C. LES PERSPECTIVES : L'AAH EST-ELLE SOLUBLE DANS UN REVENU UNIVERSEL D'ACTIVITÉ ?

1. Un minimum social qui répond à des besoins spécifiques

En tant que minimum social, l'AAH est incluse dans la réflexion en cours sur la création d'un revenu universel d'activité (RUA). Dans cette perspective, le Gouvernement s'est fixé une ligne directrice : « l'ensemble des montants dédiés aujourd'hui aux personnes en situation de handicap doit continuer à bénéficier au secteur du handicap ». Ceci ne garantit pas que les bénéficiaires de l'AAH verront leurs droits maintenus à l'issue de la réforme.

En dépit du rapprochement amorcé ces dernières années, l'AAH conserve de nombreuses spécificités par rapport à un minimum social de droit commun , qui tiennent aux besoins particuliers du public visé. Fin 2017, 55 % des allocataires avaient un taux d'incapacité de 80 % ou plus et 45 % avaient un taux d'incapacité compris entre 50 % et 79 % assorti d'une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi (RSDAE). 17 % étaient salariés, pour la plupart en ESAT 37 ( * ) .

Il s'agit notamment des mécanismes d'abattement , rappelés plus haut, applicables aux revenus de l'allocataire et à ceux du conjoint pour déterminer les ressources prises en compte. En particulier, l'abattement de 80 % sur la part des revenus de l'allocataire inférieurs à 30 du smic brut peut permettre à des personnes lourdement handicapées de bénéficier d'un intéressement à l'exercice d'une activité en milieu ordinaire sur une durée hebdomadaire réduite.

Il est à noter que les indemnités de fonction des élus locaux pourront également se cumuler avec l'AAH dans les mêmes conditions que les rémunérations tirées d'une activité professionnelle, un amendement au projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique ayant été adopté en ce sens au Sénat.

On peut par ailleurs mentionner :

- pour les allocataires travaillant en ESAT, la possibilité de cumuler intégralement la rémunération garantie avec l'AAH tant que le total ne dépasse pas 100 % du smic brut mensuel (1 521,22 euros) pour une personne seule ; au-delà, le montant de l'AAH est réduit à due concurrence ;

- la prise en compte de l'AAH en tant que revenu professionnel pour la détermination de la prime d'activité , sous réserve que les revenus professionnels mensuels de l'allocataire atteignent au moins vingt-neuf fois le smic horaire 38 ( * ) , soit 290,87 euros en 2019.

Les bénéficiaires de l'AAH bénéficient enfin de droits connexes spécifiques, tel le bénéfice de l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés (OETH) 39 ( * ) .

2. Des marges d'optimisation du soutien apporté aux personnes handicapées à revenus modestes

Votre rapporteur pour avis est très réservé à l'égard d'une absorption de l'AAH dans le futur RUA et, plus généralement, de la convergence vers le droit commun de prestations qui ont initialement été conçues pour répondre aux besoins de publics spécifiques . En particulier, les économies d'échelle engendrées par la conjugalité peuvent difficilement être évaluées sans considérer la situation de handicap de l'un des membres du couple. Il en est de même de la prise en compte des revenus professionnels, s'agissant de personnes confrontées par construction aux plus grandes difficultés pour s'insérer ou se maintenir dans l'emploi.

En revanche, compte tenu des recoupements entre le handicap et l'invalidité, il semble pertinent d'envisager dans ce cadre une unification de l'AAH et de l'ASI , comme le suggère la Cour des comptes 40 ( * ) . Un tel regroupement permettrait de simplifier les démarches des allocataires, qui sont aujourd'hui contraints de demander l'ASI puis l'AAH quand ils en remplissent les conditions, l'AAH étant subsidiaire par rapport à l'ASI.

Dans le souci d'améliorer la situation des personnes invalides les plus modestes, il serait également intéressant d' inclure les pensions d'invalidité , inscrites dans une logique contributive mais très faibles lorsque l'invalidité survient en début de carrière, dans la réflexion sur la réforme des minima sociaux.

En outre, l'intégration de l'AAH dans cette réflexion peut permettre de corriger certains défauts de l'allocation, qui n'apporte pas à ses bénéficiaires une aide suffisamment individualisée.

L'AAH est une allocation différentielle de nature solidariste, non une prestation compensatoire du coût de la perte d'autonomie ; à ce titre, il est justifié que les ressources du foyer soit prises en compte dans la détermination du droit à l'allocation et de son montant. En revanche, que le niveau du soutien additionnel apporté aux personnes de conditions de vie modestes lorsqu'elles sont en situation de handicap dépende largement de la situation familiale des intéressés , comme tendent à le montrer les calculs de France Stratégie 41 ( * ) , ne répond à aucune logique évidente .

Il en va de même de l'intéressement à l'exercice d'une activité professionnelle par les allocataires de l'AAH. Les règles de cumul entre l'AAH et la prime d'activité 42 ( * ) peuvent avoir des effets contradictoires, comme tend à le montrer le graphique ci-dessous qui montre l'évolution du revenu global d'une personne seule en fonction de ses revenus d'activité exprimés en fractions du smic net.

Un allocataire de l'AAH est fortement encouragé à commencer une activité professionnelle en milieu ordinaire. En effet, les revenus professionnels ne sont pas pris en compte pendant les six premiers mois pour le calcul de l'AAH. Durant cette période, l'allocataire perçoit donc l'intégralité de son AAH. Après six mois, le revenu consolidé du travailleur handicapé peut être significativement réduit.

Note : le smic net mensuel vaut 1 203 euros.

Source : Commission des affaires sociales

Il apparaît que, sous l'effet combiné de l'AAH et de la prime d'activité, la courbe des revenus consolidés du bénéficiaire est presque horizontale à partir de 30% du smic, autour d'un revenu de 1 500 euros net ( cf . graphique ci-dessus). On en déduit qu' après six mois de travail en milieu ordinaire, une personne handicapée bénéficiaire de l'AAH est très peu rétribuée lorsque sa quotité s'approche d'un temps complet , à un niveau de salaire proche du smic. Il convient d'ajouter qu'une telle situation est par nature précaire puisqu'une personne exerçant une activité professionnelle pour une durée de travail supérieure ou égale à un mi-temps, sans rencontrer de difficultés disproportionnées liées au handicap pour s'y maintenir, n'est pas dans une situation compatible avec la reconnaissance d'une RSDAE et ne peut donc plus bénéficier de l'AAH si son taux d'incapacité est inférieur à 80 % 43 ( * ) , ce qui peut paradoxalement mettre en péril son insertion.

Enfin, si votre rapporteur est réservé à l'égard des propositions tendant à supprimer toute prise en compte des revenus du conjoint pour le calcul de l'AAH 44 ( * ) , cette suppression pourrait être envisagée pour les personnes bénéficiant ou ayant bénéficié d'une ordonnance de protection , afin de favoriser l'autonomie des personnes handicapées victimes de violence au sein de leur famille. Un récent rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat a, en effet, fait état d'une surexposition des femmes handicapées aux violences qui peut être aggravée par le manque d'autonomie financière de ces personnes 45 ( * ) . Plus généralement, la prochaine réforme pourrait constituer l'occasion d'introduire une simplification de la prise en compte des situations de rupture familiale , celles-ci entraînant le plus souvent des pertes de ressources préjudiciables aux personnes les plus précaires.


* 37 Source : Drees.

* 38 À défaut, le montant de l'AAH est déduit de la prime d'activité.

* 39 Art. L. 5212-13 du code du travail.

* 40 Rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, Cour des comptes, 2019.

* 41 Cf. Concertation sur le revenu universel d'activité - Fiche thématique handicap, 19 septembre 2019.

* 42 Cf. infra (III) pour les modalités de calcul de la prime d'activité.

* 43 Art. D. 821-1-2 du code de la sécurité sociale.

* 44 Il est rappelé que la commission des affaires sociales a rejeté, en octobre 2018, une proposition de loi déposée par Mme Laurence Cohen et plusieurs de ses collègues tendant à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le versement de l'AAH.

* 45 Rapport d'information n° 14 (2019-2020) de M. Roland Courteau, Mmes Chantal Deseyne, Françoise Laborde et Dominique Vérien, fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 3 octobre 2019.

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