II. UNE ERREUR TACTIQUE : LE BUDGET AGRICOLE NE TIENT PAS COMPTE DES EFFETS DU CONFINEMENT POUR LES FILIÈRES AGRICOLES, LE GOUVERNEMENT DONNANT L'IMPRESSION DE NE PAS AVOIR ENCORE ENTAMÉ LA RÉFLEXION SUR DES AIDES SUPPLÉMENTAIRES À VERSER

Le 17 juin dernier, la commission des affaires économiques du Sénat a adopté un rapport recensant les principaux effets directs liés à la crise de la Covid-19 sur l'économie agricole et agroalimentaire, en recensant les principales filières touchées par un recul important de leur activité en raison, notamment, de la fermeture des débouchés liés à la restauration hors foyer et à l'export en période de confinement. En guise de conclusion, ce rapport estimait qu'oublier l'agriculture et l'agroalimentaire du plan de relance serait une erreur majeure et appelait à l'adoption d'un volet agricole d'au moins un milliard d'euros et au soutien des filières les plus touchées par le confinement.

L'annonce, au printemps dernier, de divers plans de soutiens sectoriels par le précédent ministre chargé de l'agriculture, en complément des aides horizontales et l'officialisation, en septembre, d'un volet agricole et forestier de 1,2 milliard d'euros dans le plan de relance, vont dans le même sens que les recommandations de ce rapport et reprennent, en partie, les propositions adoptées par la commission.

Toutefois, concernant les aides spécifiques de soutien aux filières en difficulté, aucune aide nationale 1 ( * ) n'a, près de huit mois après le début du confinement, été versée aux filières agricoles en difficulté en dépit de la situation économique fragile dans laquelle sont plongés les producteurs des filières viticoles, avicoles, cidricoles, brassicoles ou les producteurs de pommes de terre.

S'ajoutent à cette liste de producteurs durement affectés par le confinement et n'ayant toujours pas touché d'aides spécifiques promises par l'État les pisciculteurs et conchyliculteurs ainsi que les navires de pêche, qui ne bénéficieront d'une aide prévue dans le cadre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) qu'à compter du premier semestre 2021, afin de prendre en compte leur perte annuelle de chiffre d'affaires, qui ne pourra être constatée en pratique qu'en fin d'année 2020.

Seules certaines aides européennes ont en réalité pu être débloquées, notamment dans le domaine viticole : à ce stade, sur un plan de soutien de 250 millions d'euros, 127 millions d'euros de crédits européens dédiés à la distillation de crise ont été versés. Pour les autres filières, en revanche, aucune aide spécifique n'a été versée.

Il aura finalement fallu attendre le mois de novembre pour avoir confirmation, par les services du ministère, que certaines aides seront versées d'ici la fin d'année.

Les services du ministère ont confirmé aux rapporteurs que, parmi les aides non versées à ce stade :

• pour la filière viticole, seront versées la tranche complémentaire de crédits nationaux pour la distillation de crise (à hauteur de 84 millions d'euros) ainsi que les aides nationales et européennes pour le stockage (40 millions d'euros) ;

• pour la filière horticole , sera mise en place une mesure visant à compenser une partie des pertes des entreprises horticoles, lorsqu'elles ont perdu plus de 30 % de leur chiffre d'affaires. Elle sera dotée d'une enveloppe de 25 M€ de crédits nationaux ;

• pour la filière cidricole , deux dispositifs d'indemnisation dotés d'une enveloppe globale de 5 millions d'euros viseront à compenser une partie des préjudices financiers induits par la réorientation des stocks de cidre et de pommes à cidre vers la méthanisation ou le compostage. Le montant unitaire du soutien sera de 50 €/hl pour le cidre et de 100 €/t pour les pommes à cidre ;

• pour la filière brassicole , une aide forfaitaire permettra de compenser une partie des pertes de chiffre d'affaires des petites brasseries produisant moins de 1 000 hl par an, pour une enveloppe de 4,5 M€ ;

• pour la filière des pommes de terre d'industrie , un dispositif d'indemnisation permettra de compenser une partie des préjudices financier induits par la réorientation des stocks de pommes de terre vers la méthanisation et l'alimentation animale, pour une enveloppe de 4 M€. Le montant unitaire du soutien retenu sera de 50 € la tonne. En parallèle, des fonds seront débloqués afin d'appuyer les efforts d'investissement dans les bâtiments de stockage ;

• pour la filière des volailles , un dispositif doté d'une enveloppe de 3 M€ compensera une partie des pertes de chiffre d'affaires subies par les éleveurs sur des espèces dont les débouchés sont très dépendants de la restauration hors foyer (canards, pigeons, cailles et pintades), en cas de perte supérieures à 30 % du chiffre d'affaires de leur atelier de volailles.

Certains montants annoncés par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation au printemps dernier ont toutefois été revus considérablement à la baisse.

Par exemple, alors que les plans de sauvetage annoncés étaient de 10 millions d'euros pour la filière pommes de terre, ce montant a été réduit à 4 millions d'euros. En outre, certains acteurs de la filière viticole craignent que les aides liées à la distillation de crise et au stockage valent « solde de tout compte », au détriment des aides complémentaires pourtant promises par les ministres chargés de l'agriculture et de l'économie en mai dernier afin de faire face aux sanctions américaines sur les exportations de vins européens. Revenir sur cette promesse serait un recul que les viticulteurs français ne comprendraient pas.

Ces baisses remettent en cause la parole de l'État et nuisent à la crédibilité de ces annonces pour des filières économiques qui ont fait reposer leurs décisions stratégiques sur ces montants.

En conséquence, les rapporteurs estiment nécessaires que le Gouvernement garantisse a minima les montants précédemment annoncés et qu'il accélère le calendrier de versement des aides d'urgence.

En outre, il convient de ne pas commettre les mêmes erreurs que lors du précédent confinement. La nouvelle période de confinement, en fermant les établissements de la restauration hors foyer, met en péril de nombreux producteurs des mêmes filières : viticulteurs, horticulteurs, producteurs de volailles, notamment festives, brasseurs, producteurs de cidre, producteurs de pommes de terre.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il ne faut pas attendre plusieurs mois avant d'annoncer un plan d'aides que l'on sait déjà nécessaire. Comme lors du premier confinement, faute de débouchés, les producteurs vont être contraints de détruire leurs stocks de produits périssables qu'ils ne pourront pas commercialiser. Pour la filière horticole, la nouvelle fermeture des circuits traditionnels de ventes a entraîné, dès l'annonce du confinement, la destruction de stocks de fleurs coupées et, bientôt, de plantes en pots et de pépinières.

Les producteurs seront, sans doute davantage qu'au printemps dernier, exposés à un risque accru d'impayés de leurs clients, notamment en cas de dépôt de bilan ou de liquidation.

Or à ce stade, il faut regretter que, de l'aveu de tous, aucune réflexion n'ait encore été amorcée, le plan de versement des aides liés au premier confinement étant encore en négociation.

Ne pas leur venir en aide aura des conséquences claires sur les capacités productives françaises en matière agricole et alimentaire.

Pour la filière volaille, notamment, les producteurs de produits festifs, de canards, de pigeons, de cailles se retrouvent, de nouveau, confrontés à la fermeture des restaurants. À défaut d'aides au stockage, les volumes ne trouvent pas preneurs.

Au mois de juin, les producteurs estimaient que cette enveloppe devait être de 250 millions d'euros pour les producteurs de volailles, de gibiers et de foie gras 2 ( * ) . La perspective de moindres ventes pour les fêtes et les risques d'épidémie d'influenza aviaire risquent, en outre, d'achever des petites filières déjà fragilisées. Or l'aide annoncée à ce stade n'est que de 3 millions d'euros.

De manière très concrète, un cercle vicieux s'est enclenché : faute de débouchés en aval, les accouveurs de pintade ont par exemple dû détruire près de 4 millions d'oeufs à couver en raison de l'allongement des vides sanitaires et, compte tenu des charges induites, en viennent, en amont de la chaîne, à détruire le matériel génétique en anticipant les réformes. Pour la pintade par exemple, le cheptel de reproductrices a déjà reculé de 15 %. Lors de la reprise, les capacités productives françaises seront donc réduites.

L'existence de petites filières comme le pigeon, la pintade ou la caille est aujourd'hui clairement menacée. Leur disparition serait une perte irrémédiable pour notre gastronomie française ainsi que pour la souveraineté française.

Dès lors, les rapporteurs regrettent l'absence réelle d'un plan d'aide ambitieux, dans ce budget, pour venir en aide aux filières ayant souffert d'une chute d'activités due au confinement et s'inquiètent, à ce stade, de l'absence d'anticipation, par le Gouvernement, d'une deuxième vague d'aides spécifiques liées aux effets sur l'amont agricole de la nouvelle période de fermeture administrative des services de restauration, surtout si celle-ci est amenée à durer . Sans adaptation rapide, cela se traduira par des pertes du potentiel productif irrémédiables, notamment au sein des petites filières.


* 1 Alors que certaines aides européennes, notamment viticoles, ont été versées.

* 2 Y compris le secteur aval.

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