissances liés aux effets indésirables, inattendus ou néfastes de certains produits de santé.

La période récente a démontré la pertinence de notre système d'alerte sanitaire. Le retrait des laits infantiles contaminés par la bactérie Salmonella , dans le cadre de l'affaire Lactalis®, est intervenu après l'identification et l'analyse du risque par l'un de nos centres nationaux de référence (CNR), spécialisé sur les bactéries pathogènes entériques.

Notre pays dispose, en outre, de plusieurs registres thématiques, en plusieurs points du territoire, destinés à répertorier la survenue de pathologies dans un périmètre géographique donné. Il existe ainsi 20 registres suivant la prévalence de certains cancers, pilotés par l'INCa, et 6 registres consacrés au recensement des malformations congénitales, créés bien souvent sur la base d'initiatives locales et associatives.

À la suite de la polémique entourant le fonctionnement du registre des malformations congénitales « Remera » en Rhône-Alpes qui a mis en lumière les cas d'agénésie transverse des membres supérieurs chez des nouveaux nés dans le département de l'Ain, le comité stratégique des registres a été réactivé par le ministère des solidarités et de la santé. Un effort particulier sera porté à la qualité de l'évaluation scientifique des études des registres, avec la mise en place d'un comité d'évaluation de la méthodologie des registres avec Santé publique France, l'INCa, l'ANSéS et des experts extérieurs, en lien avec le réseau européen des registres de surveillance des anomalies congénitales Eurocat.

Votre commission appelle, par conséquent, à la professionnalisation et au renforcement de la coordination de ces six registres qui ne recouvrent encore que 19 % des naissances sur le territoire hexagonal.

Les registres de malformations congénitales

1) Le statut des registres de malformations congénitales

Les registres de malformations congénitales (RMC) sont nés pour la plupart d'initiatives individuelles de praticiens hospitaliers ou de réseaux en périnatalité (obstétriciens, généticiens, pédiatres) associés à des épidémiologistes. Cas particulier, le registre des Antilles est né de la volonté publique dans le cadre du plan « chlordécone ». Les RMC ont de ce fait une ancienneté très variable : la plupart ont été créés de 1981 à 2010, mais certains ont succédé à des registres plus anciens remontant au milieu des années 1970. Ils ont des organisations, des compétences et des moyens humains variables, tenant compte de leur histoire et des organisations régionales propres.

Les RMC s'appuient pour leur gestion sur des centres hospitaliers universitaires (CHU) pour cinq d'entre eux ou sur une unité de l'Inserm (cas particulier du registre de Paris, cependant abrité dans un établissement de l'assistance publique-hôpitaux de Paris - AP-HP). Les registres Rhône-Alpes (REMERA) et Auvergne (CEMC-Auvergne) ont un statut associatif, mais la gestion de leurs financements est assurée par les hôpitaux civils de Lyon (HCL), pour le premier, et le CHU de Clermont-Ferrand, pour le second. Une convention existe entre le CHU gestionnaire et l'association. Le registre Rhône-Alpes est le seul à ne pas être intégré dans un CHU.

2) L'articulation des registres avec les opérateurs sanitaires et l'État

Les RMC assurent l'essentiel de la surveillance des malformations congénitales en France, en couvrant 19 % des naissances. Ils contribuent activement à cette surveillance au niveau européen, en transmettant leurs données à une base centralisée, animée par le consortium européen Eurocat. Au niveau national, une collaboration scientifique régulière s'est progressivement construite avec Santé publique France. Une animation de ces registres est organisée par Santé publique France dans le cadre de réunions de l'ensemble des 6 registres à raison de deux fois par an (12 réunions depuis 2013).

Santé publique France héberge une base commune des données des registres obtenue par extraction auprès de la base d'Eurocat sur un nombre restreint de variables. L'harmonisation d'un socle de données pour l'ensemble des RMC permet d'établir au niveau national des estimations des principales malformations congénitales. À partir des données des registres, Santé publique France publie sur son site les données de prévalence nationale estimée concernant 21 malformations ou groupes de malformations.

Les RMC reçoivent des financements d'opérateurs nationaux, essentiellement de Santé publique France et de l'Inserm, ainsi que de la direction générale de l'offre de soins via un financement au titre des missions d'intérêt général (« MIG Registres »). Des financements complémentaires existent et varient selon les registres (fonds d'intervention régional, conseils régionaux). Des financements complémentaires en rapport avec des projets de recherche existent pour certains registres mais ne sont pas pérennes.

Concernant les travaux de recherche en lien avec l'Inserm, les registres de Paris et de Bretagne travaillent régulièrement avec une unité de l'Inserm locale. Les registres d'Auvergne et de La Réunion ont une production scientifique qui intéresse l'Inserm. Les liens entre une unité de l'Inserm et le registre Rhône-Alpes sont anciens et il n'existe plus d'articulation depuis la suspension du financement de l'Inserm en 2018. L'Inserm n'apporte pas de financement au registre des Antilles.

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire de la commission des affaires sociales

3. Des plans pluriannuels de santé au financement fragile

À l'heure actuelle, la direction générale de la santé du ministère des solidarités et de la santé est engagée dans le pilotage ou le co-pilotage de 23 plans de santé publique et dans 18 autres plans en tant que simple contributrice. La temporalité des nouveaux plans est désormais généralement plus longue, d'environ dix ans, que celle des plans classiques qui s'étalaient sur deux à cinq ans. Ces plans ont vocation à s'inscrire dans le plan national de santé publique (PNSP), porté par le Premier ministre et dont la direction générale de la santé est coordonnatrice.

Ces plans couvrent des enjeux très divers : canicule, grand froid, grippe mais aussi des crises sanitaires mondiales (Ebola, Zika, chikungunya...).

De plus en plus, les établissements publics de recherche sont mobilisés dans l'élaboration de la réponse à apporter à des crises sanitaires et épidémiques ainsi qu'à des enjeux de santé publique au long cours. L'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) participe à des plans de santé publique pour lesquels sa contribution n'est pas pleinement compensée financièrement :

- le consortium REACTing mis en place pour coordonner la gestion de grandes crises épidémiques. L'Inserm a ainsi été sollicité en août 2018 par l'Organisation mondiale de la santé pour vacciner les forces onusiennes et les équipes médicales face à l'épidémie d'Ebola au Congo ;

- le plan Maladies neuro-dégénératives 2014-2019, dont l'Inserm assure le pilotage du volet « recherche » ;

- le partenariat des laboratoires de sécurité biologique P4 en France et en Chine ;

- le plan France Médecine génomique 2025 ;

- le plan Antibiorésistance ;

- le plan Autisme ;

- le plan Maladie de Lyme.

Pour plusieurs de ces plans, les financements attribués par l'État à l'Inserm sont manquants, voire absents, puisque seuls 4,5 millions d'euros ont été inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019, contre des besoins évalués à 15,3 millions d'euros :

Financements obtenus par l'Inserm depuis 2014
au titre de sa participation aux plans de santé et besoins pour 2019

Source : Institut national de la santé et de la recherche médicale

En l'absence de financement au titre des plans Austime et Maladie de Lyme, l'Inserm n'est pas en capacité de répondre à des enjeux qui suscitent beaucoup d'attentes de la part des associations de patients.

L'action n° 11 du programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » prévoit pour 2019 un financement à hauteur d'un million d'euros en faveur de l'Inserm au titre du soutien logistique qu'il apporte aux programmes groupement d'intérêt scientifique de l'institut de recherche en santé publique (GIS - IReSP) 26 ( * ) , qui finance des appels à projets de recherche appliquée en santé publique. Le programme 204 est également mobilisé pour contribuer au développement de la certification électronique des causes de décès par l'unité de service Inserm « CépiDc », à hauteur de 390 000 euros.

Face à ces difficultés, l'Inserm a sollicité à plusieurs reprises le soutien financier du ministère des solidarités et de la santé, qui assure la cotutelle de l'établissement aux côtés du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Toutefois, l'institut ne peut bénéficier directement de financement de l'assurance maladie dans le cadre de l'objectif national des dépenses de l'assurance maladie (Ondam) au titre des plans santé du ministère de la santé. L'Inserm n'est ainsi pas éligible aux crédits des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac) qui ne s'adressent qu'à des établissements publics de santé.

Dans le cadre de ses partenariats de recherche avec des hôpitaux publics, l'Inserm peut envisager le reversement par les établissements d'une partie des financements obtenus des Migac à condition qu'une convention soit conclue à cet effet. Compte tenu des sommes en jeu, l'expérience a néanmoins montré que cette solution est parfois peu adaptée et lourde à mettre en oeuvre, d'autant que les versements peuvent être différés au vu des difficultés budgétaires et de trésorerie que connaissent les établissements de santé.

Dans ces conditions, votre commission plaide pour le renforcement de la contribution du ministère des solidarités et de la santé à la compensation financière de la participation de l'Inserm aux plans de santé publique. Cette contribution est légitime, ce ministère exerçant la cotutelle de l'institut. La piste d'une simplification des conventions financières entre l'Inserm et les hôpitaux mérite d'être étudiée afin de faire bénéficier l'institut, de façon indirecte, des moyens des Migac. À cet égard, la convention conclue par l'Inserm avec les hôpitaux universitaires de Strasbourg dans le cadre du projet pilote France médecine génomique « DEFIDIAG » constitue une première expérience ayant permis à l'institut de percevoir indirectement 3,5 millions d'euros au titre des financements des Migac.

Le Sénat avait introduit, au projet de loi de finances pour 2018 lors de son examen en première lecture, à l'initiative de nos collègues Laure Darcos et Alain Joyandet, un article prévoyant la remise au Parlement d'un rapport sur les plans nationaux de santé publique destiné à fournir des éléments d'information sur les modalités de leur financement et « des propositions sur les moyens juridiques et budgétaires à mettre en oeuvre afin de permettre aux organismes de recherche de bénéficier des ressources nécessaires à l'accomplissement des missions qui leur sont confiées par les ministères de la santé et de la recherche aux fins de prévenir les risques sanitaires et infectieux. » Néanmoins, cette disposition n'avait pas été retenue dans la version définitive de la loi de finances 2018.

La ministre des solidarités et de la santé avait annoncé, l'an dernier, son intention de mettre en place un programme national de recherche en santé publique. Force est de constater que ce programme demeure à l'état d'annonce.


* 22 En autorisations d'engagement, selon les données du document de politique transversale « Outre-mer ».

* 23 Centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV).

* 24 Centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance (CEIP).

* 25 Coordonnateurs régionaux de matériovigilance (CRMV).

* 26 660 000 euros en 2018.

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