B. DES RÉFORMES À POURSUIVRE

1. Mieux mobiliser les politiques patrimoniales au profit de la revitalisation des centres historiques

La nécessaire revitalisation des centres historiques et les voies pour y aboutir ont nourri les débats parlementaires à plusieurs reprises cette année : à l'occasion de l'examen, d'abord de la proposition de loi d'origine sénatoriale portant Pacte national pour la revitalisation des centres historiques et centres-bourgs, ensuite du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

Loin d'être une contrainte pour la revitalisation des centres historiques, le patrimoine doit au contraire être considéré comme un atout : il peut rendre les centres-villes attractifs et participe de la qualité de leur cadre de vie . C'est pourquoi le régime des sites patrimoniaux remarquables (SPR), créé par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, doit être mobilisé comme un outil au service de la revitalisation des centres historiques. C'est d'ailleurs le sens du rapport remis par Yves Dauge en février 2017 intitulé « Plan national en faveur des nouveaux espaces protégés », qui explore les potentialités offertes par le classement au titre des sites patrimoniaux remarquables pour relancer les moyennes et petites villes patrimoniales en proie à un décrochage culturel, social et économique. Une expérimentation a été lancée, depuis l'automne 2017, dans dix-sept villes, que l'État, avec l'appui des DRAC et des écoles nationales supérieures d'architecture, accompagne par son ingénierie dans la construction de leur projet de revitalisation.

Les questions patrimoniales ne doivent pas non plus être négligées au sein du plan « Action coeur de ville » , lancé en mars dernier au profit de 222 villes sélectionnées, avec lesquelles l'État a signé une convention de revitalisation dont la mise en oeuvre court sur une période de cinq ans. En effet, près de 60 % de ces villes sont dotées de sites patrimoniaux remarquables et le coeur de ville de près de 30 % d'entre elles est situé en abords de monuments historiques. Pour les villes qui ne sont pas dotées de sites patrimoniaux remarquables, le ministère de la culture entend contribuer financièrement à la mise en oeuvre de ce dispositif et les études relatives aux documents de gestion.

Au regard de ces nouveaux enjeux, les crédits inscrits au titre de l'action 2 « Architecture et espaces protégés » apparaissent sans doute insuffisants . Ils sont stables par rapport à 2018, à 8,9 millions d'euros, ce qui, ramené à l'échelle de chacun des départements, ne représente guère plus de 88 000 euros par département.

La réforme de la fiscalité applicable aux opérations de restauration immobilière , communément désignée sous le nom de fiscalité « Malraux », pourrait être utile pour permettre que les investissements se concentrent véritablement dans les villes où des besoins ont été identifiés . Aujourd'hui, le taux de la réduction d'impôt consentie dépend de la nature du document de protection qui couvre le SPR : il est de 22 % pour les SPR couverts par un plan de valorisation du patrimoine et de l'architecture (PVAP) et de 30 % pour les SPR couverts par un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) approuvé. Cela signifie que la réduction d'impôt octroyée à ce titre est susceptible d'être plus importante dans le quartier du Marais à Paris ou dans le coeur historique de Bordeaux, toutes deux dotées d'un PSMV, que dans des villes patrimoniales qui mènent pourtant une politique de reconquête de leur quartier ancien. C'est pourquoi une évolution de la fiscalité « Malraux » apparaît souhaitable, afin d'en faire un véritable outil d'aménagement du territoire , de manière à ce qu'il permette d'attirer les investissements dans les territoires où, à la fois, les besoins de redynamisation sont les plus forts et la rentabilité des opérations faible.

Une mission inter-inspections est actuellement en cours pour évaluer la fiscalité Malraux et proposer des adaptations afin de répondre aux enjeux des petites villes et des villes moyennes.

Compte tenu des récents débats législatifs, qui ont mis en lumière les tensions persistantes entre les élus et les ABF , le renforcement du dialogue entre ces deux autorités en amont des projets patrimoniaux pourrait permettre de mieux servir les enjeux de rénovation urbanistique et d'aménagement de l'habitat tout en préservant le patrimoine . Une circulaire du ministre chargé de la culture du 6 juin 2018, adressée à l'ensemble des préfets de région et des directeurs régionaux des affaires culturelles, précise les modalités de concertation et d'échanges. Elle a été élaborée sur la base des conclusions d'un groupe de travail composé d'élus et d'ABF. Trois axes ont été définis afin que les ABF puissent accompagner pleinement les politiques de revitalisation des coeurs de ville, de restauration des quartiers anciens et de mise en valeur des espaces protégés, notamment les SPR et les abords de monuments historiques :

- l' amélioration de la prévisibilité des règles applicables : devraient être élaborés à cette fin des référentiels, des guides et des fiches conseil et l'adoption des périmètres intelligents des abords, destinés à se substituer au périmètre des 500 mètres dans un champ de co-visibilité avec le monument historique, devrait être accélérée ;

- la mise en place de la co-instruction et de la collégialité des avis pour les projets les plus sensibles, par une consultation régulière des commissions régionales du patrimoine et de l'architecture ;

- le développement de la médiation dans le cadre des recours formés contre les avis des ABF, en favorisant les possibilités de recours offertes aux demandeurs et en expérimentant la mise en place d'une médiation par l'un des élus siégeant au sein de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture (CRPA) lorsque le dialogue est bloqué.

À l'occasion d'une table ronde organisée avec les présidents des CRPA le 25 octobre dernier, votre commission de la culture a pu constater combien les outils mis en place par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, allaient dans la bonne direction et commençaient à porter leurs premiers fruits .

La présidence de la commission nationale et des commissions régionales par un élu a permis d'améliorer la qualité des échanges, de mieux préparer les réunions et d'améliorer l'équilibre entre ses différentes composantes, notamment à raison du rôle positif joué par les représentants des associations intéressées et les personnalités qualifiées. Si elle n'a pas encore été utilisée, la capacité d'auto saisine de la CRPA pourrait lui permettre à terme de jouer un rôle de réflexion stratégique en matière de protection du patrimoine et de l'architecture à l'échelle des territoires.

La consultation de la CRPA en cas de recours contre l'avis d'un ABF a contribué en plusieurs occasions à la reprise du dialogue entre l'élu et l'ABF et a permis, au final, de surmonter les blocages.

Sans doute les relations entre les élus locaux et les ABF pourraient-elles aussi s'améliorer si les ABF pouvaient davantage exercer leur fonction de conseil auprès des élus, en particulier dans les territoires ruraux. La réduction des effectifs au sein des unités territoriales de l'architecture et du patrimoine (UTAP) constitue aujourd'hui un frein au développement de ces missions, qui vient contrecarrer les efforts réalisés pour apprendre aux futurs ABF à mieux communiquer au sein de leur formation à l'école de Chaillot. C'est d'autant plus regrettable que l'expérimentation conduite en Bretagne, où les effectifs sont complets, en partenariat avec la conservation régionale des monuments historiques d'assistance gratuite à la maîtrise d'ouvrage auprès des petites communes a montré des résultats tout à fait positifs.

2. Garantir l'apport de financements privés

Si la création du loto en faveur du patrimoine a permis de confirmer l'intérêt des Français pour le patrimoine et de mobiliser largement en faveur de cette cause, les financements réunis par ce biais ne sont pas suffisants par rapport aux besoins en matière de restauration. La participation de la sphère privée au financement du patrimoine revêt, de ce fait, un enjeu majeur .

La France a la chance de jouir, en particulier depuis la loi du 1 er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite « loi Aillagon », d'un dispositif particulièrement incitatif pour encourager les dons des particuliers et des entreprises. Votre commission de la culture s'est d'ailleurs penchée cette année sur l'importance du mécénat pour le financement de la culture 3 ( * ) et a mis en exergue la nécessité de développer le mécénat dans sa dimension territoriale, particulièrement forte lorsqu'il est question de patrimoine. Elle a formulé une série de propositions en ce sens, parmi lesquelles l'amélioration des conditions offertes aux très petites et moyennes entreprises , dont l'engagement est aujourd'hui freiné par le fait que les versements effectués pour des dons ne sont pris en compte dans le calcul de la réduction d'impôt que dans la limite d'un plafond fixé à 0,5 % du chiffre d'affaires.

Les premiers échos relatifs à la tonalité du rapport rédigé par la Cour des comptes sur le mécénat des entreprises à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale sont, de ce point de vue, inquiétants . La Cour des comptes estimerait que ce dispositif constitue un vrai manque à gagner pour les finances publiques, d'autant moins acceptable que l'État ne dispose pas des moyens de mesurer les effets de sa politique et de quantifier l'apport du mécénat aux différents secteurs d'activité. La Cour des comptes proposerait d'instaurer des taux variables selon le type d'organismes bénéficiaires ou d'abaisser de 10 % à 20 % le taux de la réduction.

Compte tenu de ces éléments, il est probable que la réforme des dispositions relatives au mécénat soit inscrite au menu des discussions du projet de loi de finances pour 2020. Jusqu'ici, le ministre de la culture, Franck Riester, a loué le bien-fondé de ce dispositif. Lors de son audition par votre commission de la culture le 14 novembre dernier, il a souligné combien cet outil avait été jusqu'ici utile pour la culture et le patrimoine et a appelé à son maintien. Il ne s'était pas exprimé différemment en réponse à une question d'actualité posée par notre collègue Alain Schmitz le 26 octobre dernier sur ce même sujet et avait alors simplement évoqué la nécessité éventuelle d'améliorer le dispositif « en limitant un certain nombre de dérives qui auraient été constatées ou en ouvrant davantage le dispositif aux PME et TPE qui investissent localement dans le patrimoine et la culture ».

La participation des entreprises au financement de la culture est d'autant plus indispensable que l'année 2018 a vu un véritable effondrement des dons des particuliers , en raison des incertitudes liées à l'entrée en vigueur du prélèvement à la source à partir du 1 er janvier 2019 et la transformation de l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) par la loi de finances pour 2018. La Fondation du patrimoine indique ainsi avoir enregistré une baisse de 70 % du nombre de demandes de labels du fait de l'année blanche. Elle a aussi fait face à une baisse dans le niveau de sa collecte IFI de l'ordre de 60 % au début de l'été, annihilant totalement les hausses engrangées grâce à la notoriété croissante et l'engouement suscité par la mission « patrimoine en péril » sur les collectes réalisées grâce aux dispositifs fiscaux portant sur l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés.

La Fondation du patrimoine est déjà confrontée depuis plusieurs années à la baisse du produit des successions en déshérence , dont une fraction lui est attribuée en application de l'article L. 143-7 du code du patrimoine. Alors que cette ressource était encore de 11 millions d'euros en 2014, elle ne fait désormais plus que décroître : elle s'est établie à 8 millions d'euros en 2015, avant d'être de 6,5 millions d'euros en 2016, de 5 millions d'euros en 2017 et de 4 millions d'euros en 2018, en dépit du relèvement de 50 % à 75 % du taux du produit des successions en déshérence attribué à la Fondation du patrimoine en 2016. Le produit de cette taxe est pourtant indispensable pour permettre à la Fondation du patrimoine d'assumer ses dépenses de fonctionnement et accompagner les souscriptions en les abondant pour réduire la charge des collectivités territoriales et en effectuant le suivi des projets.

Ces évolutions inquiètent d'autant plus qu'elles interviennent alors que certaines sources de financement se sont déjà taries au cours des dernières années, qui profitaient jusqu'ici au petit patrimoine. La disparition de la dotation d'action parlementaire, plus connue sous le nom de « réserve parlementaire » , qui était souvent utilisée pour financer certains projets de restauration patrimoniale au niveau local et pallier les baisses de subvention des collectivités territoriales, a déjà fragilisé le secteur.

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Compte tenu de ces observations, votre rapporteur pour avis propose à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoines » de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2019.

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La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2019.


* 3 Rapport d'information n°691 (2017-2018) du 25 juillet 2018 de M. Alain Schmitz sur « le mécénat culturel : outil indispensable de la vitalité culturelle »

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