Avis n° 141 (2019-2020) de M. Michel MAGRAS , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 21 novembre 2019

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N° 141

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2019

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2020 ,

TOME IV

OUTRE-MER

Par M. Michel MAGRAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas, présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool, vice - présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard, secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Bernard Buis, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, Agnès Constant, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mme Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Sylviane Noël, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, M. Jean-Claude Tissot.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 2272 , 2291 , 2292 , 2298 , 2301 à 2306 , 2365 , 2368 et T.A. 348

Sénat : 139 et 140 à 146 (2019-2020)

L'ESSENTIEL

Mesdames, Messieurs,

Les crédits des outre-mer proposés pour 2020 appellent une analyse et des propositions en deux temps.

Tout d'abord on constate une baisse qui signale un risque de récession pour l'économie ultramarine. En effet, le projet de budget des outre-mer pour 2020, dans sa version initiale, affiche une baisse des crédits dans les secteurs les plus sensibles pour l'économie de nos outre-mer :

- en ce qui concerne le logement, les dotations entérinent le ralentissement des opérations de construction et de réhabilitation ;

- et en matière d'emploi, les crédits consacrés aux allègements de cotisations sociales traduisent les anticipations pessimistes des caisses de sécurité sociale.

La commission des affaires économiques a appelé de ses voeux une « session de rattrapage » de ce budget. Dans l'immédiat, des mesures prises en loi de financement de la sécurité sociale peuvent améliorer l'emploi en permettant aux entreprises de retrouver un dispositif de réduction de charges plus attractif en comblant le manque à gagner consécutif à la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Dans les mois qui suivent, il faut aussi relever le principal défi qui est d'activer les crédits - nous le répétons depuis plusieurs années - et des solutions se profilent en matière de logement.

Sous réserve de la prise en compte de ces recommandations, il est apparu logique de se ne pas s'opposer à l'adoption des crédits de la mission outre-mer pour 2020.

Lors d'une réunion tenue le 20 novembre 2019, la commission des affaires économiques a émis, sur proposition de son rapporteur pour avis, un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « outre-mer » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2020.

EXAMEN DES CRÉDITS

I. LA BAISSE DES CRÉDITS POUR 2020 PRÉSENTE UN RISQUE DE RÉCESSION POUR NOS OUTRE-MER

A. L'ÉVOLUTION ET LE NIVEAU DES DOTATIONS DE LA MISSION OUTRE-MER

1. La fin d'une série d'augmentations qui traduisaient souvent des « modifications de périmètre » plus que des moyens supplémentaires.

J'observe, depuis bien des années, les efforts de nos Gouvernements pour présenter le budget des outre-mer sous un jour favorable, alors qu'il se résume, au-delà des apparences, à la reconduction depuis huit ans d'une enveloppe avoisinant 2 milliards d'euros.

La première leçon à en tirer est d'accorder une attention particulière aux « modifications de périmètre » : certaines sont parfaitement justifiées et d'autres moins.

À ce titre, il faut garder en mémoire le budget pour 2017, présenté quelques mois avant les élections présidentielles. Une dotation avait alors « voyagé » de la mission Éducation pour « atterrir » dans la mission outre-mer. Cela n'avait pas échappé à l'attention de la commission des affaires économiques mais certains ont pu croire à une véritable augmentation au moment du vote du budget des outre-mer. Puis, quelques semaines après, cette dotation a été réintégrée à sa place initiale.
Ce mouvement comptable aurait d'ailleurs pu faire « coup double » puisque l'année suivante, en « dégonflant » rétroactivement les crédits 2017 on aurait pu faire apparaître une hausse pour 2018. Il faut cependant rendre hommage à la ministre des outre-mer qui s'est alors gardée d'utiliser en sa faveur un tel effet d'optique.

Pour 2020, on doit reconnaître que l'engagement de sincérité budgétaire pris par le Gouvernement au début de la présente législature est respecté : les chiffres du « bleu budgétaire » indiquent clairement une baisse des crédits de 4 % en autorisations d'engagements et de 6,45 % en crédits de paiement, même si le Gouvernement s'efforce de trouver des qualificatifs rassurants, en parlant cette année d'un budget « préservé ».

Mon commentaire est plus lucide : ce budget démontre que les arbitrages gouvernementaux conduisent à demander aux ultra-marins de participer activement à l'effort de rigueur budgétaire alors qu'ils sont confrontés à des niveaux élevés de risques naturels et enregistrent un taux de chômage deux fois supérieur à celui de l'hexagone. Or le chômage est le principal facteur de pauvreté et l'histoire récente enseigne que les équilibres sociaux, institutionnels et démocratiques vacillent quand le chômage atteint un tel seuil.

Techniquement, le projet de budget pour 2020 prévoit deux principales modifications de périmètre, avec une sortie de 90,6 millions d'euros (en Autorisations d'Engagement et en Crédits de Paiement) et une entrée de 27 millions d'euros (AE=CP). Il convient de les analyser brièvement car ils illustrent la relation entre l'autonomie des collectivités et la technique budgétaire du prélèvement sur recettes .

- Le transfert sortant de 90,6 millions d'euros porte sur la dotation globale d'autonomie au bénéfice de la Polynésie française : le Gouvernement propose de la financer non plus sur l'action 6 « collectivités territoriales » mais par prélèvement sur les recettes de l'État (PSR), comme le prévoit l'article 23 du projet de loi de finances pour 2020.

Économiquement, il s'agit de compenser l'arrêt des activités du centre d'expérimentation du Pacifique. Concrètement, le Gouvernement a fait valoir que cette modification de « tuyauterie » permettra une plus grande liberté de manoeuvre pour les collectivités, ce que confirment les indications de la Cour des comptes figurant dans l'encadré ci-dessous.

Quelques indications sur les prélèvements sur recettes (PSR).

D'un point de vue juridique, les PSR ont pour principale caractéristique de déroger au principe d'universalité budgétaire. Portant, en droit, sur les recettes de l'État, ils sont traités en première partie des lois de finances.

L'article 6 de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 (LOLF) définit le régime et le statut des PSR. Ils ne peuvent pas être assimilés à des crédits budgétaires. L'état A annexé à l'article d'équilibre fait mention, sur la base de l'article 34 de la LOLF, d'une « évaluation » des prélèvements sur recettes. Dans le tableau d'équilibre du budget de l'État, ils ne sont pas considérés comme une dépense mais comme une moindre recette : une partie des recettes de l'État est prélevée et directement rétrocédée à des tiers bénéficiaires sans figurer dans la partie dépenses du budget. Les PSR dérogent au principe d'interdiction de création de nouvelles dépenses : les parlementaires disposent d'une certaine latitude, dans le respect des pouvoirs budgétaires du Parlement, pour modifier le montant et la répartition de ces prélèvements.

En cohérence avec le principe de libre administration , ces ressources ne peuvent être fléchées ; elles doivent donc se traduire par des versements ayant, une fois calculés, un caractère global et automatique et ne saurait être le support de contributions allouées par l'État dans un but déterminé et dans le cadre d'une politique qu'il conduit.

(Extraits de la Note d'analyse de l'exécution budgétaire 2017 - Prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales - Cour des Comptes)

- Le transfert entrant initialement prévu correspond à un cheminement inverse : le prélèvement sur recettes de 27 millions d'euros , qui compense la suppression d'une part de l'octroi de mer en Guyane, fait l'objet en 2020 d'une rebudgétisation sous la forme d'une dotation au profit de la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG), dont le versement sera conditionné à la réalisation des objectifs du plan de performance que la CTG doit mettre en place.

Cette modification, prévue par l'article 21 du projet de loi de finances pour 2020, prolonge une recommandation de la Cour des comptes tendant à soumettre cette allocation à des contraintes de gestion.

Cependant, le Sénat a adopté, en première partie de la loi de finances pour 2020, avec l'avis favorable du Gouvernement, un amendement de M. Georges Patient et du groupe La République En Marche tendant à rétablir le prélèvement sur les recettes de l'État au profit de la collectivité territoriale de Guyane, à un montant évalué à 27 millions d'euros pour 2020. En effet, la préparation d'une convention d'objectifs et de performance entre l'État et la collectivité territoriale de Guyane est en cours et devrait aboutir à la signature d'un accord de méthode dans les prochains jours.

Il s'agit là d'une mesure respectueuse de l'autonomie de la Guyane mais qui a pour effet de diminuer de 27 millions d'euros les crédits de la mission outre-mer.

2. Le niveau des dotations : une reconduction de 2 milliards d'euros auxquels s'ajoute, depuis 2019, le recyclage imparfait d'une ponction de 500 millions d'euros sur les outre-mer

Le niveau de 2,5 milliards d'euros de crédit correspond, en réalité, à la reconduction d'une traditionnelle enveloppe de 2 milliards à laquelle s'ajoute, depuis 2019, le recyclage imparfait d'une ponction de 500 millions d'euros.

Pour porter un jugement sur le budget des outre-mer et évaluer son impact économique réel, il convient de rappeler les raisons pour lesquelles, depuis l'an dernier, l'enveloppe budgétaire traditionnelle est passée de 2 à 2,5 milliards d'euros. Le tollé qu'a suscité le budget 2019 montre bien qu'il ne s'agissait pas d'une hausse de moyens mais plutôt :

• d'une reconduction des crédits, à hauteur de 2 milliards d'euros , avec des difficultés structurelles à les consommer ;

• assorti de deux recyclages incomplets de prélèvement fiscaux et du CICE :

- 170 millions d'euros de ponctions fiscales - 70 millions d'impôts sur le revenu des ménages et 100 millions sur les entreprises avec la suppression de la TVA non perçue-récupérable - reconverties en subventions, avec une garantie de pérennité de la part du Gouvernement ;

- et une « bascule » du CICE en allègements de cotisations sociales : 300 millions d'euros ont été ainsi intégrés dans le budget des outre-mer avec un manque à gagner de 66 millions d'euros reconnu par le Gouvernement et de 180 millions d'euros selon les calculs effectués pour le compte des entreprises ultramarines, sans doute parce que les calculs du Gouvernement se sont basés non pas sur le « CICE exigible » mais sur le « CICE constaté ».

Cette grille de lecture proposée l'an dernier est également un outil de compréhension de l'effet de ces crédits sur l'économie de nos outre-mer. En effet, sur des marchés par nature étroits, la réduction des encaisses des ménages et des entreprises ainsi que l'imparfaite compensation du CICE produisent, en bonne logique, des effets récessifs sur l'activité et l'embauche. De ce point de vue, il n'est donc pas surprenant que les organismes de sécurité sociale anticipent un moindre recours aux allègements de charges et la commission des affaires économiques appelle le Gouvernement à agir très vite pour rectifier le tir.

RÉCAPITULATIF GÉNÉRAL
DES CRÉDITS DE LA MISSION OUTRE-MER : 2019-2020

B. LES DÉPENSES FISCALES

Les rapports et avis budgétaires soulignent presque systématiquement que les dépenses fiscales rattachées à la mission outre-mer représentent environ le double des crédits et, numériquement, tel est le cas pour 2020 puisque les dépenses fiscales sont estimées à 4,6 milliards d'euros.

Plusieurs constats relativisent la portée de cette comparaison.

Tout d'abord, le montant des dépenses fiscales est très estimatif comme le signalent, année après année, le Gouvernement, la Cour des comptes et comme le constatent les acteurs ultramarins.

De plus, le total des dépenses fiscales suit une pente indiscutablement baissière qui correspond à une politique restrictive : 4,97 milliards d'euros en 2018, 4,74 milliards en 2019 et 4,6 milliards prévus pour 2020.

On observe également que les taux de TVA réduits et les exonérations de taxe intérieure de consommation applicables aux carburants représentent plus de 80 % de ces dépenses fiscales. Par conséquent, les avantages fiscaux plus particulièrement ciblés sur la construction et l'investissement productif sont nettement inférieurs au milliard d'euros et ce levier fiscal représente, dans les faits moins de la moitié des crédits budgétaires , et non pas le double.

Trois préconisations générales et récurrentes sur ces aides fiscales méritent d'être soulignées :

- fondamentalement, une préférence doit être accordée au soutien ciblé sur des projets précis d'investissements à long terme, avec une garantie de continuité de gestion par l'entrepreneur - par opposition aux « montages » éphémères ou sans impact économique réel ;

- pour le logement, les opérateurs de terrain insistent sur le fait que les aides fiscales jouent un rôle moteur dans la réhabilitation et il est donc pertinent de soutenir, en première partie de la loi de finances, l'amélioration des dispositifs ;

- enfin, il faut aussi introduire plus de précision dans certaines définitions et favoriser ce qu'on peut appeler le « fair play » juridique et fiscal. À titre d'exemple, pour cette année, précisons qu'il est souhaitable d'encourager les activités nautiques créatrices de valeur, comme la construction de navires, même si elles sont détachables du tourisme.

On doit également souligner la nécessité de ne pas « casser » la confiance des investisseurs et surtout de ne pas fragiliser les entrepreneurs de bonne foi sur la base d'interprétations administratives beaucoup trop sévères qui aboutissent à des sanctions disproportionnées : ainsi, le respect de l'obligation de dépôt des comptes est une garantie fondamentale mais il serait contreproductif de remettre en cause les déductions fiscales relatives à une opération en remontant indéfiniment dans le temps, et en se basant sur une simple erreur ou un retard justifié.

C. LA CONTRIBUTION DE L'ENSEMBLE DES MINISTÈRES : 22 MILLIARDS D'EUROS POUR LES OUTRE-MER SOIT ENVIRON 4 % DES CRÉDITS POUR 4,3 % DE LA POPULATION

Les divers rapports et avis budgétaires mentionnent également chaque année les calculs effectués dans le document orange de politique transversale qui totalise les crédits alloués aux outre-mer par les 90 programmes, relevant de 30 missions du budget de l'État. Ce document est une mine d'information de 432 pages et on doit se féliciter du changement apporté à sa présentation : on n'y parle plus guère d'« effort de l'État » pour les outre-mer mais de la nécessité de favoriser le « réflexe outre-mer » dans l'ensemble des ministères.

Les ultramarins ont longtemps ressenti une certaine stigmatisation dans l'interprétation parfois donnée à ce document. En effet, les 22 milliards d'euros qu'il retrace pour 2020 - ce chiffre étant stable par rapport aux années précédentes - correspondent à des services publics de base. Par exemple, l'application aux élèves ultramarins, comme à tous ceux de l'hexagone, de l'obligation scolaire représente plus du cinquième de ce montant. Au total, ces 22 milliards témoignent donc non pas d'une « faveur » mais d'une participation encore insuffisante de l'État au développement ultramarin : selon les estimations, les outre-mer représentent 4 % des dépenses du budget de l'État alors qu'elles concernent 4,3 % de la population. Il conviendrait d'ailleurs chaque année, pour autant que les statistiques le permettent, de préciser cette moyenne dans la documentation budgétaire pour combattre le préjugé tenace des outre-mer « budgétivores ».

II. DONNER PLUS DE PERCUSSION À CE BUDGET POUR 2020 : FAVORISER L'EMBAUCHE, RETENIR LES TALENTS ULTRAMARINS, INVESTIR ET ACTIVER LES CRÉDITS

Pour aller à l'essentiel, il convient de se concentrer sur les deux enjeux fondamentaux de ce budget des outre-mer : les allègements de charges pour favoriser l'emploi et les crédits au logement.

Les autres dotations sont pour l'essentiel reconduites, et on mentionnera simplement ici l'effort accru en matière de service militaire adapté (SMA) avec le lancement d'un plan « SMA 2025 » qui bénéficie de moyens ainsi que de 35 emplois supplémentaires afin d'améliorer la qualité de la formation et offrir aux jeunes des chances d'« employabilité durable ». La performance de ce dispositif est d'ores et déjà notable puisqu'il permet à 80 % des jeunes stagiaires de trouver un emploi et, au cours des auditions, la qualité de leur prestation au travail est régulièrement saluée par les entrepreneurs ultramarins.

A. RENFORCER LES ALLÈGEMENTS DE CHARGES POUR FAVORISER L'EMBAUCHE : LA NÉCESSITÉ DE MESURES IMMÉDIATES DE RATTRAPAGE EN LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

1. Une baisse des crédits qui sera limitée si l'emploi et le dispositif d'allègements s'améliorent

Avec 1,47 milliards d'euros en CP, les allègements de charges représentent à eux seuls plus de 60 % de ce budget 1 ( * ) . Ces crédits ne sont pas tout à fait comme les autres puisqu'il s'agit de rembourser à la Sécurité sociale le coût des exonérations spécifiques à l'outre-mer : le budget des outre-mer est donc ici un prolongement direct des décisions prises en loi de financement de la sécurité sociale.

En proposant pour 2020 une baisse de 35 millions d'euros de ces crédits, le Gouvernement précise qu'il se conforme aux prévisions de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) : celle-ci anticipe une baisse pour 2020 du montant des charges sociales dans les outre-mer.

Économiquement, il s'agit d'un signal de récession. Mécaniquement, une telle baisse ne peut provenir que d'une stagnation de l'embauche, d'un moindre recours aux allègements de charges existants ou d'une moindre efficacité du dispositif.

En sens inverse, une reprise de l'emploi ultramarin ou un élargissement des seuils ouvrant droit à des baisses de charges conduirait nécessairement le Gouvernement à ajuster ces crédits à la hausse. Cette ligne budgétaire n'est donc pas un plafond mais une estimation pessimiste et, pour la démentir, il convient de prendre les mesures nécessaires, si possible lors des débats en cours sur la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).

2. La difficulté de fond remonte à 2019, avec l'insuffisance du recyclage du CICE en allègements de cotisations sociales

Le problème posé par la baisse des crédits pour 2020 renvoie à l'application de la « bascule », décidée l'an dernier, du CICE - c'est-à-dire un crédit d'impôt qui relevait des lois de finances - en allègements de charges dont les modalités sont définies en LFSS.

Les entreprises ultramarines qui bénéficiaient d'allègements renforcés mais aussi d'un CICE majoré à 9 % ont subi un considérable manque à gagner dans ce recyclage. Chiffré par le Gouvernement à 66 millions d'euros l'an dernier, le manque à gagner est sans doute bien supérieur : 180 millions selon les évaluations conduites à la demande des acteurs ultramarins. L'explication de cette divergence réside sans doute dans le fait que le Gouvernement semble avoir basé ses estimations sur l'avantage de CICE « constaté » ; en conséquence, le calcul n'a sans doute pas pris en compte des entreprises ultramarines qui avaient droit au CICE mais ne remplissaient pas les formulaires pour en bénéficier.

Pour limiter ce manque à gagner, le Sénat avait adopté 18 mesures de rééquilibrage dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019. Certains ont pu en craindre un coût élevé mais la prévision des organismes de sécurité sociale qui anticipent une inquiétante baisse du recours aux allègements pour 2020 démontrent le caractère minimaliste et insuffisant de ces ajustements.

Les termes du débat économique sous-jacent doivent être rappelés car l'enjeu est fondamental pour l'avenir de la structuration économique des territoires ultramarins.

Selon les modèles économétriques, la concentration des allègements sur les bas salaires permet normalement de « booster » l'emploi rapidement mais, à long terme, on constate, à l'évidence, un effet de « smicardisation » de la société française - et plus encore pour les outre-mer.

Il est donc à moyen et long terme préférable et nécessaire de favoriser un modèle économique ultramarin de « montée en gamme ». Or, pour développer certains secteurs économiques exposés et offensifs, il faut faciliter l'embauche de salariés très compétents et endiguer la fuite des jeunes diplômés. Les meilleurs experts des économies ultramarines rappellent que ces territoires ont avant tout besoin d'entrepreneurs et citent l'exemple de jeunes réunionnais qui ont créé des entreprises à succès en s'expatriant.

Enfin, les travaux les plus récents ont introduit l'idée que, dans les années 2000, l'industrie allemande a gagné en compétitivité grâce à des allègements concentrés sur les bas salaires du secteur abrité ce qui, par ricochet, a abaissé le coût des services à l'industrie. Mais à la différence des outre-mer, l'Allemagne avait déjà un outil industriel solide bien en place et n'a pas dû affronter une fuite de ses ingénieurs diplômés.

Symptomatiquement, le Gouvernement attribue au « manque d'ingénierie » une part importante de responsabilité dans le ralentissement de la construction de logements dans les outre-mer, ce qui confirme la nécessité du relèvement des seuils de salaires ouvrant droit à allègements de cotisations.

3. Les mesures de rattrapage approuvées lors de la navette du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020

Deux avancées ont été introduites par les députés.

D'une part, l'Assemblée nationale, a approuvé l'inclusion du secteur de la presse parmi les secteurs éligibles au régime de compétitivité renforcée d'exonération des charges sociales patronales spécifiques applicables aux entreprises de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion. (Art. 8 quater du PLFSS).

D'autre part, les députés proposent, dans le barème dit de compétitivité renforcée de rehausser :

- le point d'inflexion des exonérations de charges sociales patronales de 1,7 SMIC à 2 SMIC ;

- et le seuil de sortie du régime des exonérations de charges sociales qui passerait de 2,7 SMIC à 3 SMIC (Art. 8 quinquies du PLFSS).

Le Gouvernement a évalué le coût de cette mesure à 35 millions d'euros, et précisé qu'il sera compensé par des crédits budgétaires du ministère des outre-mer.

La fin du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et le régime d'exonération de charges en vigueur, issu de la LFSS pour 2019.

En Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion, la réforme a abouti à la définition de trois barèmes d'exonération ; les débats en cours se concentrent sur les deux dispositifs suivants, destinés à favoriser l'embauche de salariés qualifiés, en particulier dans les secteurs exposés à la concurrence.

- Le régime de compétitivité concerne les petites entreprises de moins de 11 salariés : les exonérations déclinent à partir de 1,3 SMIC et s'annulent à 2,2 SMIC. Par dérogation les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) seraient éligibles au régime de compétitivité, même au-delà de 11 salariés. L'avantage consenti aux outre-mer se traduit par une exonération totale jusqu'à 1,3 SMIC avec le même champ de cotisations que le droit commun.

- Le régime de compétitivité renforcée : les exonérations déclinent à partir de 1,7 SMIC et s'annulent à 2,7 SMIC. Il s'applique aux entreprises de moins de 250 salariés, ayant réalisé un chiffre d'affaires de moins de 50 millions d'euros et actives dans les secteurs suivants : industrie ; restauration ; environnement, agronutrition et énergies renouvelables ; nouvelles technologies de l'information et de la communication et centres d'appel ; pêche, cultures marines, aquaculture ; agriculture ; tourisme, y compris les activités de loisirs s'y rapportant du nautisme ; hôtellerie ; recherche et développement. Le régime s'applique également aux entreprises bénéficiaires du régime de perfectionnement actif (ce qui vise principalement la réexportation) défini à l'article 256 du règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013 établissant le code des douanes de l'Union.

Les collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy font l'objet d'un dispositif spécifique, codifié à l'article L. 752-3-3 du code de la sécurité sociale.

Le Sénat, en première lecture du PLFSS pour 2020, et avant de repousser l'ensemble du texte, a approuvé - contre l'avis de la commission saisie au fond et contre l'avis du Gouvernement - un amendement visant à relever, dans le régime de compétitivité renforcée, les seuils de dégressivité et d'extinction de l'exonération des cotisations patronales en les portant respectivement de 1,7 SMIC à 2,2 SMIC et de 2,7 SMIC à 3 SMIC.

J'ai rappelé lors de la séance publique du 13 novembre 2019, que cet élargissement poursuit trois objectifs :

- éviter une structuration de l'économie des outre-mer autour des métiers peu qualifiés ;

- combler le déficit d'encadrement et d'ingénierie ;

- remédier à la perte de compétitivité des entreprises des secteurs exposés, du fait de l'augmentation de leurs cotisations, mesurée par rapport au régime dont elles bénéficiaient antérieurement.

Compte tenu de l'équilibre des « forces » politiques, le projet de loi de financement de la sécurité sociale définitivement adopté ne retiendra probablement que les dispositions introduites en première lecture par les députés, ce qui se traduirait mécaniquement, pour le budget des outre-mer, par une « session de rattrapage » en LFSS bien réelle mais limitée à 40 millions d'euros.

B. UN IMPÉRATIF : ACTIVER LES CRÉDITS LOGEMENT ET CONTRECARRER LA BAISSE DE LA CONSTRUCTION AINSI QUE DE LA RÉHABILITATION

S'agissant du logement, le fait essentiel est que, depuis plusieurs années, on constate la baisse des chiffres de la construction dans les outre-mer. Ce constat a même fini par reléguer au second plan la question de l'évolution des crédits de la Ligne budgétaire unique (LBU) puisque les dotations ne sont pas suffisamment consommées. Comme l'a indiqué la ministre, pour 2020, les crédits de paiement de la LBU baissent de plus de 13 %, à 190 millions d'euros, pour « s'ajuster » à cette sous-consommation.

Or, le logement est la base de la vie familiale et c'est un facteur d'attractivité pour les étudiants ; le logement des seniors est également une préoccupation croissante, en particulier aux Antilles qui connaissent un vieillissement démographique accéléré. Économiquement, le BTP est un secteur vital pour nos outre-mer et il s'écroule sur certains territoires comme La Réunion.

Que faire pour inverser cette tendance baissière dramatique ?

Je rappelle tout d'abord, que pour répondre aux besoins, l'objectif a été fixé de façon claire et réaliste au moment du vote de la loi dite égalité réelle : 15 000 logements par an construits ou réhabilités - j'insiste sur ce terme. C'est un point de repère opérationnel et qui avait été considéré comme minimaliste par certains ; mais on ne l'atteint pas et, plus inquiétant encore, on s'en éloigne : 9267 en 2017 et 8508 en 2018.

Ensuite, la délégation aux outre-mer a élaboré des propositions de fond pour adapter les normes de construction et les matériaux à la spécificité des outre-mer. Le Gouvernement y est attentif pour réduire les coûts et prendre en compte le vieillissement accéléré des infrastructures en climat tropical.

Nos avis budgétaires ont également préconisé, année après année, un parcours administratif des dossiers de construction plus fluide, car les remontées de terrain signalent des blocages, des lenteurs et des labyrinthes qui accaparent trop de temps.

Pour 2020, l'accent est mis sur le renforcement de l'ingénierie et le présent projet de budget propose d'y consacrer au total 13 millions d'euros. Pour donner un contenu concret à ce terme d' « ingénierie » souvent prononcé comme une formule magique, j'ai auditionné les opérateurs de terrain, et, en particulier la Caisse des dépôts qui augmente ses participations dans le capital des organismes locaux.

J'en tire trois principales préconisations :

- la situation du logement ultramarin est critique et exige des mesures fortes de gestion du parc existant et de mobilisation du potentiel de construction. Dans ce contexte, nous n'avons guère d'autre choix que de parier sur la compétence et la « signature » d'opérateurs dont l'efficacité reconnue permettra sans doute un raccourcissement des procédures d'instruction administrative des dossiers ;

- sur certains territoires, la priorité donnée au développement de l'offre s'est sans doute effectuée au détriment de l'entretien et de la réhabilitation du parc, dans un contexte climatique difficile. Face à des taux d'inoccupation excessifs, la réhabilitation et la sécurisation des logements existants est une priorité et nous l'avons inscrite, comme telle, dans la loi ;

- enfin, la dynamique de reprise doit associer les opérateurs locaux pour bénéficier de leur savoir-faire irremplaçable et de leur capacité à territorialiser les projets de construction. S'agissant des PME du BTP en très grande difficulté, le « small business act ultramarin » (« Stratégie du bon achat ») que nous avons introduite en loi EROM devra être activé pour les associer systématiquement aux opérations de grande ampleur.

En conclusion, ce budget 2020 était mal parti en octobre mais il bénéficie, à ce stade, de perspectives de rattrapage en loi de financement de la sécurité sociale, avec un élargissement des seuils d'exonération, et à l'occasion du débat sur le projet de loi de finances pour 2020. Le soutien positif de la ministre des outre-mer à ce rééquilibrage justifie, à mon sens, notre encouragement sous forme d'un avis favorable.

Ma conviction profonde est que l'offensive économique crée du lien social et de la confiance, à condition d'être portée par un élan territorial ultramarin et « accompagnée » par un État qui doit refreiner ses tentations centralisatrices.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 20 novembre 2019, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits relatifs aux outre-mer du projet de loi de finances pour 2020.

M. Michel Magras , rapporteur pour avis . - Les crédits proposés en 2020 pour les outre-mer appellent deux séries d'observations : tout d'abord, on constate une baisse qui signale un risque de récession pour l'économie ultramarine ; j'avais évoqué ce risque dès l'an dernier mais les mesures prises en 2019 pourraient prendre leur plein effet cette année
- j'y reviendrai. Cependant, une « session de rattrapage » de ce budget est en cours : en effet, certaines mesures approuvées en projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) peuvent améliorer la donne. Je précise qu'avant de repousser le PLFSS dans son ensemble sur la question des retraites, le Sénat y avait introduit un amendement qui prévoit très opportunément d'élargir les seuils d'exonérations de charges. Par ailleurs, dans les prochains mois, il faudra aussi relever le principal défi budgétaire qui est d'activer les crédits, en particulier dans le secteur du logement.

Ma première série de remarques porte sur l'évolution et le niveau des crédits. J'ai suivi ce budget pendant douze ans et c'est la première fois que je vois des crédits des outre-mer en diminution : auparavant on nous avait presque toujours présenté les chiffres sous un jour favorable. J'en tire deux principales leçons. Tout d'abord, il faut faire très attention aux changements de périmètre dans ce budget des outre-mer qui est très « composite ». Les outre-mer émargent bien entendu sur la quasi-totalité de la trentaine de missions du budget de l'État. Cependant, la mission outre-mer stricto sensu se limite à deux programmes et il suffit de faire varier leur périmètre pour faire apparaitre une hausse ou une baisse. Le plus bel exemple nous a été donné par la loi de finances 2017 : quelques mois avant des élections majeures, le budget des outre-mer a été artificiellement « gonflé » en décembre, grâce à une dotation qui a réintégré la mission « Éducation » quelques semaines après le vote. L'année suivante, on pouvait également faire croire à une hausse en dégonflant rétroactivement la base de calcul de l'année 2017...

Cette année, la documentation budgétaire me semble plus sincère avec une baisse marquée de 6,5 % en crédits de paiements et de 4 % en autorisations d'engagements.

Je mentionne quelques changements de périmètre qui concernent surtout la Polynésie et la Guyane avec un va-et-vient entre des dotations et des prélèvements sur recettes. J'attire votre attention sur le fait que ces modifications de « tuyauterie » ne sont pas neutres pour la liberté de manoeuvre des collectivités car les prélèvements sur recettes sont libres d'emploi alors que les dotations sont conditionnées et leur gestion relève assez largement des représentants de l'État.

Le Gouvernement s'efforce de trouver des qualificatifs rassurants, en parlant cette année d'un budget « préservé », avec, « à périmètre constant », une baisse des crédits de paiement limitée à 100 millions d'euros dont 34 millions « rattrapables » en loi de financement de la sécurité sociale et 66 qui sanctionnent la sous-consommation des crédits les années précédentes. Je reviendrai sur ces deux points.

J'ajoute un commentaire un peu plus lucide : ce budget démontre, une fois encore, que les arbitrages gouvernementaux conduisent à demander aux ultramarins de participer activement à l'effort de rigueur budgétaire alors qu'ils sont confrontés à des niveaux élevés de risques naturels et enregistrent un taux de chômage deux fois supérieur à celui de l'hexagone.

En ce qui concerne le niveau de ce budget, l'essentiel se résume, en fait, à la reconduction depuis huit ans d'une enveloppe avoisinant 2 milliards d'euros avec des crédits insuffisamment utilisés sur le terrain. J'ai entendu le Gouvernement faire valoir que l'enveloppe 2020 de 2,5 milliards d'euros se situe à un niveau historiquement élevé. Je rappelle que ce seuil a été atteint l'année dernière non pas dans l'enthousiasme mais avec un tollé de critiques d'une intensité rarement atteinte. En effet, les 500 millions supplémentaires correspondent d'une part, à la bascule du CICE en allègements de charges, avec un manque à gagner important, et d'autre part à la transformation de ponctions fiscales récurrentes en subventions par nature aléatoires et centralisatrices mais dont le Gouvernement nous avait garanti la pérennisation ; il s'agit de 100 millions d'euros sur les entreprises et 70 millions sur les ménages. Quand nous demandons au Gouvernement les modalités concrètes de réemploi de ces sommes, on nous répond que l'année en cours n'étant pas terminée, il nous faudra patienter jusqu'à l'année prochaine...

Sur des marchés ultramarins par nature étroits, la réduction des encaisses des ménages et des entreprises ainsi que l'imparfaite compensation du CICE produisent, en bonne logique, des effets récessifs. Je ne suis donc pas surpris des prévisions des organismes de sécurité sociale qui anticipent un moindre recours aux allègements de charges et le Gouvernement lui-même a compris qu'il fallait agir très vite pour rectifier le tir.

Pour relativiser l'importance des crédits, les rapports et avis budgétaires soulignent que les dépenses fiscales rattachées à la mission outre-mer représentent environ le double du budget. Or le montant des dépenses fiscales est très estimatif et elles obéissent à une politique restrictive : 5 milliards d'euros en 2018 et 4,6 milliards prévus pour 2020. J'ajoute que les taux de TVA réduits et les exonérations de taxe sur les carburants représentent plus de 80 % de ces dépenses fiscales. Par conséquent, il reste moins de 20 % pour les soutiens fiscaux plus particulièrement ciblés sur la construction et l'investissement productif.

S'agissant des préconisations sur ces aides fiscales : fondamentalement, je rappelle ma préférence pour le soutien ciblé sur des projets précis d'investissements à long terme. Ensuite, pour le logement, les opérateurs de terrain insistent sur le fait que les aides fiscales jouent un rôle moteur dans la réhabilitation et qu'il est donc pertinent de les perfectionner et, Madame la Présidente, comme vous l'avez rappelé, nous avons convaincu le Gouvernement qu'il fallait rétablir l'aide à l'accession à la propriété. Enfin, il faut aussi introduire plus de précision dans certaines définitions et favoriser ce qu'on peut appeler le « fair play » juridique et fiscal pour pas « casser » la confiance des investisseurs et ne pas fragiliser les entrepreneurs de bonne foi.

On cite également chaque année les calculs effectués dans le document orange de politique transversale qui totalise les crédits alloués aux outre-mer par les 30 missions du budget de l'État. Je me félicite du changement apporté à sa présentation : on ne parle plus d'« effort de l'État » pour les outre-mer mais de la nécessité de favoriser le « réflexe outre-mer » dans l'ensemble des ministères. Je précise que les 22 milliards d'euros qu'il retrace - ce chiffre étant stable par rapport aux années antérieures
- correspondent à des services publics de base. Il s'agit non pas d'une « faveur » mais d'une participation encore insuffisante de l'État au développement ultramarin avec 3,9 % des dépenses du budget de l'État pour 4,3 % de la population.

Je vous propose, dans le second axe de mon exposé, des mesures immédiates et des propositions pour donner plus de percussion à ce budget pour 2020 : favoriser l'embauche, retenir les talents ultramarins, investir et activer les crédits.

Par souci de brièveté, je me concentrerai sur les deux points fondamentaux : les allègements de charges et les crédits au logement.

Les autres dotations sont, pour l'essentiel, reconduites et je mentionne ici simplement l'effort accru en matière de service militaire adapté (SMA) : la performance de ce dispositif est remarquable puisqu'il permet à 80 % des jeunes stagiaires de trouver un emploi et, au cours des auditions, la qualité de leur prestation au travail est régulièrement saluée par les entrepreneurs ultramarins.

J'en viens aux allègements de charges qui représentent à eux seuls plus de 60 % des crédits. Le budget des outre-mer est donc ici un prolongement des décisions prises en loi de financement de la sécurité sociale.

Aujourd'hui le problème posé renvoie à l'application de la « bascule », décidée l'an dernier, du CICE (un crédit d'impôt qui relevait des lois de finances) en allègements de charges (relevant du PLFSS) : à la base, le CICE à 9 % été transformé en un allègement de charges de 6 %. S'y ajoute le rabotage des exonérations qui avaient été introduites par la loi dite Ledeom : elles favorisaient l'embauche jusqu'à 3 voire 4 smic alors que le nouveau dispositif a concentré les allègements sur les bas salaires avec un risque de « smicardisation » et de fuite des talents. Les entreprises ultramarines ont donc subi un considérable manque à gagner dans ce recyclage. Cette année, les députés ont adopté en PLFSS une mesure de rattrapage présentée par le Gouvernement et le Sénat a approuvé le 13 novembre dernier un rehaussement des seuils d'exonérations dans les secteurs exposés à la concurrence. J'espère que cette mesure, qui a été adoptée par le Sénat contre l'avis de la commission et du Gouvernement, pourra être sauvegardée au cours de la navette qui va suivre l'échec de la commission mixte paritaire.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je rappelle que des articles additionnels ne pourront pas être introduits en nouvelle lecture du PLFSS : il sera donc difficile de sauvegarder les mesures en faveur des outre-mer que le Sénat a tenté d'introduire à l'article 8 quinquies dans la troisième partie consacrée aux recettes et à l'équilibre de la sécurité sociale.

M. Michel Magras , rapporteur pour avis . - S'agissant du logement, le fait essentiel est que, depuis plusieurs années, nous constatons la baisse des chiffres de la construction dans les outre-mer. Comme l'a indiqué la ministre, pour 2020, les crédits de paiement de la LBU baissent de plus de 13 %, à 190 millions d'euros, pour « s'ajuster » à la sous-consommation des crédits.

Je rappelle que pour répondre aux besoins, nous nous battons pour obtenir des crédits LBU et, de plus, l'objectif a été fixé de façon claire et réaliste au moment du vote de la loi dite égalité réelle : 15 000 logements par an construits ou réhabilités pour le seul rattrapage du retard accumulé. On ne l'atteint pas et, plus inquiétant encore, on s'en éloigne : 9 267 en 2017 et 8 508 en 2018. On nous dit que les opérateurs ne vont pas assez vite et que les crédits ne sont pas consommés mais l'État crée des organismes et des avis supplémentaires - avec des notions assez subjectives d'intégration dans le paysage, par exemple - qui viennent, avant ou après l'obtention du permis de construire, retarder le processus, si bien que les mois passent et qu'on ne parvient pas en temps utile à consommer les crédits ouverts en loi de finances. Pendant ce temps, à La Réunion, les entreprises du BTP sont contraintes de jeter l'éponge les unes après les autres et le secteur s'effondre. Nos avis budgétaires ont constamment préconisé un parcours administratif des dossiers de construction plus fluide, mais tel n'est pas suffisamment le cas.

Je rappelle également que la délégation aux outre-mer a élaboré des propositions de fond pour adapter les normes de construction et les matériaux à la spécificité des outre-mer. Le Gouvernement semble y être attentif pour réduire les coûts et prendre en compte le vieillissement accéléré des infrastructures en climat tropical.

Pour 2020, l'accent est mis sur le renforcement de l'ingénierie avec, au total, 13 millions d'euros. Pour donner un contenu concret à ce terme, j'ai auditionné les opérateurs de terrain et, en particulier une filiale de la Caisse des Dépôts (CDC) qui augmente ses participations dans le capital des organismes locaux. Il y a trois ans, l'État, considérant que sa mission n'est pas d'intervenir directement dans la construction de logements sociaux, a cédé ses participations dans les Sociétés d'économie mixtes (SEM) ultramarines à la Société nationale immobilière (SNI) rebaptisée en 2018 CDC Habitat. Cette recomposition s'accompagne d'une volonté de redressement mais ce nouvel opérateur ne doit pas être, à son tour, freiné dans son action et j'insiste sur la nécessité de ne pas perturber les autres opérateurs locaux qui doivent être accompagnés dans leur mission.

La situation du logement ultramarin est donc critique et exige des mesures fortes de gestion du parc existant et de mobilisation du potentiel de construction. Dans ce contexte, nous n'avons guère d'autre choix que de parier sur la compétence et la « signature » d'opérateurs dont l'efficacité reconnue permettra, je l'espère, un raccourcissement des procédures d'instruction administrative.

Sur certains territoires, face à des taux d'inoccupation excessifs, la réhabilitation et la sécurisation des logements existants sont une priorité et nous l'avons inscrite, comme telle, dans la loi.

Enfin, la dynamique de reprise doit associer les opérateurs locaux pour bénéficier de leur savoir-faire et de leur capacité à territorialiser les projets de construction. S'agissant des PME du BTP en très grande difficulté, le « small business act ultramarin » (« Stratégie du bon achat ») que nous avons introduite en loi EROM devra être activé pour les associer systématiquement aux opérations de grande ampleur.

En conclusion, ce budget 2020 était assez mal parti en octobre et la séquence de rattrapage pour l'adapter et de le muscler à travers le PLFSS est compromise. Cependant, cette année comme les précédentes, face aux réticences de Bercy, le soutien positif de la ministre des outre-mer aux mesures de rééquilibrage que nous proposons, justifie, à mon sens, notre encouragement sous forme d'un avis favorable.

Ma conviction est que l'offensive économique crée du lien social et de la confiance, à condition d'être portée par un élan territorial ultramarin et « accompagnée » par un État qui doit refreiner ses tentations recentralisatrices. L'année prochaine, je prévois dès à présent un débat budgétaire sur ces crédits beaucoup plus difficile : j'y resterai attentif, mais de loin...

Mme Sophie Primas , présidente . - Je remercie vivement M. Michel Magras pour son exposé et, s'agissant de son allusion finale, nous verrons plus tard...

Mme Catherine Conconne . - Je remercie le groupe socialiste de m'avoir confié, une fois encore, le chef de fil pour l'examen de ce budget. Je souligne que non seulement je ne milite pas pour la notion d'outre-mer mais encore je m'y oppose. J'en parle en l'appelant « ladite outre-mer » et j'attends le moment où on décidera d'arrêter de nous enfoncer dans un frac, un habit qui n'a aucun sens. Je ne suis pas « ultramarine », je ne vis pas dans les « outre-mer » et par respect pour tous les territoires, je préfère que chacun des élus puissent en parler de façon spécifique. C'est, pour moi, un postulat et j'espère qu'un jour l'idéologie qui sous-tend cette perception de nos territoires changera car tout ceci se rattache à la persistance d'un ministère des Colonies. Je n'ai jamais eu l'occasion de me rendre sur un certain nombre de territoires du Pacifique et je ne connais pas leurs besoins et je ne me sens pas vraiment habilitée à parler au nom de ces peuples envers qui j'ai un profond respect. Parler de ce budget me met donc particulièrement mal à l'aise.

J'ai écouté très attentivement, pendant toute cette matinée, les problèmes industriels bancaires et de la politique de la ville qui ont été évoqués par nos rapporteurs budgétaires pour avis. Je vous laisse imaginer la taille XXL des difficultés que nous vivons sur nos territoires éloignés. En matière bancaire, par exemple, nous subissons une double contrainte avec des établissements de crédit qui prennent en compte non seulement le risque entrepreneurial mais aussi un risque territorial. Je vous laisse également imaginer la difficulté voire l'impossibilité de parler d'industrialisation.

Nous examinons aujourd'hui un budget qui se limite, en fait, à deux principaux sujets - les exonérations de charges sociales et le logement
- même s'ils sont habillés dans une « tenue sexy », avec, par exemple, l'appellation « conditions de vie » du programme 123. Pour ma part, je ne loue pas le SMA : c'est mieux que rien mais j'estime que les jeunes de mon pays méritent mieux que six à huit mois de formation pour ensuite gagner des bribes de salaires dans des entreprises ou des chantiers d'insertion. Comme l'a rappelé notre rapporteur et président de la délégation de « ladite outre-mer », notre ministre se bat pour défendre nos intérêts et j'éprouve de la compassion pour tous ceux qui s'évertuent à trouver des solutions et changer le regard porté sur nos territoires.

L'exercice auquel nous devons nous livrer, en examinant ce budget, est extrêmement compliqué et plus encore cette année. C'est pourquoi, en plagiant le tire d'un célèbre film, j'ai demandé, en séance publique : « Mais qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu » ? L'année dernière tous les « bouts de gras » fiscaux dont nous pouvions bénéficier ont été décapités. Encore pire, cette année, on voit le prolongement du mécanisme par lequel, avec cette manne collectée par l'État, on semble dire aux outre-mer : « vous allez payer vous-même pour sortir de votre sous-développement ». Mais ce n'est pas en prélevant quelques millions d'euros sur nos contribuables et en les recyclant qu'on va pouvoir combler les énormes écarts par rapport à la moyenne que l'on constate, en particulier en Guyane et à Mayotte.

Je remercie une fois de plus la Présidente Sophie Primas et Mme Dominique Estrosi Sassone d'être venues en Martinique pour constater elles-mêmes que parfois, en croyant récupérer des sommes minimes, on fait tomber en cascade des processus nécessaires à l'amélioration de l'habitat. Je viens d'ailleurs d'alerter une nouvelle fois le Gouvernement sur la situation de l'habitat insalubre dans le quartier de la Petite-Rivière-Salée car on m'avait promis une réponse en octobre dernier.

Je remercie également tous mes collègues qui visitent de plus en plus nos territoires et reviennent pour témoigner de la situation inacceptable qu'ils constatent : hier, de retour de Guyane, mes collègues se sont étonnés que nous restions si modérés face aux conditions révoltantes dans lesquelles nous vivons. Je vous appelle donc à aller sur place : les voyages sont une cure de jouvence et permettent de ressentir personnellement l'ampleur des difficultés et à rester à nos côtés quand nous proposons des solutions ; c'est la meilleure forme de respect que vous puissiez nous accorder. Nous sommes français mais nous ne sommes pas vraiment la France compte tenu des écarts que nous connaissons et qu'aucune région hexagonale n'accepterait.

Je conclus mon propos en rappelant que « la relation qu'on a avec quelqu'un dépend du regard qu'on lui porte »

M. Marc Daunis . - Je me sens également un peu ultramarin puisque que mon territoire, à la pointe de l'hexagone, s'ouvre sur la méditerranée.

S'agissant de la question du logement, qui est centrale, j'avoue que la baisse de 13 % des crédits me parait incompréhensible par rapport aux enjeux et aux besoins. Je rappelle que ces territoires doivent faire face aux évolutions démographiques, à des tensions de plus en plus fortes sur le foncier et doivent être accompagnées pour réorienter le développement de l'urbanisme. La baisse des crédits consacrés au logement dans ce budget des outre-mer est d'autant plus dommageable que le secteur du BTP joue un rôle d'entrainement pour l'économie locale. Ne devrait-on pas proposer un réaménagement des crédits comme nous l'avons fait pour d'autres missions budgétaires ? Je conclus en remerciant notre collègue Michel Magras pour cet excellent rapport.

Mme Dominique Estrosi Sassone . - Je rappelle d'abord que le Gouvernement a tout de même rétabli l'APL-accession pour les outre-mer : c'est le moins qu'il pouvait faire et, lorsque notre collègue Catherine Conconne nous a fait visiter les quartiers dont elle a parlé, nous avons bien vu qu'une telle mesure était indispensable pour permettre la réalisation de projets d'accession à la propriété et l'amélioration de cet habitat particulièrement indigne et insalubre.

Dans l'hexagone, le Gouvernement s'obstine à ne pas rétablir cet APL-accession et nous soutiendrons un amendement tendant à le rétablir, ce qui représente une somme limitée à 50 millions d'euros. J'attire votre attention, et tout particulièrement celle de nos collègues des outre-mer, sur le fait que tout ceci est conditionné par la mise en place du revenu universel d'activité. Je suis opposée à l'inclusion des APL dans ce revenu universel mais le ministre ne nous a pas rassurés sur ce point lorsqu'il a répondu à nos interrogations et j'appelle donc à la vigilance sur les évolutions à venir.

M. Michel Magras , rapporteur pour avis . - Je reconnais que nous sommes les seuls français à relever d'un ministère de tutelle avec des services administratifs qui, en principe, contrôlent la régularité juridique des actes pris dans les outre-mer. Cependant, en pratique, la plupart des sujets font nécessairement l'objet d'un examen par les divers ministères spécialisés puis de discussions interministérielles : cela se traduit par des pertes de temps et on finit par s'interroger sur la nécessité de maintenir le ministère des outre-mer. Quoiqu'il en soit, je me suis toujours considéré comme un sénateur de la République.

S'agissant du SMA, tout en comprenant les appréciations de notre collègue, je fais observer, d'une part, qu'il ne concerne qu'environ 6 000 jeunes en difficulté par an sur une population totale de 2,7 millions d'ultramarins et, d'autre part, que les remontées de terrain témoignent de l'efficacité de la formation qui est dispensée en marge du système éducatif traditionnel.

S'agissant des crédits de la LBU, qui passent de 220 à 190 millions d'euros, la ministre justifie cette baisse par une somme de 30 millions d'euros qui a été rétrocédée par La Réunion. Bien entendu, nous sommes très vigilants sur les évolutions budgétaires et fiscales : c'est d'ailleurs une des qualités des ultramarins, ce qui ne veut pas dire qu'ils parviennent à obtenir satisfaction à chacune de leurs demandes.

J'en termine en indiquant que j'ai également proposé d'émettre un avis favorable par cohérence avec la position prise par la commission des finances.

Mme Catherine Conconne . - Je constate que lorsque La Réunion rend des crédits on les supprime alors qu'ils auraient pu être utilisés par d'autres territoires. Le groupe socialiste s'abstiendra sur les crédits de la mission « outre-mer » en relevant le traitement budgétaire un peu « croupion » de territoires qui méritent mieux.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « outre-mer ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Vendredi 11 octobre 2019

- Ministère des outre-mer : Mmes Raphaëlle SEGUIN, conseillère chargée du budget, de l'investissement public, du logement, du développement territorial et des infrastructures maritimes et Sandra-Élise REVIRIEGO , conseillère parlementaire en charge des relations avec les élus des associations, de la jeunesse et du sport,.

Vendredi 18 octobre 2019

- Union sociale pour l'habitat : Mme Sabrina MATHIOT , directrice de l'outre-mer.

- Fédération des Entreprises des Outre-mer : M. Laurent RENOUF , directeur des affaires économiques et fiscales, Mme Mélinda JERCO , chargée de mission Antilles, Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon.

Lundi 21 octobre 2019

- Caisse des dépôts et consignations Habitat : MM. André YCHÉ, président du Directoire , Philippe POURCEL , directeur général adjoint en charge des SIDOM et Mme Anne FRÉMONT , directrice de cabinet.


* 1 Ces allègements sont inclus dans le programme 138 « emploi outre-mer ». La « mission outre-mer » que l'on appelle parfois « budget », par commodité de langage, se compose de ce programme 138 et du programme 123 « conditions de vie outre-mer ».

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