II. DE NOUVELLES FONDATIONS POUR LA POLITIQUE DU PATRIMOINE

A. 2018 : UN NOUVEAU SOUFFLE POUR LE PATRIMOINE IMMOBILIER

1. La mission sur le patrimoine en péril

Le 16 septembre 2017, le Président de la République a confié à Stéphane Bern une mission d'identification du patrimoine immobilier en péril et de recherche de sources de financement innovantes pour en assurer la restauration. En l'espace d'un an, près de 2 000 sites en danger ont fait l'objet d'un signalement , pour un montant total de travaux évalué à 2,5 milliards d'euros. Ce chiffre illustre à la fois l'importance et l'urgence à dégager des moyens nouveaux pour le financement de l'entretien et la restauration du patrimoine. En parallèle, un nouveau bilan sanitaire du patrimoine devrait être publié par le ministère de la culture à la fin de l'année. Son établissement, qui intervient traditionnellement tous les cinq ans, a pris du retard, le précédent bilan datant de 2012. D'après les informations communiquées à votre rapporteur, ce nouveau bilan ferait apparaître que 4,5 % des monuments historiques classés (environ 1 700 bâtiments) seraient en péril , un taux stable par rapport aux recensements effectués en 2007 et 2012. Il semblerait en revanche que le taux des monuments historiques en bon état serait en augmentation.

Sur les 2 000 sites signalés, 269 projets 2 ( * ) ont été sélectionnés , après une analyse des dossiers par les conservations régionales des monuments historiques au sein des DRAC pour les immeubles protégés au titre des monuments historiques, et par les délégués régionaux de la Fondation du patrimoine pour les autres édifices, afin de déterminer les opérations prioritaires. La sélection porte à la fois sur des bâtiments protégés au titre des monuments historiques (environ deux tiers) et des bâtiments non protégés . La répartition géographique des projets sur l'ensemble du territoire et la diversité des patrimoines ont été pris en compte dans le choix de la sélection : édifices religieux (34 %), châteaux (23 %), patrimoine agricole et vernaculaire (13 %), patrimoine industriel et artisanal (9 %). D'après les informations communiquées à votre rapporteur, les retombées économiques et sociales que les projets étaient susceptibles d'avoir sur les territoires dans lesquels ils sont implantés ont également été valorisées.

Les besoins de financement pour ces différentes opérations ont été évalués à 810 millions d'euros . C'est l'une des raisons pour lesquelles la mission d'identification du patrimoine en péril s'est accompagnée du lancement du Loto du patrimoine . Le Sénat en appelait de ses voeux la mise en place depuis une quinzaine d'années, sans grand succès. La loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 a autorisé qu'un prélèvement puisse être effectué sur les sommes misées en France sur un tirage spécial annuel du Loto dédié au patrimoine lors des Journées européennes du patrimoine ainsi que sur un jeu de grattage spécifique.

La première édition a rencontré un vif succès , qui a confirmé l'intérêt des Français pour leur patrimoine et le consensus politique autour de cette question . La participation au tirage du loto, organisé le 14 septembre dernier, a été plus élevée que pour un tirage classique du loto, même si la Française des jeux (FDJ) estime qu'il existe encore des marges de progression. Les ventes du jeu de grattage dépassent les prévisions. Dans les deux cas, la proportion de nouveaux joueurs par rapport aux joueurs traditionnels des jeux de la FDJ est importante, preuve que la motivation principale de beaucoup d'entre eux était d'aider le patrimoine en péril , comme le révèle un sondage réalisé par Opinionway pour FDJ en octobre dernier. Le fait que le soutien profite au patrimoine local aurait été un facteur déclenchant essentiel de participation.

Les sommes collectées alimentent un fonds géré par la Fondation du patrimoine , destiné à compléter les financements de l'État, des collectivités territoriales et des propriétaires pour la réhabilitation des projets sélectionnés. Ce fonds peut également être abondé par du mécénat ou par des dons . 15 millions d'euros de recettes du Loto lui sont d'ores et déjà acquis. Tout porte à croire que 20 millions d'euros pourraient, au final, être transférés grâce à la poursuite des ventes du jeu de grattage, conformément à la fourchette haute de l'estimation initialement réalisée par FDJ.

Fort de ce succès, le dispositif sera reconduit pour deux années supplémentaires , comme le prévoyait la convention signée entre la FDJ et la Fondation du patrimoine. À l'issue de cette période, une évaluation sera réalisée afin de déterminer s'il y a lieu de le pérenniser, ce à quoi votre rapporteur aspire.

Il est vrai que les sommes retirées du Loto du patrimoine restent modestes et très nettement insuffisantes par rapport à l'ampleur des besoins. Cette première édition, comme la mission Bern, ont toutefois permis de susciter une véritable mobilisation autour de l'enjeu de la protection du patrimoine . Les retombées de ces opérations ne sauraient se résumer à 20 millions d'euros : la Fondation du patrimoine se dit plus solide pour solliciter les citoyens , par le biais des souscriptions , les entreprises au travers du mécénat, ou même l es collectivités territoriales grâce à l'engouement suscité par la mission « patrimoine en péril », dans une période plutôt marquée jusqu'ici par une baisse des dons sous l'effet des récentes réformes fiscales. Si le principe d'un Loto du patrimoine devait être pérennisé, cet apport financier régulier pourrait permettre d'éviter la pratique des chantiers tronçonnés, peu rationnelle sur le plan économique et touristique en ce qu'elle est à la fois longue et coûteuse et empêche généralement l'ouverture du monument pendant toute la durée des travaux.

Répartition des recettes du Loto du patrimoine

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Pour autant, il conviendrait alors de veiller à ce que la pérennisation de cette source de financement ne se traduise pas, d'ici quelques années, par une baisse en proportion des crédits consacrés par l'État aux monuments historiques et au patrimoine monumental . Cette nouvelle recette doit rester un financement complémentaire aux crédits publics existants, et non se substituer partiellement à eux.

Votre rapporteur a constaté que la transparence du processus de sélection des projets susceptibles d'être soutenus par la mission Bern avait soulevé des interrogations . Si, pour cette première édition, la volonté de prendre en compte à la fois l'ensemble des patrimoines et l'ensemble des territoires peut parfaitement se comprendre, sans doute serait-il judicieux de définir à l'avenir des critères de sélection plus précis , de manière à maintenir l'intérêt du public, ce qui supposerait aussi de conserver une forte dimension locale.

D'aucuns regrettent qu'une majorité de ces crédits soit dirigé vers des bâtiments protégés au titre des monuments historiques, alors que le rôle de la Fondation du patrimoine est davantage tourné en direction du patrimoine non protégé, que l'État ne soutient plus, après avoir transféré en 2004 les crédits correspondants aux départements. La protection du petit patrimoine revêt en effet un enjeu essentiel pour de nombreux territoires , en particulier ruraux . Sous réserve que l'État maintienne le niveau de ses crédits en faveur des monuments historiques et du patrimoine monumental, on pourrait tout à fait imaginer, une fois financés les projets identifiés comme prioritaires, que les projets soutenus par le Loto du patrimoine, portent davantage sur des bâtiments relevant du patrimoine non protégé.

2. Le déblocage de moyens nouveaux en faveur du patrimoine

En plus des moyens nouveaux procurés par le Loto du patrimoine, le Gouvernement est également allé au-delà de la simple sanctuarisation des crédits consacrés aux monuments historiques .

Les autorisations d'engagement , en particulier, d'un montant de 456 millions d'euros, sont portées à des niveaux jamais atteints au cours des dix dernières années . Ces augmentations concernent le lancement de grands projets , au premier rang desquels figurent la restauration du château de Villers-Cotterêts et la montée en puissance du projet de rénovation du Grand Palais. Les crédits destinés aux monuments historiques hors grands projets restent, pour leur part, stables par rapport à 2018 , à 326 millions d'euros, montant également supérieur à celui des crédits inscrits sur cette ligne au cours de la dernière décennie.

Les crédits de paiement progressent de 13 millions d'euros par rapport à 2017 (+ 7,23 %), dont 9 millions d'euros destinés aux grands projets, et 4 millions d'euros consacrés aux monuments historiques hors grands projets.

Il est regrettable que les moyens alloués à l'entretien des monuments historiques aient été réduits par rapport à leur niveau passé. Votre rapporteur insiste depuis plusieurs années sur l'utilité de la dépense d'entretien pour limiter les dépenses de restauration, dont le coût se révèle, au final, largement plus élevé. Un effort devrait être entrepris pour développer davantage une culture de l'entretien dans notre pays, qui fait trop souvent défaut.

(en millions d'euros)

PLF 2010

PLF 2011

LFI 2012

PLF
2013

PLF 2018

PLF
2019

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

MH « hors grands projets »

291

342

298

336

305

329

303

297

326

293

326

297

Crédits d'entretien

56

56

56

56

56

56

55

55

50

50

50

50

dont MH État

34

34

34

34

34

34

34

34

26

26

26

26

dont MH non État

22

22

22

22

22

22

22

22

23

23

23

23

Dotation MH versés aux opérateurs

7

7

8

8

7

7

7

7

12

12

12

12

Crédits de restauration

227

278

234

272

242

266

240

234

265

231

265

235

dont MH État (y compris subvention d'investissement CMN)

119

128

117

121

127

116

113

100

111

91

110

90

dont MH non État

108

150

117

151

115

151

127

134

139

141

140

141

dont Fonds d'aide des CT à moindre potentiel financier

-

-

-

-

-

-

-

-

15

-

15

5

MH « grands projets »

71

40

62

28

23

33

20

25

36

26

130

35

Grand Palais

-

-

-

-

-

-

-

-

10

9

60

9

Cité de l'architecture et du patrimoine

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

Versailles

20

25

19

18

19

18

20

12

16

12

15

11

Quadrilatère Richelieu (action 1)

4

2

28

3

-

1

0

8

Quadrilatère Richelieu (action 5)

40

5

-

-

-

-

-

-

Fort Saint Jean

7

8

12

5

-

5

-

4

Théâtre national de l'Odéon

-

-

-

-

-

-

-

-

Picasso

-

-

4

2

-

2

-

0

Maison de l'Histoire de France

4

4

-

-

Richelieu - restauration

8

4

-

3

Site AN de Paris (MH)

2

1

-

2

Villers-Cotterêts

55

10

Total monuments historiques

362

381

360

364

327

362

323

322

362

318

456

331

Source : Ministère de la culture

Il convient d'ajouter aux crédits inscrits sur le projet de loi de finances pour 2019 les 21 millions d'euros dont le ministre de l'action et des comptes publics et le ministre de la culture, Gérald Darmanin et Franck Riester, ont annoncé le déblocage , le 25 octobre 2018, en pleine polémique autour des recettes tirées par l'État de la mise en place du Loto du patrimoine, en raison du prélèvement de taxes sur les différents jeux. De fait, cette somme ne correspond pas au montant des taxes prélevées sur le Loto du patrimoine, qui s'établiraient plutôt aux alentours de 14 millions d'euros, mais au dégel intégral des crédits de l'action 1 sur l'année 2018, ce qui signifie qu'ils devront impérativement être consommés avant la fin de l'année 2018.

Comme il s'agit de crédits budgétaires, ils ne peuvent pas être transférés au fonds pour le patrimoine en péril géré par la Fondation du Patrimoine. D'après les éléments communiqués à votre rapporteur, ces crédits devraient être dirigés en priorité vers le financement des projets de restauration qui portent sur des immeubles appartenant à l'État sélectionnés dans le cadre de la mission Bern, en particulier les trois bâtiments du CMN retenus : le château de Bussy-Rabutin (Côte-d'Or), l'abbaye de Montmajour (Bouches-du-Rhône) et le château de Castelnau-Bretenoux (Lot). Ils pourraient également servir à poursuivre ou achever le financement de travaux déjà engagés jugés essentiels pour les territoires, à l'image du Pont du Martrou à Rochefort. Quoi qu'il en soit, les projets de restauration qui seront financés sur la base de ces crédits en cette fin d'année ne nécessiteront plus ces financements en 2019, ce qui permettra de dégager des marges de manoeuvre l'an prochain , qui pourraient dès lors être fléchées vers les DRAC pour le financement des opérations de la mission « patrimoine en péril ».

Des interrogations se font néanmoins jour quant à la capacité de l'État à poursuivre le financement de grands travaux sans remettre en cause, à terme, le montant de l'enveloppe destiné aux autres monuments historiques , qui profitent davantage à l'ensemble des territoires. Les marges de manoeuvre de l'État pour financer de grands projets de restauration sur ses monuments historiques sont aujourd'hui de plus en plus faibles . La subvention d'investissement dont dispose aujourd'hui le CMN, fixée à 18 millions d'euros, est nettement insuffisante par rapport à ses besoins, initialement évalués à 30 millions d'euros. Peu de restaurations de monuments peuvent être financées par la voie d'un emprunt, comme le sont les travaux portant sur l'hôtel de la Marine, car elles ne présentent pas les mêmes garanties en termes de retombées économiques pour l'établissement. C'est pour cette raison que plusieurs grandes opérations pourtant nécessaires au Panthéon, dans le domaine de Saint-Cloud, et au Mont-Saint-Michel, susceptibles d'atteindre chacune des coûts de l'ordre de 8 à 10 millions d'euros, sont une nouvelle fois différées. Compte tenu du montant des recettes tirées du Loto du patrimoine, cette nouvelle source financière ne peut évidemment pas servir au financement de ce type de grands projets.

La création d'une cité de la langue française
au sein du château de Villers-Cotterêts

S'inscrivant dans le plan d'ensemble pour la promotion de la langue française et de la francophonie présenté par le Président de la République le 20 mars 2018, le château de Villers-Cotterêts a vocation à devenir un laboratoire de la francophonie à l'horizon 2022.

Ce projet représente un investissement d'un montant de 110 millions d'euros pour restaurer et aménager le logis royal et le jeu de paume. Le Centre des monuments nationaux (CMN) a été chargé de piloter ce grand chantier, dont le financement sera assuré à hauteur de 55 millions d'euros par les crédits du ministère de la culture, ainsi que par une contribution du grand plan d'investissement et du mécénat. La revalorisation de ce site prestigieux permettra également d'inciter des porteurs de projet, publics ou privés, à l'investir pour leurs activités, en contribuant à la restauration des communs, autour de la cour des Offices et du pavillon de l'Auditoire.

Le projet vise à faire de Villers-Cotterêts, propriété de l'État et classé pour l'essentiel au titre des monuments historiques, un site patrimonial attractif, rayonnant sur le territoire local, national et international, ainsi qu'un laboratoire vivant de rencontres et d'expression pour tous les francophones et non-francophones.

Source : Ministère de la culture

Compte tenu des difficultés financières rencontrées par de nombreux propriétaires privés de monuments historiques , la stratégie pluriannuelle en faveur du patrimoine estimait nécessaire de simplifier les démarches les concernant. Une réflexion serait en cours sur l'opportunité de faire évoluer la définition de l'ouverture au public , aujourd'hui employée pour permettre les déductions à l'impôt sur le revenu ou pour les conventions d'exonération des droits de mutation, afin de mieux prendre en compte l'évolution des pratiques touristiques et l'apparition de nouveaux modes d'utilisation des monuments historiques, dans une optique de valorisation de l'utilité économique et sociale du patrimoine. L'ouverture à la visite de certains monuments historiques se révèle en effet impossible pour des raisons techniques, compte tenu des normes applicables aux établissements recevant du public ou des risques que peut faire peser la visite sur la préservation du monument, ou budgétaires, l'activité de visite étant généralement déficitaire, à défaut de flux de visiteurs suffisants. Il est ainsi proposé de substituer à la notion d'ouverture au public la prise en compte de la contribution économique et culturelle du monument sur un territoire, à condition que le monument reçoive, sous une forme ou une autre, du public (activité hôtelière par exemple). Si cette proposition pourrait faciliter la reprise des monuments historiques, en levant un certain nombre d'obstacles financiers pour des particuliers qui décideraient de faire l'acquisition d'un monument historique, elle n'en soulève pas moins certaines réserves, beaucoup étant très attachés à la notion d'ouverture au public, seule à même de permettre que le patrimoine profite au plus grand nombre.

Au regard des réticences du secteur bancaire à accorder des prêts aux propriétaires privés pour mener à bien leurs projets de restauration, des propositions sont également formulées pour élargir le champ d'intervention de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), aujourd'hui spécialisé dans le financement du secteur culturel, afin qu'il puisse accompagner, en tant que garantie bancaire , les propriétaires privés qui décideraient d'engager des projets de restauration susceptibles d'être structurants pour les territoires.

Le temps est aujourd'hui à la réflexion. La manière dont les contours de la politique patrimoniale seront redéfinis conditionnera sans doute l'ampleur des moyens financiers à consacrer au patrimoine. Le rapport commandé à Philippe Bélaval sur la réorganisation de la direction générale des patrimoines du ministère de la culture , récemment rendu public, insiste sur la mission de l'État et du ministère de la culture dans l'animation de la politique patrimoniale. Il propose néanmoins de se focaliser désormais moins sur le recensement du patrimoine que sur le rôle de celui-ci dans la cohésion sociale et le développement des territoires. Ses propositions devraient à coup sûr alimenter les débats en 2019.


* 2 Liste en annexe de ce rapport.

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