DEUXIÈME PARTIE - RECHERCHE

Le budget 2020 de la recherche revêt une dimension particulière puisqu'il a pour horizon la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) , dont l'examen au Parlement est prévu pour l'année prochaine et l'entrée en vigueur, pour 2021.

2020 est donc une année charnière pour la recherche et le projet de budget du Gouvernement en est l'expression. Il ne contient ni mesure structurelle, ni virage financier, mais s'inscrit dans la continuité de la trajectoire budgétaire haussière déployée depuis 2017. Ainsi, la somme des budgets des sept programmes « recherche » de la Mires s'élève, en 2020, à 12,1 milliards d'euros en crédits de paiement , soit une augmentation de 2,46 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2019.

Bien que positive et louable, cette progression n'est toutefois pas de nature, selon votre rapporteur pour avis, à enclencher une véritable dynamique permettant non seulement de rassurer le monde de la recherche, mais aussi d'appuyer sur l'accélérateur dès 2021. La stabilisation de la dotation du programme 172 , qui finance les principaux opérateurs de recherche, est particulièrement révélatrice de cette occasion manquée .

Ce contexte attentiste suscite, chez nombre d'acteurs de la recherche que votre rapporteur pour avis a reçus, au mieux, une impatience mêlée d'inquiétude, au pire, une déception teintée de colère. Les attentes sont si fortes que la loi de programmation devra être à la hauteur , au risque sinon d'une rupture encore plus profonde, et peut-être même irréparable, avec le monde de la recherche.

En vue de ce prochain texte, votre rapporteur pour avis a souhaité consacrer un développement particulier à deux sujets . D'une part, la revalorisation du statut des chercheurs, qui est une problématique centrale pour l'avenir du système de recherche français. D'autre part, le rôle respectif des instituts Carnot et des sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) dans la maturation des projets de recherche, la fonction de passerelle entre le monde de la recherche et celui de l'industrie étant fondamentale.

I. UN ENGAGEMENT EN FAVEUR DE LA RECHERCHE QUI NE TRADUIT CEPENDANT PAS L'AMORÇAGE D'UNE STRATÉGIE AMBITIEUSE

A. UN BUDGET ALLOUÉ AUX GRANDS OPÉRATEURS DE RECHERCHE GLOBALEMENT STABLE

Des sept programmes « recherche » de la Mires, le programme 172 « Recherche pluridisciplinaire » est celui qui concentre la plus grande partie des crédits . Pour l'essentiel, il est destiné à verser la subvention pour charge de service public aux grands instituts nationaux de recherche comme le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Agence nationale de la recherche (ANR), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), le nouvel Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), etc. Seul le Centre national d'études spatiales (CNES) n'entre pas dans son périmètre, mais dans celui du programme 193 (cf. I. B.).

En 2020, la dotation en crédits de paiement du programme 172 ne connaît pas d'évolution notable par rapport à celle de 2019 : son montant est stabilisé à 6,9 milliards d'euros .

À la veille de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), l'absence de coup de pouce budgétaire sur ce programme pourtant au coeur de la politique de recherche, n'est, selon votre rapporteur pour avis, pas un bon signal envoyé à ce secteur , qui aurait eu besoin de l'amorçage d'un véritable virage financier.

Elle salue toutefois certains choix comme le renforcement des moyens de l'ANR et le soutien au nouvel INRAE.

1. Un renforcement des crédits d'engagement de l'Agence nationale de la recherche (ANR) qui ne règle toutefois pas plusieurs questions liées au financement des appels à projets

• L'ANR est l'opérateur principal de financement de la recherche sur projets en France . Ses priorités stratégiques, définies dans son plan d'action 2020, correspondent à celles retenues par l'État et dont certaines sont mises en oeuvre à l'aide de plan gouvernementaux : intelligence artificielle, technologies quantiques, antibiorésistance, autisme, sciences humaines et sociales...

Après plusieurs années de baisse continue entre 2007 et 2015, la subvention qui lui est versée connaît, depuis 2016, une progression régulière .

Depuis 2017, le Gouvernement s'est engagé à continuer d'augmenter les crédits d'engagement alloués à l'Agence . Il est ainsi prévu que ceux-ci atteignent 714,6 millions d'euros en 2020, soit une hausse de 30,1 millions d'euros .

Votre rapporteur pour avis juge toutefois regrettable que cette augmentation soit si peu lisible dans les documents budgétaires 16 ( * ) en raison, selon les informations transmises par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche, et de l'innovation, d'un « resoclage des crédits ».

• En outre, elle rappelle que les crédits d'engagement de l'ANR sont amputés, chaque année, du montant équivalent à la réserve de précaution , dont le taux était encore de 8 % en 2019 , bien que le Gouvernement se soit engagé, en 2018, à l'abaisser à 3 %. Pour 2020, aucune information claire et précise n'a été délivrée quant au taux qui sera appliqué . Alors que le président-directeur général de l'ANR, auditionné par votre rapporteur pour avis, tablait sur une baisse de 8 % à 3 %, le ministère a laissé entendre que le taux pourrait, en fait, être fixé à 4 % (cf. II. A. 1.).

• L'application d'un taux de réserve élevé est d'autant plus dommageable que le renforcement des crédits d'engagement de l'ANR a pour objectif d'améliorer le taux de sélection des appels à projets, sujet majeur pour l'Agence . Un taux de sélection trop faible conduit en effet à écarter de très bons projets et alimente le découragement des chercheurs, voire parfois leur opposition au principe même du financement de la recherche sur projets.

Grâce aux efforts réalisés depuis 2016, le taux de sélection a augmenté d'année en année, et se situe aujourd'hui autour de 16 %. Les marges de progression restent toutefois encore grandes au regard des taux enregistrés par les grandes agences de recherche étrangères, compris entre 20 % et 40 %. L'atteinte d'un taux de l'ordre de 25 % est l'un des défis auxquels devra s'atteler la future LPPR .

• Au-delà de l'augmentation du taux de sélection, se pose aussi la question des règles de calcul du « préciput » ou « overhead » . Celui-ci correspond à une somme attribuée forfaitairement à l'organisme hébergeant un porteur de projet et destinée à prendre en compte les frais de fonctionnement - ou coût indirects - liés à la mise en oeuvre de ce projet.

L'ANR verse actuellement aux établissements hébergeurs un préciput à hauteur de 11 % des aides attribuées aux projets . Un complément est également alloué au titre des frais de gestion, plafonné à 8 % des dépenses éligibles (c'est-à-dire les dépenses qui financent les moyens nécessaires à la réalisation du projet au-delà des frais éligibles au préciput).

Au regard des standards internationaux, ce taux principal de 11 % apparaît très insuffisant : il est, par exemple, de 25 % au niveau européen. Son relèvement fait donc partie des sujets sur lesquels la LPPR devra se pencher .

• Enfin, la hausse du financement moyen des projets est une autre question à approfondir dans le cadre de la future loi. Ces dernières années, le montant moyen de financement a eu tendance à s'éroder et à passer sous la barre des 500 000 euros. Or cette évolution oblige les chercheurs à chercher des co-financements auprès d'autres acteurs, ce qui est source de complexité de gestion et de perte de temps.

Deux exemples de comités d'évaluation d'appels à projets

À l'occasion de l'audition de l'ANR, votre rapporteur pour avis s'est entretenue avec deux présidents de comités d'évaluation , l'un basé à Nice et spécialisé dans les technologies quantiques, l'autre installé à Saclay et orienté sur la chimie.

Ces comités sont chargés, au terme d'une procédure longue (durée de six mois environ) et rigoureuse (deux stades de sélection, recours à des évaluations internes et des expertises externes, droit de réponse des porteurs de projets) de sélectionner les projets présentés. L'intégrité scientifique et éthique est une condition essentielle à leur bon fonctionnement et à leur légitimité.

Le comité axé sur les technologies quantiques , secteur particulièrement porteur, enregistre un taux de sélection de 25 %, qui pourrait être le taux-cible à atteindre en moyenne nationale . Le critère principal de sélection est l'excellence scientifique . Le choix est souvent difficile car tous les projets présentés sont de grande qualité. Les porteurs, qui ont souvent montés leur dossier seuls, décrivent leurs objectifs scientifiques, leur méthodologie et leur plan de financement. Les projets retenus trouvent généralement un débouché dans l'industrie, sachant que les petites et moyennes entreprises (PME) se montrent plus accessibles que les grands groupes, lesquels hésitent, paradoxalement, à s'investir dans des projets risqués.

Le comité spécialisé en chimie , qui étudie environ 150 dossiers par an, connaît un taux de sélection moins élevé, plus proche de la moyenne enregistrée par l'ANR. Dans ce secteur aussi, les débouchés industriels auprès des PME et des start-up fonctionnent bien. Les grands groupes sont peu présents, à l'inverse de ce que l'on constate en Allemagne par exemple. La qualité des projets étant globalement très bonne , la sélection est difficile à opérer. Certains porteurs, qui se sont vu refuser leurs projets, ont parfois du mal à en comprendre les raisons. L'augmentation du taux de sélection constitue donc un objectif important.

À l'issue de cette première familiarisation avec le fonctionnement des comités, votre rapporteur pour avis prévoit d'assister, l'année prochaine, à des séances de sélection pour mieux en appréhender les critères et les modalités.

2. Le déploiement du plan national pour l'intelligence artificielle coordonné par un Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) en plein renouveau stratégique

• Au sein du programme 172, les moyens dévolus au « pilotage et à l'animation » enregistrent une hausse en 2020 de plus de 50 millions d'euros, pour partie liée au déploiement de plans prioritaires et de programmes incitatifs, au premier rang desquels le plan national pour l'intelligence artificielle (IA) lancé en mars 2018 par le Président de la République et coordonné par l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA).

Son financement est ainsi porté à 38 millions d'euros en 2020 , en hausse de 21 millions d'euros par rapport à 2019. Ce plan prévoit notamment, d'ici 2022, la mise en place d'instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle (les « 3IA »), le développement d'un programme doctoral en IA et de chaires d'attractivité internationale.

• L'IA fait partie des sujets définis comme prioritaires par l'INRIA qui, plus globalement, a pour ambition de devenir « l'outil de la souveraineté et de l'autonomie stratégique numérique de la Nation » .

Alors que sa subvention pour charge de service public n'évolue que très peu en 2020 (174,9 millions d'euros contre 173,9 millions en 2019), l'INRIA entre dans un nouveau cycle stratégique , comme en témoigne le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2019-2023 , adopté très récemment.

Sur cette période, l'INRIA se donne trois axes stratégiques :

- maintenir son excellence scientifique , en revitalisant son modèle original d'équipes-projets (à l'inverse d'autres organismes de recherche, l'INRIA ne dispose pas de personnels dédiés : son fonctionnement repose sur des équipes pluridisciplinaires et partenariales constituées autour de projets) ;

- renforcer son impact économique , d'une part, en privilégiant les groupes français pour sa politique de partenariats industriels - choix que votre rapporteur pour avis trouve particulièrement courageux et pertinent -, d'autre part, en encourageant la création de start-up technologiques ;

- accroître son apport aux politiques publiques , notamment dans les domaines de la sécurité et de la défense, et dans le cadre de son rôle de coordination du plan IA.

Par ailleurs, lors de l'audition de son président-directeur général, votre rapporteur pour avis a été très intéressée d'apprendre que l'INRIA menait des initiatives particulièrement volontaristes en matière de place des femmes dans les équipes de recherche (politique de discrimination positive assumée ayant pour objectif de multiplier par trois le nombre d'équipes dirigées par une femme) et de sensibilisation des jeunes, notamment des filles, à ce secteur (plan « un scientifique - une classe » consistant à faire venir des scientifiques dans des classes de seconde pour leur parler de la recherche). De telles actions sont assurément des exemples qu'il convient de promouvoir.

3. Un protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » insuffisant au regard du décrochage salarial des chercheurs

Les crédits du programme 172 dévolus aux moyens généraux d'appui à la recherche enregistrent une hausse de plus de 60 millions d'euros, dont une partie (28 millions d'euros) servira à financer la poursuite du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) 17 ( * ) pour les personnels des opérateurs de recherche .

Les mesures et moyens de ce PPCR , dont le champ couvre l'ensemble des fonctionnaires de l'État, ne sont clairement pas adaptés à la situation particulière des chercheurs qui, en matière de rémunération, sont en décrochage par rapport à des cadres de la fonction publique de niveau équivalent.

Comme elle l'avait déjà exprimé l'année dernière, votre rapporteur pour avis estime qu' il y a urgence à agir sur cette question : il en va de l'avenir de l'attractivité du métier de chercheur et de la reconnaissance par la Nation de ce dernier (cf. II. B. 1.).

4. Une enveloppe spécifique attribuée aux laboratoires de recherche bien loin de leur redonner les marges de manoeuvre nécessaires

Pour la troisième année consécutive, une enveloppe spécifique de 25 millions d'euros est attribuée aux laboratoires de recherche pour augmenter leurs dotations dites « de base » , libre ensuite à eux d'orienter ces moyens en fonction de leurs priorités.

Sur cette somme, 5 millions d'euros sont fléchés vers la recherche en sciences humaines et sociales, les 20 millions restants étant répartis entre les principaux organismes de recherche, parmi lesquels le CNRS avec 10,6 millions d'euros et l'Inserm avec 2 millions d'euros.

Votre rapporteur pour avis précise toutefois que cette enveloppe, présentée par le Gouvernement comme une mesure de soutien budgétaire, n'est en réalité qu'un financement en gestion, lié à un moindre niveau des mises en réserve . Il ne s'agit en aucun cas d'une revalorisation des dotations de « base » qui leur aurait permis de dégager de vraies marges de manoeuvre budgétaires.

Ce dispositif ne fait que révéler la nécessité de remettre à plat la structure de financement des organismes de recherche à l'occasion de la LPPR (cf. II. A. 3.).

5. La fusion de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement (IRSTEA) : une opération intelligemment menée

Au 1 er janvier 2020, l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement (IRSTEA) fusionneront pour donner naissance au nouvel Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE).

Le principe du rapprochement entre ces deux instituts, aux champs d'intervention complémentaires, a été arrêté en septembre 2018. La nouvelle structure, qui comptera plus de 11 400 agents, a vocation à être le leader mondial de la recherche dans les domaines de l'agriculture, de l'alimentation et de l'environnement .

Votre rapporteur pour avis constate avec satisfaction que cette opération, qui repose sur un vrai projet scientifique , n'est pas sacrifiée sur l'autel de la régulation budgétaire . Elle en veut pour preuve, d'une part, l'absence de fermeture de site, d'autre part, la démarche de convergence « vers le haut » des statuts des personnels et des dotations de base des unités de recherche des deux établissements. Lors de son audition, le président directeur général de l'INRA a ainsi expliqué que les économies liées à la fusion des deux instituts seront réinjectées dans les dotations de base des unités de recherche de l'IRSTEA afin qu'elles rattrapent le niveau de celles des unités de l'INRA.

Cette politique, ambitieuse et responsable, est accompagnée par les deux ministères de tutelle (ministère de l'enseignement supérieur et ministère de l'agriculture), qui confirment leurs engagements respectifs en 2020 : sont ainsi inscrits au projet de loi de finances 2,5 millions d'euros au titre du premier ( programme 172 ) et 1,8 million d'euros au titre du second ( programme 142 ).


* 16 La présentation des autorisations d'engagement et des crédits de paiement attribués à l'ANR fait en effet apparaître une diminution de 1,9 million d'euros pour les premiers et de 121,5 millions d'euros pour les seconds. Selon les informations transmises par le ministère, la diminution des autorisations d'engagement est liée à la remise à plat du taux de mise en réserve qui se traduit par un « resoclage » des crédits inscrits. En pratique, les capacités d'engagement de l'ANR, bien qu'en légère baisse dans les documents budgétaires, devraient continuer à croître en 2020.

* 17 Conclu en 2016, le PPCR, dont la mise en oeuvre est étalée de 2016 à 2020, vise à mieux reconnaître les qualifications des fonctionnaires et à leur garantir des carrières plus valorisantes.

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