C. DES CRÉDITS IMMOBILIERS EN FORTE PROGRESSION

Les crédits immobiliers de l'administration pénitentiaire s'inscrivent en forte hausse en 2020, en raison notamment de la mise en oeuvre du programme « 15 000 », qui vise à l'ouverture de 15 000 nouvelles places de prisons à l'horizon 2027. Ils atteignent, en crédits de paiement, un montant de 327,4 millions d'euros , en hausse de 34 % par rapport à 2019.

Au sein de cette enveloppe, 180,6 millions d'euros serviront à financer les opérations de construction confiées à l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ). Établissement public administratif sous tutelle du ministère de la justice et du ministère de l'action et des comptes publics , l'APIJ a pour mission de construire, rénover et réhabiliter les palais de justice, les établissements pénitentiaires, les bâtiments des services de la protection judiciaire de la jeunesse et les écoles de formation du ministère.

Les travaux de dimension plus modeste restent gérés par les services déconcentrés qui disposeront à cette fin d'une enveloppe de 146,8 millions d'euros, consacrée principalement à des opérations de rénovation, entretien et maintenance des établissements existants et à la poursuite de leur mise en accessibilité.

1. La poursuite du programme « 15 000 »

Le programme comprend deux tranches : la livraison de 7 000 places de prison d'ici à la fin de l'année 2022 ; pour les 8 000 autres places, le Gouvernement s'est engagé à ce que les procédures débutent avant la fin de 2022, afin que ces places soient livrées au plus tard fin 2027. Son objectif est principalement de réduire la surpopulation carcérale dans les maisons d'arrêt et de créer de nouvelles structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), destinées à accompagner les détenus pour faciliter leur réinsertion.

La capacité carcérale de la France, de 60 000 places en 2017, passerait ainsi à 75 000 places à la fin du programme , soit une augmentation de 25 % en dix ans.

En 2020, la plus grande partie (144,8 millions) des crédits alloués à l'APIJ sera, logiquement, affectée au financement de la première tranche des travaux : 117,8 millions pour la construction de nouveaux établissements pénitentiaires (Lutterbach, Bordeaux, Caen, Troyes, Baumettes 3, Baie-Mahaut, Basse-Terre, Lille-Loos et Nîmes) et 27 millions pour les SAS. En outre, 15 millions d'euros permettront d'acquérir les terrains nécessaires à la poursuite de la première vague de constructions.

Un budget plus modeste (1,4 million d'euros) financera les études préalables au lancement de la construction des premiers établissements prévus dans le cadre de la seconde tranche (Saint-Laurent du Maroni en Guyane, Toulouse-Muret, Avignon-Entraigues, Villepinte-Tremblay-en-France et Melun).

Le solde (19,4 millions d'euros) permettra à l'APIJ de financer des travaux à Fleury-Mérogis, de mener l'extension des locaux de l'ENAP et de réaliser les schémas directeurs pour la réhabilitation du centre pénitentiaire de Fresnes et de la maison centrale de Poissy.

Début octobre 2019, l'état d'avancement du programme des 7 000 places était le suivant : le lancement des travaux était effectif pour 28 % des places ; le marché a été notifié aux groupements de maîtrise d'oeuvre et d'entreprises pour 64 % ; et le programme spécifique à chaque établissement a été finalisé pour 79 % d'entre elles. En 2020, les travaux de construction de dix SAS, sur les seize annoncés, devraient démarrer.

La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) et l'APIJ estiment que ce déroulé permettra de tenir le délai de livraison prévu. L'APIJ a toutefois fait état auprès de votre rapporteur de difficultés de recrutement liées à l'ampleur des travaux en cours dans le cadre du Grand Paris. Dans un contexte de pénurie de professionnels qualifiés, les conditions salariales offertes par l'APIJ ne lui permettent pas toujours d'attirer ou de fidéliser des cadres expérimentés.

Si aucune ouverture de nouvel établissement n'est prévue en 2020, pourraient ouvrir, en 2021, le centre pénitentiaire de Lutterbach, permettant la création nette de 122 places (compte tenu de la fermeture des maisons d'arrêt de Mulhouse et Colmar) et celui de Koné, en Nouvelle-Calédonie, avec la création de 120 places nettes.

Carte des établissements pénitentiaires
au 1 er janvier 2022 (prévisions)

Source : ministère de la justice.

2. Une ambition en trompe l'oeil

Votre commission a déjà eu l'occasion de souligner, au moment de la discussion du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que l'objectif de créer 15 000 nouvelles places de prison à l'horizon 2027 marquait un recul par rapport à la promesse initiale du Président de la République, qui avait d'abord envisagé de les construire sur cinq ans. Il est vrai que la promesse initiale n'était sans doute guère réaliste compte tenu du temps nécessaire à la réalisation de ces projets complexes.

L'an dernier, votre rapporteur avait en outre montré que la quasi-intégralité (92,6 %) des places (hors SAS) annoncées pour 2022 relevait en réalité de la livraison d'autres programmes, principalement le programme « 63 500 » lancé en 2011 et le programme « 3 200 » lancé en 2014. Sont par exemple prises en compte dans les 7 000 places les 734 places mises en service, début 2019, avec la fin du chantier de réhabilitation de la maison d'arrêt Paris-La Santé, entamé quatre ans plus tôt, ainsi que les 740 places de Baumettes 3, projet lancé en 2013.

Le volontarisme du Gouvernement en matière d'immobilier pénitentiaire apparaît ainsi très relatif concernant cette première tranche de travaux. On peut surtout lui savoir gré de ne pas avoir interrompu les programmes lancés par ses prédécesseurs.

Le manque de volontarisme est manifeste également quand on considère l'écart de 153 millions d'euros entre les crédits inscrits dans le projet de loi de finances et ceux prévus par la loi de programmation 2018-2022. La DAP justifie cet écart par la difficulté de s'entendre avec les élus locaux dans certaines villes sur l'implantation des futurs établissements ; la proximité des élections municipales n'inciterait pas les équipes municipales à annoncer de futurs projets pénitentiaires, par crainte des réactions négatives qu'ils pourraient susciter dans la population. La difficulté de trouver des emplacements est particulièrement aiguë pour les SAS, qui ont vocation à être implantés en ville, près des réseaux de transports, des agences de Pôle emploi et des services sociaux, au coeur des bassins d'emplois. Il en a résulté des retards dans l'avancement de certains projets, notamment en Seine-Maritime, en Isère, à Rennes, à Strasbourg, en région parisienne, dans le Var et à Nice.

La date des élections municipales étant connue de longue date, le Gouvernement aurait toutefois pu anticiper cette difficulté. Surtout, l'ampleur des besoins de rénovation des prisons ou des locaux des SPIP aurait justifié d'inscrire la totalité des crédits prévus en loi de programmation afin de financer de petits travaux en cours d'année.

Enfin, votre rapporteur renouvelle ses interrogations sur le choix de limiter le programme de construction à de nouvelles maisons d'arrêt au détriment des établissements pour peine. Certes, c'est dans les maisons d'arrêt que le taux de surpopulation carcérale est le plus élevé. Cependant, ces établissements, conçus à l'origine pour les personnes en attente de jugement ou en attente d'un jugement définitif, accueillent aujourd'hui un grand nombre de détenus condamnés à des peines d'une durée qui peut parfois être égale à deux ans. Certains de ces détenus seraient peut-être mieux suivis dans des établissements conçus pour de longues peines où ils pourraient accéder plus facilement à des services orientés vers leur réinsertion.

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