B. LA SÉCURITÉ CIVILE TERRITORIALE : LE PARENT PAUVRE DU BUDGET DE LA SÉCURITÉ CIVILE

1. La nécessité d'un effort de l'État, budgétaire et fiscal, en faveur des SDIS
a) Le besoin de mesures ciblées et concrètes en faveur de l'investissement des SDIS

Le programme Sécurité civile ne couvre, par définition, que les moyens en lien avec les services de la sécurité civile relevant de la compétence du ministère de l'intérieur et de la DGSCGC. En conséquence, les quelque 539 millions d'euros de crédits de paiement prévus par le projet de loi de finances pour 2019 ne représentent qu'une petite partie des moyens dont disposent l'ensemble des forces de sécurité civile à travers le territoire. À titre de comparaison, la somme des dépenses d'investissement et de fonctionnement de l'ensemble des SDIS s'est élevée à 4,8 milliards d'euros pour l'année 2017.

Depuis la départementalisation des services d'incendie et de secours en 1996 16 ( * ) , les conseils départementaux sont les premiers contributeurs au budget des SDIS. Pour l'année 2017, leur participation financière représentait 58 % du budget global, contre 42 % pour celle des communes et des EPCI 17 ( * ) .

Or, la contraction des moyens budgétaires des départements se conjugue depuis plusieurs années avec une augmentation tendancielle des dépenses de fonctionnement des SDIS, en lien direct avec l'augmentation de leur activité. La conséquence induite de ce mécanisme est une baisse des dépenses d'investissement des SDIS, malgré un léger rebond pour l'année 2017.

Évolution de dépenses cumulées d'investissement
et de fonctionnement de l'ensemble des SDIS
(en millions d'euros)
18 ( * )

Évolution du nombre d'interventions assurées en 2016
par les SDIS, la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris
et le Bataillon de marins-pompiers de Marseille

Source : Statistiques des services d'incendie et de secours
du ministère de l'intérieur, édition 2017 19 ( * ) .

De ce constat découlent deux nécessités complémentaires. La première est de mettre en oeuvre toutes les mesures permettant de diminuer les dépenses de fonctionnement des SDIS afin qu'ils puissent allouer une part plus importante de leurs moyens aux investissements. Cela suppose, d'une part, la rationalisation des moyens employés, d'autre part, la diminution de certains postes de dépenses, notamment fiscaux. La seconde nécessité consiste à dynamiser les investissements par des concours financiers directs et ciblés .

S'il ne concerne pas directement le budget des SDIS, le projet de loi de finances constitue un vecteur législatif adapté pour mettre en oeuvre d'éventuelles adaptations fiscales à destination des SDIS, et le vecteur exclusif pour toute mesure budgétaire propre à dynamiser leurs investissements.

b) L'attente forte d'une initiative du Gouvernement

Votre rapporteur considère que ces deux objectifs doivent être des lignes directrices incontournables dans la construction des projets de loi de finances, au même titre que le financement de la sécurité civile d'État. Ils sont directement en lien avec la sécurité civile du quotidien telle qu'elle existe à l'échelle des territoires, au plus proche des citoyens.

Les marges de manoeuvre budgétaires dont disposent les parlementaires sont faibles, en raison des règles de recevabilité financière de leurs amendements, ce qui leur impose souvent de devoir s'en remettre à l'initiative du Gouvernement.

La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) permet seulement, en effet, de moduler la ventilation des crédits budgétaires à l'intérieur d'une même mission 20 ( * ) . Cette modulation est délicate pour la mission Sécurités , pour deux raisons.

La première tient à la grande rigidité de ce budget, essentiellement composé de dépenses de personnel. Ainsi, les crédits relatifs au titre 2 demandés en 2019 correspondent à 85,7 % de l'ensemble des crédits de paiement et 82,1 % de l'ensemble des autorisations d'engagement 21 ( * ) .

La seconde raison est la nature particulièrement sensible de l'ensemble des quatre programmes qui composent la mission Sécurités : Police nationale, Gendarmerie nationale, Sécurité et éducation routières et Sécurité civile . À l'exception d'amendements d'appel, du même type que celui qui a été soutenu à titre individuel par votre rapporteur lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018 22 ( * ) , il est donc difficilement envisageable d'affaiblir un de ces programmes au profit d'un autre. La seule solution en réponse à un manque de moyens à l'échelle d'un programme réside dans l'augmentation globale des crédits alloués à la mission Sécurités , ce qui n'est pas autorisé aux parlementaires par la LOLF.

Or les initiatives prises par le Gouvernement pour soutenir l'investissement des SDIS sont loin d'être satisfaisantes.

2. Des mesures absentes ou non-appliquées
a) L'essoufflement de la dotation de soutien aux investissements structurants des services d'incendie et de secours

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, votre rapporteur avait dénoncé la baisse de 60 % du montant de la dotation de soutien aux investissements structurants des services d'incendie et de secours (DSIS), au point de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme.

La DSIS a été créée à la suite de la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) versée aux sapeurs-pompiers volontaires 23 ( * ) . Cette réforme a engendré une diminution significative du montant de la participation versée à ce titre par l'État aux départements, qui est passée de 32 millions d'euros en 2015 à 3,4 millions d'euros en 2017. Cette économie aurait dû être utilisée et sanctuarisée, au sein de la DSIS, pour financer des projets d'investissement des SDIS « présentant un caractère structurant, innovant ou d'intérêt national » 24 ( * ) .

Fixé à 25 millions d'euros dans la loi de finances pour 2017, le montant de la DSIS a été réduit à 10 millions d'euros dans la loi de finances pour 2018, alors même que les dépenses de l'État liées à la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance ne s'élevaient qu'à 3,8 millions d'euros 25 ( * ) . Le schéma retenu pour 2019 reste le même puisque seulement 10 millions d'euros seront consacrés à la DSIS, alors que le coût de la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance versée aux sapeurs-pompiers volontaires est estimé à 4,6 millions d'euros, soit 27,4 millions d'euros de moins que ce que l'ancien système coûtait annuellement à l'État jusqu'en 2015. Cette situation demeure inadmissible car la perte cumulée au détriment de l'investissement des SDIS s'élève désormais à 30 millions d'euros sur deux ans .

Ce constat est d'autant plus regrettable que 70 % des 10 millions d'euros alloués à la DSIS en 2019 sont destinés au seul projet NexSIS 18-112 (voir supra ). Seuls 3 millions d'euros seront comptabilisés en dépenses de fonctionnement et serviront à solder le financement des projets locaux retenus en 2017 26 ( * ) .

b) Peu d'efforts pour diminuer les dépenses

La gratuité des autoroutes pour les véhicules d'intérêt général prioritaires en opération : une entrée en vigueur différée dans l'attente d'un décret d'application

À l'initiative de notre collègue député Éric Ciotti, la loi de finances pour 2018 a prévu de rendre gratuites les autoroutes pour les véhicules d'intérêt général prioritaires 27 ( * ) .

Comme le soulignait notre collègue député : « Il existe un principe de gratuité du réseau autoroutier concédé pour les interventions effectuées par les services d'incendie et de secours (SDIS) sur celui-ci. Mais cette prise en charge n'est pas systématiquement assurée lorsque les véhicules des SDIS empruntent ce réseau pour tout autre déplacement opérationnel, notamment pour éteindre un incendie ou porter secours à une victime qui ne se trouve pas directement sur l'autoroute. Ce paiement des péages me paraît contraire à la mission de service public des SDIS. Décider d'imposer à toutes les sociétés concessionnaires d'autoroutes la gratuité pour l'ensemble des déplacements des véhicules d'intérêt général prioritaires, qu'il s'agisse de la police, de la gendarmerie, des pompiers ou du SAMU [Service d'aide médicale urgente] , aurait une portée symbolique » 28 ( * ) .

L'amendement de notre collègue avait été sous-amendé par M. Fabien Matras et plusieurs de ses collègues députés du groupe La République en Marche afin de préciser que le principe de gratuité ne s'applique qu'aux véhicules d'intérêt général prioritaires en intervention 29 ( * ) . Un article L. 122-4-3 a été inséré dans le code de la voirie routière, renvoyant ses modalités d'application à un décret en Conseil d'État. Ce décret devait notamment définir la notion d'intervention, celle de véhicule d'intérêt général prioritaire l'étant déjà par le code de la route 30 ( * ) .

Or, force est de constater que ce décret d'application n'a pas été publié, près d'un an après la promulgation de la loi de finances pour 2018, soit un délai deux fois supérieur à celui que se donne le Gouvernement pour rendre les lois applicables 31 ( * ) . Pour justifier ce retard, le ministre de l'intérieur a indiqué, lors de l'examen des crédits de la missions Sécurités à l'Assemblée nationale, que « le Conseil d'État avait rendu un avis précisant qu'il était interdit de solliciter des usagers de l'autoroute le financement de la gratuité qui serait accordée à un tiers, quel qu'il soit. Nous savons donc que, si nous prenons un décret pour appliquer la disposition législative telle qu'elle a été votée, il sera immédiatement invalidé. Il y a un problème juridique. J'ai également indiqué en commission des lois que nous étions en train de travailler sur d'autres dispositifs » 32 ( * ) . Par ailleurs, d'autres arguments ont été avancés, comme le risque de devoir couvrir le préjudice subi par les concessionnaires autoroutiers en cas de mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle de l'État 33 ( * ) .

Votre rapporteur appelle de ses voeux que le décret d'application manquant soit publié rapidement.

La nécessité d'exonérer partiellement les SDIS du paiement de la TICPE

Les SDIS sont redevables de plein droit de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) alors même que la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 rend possible une exonération partielle pour « les utilisations suivantes : les transports publics locaux de passagers (y compris les taxis), la collecte des déchets, les forces armées et l'administration publique, les personnes handicapées, les ambulances » 34 ( * ) . Certaines activités telles que les taxis bénéficient, à ce titre, de remboursements partiels de TICPE prévus par le droit national 35 ( * ) . La directive précitée prévoit, en outre, une possibilité d'exonération temporaire 36 ( * ) qui, elle non plus, n'est pas utilisée au bénéfice des SDIS en droit national.

Votre rapporteur juge difficilement compréhensible que des activités de transport bénéficient d'une fiscalité plus favorable que celle applicable aux SDIS alors qu'elles concourent moins à l'intérêt général et qu'aucun obstacle juridique ne semble s'opposer à un alignement. Cette situation est d'autant moins normale que le secours d'urgence à personnes représente une part significative et en perpétuelle hausse des interventions des SDIS (voir le graphique page 16). Pour l'année 2017, plus de 3 millions d'interventions de ce type ont été réalisées par des sapeurs-pompiers, soit autant de déplacements véhiculés.

Dans l'hypothèse très probable d'une augmentation de la TICPE, le maintien du statut actuel sera d'autant plus injuste en matière de carence ambulancière . Comme le relevait en 2016 votre rapporteur et notre collègue Pierre-Yves Collombat « le remboursement aux SDIS de leurs frais d'intervention pour carence du transport sanitaire s'effectue sur la base d'un forfait fixé à 118 euros pour 2015 37 ( * ) [121 euros pour l'année 2018] 38 ( * ) . Rapporté au coût moyen d'une sortie, 500 euros restent donc à la charge des SDIS. Ce différentiel peut donc peser fortement dans le budget de certains d'entre eux » 39 ( * ) . Sans remise en cause de la qualité de redevable des SDIS, une augmentation de la TICPE risque d'accentuer encore leur reste à charge.

C'est la raison pour laquelle votre rapporteur a, à titre individuel, déposé un amendement en première partie du projet de loi de finances pour 2019 tendant à permettre aux SDIS d'être remboursés d'une partie des montants versés au titre de la TICPE sur le gazole 40 ( * ) . Cet amendement ayant été adopté contre l'avis défavorable du Gouvernement, votre rapporteur souhaite que ce dernier s'engage à trouver des solutions allant dans le sens d'une diminution de la TICPE versée par les SDIS et permettant une diminution effective de leurs charges .


* 16 Loi n° 96-369 du 3 mai 1996 relative aux services d'incendie et de secours.

* 17 Statistiques des services d'incendie et de secours du ministère de l'intérieur, édition 2017, page 51, disponible à partir du lien suivant :

https://www.interieur.gouv.fr/Publications/Statistiques/Securite-civile/2016

* 18 Données issues des réponses au questionnaire budgétaire retraitées par la commission des lois.

* 19 Statistiques des services d'incendie et de secours du ministère de l'intérieur, édition 2017, page 6, disponible à partir du lien suivant :

https://www.interieur.gouv.fr/Publications/Statistiques/Securite-civile/2016

* 20 Article 47 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.

* 21 Données retraitées du projet annuel de performances de 2019 de la mission Sécurités , page 13.

* 22 Amendement de séance n° II-307 rect. bis déposé par Arnaud Bazin et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains. Cet amendement que son objet qualifiait « d'amendement d'appel » tendait à transférer 10 millions d'euros du programme Sécurité et éducation routières vers le programme Sécurité civile afin de compenser la baisse du même montant du fond de dotation de soutien aux investissements structurants des services d'incendie et de secours. Il avait été adopté avant que les crédits de la mission ne fussent rejetés par le Sénat.

* 23 Loi n° 2016-1867 du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires.

* 24 Article L. 1424-36-2.-I du code général des collectivités territoriales issu de l'article 17 de la loi du 27 décembre 2016 précitée.

* 25 Réponse au questionnaire budgétaire relatif au projet de loi de finances pour 2018.

* 26 Projet annuel de performance 2019 de la mission « sécurités », page 191.

* 27 Article 171 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

* 28 Extrait du compte rendu de la réunion de la commission des lois de l'Assemblée nationale du 26 octobre 2017.

* 29 Sous-amendement n° II-584.

* 30 Article R. 311-1 du code de la route.

* 31 Circulaire du Premier ministre du 29 février 2008 relative à l'application des lois.

* 32 Extrait du compte rendu intégral de la deuxième séance publique du mardi 6 novembre 2018.

* 33 Intervention d'Éric Ciotti, rapporteur pour avis de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le programme Sécurité civile , compte rendu n°9 de la commission des lois, réunion du jeudi 25 octobre à 10 heures.

* 34 Article 5 de la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE).

* 35 Article 265 sexies du code des douanes pour l'exonération applicable aux taxis.

* 36 Article 19 de la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE).

* 37 Arrêté du 30 novembre 2006 fixant les modalités d'établissement de la convention entre les services d'incendie et de secours et les établissements de santé sièges des SAMU mentionnée à l'article L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales, modifié par l'arrêté du 9 décembre 2014.

* 38 L'article 6 de l'arrêté du 30 novembre 2006 a depuis été modifié par un arrêté du 12 janvier 2018 qui actualise le montant indiqué dans le rapport.

* 39 Rapport d'information n° 24 (2016-2017), de Pierre-Yves Collombat et Catherine Troendlé Secours à personnes : proposition pour une réforme en souffrance. Ce rapport peut être consulté à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r16-024/r16-0241.pdf

* 40 Amendement N° I-16 rect. portant article additionnel après l'article 19.

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