Avis n° 143 (2020-2021) de Mme Nathalie DELATTRE , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 19 novembre 2020

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N° 143

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation
et de la communication (1)
sur le projet de loi de finances ,
adopté par l'Assemblée nationale, pour
2021 ,

TOME III

Fascicule 2

ENSEIGNEMENT SCOLAIRE

Enseignement agricole

Par Mme Nathalie DELATTRE,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mmes Laure Darcos, Catherine Dumas, M. Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Michel Savin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mme Sabine Drexler, MM. Fabien Genet, Jacques Grosperrin, Abdallah Hassani, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Mme Else Joseph, MM. Claude Kern, Michel Laugier, Mme Claudine Lepage, MM. Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, François Patriat, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

AVANT-PROPOS

L'excellence de l'enseignement agricole ainsi que sa capacité d'insertion sociale et professionnelle sont reconnues par tous. Toutefois, les crédits budgétaires alloués à cet enseignement, par le biais du programme 143 de la mission « enseignement scolaire », ne sont pas à la hauteur des défis que doit relever l'agriculture et plus généralement les métiers du vivant : renforcer résilience et sécurité alimentaires, produire et transformer autrement, mais aussi former d'une nouvelle génération d'exploitants au moment où 215 000 d'entre eux, soit 45 % de la population agricole, vont faire valoir leurs droits à la retraite d'ici 2026.

Certes, le programme 143 est en légère augmentation, 1,48 milliard d'euros soit + 0,47 %, au profit de deux postes de dépenses : les bourses et fonds sociaux, d'une part ; l'école inclusive d'autre part. Mais les différentiels de rémunération des assistants d'éducation entre éducation nationale et enseignement agricole perdurent, et la revalorisation et requalification des agents de catégorie 3 doivent faire face à des blocages.

En outre, la poursuite de la chute des équivalents temps plein (ETP) , avec encore - 80 ETP cette année, combinée à la crise de la covid-19 qui a très fortement touché l'enseignement agricole, posent désormais la question de sa survie : menace de fermetures de classes, impossibilité d'ouvrir de nouvelles filières sans en fermer d'autres, difficulté à mettre en oeuvre la réforme du baccalauréat et à respecter son esprit qui visait à offrir plus de choix aux élèves, forte difficulté financière d'un tiers des établissements - dont plus d'une quarantaine risquant une faillite à très court terme sans aide immédiate - ou encore concurrence avec des filières de l'éducation nationale...

Surtout, et de manière alarmante, cette crise semble témoigner d'une absence de prise en compte par le Gouvernement du fonctionnement de l'enseignement agricole et des atouts dont il dispose . Les CFA et CFPPA des établissements publics agricoles n'ont pas pu bénéficier des mesures de chômage partiel, au prétexte qu'ils sont rattachés à un établissement public administratif. Ce sont donc les établissements qui ont dû, sur leurs fonds propres, maintenir les salaires de ces agents. De même, si l'enseignement agricole est éligible aux mesures transversales du plan #1jeune1formation, notamment le soutien à l'apprentissage, la commission regrette que les maisons familiales et rurales, qui ont dans leur ADN le fait d'aller chercher des jeunes en difficulté avec l'institution scolaire, n'aient pas pu bénéficier d'une aide spécifique dans le cadre de ce plan.

Aussi, sur la proposition de la rapporteure pour avis, la commission a décidé de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 143 « enseignement technique agricole ».

I. LA SURVIE DE L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE EST DÉSORMAIS EN JEU

D'un montant de 1,48 milliard d'euros, le programme 143 « enseignement technique agricole » représente environ 2 % des crédits de la mission « enseignement scolaire ».

Certes, les crédits de ce programme sont en légère augmentation par rapport à la loi de finances pour 2020 : + 6,8 millions d'euros, soit une hausse de 0,47 % après une hausse de 0,5 % l'année dernière 1 ( * ) .

Mais, la rapporteure pour avis constate une tendance de fond ces dernières années visant à comprimer les moyens tout en essayant de développer l'attractivité de l'enseignement agricole .

En 2020, la situation s'est brutalement dégradée . La crise de la covid-19 a profondément touché l'enseignement agricole en raison de son fonctionnement, de sa pédagogie innovante laissant une place importante aux cours pratiques, et de son financement faisant appel à une part significative de fonds propres. Cette crise sanitaire et économique est venue percuter de plein fouet un projet de budget pour le programme 143 construit autour d'un schéma de rationalisation des moyens datant de trois ans et n'ayant pas fait pas l'objet de réactualisation, et qui ne laisse aucune marge de manoeuvre pour développer l'enseignement agricole ni pour faire face au moindre imprévu.

La situation est telle que la survie de l'enseignement agricole, à moyen terme, semble être désormais en jeu.

A. LES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT AGRICOLE CONCURRENCÉS DANS LES ENSEIGNEMENTS PAR L'ÉDUCATION NATIONALE ET ADMINISTRATIVEMENT PAR L'APPRENTISSAGE

La rapporteure pour avis a été alertée sur les concurrences à l'échelle d'un territoire de formations proches proposées par l'enseignement agricole et l'éducation nationale. Ainsi le baccalauréat professionnel ASPP (accompagnement, soins et services à la personne) a été créé en 2011 dans l'éducation nationale alors qu'il existait déjà dans l'enseignement agricole un baccalauréat « services en milieu rural », renommé en 2011 « services aux personnes et aux territoires ». Le ministère de l'agriculture est conscient de ces recoupements pour certaines formations : « le secteur des services à la personne, du conseil/vente et des industries agro-alimentaires est partagé entre les deux ministères et les formations correspondantes peuvent être concurrentielles dans certaines zones de recrutement » . Ainsi sur un territoire, dans un rayon de 50 km, on trouve des filières similaires où ni l'une ni l'autre ne font le plein d'élèves et affaiblissent les classes concernées.

Par ailleurs, les établissements d'enseignement agricole, dans le décompte des effectifs des élèves, sont en concurrence avec l'apprentissage . Or les mesures fortes en faveur de l'apprentissage avec une aide de 5 000 à 8 000 euros pour les entreprises ont conduit un certain nombre de jeunes à choisir cette voie. À titre d'exemple, le CNEAP 2 ( * ) a perdu, selon les chiffres du ministère, 780 élèves. Toutefois, il a gagné 1 200 apprentis, mais ceux-ci ne sont pas comptabilisés dans le cadre du programme 143. Au final le réseau des lycées agricoles privés à temps plein affiliés au CNEAP a gagné 420 élèves en raison du développement de l'apprentissage.

B. LE POINT DE RUPTURE POUR LES ETP EST ATTEINT, PORTANT PRÉJUDICE AU DYNAMISME DE L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE

1. Les ETP poursuivent leur chute telle que prévue par le schéma pluriannuel d'emploi

Malgré le rebond constaté du nombre d'élèves et étudiants de l'enseignement technique agricole en 2019-2020 - une première depuis 10 ans -, le schéma pluriannuel des emplois continue à s'appliquer sans aucun aménagement . Ce sont ainsi 80 ETP qui sont supprimés en 2021, alors même que l'enseignement technique agricole a déjà été fortement touché les années précédentes.

LF2019

LF2020

PLF2021

2022 (prévision)

Nombre d'ETP supprimés

- 50 ETP

- 60 ETP

- 80 ETP

- 110 ETP

Afin de pallier cette diminution des ETP au moment où l'objectif de 200 000 d'élèves et étudiants pour 2022 a été fixé 3 ( * ) , le Gouvernement a mis en place à la rentrée 2019 une double réforme :

- l'augmentation des seuils de dédoublement des classes de 24 à 27 élèves 4 ( * ) qui deviennent désormais indicatifs et plus obligatoires ;

- une plus grande autonomie des chefs d'établissement en augmentant le nombre d'heures de la dotation globale horaire (DGH) qu'ils peuvent librement répartir au sein de leur établissement. Ces heures peuvent être utilisées pour financer des dédoublements de classe, proposer des enseignements optionnels ou mettre en oeuvre des projets pédagogiques locaux.

De l'aveu même de l'inspection de l'enseignement agricole (IEA) et du conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux (CGAAER), cette double réforme doit permettre de participer de façon significative aux économies d'emplois programmées (entre 200 et 350 ETP) .

Toutefois, l'augmentation du nombre d'élèves par classe remet en cause une des spécificités de l'enseignement agricole : des classes aux effectifs restreints permettant un accompagnement plus personnalisé de chaque élève.

La rapporteure pour avis souligne également que la baisse des ETP touche les emplois administratifs et techniques des établissements d'enseignement agricole publics et des services déconcentrés (- 22 ETP). Or ceux-ci avaient déjà été très fortement rationnalisés lors de la révision générale des politiques publiques. Là encore, les marges de manoeuvre sont aujourd'hui quasi inexistantes.

Diminution du nombre d'ETP inscrite au PLF 2021 par catégorie d'emplois

Catégorie d'emplois

Schéma d'emploi (en ETP)

A administratifs

- 4

A techniques

- 3

B et C administratifs

- 13

B et C techniques

- 2

Enseignants

- 58

Total

- 80

Source : PAP 2021

2. La concomitance de la baisse des ETP et de la réforme du baccalauréat, vecteur de perte d'attractivité pour l'enseignement agricole

Comme les lycées relevant de l'éducation nationale, les lycées agricoles sont concernés par la réforme du baccalauréat général et technologique. En 2020, 22 767 élèves poursuivaient leur formation en voie générale ou technologique dans l'enseignement agricole.

En voie générale les élèves doivent choisir trois enseignements de spécialité. Dans les lycées agricoles, les élèves prennent systématiquement mathématiques, physique-chimie et biologie-écologie - enseignement spécifique à l'enseignement agricole -, dans la mesure où ce sont les trois seuls enseignements de spécialité proposés 5 ( * ) .

En terminale, les élèves ne conservent que deux enseignements de spécialité. Dans les lycées agricoles, les élèves ont théoriquement le choix entre trois « doublettes » : physique-chimie / biologie-écologie, mathématiques / biologie-écologie, physique-chimie / mathématiques.

Or, selon le rapport du conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux 6 ( * ) (CGAAER) sur l'orientation des élèves vers l'enseignement agricole et son attractivité de juin 2020, par manque de moyens et une dotation globale horaire insuffisante, les établissements ne peuvent souvent proposer qu'une seule « doublette ». Certains établissements font le choix de proposer deux doublettes de spécialité en terminale, au détriment des enseignements optionnels qui ne sont alors plus financés 7 ( * ) .

Ce constat dressé par le CGAAER et les arbitrages que doivent faire les chefs d'établissement dans le choix des enseignements bénéficiant d'heures dans le cadre de la dotation horaire globale se retrouve dans les propos tenus par une des personnes auditionnées : « actuellement pour ouvrir une nouvelle filière dans un établissement d'enseignement agricole, il faut en fermer une autre » .

Alors même que la crise de la covid-19 a montré l'importance de la résilience alimentaire et que le ministère de l'agriculture et de l'alimentation appelle à produire et transformer autrement, l'enseignement agricole éprouve aujourd'hui toutes les difficultés, par manque de moyens humains, à répondre à cette injonction .

L'exemple des lycées d'enseignement général et technologique agricoles (LEGTA)

de la région Centre-Val de Loire

La décision du directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de la région Centre-Val de Loire, en date du 7 février 2019 témoigne de cette limitation dans le choix des « doublettes ».

Classe de première (applicable à la rentrée 2019)

Enseignements de spécialité

LEGTA Bourges

LEGTA Chartes

LEGTA Châteauroux

LEGTA Tours

LEGTA Vendôme

LEGTA

Le Chesnoy

Biologie-écologie

Mathématiques

Physique-chimie

Classe de terminale (applicable à la rentrée 2020)

Enseignements
de spécialité

LEGTA Bourges

LEGTA Chartes

LEGTA Châteauroux

LEGTA Tours

LEGTA Vendôme

LEGTA

Le Chesnoy

Biologie-écologie/
physique-chimie

Physique-chimie/

mathématiques

Biologie-écologie/

Mathématiques

Source : site internet de la DRAAF du Centre-Val-de-Loire 8 ( * )

Le CGAAER fait le même constat de rationnement des enseignements optionnels proposés. La réforme du baccalauréat prévoyait, pour l'enseignement agricole la possibilité pour l'élève de choisir deux enseignements optionnels selon les modalités suivantes :

- un premier enseignement optionnel parmi une troisième langue vivante, EPS, hippologie-équitation, agronomie-économie-territoires, pratiques sociales et culturelles, les trois dernières options étant spécifiques à l'enseignement agricole ;

- un deuxième enseignement optionnel parmi mathématiques complémentaires (pour les élèves n'ayant pas en terminale la spécialité mathématiques), ou mathématiques expertes (pour les élèves suivant en terminale la spécialité mathématiques).

Or, souvent un seul enseignement optionnel est proposé.

Ce choix limité sur les enseignements proposés, à rebours de l'esprit de la réforme du bac, a des effets immédiats sur les effectifs de l'enseignement agricole, comme a pu le constater le CGAAER : « plusieurs proviseurs de LEGTA ont constaté une baisse sensible de leurs effectifs de seconde GT lors des deux dernières rentrées et ils s'inquiètent pour la rentrée 2020. [...] Les chefs d'établissement attribuent principalement cette diminution à l'offre trop réduite d'enseignements de spécialité. En effet, les familles ont la préoccupation de permettre à leur enfant d'accéder au maximum de choix en fin de seconde GT. Elles ont donc tendance à choisir, pour l'admission de leur enfant en seconde GT, le lycée de secteur qui proposera un panel nettement plus large que celui du LEGTA » .

La rapporteure pour avis dénonce cette situation : à partir du moment où le Gouvernement a fait le choix de réformer profondément le lycée et le baccalauréat, il lui appartient d'en tirer les conséquences et de permettre la mise en place de cette réforme dans de bonnes conditions dans les lycées d'enseignement agricole.

3. Un risque important de fermeture de classes à partir de la rentrée 2021

Le respect du schéma d'emplois négatif maintenu pour 2021 - et le cas échéant en 2022 - devient de plus en plus difficile à réaliser, le système atteignant les limites de la rationalisation.

Or, le vivier d'élèves existe - l'augmentation des effectifs à la rentrée 2019, après dix ans consécutifs de baisse, le prouve. Mais la suppression de 110 ETP prévue en 2022 exclut toute possibilité de création de classes nouvelles . Pire encore, des suppressions de classes sont à envisager à compter de la rentrée 2021. Ce schéma d'emplois plonge l'enseignement agricole dans un cercle vicieux : l'absence de formations innovantes, la fermeture de classes entraîne un transfert des élèves potentiellement intéressés vers les formations proposées par l'éducation nationale, renforçant une chute des effectifs.

La rapporteure pour avis souhaite rappeler l'urgence de former dès aujourd'hui des jeunes dans les métiers du vivant : 215 000 exploitants, soit 45 % de la population agricole, vont faire valoir leurs droits à la retraite d'ici 2026.

C. DIFFICULTÉS FINANCIÈRES ET DIMINUTION DU NOMBRE D'ÉLÈVES : LES ÉTABLISSEMENTS FORTEMENT FRAGILISÉS PAR LA CRISE DE LA COVID-19

1. Des pertes financières importantes

Les établissements d'enseignement agricole ont subi de lourdes pertes financières et des manques à gagner importants mettant certains d'entre eux dans des situations économiques plus que précaires . Les raisons de ces difficultés financières peuvent être regroupées en trois catégories :

- les manques à gagner et les pertes de recettes : vente issue des ateliers ou des exploitations horticoles, prestations de formation pour les centres de formation des apprentis et les centres de formation pour adultes, mais aussi vente de repas et de nuités. En effet, de nombreux établissements, notamment les MFR, louent leurs bâtiments pour accueillir des colonies de vacances ;

- de très nombreux établissements ont remboursé les nuitées d'internat et les frais de restauration scolaire des élèves non consommés du fait du confinement ;

- les CFA et les CFPPA des lycées agricoles publics n'ont pas pu bénéficier du chômage partiel. Les établissements ont dû, sur leurs fonds propres, maintenir les salaires des agents de droit privé. Il s'agit de la principale raison de difficultés des établissements d'enseignement publics.

Alors que l'éducation nationale a été financièrement relativement épargnée par les conséquences économiques de cette crise sanitaire, l'enseignement agricole a été touché de plein fouet . La DGER a diligenté deux enquêtes pour mesurer les pertes et les surcoûts directement imputables à la crise sanitaire. L'impact financier global à ce jour s'élève à 46,1 millions d'euros , les établissements publics étant les plus touchés. Il est en effet de 26,4 millions d'euros pour les établissements publics et de 19,7 millions d'euros pour les établissements privés (9,3 millions d'euros pour les établissements de temps plein et 10,4 millions d'euros pour les MFR). Ce chiffre est sans doute sous-estimé. En effet, si le taux des réponses des établissements publics est de 100 %, il n'est que de 52 % pour les établissements du privé.

Postes

Public
(millions €)

Privé
(millions €)

Perte du chiffre d'affaires (activités des exploitations et ateliers technologiques, activités des centres de formation d'adultes)

16,1

8,6

Baisse de recettes de pension et de vente de repas et nuitées (recettes de pensions ou demi pensions des élèves et apprentis, ainsi que la vente de repas et de nuitées aux adultes et au personnel - inclut les économies sur la nourriture ou les dépenses notables)

10,1

14,0

Autres impacts : continuité pédagogique (achats de matériels informatiques, abonnements à des plates-formes numériques, etc.) ainsi que des équipements de protection individuelle - inclut des dépenses moindres notamment sur les déplacements et autres dépenses de fonctionnement

0,25

- 2,9*

Total

26,45

19,7

* Pour les établissements du privé, ce poste se solde par une économie, car ils ont bénéficié des mesures de chômage partiel et d'économies sur les salaires.

Source : DGER

Cette double enquête a permis d'identifier trois groupes d'établissements en difficulté financière plus ou moins grave :

- les établissements dits « P1 », qui sont proches de la faillite et doivent impérativement être soutenus avant la fin de l'année 2020 au risque de fermer 9 ( * ) ;

- les établissements dits « P2 » qui rencontrent de graves difficultés et dont l'aide doit parvenir en début d'année 2021 10 ( * ) ;

- les établissements dits « P3 » 11 ( * ) : ce sont de petits établissements disposant de budgets faibles et qui peuvent donc facilement basculer en raison des répercussions de la crise sanitaire et économique.

Affiliation

Total

Impact financier de la covid-19 (millions d'euros)

Public

UNREP+CNEAP

MFR

Nb établ.

174

232

394

800

P1

38

21,8 %

1

0,4 %

3

0,8 %

42

5,3 %

11,74

P2

49

28,2 %

9

3,9 %

7

1,8 %

65

8,1 %

18,62

P3

55

31,6 %

20

8,6 %

85

21,6 %

160

20,0 %

15,75

Toutes priorités

142

81,6 %

30

12,9 %

95

24,1 %

267

33,4 %

46,12

Au total, un tiers des établissements d'enseignement agricole aurait besoin d'une aide financière du fait de la crise de la covid-19 . Un certain nombre d'entre eux connaissaient déjà une situation financière fragile, que la crise sanitaire a accentuée.

Dans le cadre du quatrième projet de loi de finances rectificative le ministère de l'agriculture et de l'alimentation a exprimé un besoin de 11,74 millions d'euros , correspondant aux pertes des 42 établissements classés en P1. Au final ce sont seulement 6 millions d'euros qui sont ouverts pour soutenir les 42 établissements de l'enseignement technique agricole en urgence financière à la suite de la crise sanitaire. Les autres 6 millions d'euros seront à trouver - péniblement - au sein du budget du ministère de l'agriculture et de l'alimentation.

2. Une diminution du nombre d'élèves directement liée à la crise de la covid-19

Après le rebond constaté en 2019, la rentrée 2020 se caractérise par une nouvelle diminution des effectifs, avec une baisse de 2,2 % (- 3 411 élèves). L'enseignement privé, et plus particulièrement les établissements d'enseignement à rythme approprié sont particulièrement touchés par ce recul, avec respectivement - 3,2 % et - 4,6 %. L'enseignement public, en revanche, reste à un niveau quasiment stable avec un recul de 0,4 %.

La crise de la covid-19 et ses conséquences expliquent cette rupture dans la dynamique haussière constatée l'année dernière :

- la plupart des établissements n'ont pas pu organiser leurs journées portes ouvertes , qui jouent un rôle majeur dans l'information des familles car l'enseignement agricole reste très mal connu. Témoin de ce manque d'information, la rapporteure pour avis constate une chute des inscriptions en 4 ème dans les établissements agricoles (- 8,6 %) et de manière générale dans le cycle d'orientation collège (- 4,0 %) ;

- avec le confinement, un certain nombre de familles ont préféré avoir leurs enfants près d'eux et ont donc choisi une formation à proximité de leur domicile. Or le bassin de recrutement des établissements agricoles est géographiquement beaucoup plus grand que celui de l'éducation nationale, expliquant le nombre élevé d'internes ;

- les MFR ont enregistré une baisse importante du nombre de leurs élèves (- 2 080), mais une partie de ceux-ci a été réorientée vers une formation en apprentissage, particulièrement attractive cette année en raison du fort soutien gouvernemental dans le cadre du plan #1jeune1solution 12 ( * ) . Or, les apprentis sortent du décompte des effectifs des établissements d'enseignement agricole.

La baisse des effectifs cette année semble donc liée à des facteurs conjoncturels. La rapporteure pour avis voit d'ailleurs dans l'augmentation des effectifs dans les formations postbac avec 229 élèves en plus dans les BTS agricoles et 37 de plus dans les BTS, un attrait des étudiants pour les métiers du vivant. Ce constat est partagé par la direction de l'enseignement et de la recherche qui a souligné le succès rencontré par le camion itinérant « l'aventure du Vivant », visant à présenter l'enseignement agricole, dans les villes où il se rendait. Il a ainsi accueilli plus de 7 000 visiteurs lors des trois étapes réalisées avant la suspension de sa tournée en mars.

La rapporteure pour avis est persuadée qu'une communication pluriannuelle autour des métiers proposés par l'enseignement agricole est essentielle pour mieux faire connaître ces formations. Aussi elle s'étonne que l'intégralité de l'enveloppe de 5 millions d'euros en crédit de paiement 13 ( * ) de communication en faveur de la promotion de l'enseignement agricole et des métiers auxquels il prépare soit inscrite dans la mission « plan de relance » du PLF 2021, alors même que la création de cette nouvelle mission doit permettre un « cloisonnement de ces crédits par rapport aux moyens classiques et récurrents dédiés aux autres politiques publiques » .

D. LES SPÉCIFICITÉS DE L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE MAL PRISES EN COMPTE PAR LES AUTRES MINISTÈRES

Il ressort des auditions menées par la rapporteure pour avis une impression de faible prise en compte, lors des arbitrages, de l'enseignement agricole, de ses spécificités et de ses atouts par le Gouvernement et les opérateurs de l'État.

Ainsi, les CFA et CFPP dépendant des lycées agricoles publics, qui évoluent dans un milieu concurrentiel et ont recours à des agents de droit privé, n'ont pas pu bénéficier des mesures de chômage partiel. En effet, si les EPIC étaient éligibles, tel n'est pas le cas des établissements publics administratifs - dont les lycées publics agricoles. Or, les autres CFA et CFPP, non adossés à des établissements publics administratifs, ont pu bénéficier des mesures de chômage partiel.

En outre, le rôle particulier des MFR semble mal connu . Au-delà de la formation et l'insertion professionnelle, elles jouent un rôle important d'insertion sociale pour des jeunes en conflit avec l'institution scolaire . Aussi, le ministère souhaitait que le nouveau protocole liant l'État et les MFR et qui doit entrer en vigueur au 1 er janvier 2021 soit plus incitatif en termes d'effectifs d'élèves, en cohérence avec l'objectif du ministère de l'agriculture d'augmenter le nombre d'élèves dans l'enseignement agricole. Selon les informations transmises à la rapporteure pour avis, le ministère aurait plaidé pour une augmentation de la dotation aux MFR dans le cadre de ce protocole, pour passer annuellement de 208 à 217 millions d'euros. Toutefois, aucune augmentation n'est prévue en 2021. La rapporteure pour avis regrette cette décision au moment où l'État lance le plan #1jeune1solution doté de 6,5 milliards d'euros. Au-delà de la mesure transversale en faveur de l'apprentissage, les MFR et le projet particulier d'accompagnement du jeune qu'elles proposent semblent avoir été oubliés. Elles auraient pourtant eu toutes leurs places parmi les autres mesures financées dans des domaines très variés par ce plan.

Enfin, et il s'agit d'une des missions que leur a confié la loi, les établissements d'enseignement agricole ont un rôle d'animation des territoires. Or, plusieurs personnes auditionnées ont regretté qu'ils ne soient pas systématiquement associés aux opérations de revitalisation ou de redynamisation des territoires, impulsées par les gouvernements successifs.

E. LA DÉSAFFECTION DES DIRECTEURS D'ÉTABLISSEMENT D'ENSEIGNEMENT AGRICOLE : SYMBOLE DE LA CRISE DE L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE

Malgré une charte au 1 er janvier 2020 permettant aux directeurs d'établissement de disposer d'un statut d'emploi et de pouvoir leur proposer une carrière plus attractive, on constate une désaffection des personnels pour cette fonction. Ainsi, par défaut de candidats, 30 % des chefs d'établissement des établissements publics sont des contractuels. Or, les chefs d'établissement et leurs adjoints ont un rôle important en matière d'animation pédagogique et de gestion des ressources. La difficulté à recruter des directeurs d'établissements témoigne de la perte de dynamisme de l'enseignement agricole dont pourtant tous les acteurs s'accordent pour louer sa grande qualité.

II. LE BUDGET 2021, BIEN QU'EN LÉGÈRE HAUSSE, NE RÉPOND PAS AUX PROBLÈMES RÉCURRENTS DE L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE

Certes, les crédits du programme 143 « enseignement technique agricole » sont en hausse de 6,8 millions d'euros, soit de 0,47%. Pourtant, cette augmentation, qui bénéficie principalement à l'école inclusive ainsi qu'à l'aide sociale, est loin d'être suffisante pour permettre à l'enseignement agricole de se développer, voire même de se maintenir.

A. DEUX POINTS DE SATISFACTION

1. Un effort important en faveur de l'école inclusive

Fixés à 17 millions d'euros, les crédits en faveur de l'inclusion scolaire des élèves en situation de handicap scolarisés dans les établissements de l'enseignement agricole bondissent de 18 % (+ 2, 62 millions d'euros). À cela s'ajoute 0,7 million d'euros pour la prise en charge d'emplois d'AESH dont les contrats sont transformés en CDI. En deux ans, les crédits en faveur de l'école inclusive ont augmenté de plus de 5,6 millions d'euros.

La rapporteure pour avis ne peut que saluer cet effort budgétaire important en faveur de l'inclusion des élèves en situation de handicap.

2. L'aide sociale aux élèves : une forte augmentation à replacer dans un contexte pluriannuel

Les crédits consacrés aux fonds sociaux sont en augmentation de 3,75 millions d'euros pour atteindre un montant de 75,17 millions d'euros . Cette hausse doit notamment permettre de prendre en compte les difficultés financières que risque de connaître un certain nombre de parents, et la hausse du nombre de boursiers et d'échelons de bourse en raison de la baisse des revenus en 2020.

En outre, la prime d'internat bénéficie cette année d'une revalorisation. Alors qu'elle était jusqu'à présent forfaitaire, elle est désormais liée depuis le décret n° 2020-1011 du 7 août 2020 à l'échelon de bourse de l'élève. Le ministère estime à 1,39 million d'euros la hausse des crédits au titre de la prime d'internat en raison de cette modification de son mode de calcul.

La rapporteure pour avis se réjouit de cette double hausse. En effet, comme le souligne le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, « les aides sociales constituent une aide substantielle pour de nombreux parents d'élèves, les catégories socioprofessionnelles de parents d'élèves les plus représentées dans l'enseignement technique agricole étant celles des ouvriers et des employés » 14 ( * ) . La proportion de boursiers est plus importante dans l'enseignement agricole que dans les établissements de l'éducation nationale . En 2018-2019, la proportion du nombre de boursiers dans les lycées de l'éducation nationale était de 25,7 %. Elle atteignait 33,4 % dans l'enseignement secondaire des établissements agricoles, soit près de 8 points de plus. Dans l'enseignement supérieur court, on constate également, mais avec des écarts moins importants, un pourcentage d'étudiants boursiers plus élevé dans l'enseignement agricole : il y est supérieur de 2 points à celui des établissements relevant du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (49,7 % contre 47,7 %).

En outre, l'une des spécificités de l'enseignement agricole réside dans le nombre important d'internes . Ainsi, près de 90 % des établissements d'enseignement agricole disposent d'un internat et 50 % des élèves sont internes, cette proportion pouvant atteindre 80 % dans certains établissements. A titre de comparaison, seuls 10 % des élèves sont internes dans l'éducation nationale.

La rapporteure pour avis se félicite de l'augmentation de cette ligne budgétaire dans un contexte économique et social potentiellement difficile pour les élèves et leurs parents. Toutefois, elle note que cette augmentation ne fait que revenir au niveau des crédits alloués aux fonds sociaux en 2019.

Fonds sociaux

Montants alloués

PLF 2019

75,89 millions d'euros

PLF 2020

71,68 millions d'euros

PLF 2021

75,17 millions d'euros

B. LES ÉCUEILS RESTENT TROP NOMBREUX

Outre la poursuite de la baisse des ETP, ce budget ne permet pas de répondre à des problématiques récurrentes de l'enseignement agricole : la requalification des agents de catégorie III des lycées agricoles privés, et l'existence d'un différentiel conséquent entre la rémunération annuelle d'un assistant d'éducation dans l'éducation nationale et dans les établissements d'enseignement agricole.

1. La difficile amélioration de la situation des agents de catégorie III pourtant promise en 2019 : de timides avancées obtenues aux forceps qui restent insuffisantes

La rapporteure pour avis rappelle l'engagement pris en juillet 2019, par Didier Guillaume, alors ministre de l'agriculture et de l'alimentation, visant à améliorer la situation des agents de catégorie III, personnels contractuels recrutés sur proposition du chef d'établissement pour une mission d'enseignement 15 ( * ) . Ce recrutement est indispensable pour faire vivre l'enseignement agricole privé et ces agents de catégorie III sont de plus en plus nombreux. Or, leur grille de rémunération est actuellement alignée sur la grille indiciaire des adjoints d'enseignement, qui appartiennent à un corps en voie d'extinction.

Cette amélioration de la situation des agents de catégorie III devait se faire par deux canaux :

- une requalification des nouveaux contrats en agents de catégorie II ou IV ;

- une revalorisation des contrats existants des agents de catégorie III.

Le groupe de travail de la commission sur les conséquences pour l'enseignement technique agricole de la crise sanitaire de la covid-19, animé par notre ancien collègue Antoine Karam, avait souligné en juin dernier que les mesures d'application n'avaient pas été prises.

Interrogé sur le sujet, Didier Guillaume, avait indiqué que la revalorisation des contrats existants nécessitait une modification de l'article L. 813-8 du code rural et de la pêche maritime.

La rapporteure pour avis ne peut que se féliciter de l'amendement déposé sur le PLF 2021 par le Gouvernement le 28 octobre dernier visant à modifier cet article. Il s'agit du premier pas vers cette revalorisation. Toutefois, elle note que les 2,13 millions d'euros, introduits par amendement à l'Assemblée nationale lors de l'examen du PLF 2020 pour financer cette amélioration de la situation des agents de catégorie III n'ont pas été reconduits dans le PLF 2021. Dès lors, la rapporteure pour avis s'interroge sur les modalités de financement de cette mesure .

En outre, et de manière plus inquiétante, il a été rapporté, lors des auditions, des difficultés entre le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, le ministère de la fonction publique et le ministère des comptes publics, dans la rédaction du décret en Conseil d'État devant permettre la requalification des contrats en contrat de catégorie II et IV. Ces problèmes interministériels, traduisant sans doute une réticence de certains acteurs, bloquent l'avancement de ce dossier . La rapporteure pour avis ne peut que dénoncer ce blocage et appelle à une mise en oeuvre rapide de la requalification promise en juillet 2019.

2. La question du reste à charge des assistants d'éducation n'est toujours pas réglée

L'année dernière, notre ancien collègue Antoine Karam avait attiré l'attention du ministère de l'agriculture et de l'alimentation sur l'absence de revalorisation du salaire des assistants d'éducation, à la différence de leurs homologues de l'éducation nationale.

Certes, la rapporteure pour avis constate une augmentation de 0,31 million d'euros dans le PLF 2021 des crédits consacrés aux assistants d'éducation. Toutefois, comme le précisent les documents budgétaires, « par rapport à 2020, le nombre d'assistants d'éducation est en augmentation de 2,7 postes représentant l'extension en année pleine du recrutement de 4 assistants d'éducation suite à l'intégration d'un lycée privé professionnel dans l'enseignement agricole publique » . Au final, le montant versé par l'État aux établissements publics d'enseignement agricole 16 ( * ) par assistant d'éducation s'élève dans le PLF 2021 à 26 980 euros. Si ce dernier est en augmentation de 189 euros, le différentiel annuel entre assistants d'éducation relevant de l'enseignement agricole et ceux relevant de l'éducation nationale reste de 1 221 euros.

Jusqu'à présent, un certain nombre d'établissements faisait le choix de compenser ce différentiel sur leurs fonds propres, afin d'augmenter la quotité de travail des assistants d'éducation et ainsi renforcer l'accompagnement des élèves. Or, de nombreux établissements d'enseignement agricole ont subi des pertes financières importantes au premier semestre 2020 en raison de la crise de la covid, réduisant d'autant leurs fonds propres. La rapporteure pour avis craint que certains d'entre eux n'aient plus les moyens de compenser ce différentiel et se voient contraints de diminuer la quotité du temps de travail des assistants d'éducation pour correspondre aux sommes perçues avec pour incidence la réduction de l'encadrement des élèves.

* * *

L'ensemble de ces éléments ont conduit la commission à émettre, sur la proposition de la rapporteure pour avis, un avis défavorable aux crédits du programme 143 « enseignement technique agricole ». La commission souhaite alerter sur l'avenir plus qu'incertain de l'enseignement agricole, alors même que chacun reconnaît son excellent taux d'insertion professionnelle et sociale et qu'il répond à des problématiques sociétales actuelles : produire et transformer autrement, favoriser les circuits courts, renforcer la résilience et la sécurité alimentaires. Elle souligne également les financements qui manquent pour la revalorisation des agents de catégorie III et l'aide aux établissements classés P2 et P3.

TRAVAUX EN COMMISSION

MARDI 10 NOVEMBRE 2020

___________

M. Laurent Lafon , président . - Notre collègue Nathalie Delattre va nous présenter son avis sur l'adoption des crédits alloués à l'enseignement technique agricole au sein de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances (PLF) pour 2021.

Mme Nathalie Delattre , rapporteure pour avis des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole » . - Je voudrais tout d'abord vous remercier de la confiance que vous m'avez accordée en me confiant la tâche de vous rapporter l'avis budgétaire sur l'enseignement technique agricole. Je remercie également les collègues de divers groupes qui ont participé à ces auditions.

L'enseignement agricole concerne près de 194 000 élèves et étudiants, de la quatrième aux études agricoles supérieures, contre 12 millions d'élèves dans l'éducation nationale. L'enseignement privé y joue un rôle important, puisqu'il accueille 60 % des élèves : 61 000 élèves dans les lycées publics agricoles ; 49 000 dans des établissements privés de temps plein ; 48 000 dans des établissements privés à rythmes appropriés, les maisons familiales rurales (MFR), notamment.

Le programme 143 « Enseignement technique agricole » est doté d'une enveloppe d'environ 1,5 milliard d'euros, sur les 76 milliards d'euros de la mission « Enseignement scolaire », soit 2 % des crédits de la mission. Si ce programme est en progression de 0,5 % par rapport à l'année dernière, il l'est uniquement au profit de deux lignes.

La première concerne une augmentation de 3,75 millions d'euros des montants alloués aux bourses et fonds sociaux. Si cette hausse est à saluer, nous pouvons toutefois noter qu'elle fait suite à la forte baisse de l'année dernière. Au final, le montant inscrit dans le PLF 2021 est équivalent à celui qui a été voté dans la loi de finances (LF) 2019.

La proportion de boursiers est plus importante dans l'enseignement agricole. Cette hausse des crédits doit notamment permettre de prendre en compte les difficultés financières que risquent de connaître un certain nombre de parents, en raison de la covid-19. La prime d'internat bénéficie également d'une revalorisation. Alors qu'elle était forfaitaire, elle est liée depuis cette rentrée à l'échelon de bourses de l'élève. L'une des spécificités de l'enseignement agricole réside dans le nombre important d'internes. Ainsi, près de 90 % des établissements d'enseignement agricole disposent d'un internat et 50 % des apprenants sont internes, cette proportion pouvant atteindre 80 % dans certains établissements.

La seconde concerne une augmentation de 2,62 millions d'euros, soit de 18 %, en faveur de l'école inclusive. À celle-ci s'ajoute 0,7 million d'euros pour la prise en charge d'emplois d'accompagnants des élèves en situation d'handicap (AESH), dont les contrats sont transformés en contrats à durée indéterminée (CDI). En deux ans, les crédits en faveur de l'école inclusive ont ainsi augmenté de plus de 5,6 millions d'euros.

Cependant, ce programme compte plusieurs écueils, notamment du fait d'arbitrages financiers perdus par le ministère de l'agriculture face à Bercy. Je vous les signalerai au fur et à mesure de l'exposé.

D'une manière générale, les personnes auditionnées ont fait part de leur vive inquiétude sur cette enveloppe, et plus généralement sur l'avenir de l'enseignement agricole. La crise de la covid-19, qui a fortement touché l'enseignement agricole, bien plus que l'éducation nationale, a amplifié ces craintes. Au moment où l'on parle de produire et de transformer autrement, et alors que la plus-value de l'enseignement agricole en termes d'insertion professionnelle, mais aussi sociale, est reconnue par tous, nous pouvons nous interroger sur les arbitrages malheureux de Bercy et les mauvais signaux ainsi envoyés à la filière agricole.

Premier écueil, la requalification et la revalorisation des agents de catégorie 3 de l'enseignement privé, annoncé en juillet 2019, semblent devoir rester des promesses non financées. Ces agents ont des fonctions d'enseignement. Sur la partie requalification, une divergence d'interprétation entre Bercy et le ministère de l'agriculture empêche le dossier d'avancer et se traduit par un décret qui n'est toujours pas finalisé pour devenir opérant.

Sur la partie revalorisation, une avancée a été faite par le Gouvernement, qui a déposé à l'Assemblée nationale un amendement au PLF 2021, permettant de faire un premier pas vers le changement de corps de référence. Toutefois, il est à noter que cette modification législative n'est pas accompagnée de crédits supplémentaires pour financer cette mesure. Il s'agit là du premier arbitrage défavorable, perdu par le ministère de l'agriculture face à Bercy.

Deuxième écueil, l'application stricte du schéma d'emplois pluriannuel 2018-2021, qui prévoit la suppression, à terme, de 300 équivalents temps plein (ETP).

En 2019, 50 ETP ont été supprimés, 60 ETP en 2020, et 80 ETP seront supprimés en 2021 et 110 en 2022. Les postes d'enseignants sont particulièrement touchés, puisqu'ils représentent, cette année, 58 des 80 ETP supprimés.

Le dialogue social est aujourd'hui très tendu. La situation est telle que, pour ouvrir une nouvelle filière dans un établissement, il faut en fermer une autre. Or, à côté de pratiques traditionnelles, de nouvelles formations sont nécessaires pour apprendre à produire et à transformer autrement. Mais surtout, si le schéma d'emploi continue à s'appliquer, des suppressions de classes sont à envisager à compter de la rentrée 2021, entraînant l'enseignement agricole dans un cercle vicieux : par l'absence de formations innovantes, la fermeture de classes entraîne un transfert des élèves potentiellement intéressés vers les formations proposées par l'éducation nationale, qui précipite une chute des effectifs dans l'enseignement agricole et donc la fermeture supplémentaire de classes.

Troisième écueil, des établissements fragilisés par la crise. Le groupe de travail du Sénat sur les conséquences de la crise de la covid-19 sur l'enseignement agricole, en juin 2020, piloté par notre ancien collègue Antoine Karam, pointait avec justesse les conséquences financières importantes de la crise de la covid-19 sur l'enseignement agricole.

Les auditions menées la semaine dernière confirment cette triste tendance. L'impact financier global à ce jour s'élève à 46,1 millions d'euros, les établissements publics étant les plus touchés. Le ministère a diligenté une enquête qui a permis d'identifier trois groupes d'établissements en difficulté financière plus ou moins grave : d'abord, les établissements dits P1, qui sont proches de la faillite et doivent impérativement être soutenus avant la fin de l'année 2020 au risque de fermer - 42 d'entre eux ont été identifiés en priorité absolue - ; ensuite, les établissements dits P2, qui rencontrent de graves difficultés et dont l'aide doit parvenir en début d'année 2021 - ils sont au nombre de 65 - ; et, enfin, les établissements dits P3 - ces 160 « petits » établissements disposent d'un budget faible et peuvent donc facilement basculer en raison des répercussions des crises sanitaire et économique.

Au total, un tiers des établissements d'enseignement agricole aurait besoin d'une aide financière du fait de la crise de la covid-19. Un certain nombre d'entre eux connaissaient déjà une situation financière fragile, que la crise sanitaire a renforcée.

Dans le cadre du quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR4), que devrait prochainement examiner le Parlement, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation a chiffré le besoin à 11,74 millions d'euros, pour aider 42 établissements classés en P1. Au final, ce sont seulement 6 millions d'euros qui pourraient être ouverts pour soutenir les établissements. C'est le deuxième arbitrage que le ministère de l'agriculture a pour partie perdu face à Bercy.

En ce qui concerne les établissements P2 et P3, aucun crédit supplémentaire n'est pour l'instant porté à ma connaissance dans ce PLF. Le seront-ils par voie d'amendements ? Je n'ai reçu aucune assurance en ce sens.

Quatrième écueil, les spécificités de l'enseignement agricole sont mal prises en compte par Bercy, et plus généralement par les autres ministères, ce qui peut avoir un impact direct sur les budgets des structures, mais aussi sur le nombre d'élèves inscrits dans le cadre du programme 143.

Les difficultés financières de certains lycées agricoles publics sont la conséquence d'une mauvaise interprétation de Bercy. En effet, des centres de formation d'apprentis (CFA) et des centres de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) ayant recours à des agents de droit privé sont accolés à certains de ces établissements d'enseignement public. Alors que ces CFA et CFPPA interviennent dans un milieu concurrentiel, les agents de droit privé n'ont pas pu bénéficier des mesures de chômage partiel pendant le confinement, à la différence des CFA et CFPPA privés. En effet, Bercy a considéré que, étant lié à un lycée agricole public, l'ensemble avait le statut d'établissement public administratif, et n'était pas éligible aux mesures exceptionnelles de chômage partiel. Les établissements ont donc dû maintenir les salaires sur leurs fonds propres.

Un autre exemple se trouve dans la méconnaissance du rôle des MFR. En effet, au-delà de l'insertion professionnelle, celles-ci jouent un rôle d'insertion sociale auprès d'un public souvent en difficulté avec l'institution scolaire. Aussi, le ministère de l'agriculture souhaitait revaloriser le protocole le liant aux MFR pour être plus incitatif en termes d'effectifs d'élèves et primer cette excellence pédagogique. Il a demandé des moyens supplémentaires dans la perspective de la discussion du nouveau protocole des MFR avec l'Union nationale. Toutefois, cette demande n'a pas été acceptée. C'est le troisième arbitrage de Bercy en défaveur de l'enseignement agricole.

Or, je constate que la subvention versée par l'État, par élève dans un établissement d'enseignement agricole privé, est inférieure au coût unitaire de formation par élève (CUFE), tel que calculé dans le bleu budgétaire : il est de 9 970 euros, dans les établissements publics, de 7 605 euros dans les établissements privés de temps plein et de 4 556 euros dans les établissements à rythme approprié. Certes, il existe des spécificités, par exemple le recours à l'alternance dans les MFR, mais l'écart est important.

Aujourd'hui, l'enseignement agricole est concurrencé par des formations équivalentes ou proches, proposées par l'éducation nationale. Ainsi, sur un territoire, dans un rayon de 50 kilomètres, nous trouvons des filières similaires, où ni l'une ni l'autre ne font le plein d'élèves, et affaiblissent les classes concernées.

Les établissements d'enseignement agricole, dans le décompte des effectifs des apprenants, sont en concurrence avec l'apprentissage. Or les mesures fortes en faveur de l'apprentissage, avec une aide de 5 000 à 8 000 euros pour les entreprises, ont conduit un certain nombre de jeunes à choisir cette voie. Cela explique d'ailleurs en partie la baisse des effectifs, sur le papier, dans les MFR : un certain nombre d'apprenants le sont sous statut d'apprentis, et n'apparaissent plus comme élèves dans les chiffres du ministère.

Enfin, la désaffection des directeurs d'établissement d'enseignement agricole témoigne de la crise de l'enseignement agricole, dont pourtant tous les acteurs s'accordent pour louer sa grande qualité.

En effet, malgré une charte au 1 er janvier 2020 permettant aux directeurs d'établissement de disposer d'un statut d'emploi, nous constatons que, par défaut de candidats, 30 % des chefs d'établissement public sont des contractuels.

Tous ces signaux, qui ne sont plus faibles, mais deviennent forts, me conduisent à partager avec vous ma vive inquiétude sur la survie de l'enseignement agricole, tel que nous le connaissons aujourd'hui. Pourtant, cet enseignement connaît l'un des plus forts taux d'insertion professionnelle. Il me paraîtrait d'ailleurs important de pouvoir mener ici une mission d'information sur l'état actuel de l'enseignement agricole et sa capacité à muter pour répondre aux enjeux sociétaux et économiques à venir, tant pour la filière que pour assurer à la France résilience et sécurité sanitaire.

En attendant, et vous n'en serez pas étonnés, je vous propose d'émettre un avis défavorable sur le programme 143 présenté en l'état, afin de tirer la sonnette d'alarme et d'essayer ainsi de geler les baisses d'ETP prévues pour 2021, mais surtout d'obtenir les financements qui manquent actuellement à la revalorisation des agents de catégorie 3 et l'aide aux établissements classés P2 et P3.

En parallèle, une réflexion est en cours avec notre collègue Jacques Grosperrin, chargé de l'avis budgétaire des autres programmes de la mission « Enseignement scolaire », pour le dépôt d'un amendement au programme 143, visant à augmenter, si vous en êtes d'accord, les crédits alloués aux MFR, comme le souhaitait le ministère de l'agriculture.

M. Jacques Grosperrin . - Je vous félicite pour cet exposé brillant. Alors que nous célébrons le cinquantenaire de la disparition du général de Gaulle, je dirai, non pas « Europe, Europe, Europe », mais « Bercy, Bercy, Bercy » - et surtout pas : « merci, merci, merci. »

En effet, vous avez bien démontré les difficultés que nous rencontrons avec le ministère de l'économie et des finances qui ne sort pas de sa vision comptable, ce qui pose un vrai problème, non seulement pour l'éducation, mais pour beaucoup d'autres domaines.

L'enseignement agricole concerne près de 200 000 élèves, qui bénéficient d'un service extraordinaire.

Je ne reviendrai pas sur l'histoire de l'enseignement agricole, chacun ici la connaît, mais je soulignerai son intérêt, les méthodes pédagogiques, et la révolution copernicienne, où l'élève est remis au centre du système éducatif, notamment par le biais de l'internat. C'est pourquoi je regrette cette approche financière très mécanique de Bercy, qui l'emporte à chaque fois. Bien entendu, nous vous suivrons dans votre avis défavorable, notamment à une période où la crise de la covid-19 a marqué le paysage français, mais aussi européen et mondial.

À un moment où nous parlons de circuit court, vous avez parfaitement démontré la qualité de la formation de l'enseignement technique agricole. Nous marchons vraiment sur la tête, en allant à l'encontre de ce que nous pensons.

Les conséquences financières sont très lourdes pour l'enseignement technique agricole, bien plus que pour l'éducation nationale, avez-vous dit. Les pertes financières sont, en effet, estimées à 46,1 millions d'euros. Quelles en sont les causes ? Pourquoi les lycées agricoles publics sont-ils plus touchés que les autres ? Enfin, quelle est la répartition des lycées publics et privés, entre P1, P2 et P3 ?

Nous sommes tous convaincus de l'outil extraordinaire qu'est l'enseignement technique agricole en matière d'insertion pour les jeunes - vous avez évoqué l'insertion sociale par les MFR. Nous serons à vos côtés, car chaque département possède au moins une MFR, nous connaissons donc tous le travail qu'elles réalisent. Ce potentiel de l'enseignement agricole a-t-il été pris en compte par le plan de relance et les différentes mesures mises en place ?

Mme Céline Brulin . - Je remercie notre rapporteure, dont je salue la qualité du travail. Je me retrouve complètement, comme la majorité d'entre nous, me semble-t-il, dans ce rapport et la proposition d'émettre un avis défavorable sur les crédits de ce programme. Je fais miens les termes que vous avez utilisés : outre nos « vives inquiétudes », c'est bien « la survie » même de l'enseignement agricole qui est aujourd'hui remise en question.

Les débats à l'Assemblée nationale prouvent que ces inquiétudes sont très largement partagées par nos collègues députés. Nous assistons sans doute à une prise de conscience. La création d'une mission d'information me paraît pertinente, elle pourra ainsi être force de propositions.

L'enseignement agricole, déjà fragilisé, a été extrêmement ébranlé par la crise sanitaire. Je pense aux exploitations, qui ne sont plus accessibles, à l'injustice - c'est le terme approprié - concernant les personnels de droit privé qui n'ont pas bénéficié du chômage partiel, ou encore à la nécessité de dédoubler les classes, notamment pour des mesures de sécurité. Aujourd'hui, les moyens qui lui sont attribués ne lui permettent pas de mettre en oeuvre les réformes du baccalauréat et du lycée, promues par le Gouvernement. Les enseignants nous ont en effet expliqué que les triplettes de première et les doublettes de terminale ne pouvaient pas être proposées par les établissements.

Outre l'enjeu de l'enseignement agricole, n'oublions pas l'enjeu alimentaire - nous nourrir d'aliments de qualité est important - et celui de la transition écologique, que nous devons relever.

Concernant les MFR, si notre groupe est favorable à la présentation d'amendements, le Sénat s'honorerait - nous ne pouvons pas faire moins que l'Assemblée nationale - de réfléchir à d'autres propositions visant à abonder l'enseignement public agricole.

Mme Annick Billon . - Je vous remercie pour cet excellent rapport, rédigé à la suite des auditions organisées la semaine dernière.

Depuis plusieurs années, l'enseignement agricole est l'objet de déclarations d'amour, avec une volonté d'accueillir de plus en plus d'élèves. Or nous constatons, dans ce PLF, que les budgets proposés ne permettront pas d'accueillir 20 000 élèves supplémentaires sur l'ensemble du quinquennat, - objectif fixé par le ministère de l'agriculture - mais, au contraire, auront pour conséquences de fermer des classes et de supprimer des postes d'enseignants. Les conditions d'exercice se dégradent dans tous les établissements agricoles et la situation est extrêmement préoccupante pour les MFR. Lors d'une audition, nous avons appris que quatre MFR avaient été identifiées comme étant en grand péril et dix en très grande difficulté. Pourquoi toutes ces MFR n'ont-elles pas été classées en P1, alors qu'elles sont un maillon important de l'enseignement agricole ?

S'agissant des assistants d'éducation (AED), l'écart se creuse par rapport à ceux de l'éducation nationale. Pouvons-nous envisager une position commune en faveur d'une revalorisation de ces postes ?

Je partage, bien entendu, les conclusions de notre rapporteure.

M. Jacques-Bernard Magner . - Je félicite également notre rapporteure pour la présentation exhaustive de ce budget. Il était particulièrement important de souligner les différents écueils de l'enseignement agricole, notamment dans le contexte actuel.

Si le nouveau ministre a perdu beaucoup d'arbitrages face à Bercy concernant le programme 143, il en a aussi perdu face au ministère de l'éducation nationale, puisque les 80 ETP supprimés vont dans le sens d'une baisse d'effectifs redoutable dans l'enseignement agricole. Ainsi, nous revenons à la situation de 2007-2012, quand, par le biais de la révision générale des politiques publiques (RGPP), la baisse des effectifs dans l'enseignement - agricole et générale - était automatique.

Après une augmentation des effectifs et une déprécarisation des personnels, entre 2012 et 2017, on est en train de précariser à nouveau les personnels, puisque 300 ETP seront supprimés pendant le quinquennat - 80 cette année et 110 en 2021. Je ne comprends pas pourquoi nous maintenons un enseignement agricole public, si nous lui supprimons ses moyens.

Par ailleurs, le nombre important des MFR sur le territoire pose, en temps de crise, de réels problèmes. Des économies d'échelle pourraient être réalisées, notamment en évitant les doublons. Toutefois, il est important de soutenir ces structures, qui ont tout leur intérêt dans la formation des jeunes dans les secteurs ruraux, non seulement pour les métiers d'agriculture, mais aussi pour tous les métiers de service.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain souhaite donc faire part de son mécontentement face à cette nouvelle chute de l'enseignement agricole public, en espérant que les arbitrages ne sont pas terminés et que, grâce aux amendements et au débat en séance publique, de nouveaux moyens lui seront alloués.

Mme Nathalie Delattre , rapporteure . - Tout d'abord, je vous remercie de vos éloges.

Si les conséquences financières sont aujourd'hui aussi lourdes pour l'enseignement agricole, c'est parce que les fruits de nombreuses prestations de service qui lui sont normalement attribués n'ont pu l'être depuis le début de la crise sanitaire. Je pense aux ventes réalisées par les exploitations horticoles, qui n'ont pas pu se dérouler normalement, alors même qu'elles représentent un budget important pour les lycées ; aux centres de formation pour adultes ; ou encore à la location par les MFR, de leurs structures, l'été, au profit de colonies de vacances. Par ailleurs, les établissements ont dû procéder au remboursement des frais de leurs internes, absents du fait de la crise.

S'agissant des lycées publics, Bercy s'est tiré une balle dans le pied, puisque les établissements ont dû assurer le versement des salaires aux personnels des CFA et CFPPA, alors qu'aucun travail n'a été effectué.

En ce qui concerne l'impact financier, il est le suivant : 26,4 millions d'euros pour les établissements publics et environ 20 millions d'euros pour les établissements privés. Sachant que si 100 % des établissements publics ont fait remonter leurs chiffres à la Direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER), seuls 52 % des établissements privés l'ont fait. Nous ne sommes donc pas à l'abri d'une ardoise plus lourde pour ces établissements.

S'agissant de la situation des établissements P1, P2 et P3, 142 établissements publics sont en difficulté, sur 174. En outre, 13 % des établissements privés se sont déclarés en difficulté - mais tous les établissements agricoles privés ne se sont pas manifestés - et 24 % des MFR.

Des jeunes sont aidés dans le cadre du PLFR4, par le biais de l'apprentissage, avec le versement d'une somme pouvant aller de 5 000 à 8 000 euros par élève. Cependant, il ne s'agit pas de la même ligne budgétaire, ce n'est donc pas le programme 143 qui en a bénéficié. Au contraire, cette mesure a sorti des jeunes du programme, qui sont allés en apprentissage. Il s'agit cependant d'un effet d'aubaine pour les MFR, qui s'en sortent mieux grâce à cette aide.

Si nous obtenons, par un amendement, une aide pour les établissements P1, elle sera inscrite dans le projet de loi de finances rectificative.

Nous aurions pu imaginer que les MFR puissent bénéficier d'une contribution dans le cadre du dispositif « Un jeune, une solution », doté de 6,5 milliards d'euros, contenu dans le plan de relance. Nous pourrions demander à ce qu'ils puissent bénéficier de cette mesure.

Par ailleurs, le plan de relance consacre 10 millions d'euros à un plan de communication, dans la continuité de la campagne de promotion de l'enseignement agricole, intitulée « L'aventure du vivant ». Dans ce cadre, le ministère de l'agriculture a investi dans un camion qui devait traverser la France entière et faire des étapes dans les villes pour y accueillir et renseigner les parents et élèves sur l'enseignement agricole. Il a remporté un grand succès lors de ses premières haltes, de nombreux jeunes et de nombreuses familles s'étant déplacés. Cependant, cette tournée a été arrêtée en raison du reconfinement. En outre, les journées portes ouvertes ont été annulées. Je crains que ce plan de communication ne puisse jouer le rôle qui lui était assigné.

Il nous paraît dommage, alors que des moyens ont été alloués à un plan de communication, que des mesures qui nous paraissent indispensables telles que le recrutement d'enseignants ou d'encadrants - ou en tout cas leur maintien - n'aient pas été prises.

Madame Brulin, je vous remercie d'avoir pointé le problème du dédoublement des classes qui ne peut être effectué, le nombre d'enseignements proposés étant réduit. Par ailleurs, des cours ne peuvent être dispensés par classe entière. En effet, partir en forêt avec des tronçonneuses avec un groupe important pose des problèmes de sécurité - cela s'est déjà produit. L'enseignement agricole a besoin de fonctionner en petits groupes, ce que Bercy n'arrive pas à comprendre.

S'agissant de la réforme du baccalauréat, c'est là aussi une méconnaissance de ce qu'est l'enseignement agricole que de ne pas comprendre que les structures ont énormément de mal à entrer dans les cases de cet examen nouvelle mouture.

Si nous déposons un amendement sur les MFR, il serait intéressant d'en déposer un sur l'enseignement public agricole ; mais pour ce faire, il nous faudra trouver des crédits dans les autres programmes de la mission « enseignement scolaire » - nous n'avons pas le droit de procéder à des transferts de crédits entre missions.

Concernant les AED, leur revalorisation coûterait 1,7 million d'euros.

S'agissant des établissements prioritaires, trois MFR ont été identifiées en grande précarité, et inscrites à ce titre dans les priorités P1. Toutefois, je m'inquiète des financements car le ministre de l'agriculture demandait 11 millions d'euros ; seuls 6 millions ont été acceptés.

Lorsque nous avons interrogé le ministère de l'agriculture, nous avons senti une tension, s'agissant des MFR, même si l'excellence de leur pédagogie est reconnue. Il est difficile, pour la Girondine que je suis, d'entendre l'argument selon lequel une difficulté réside dans le fait qu'il y a autant d'associations que de MFR - je le soupçonne d'être atteint de jacobinisme. Oui, bien sûr, c'est toute l'histoire des MFR, qui sont au plus près de leur territoire. Le ministère souhaite les transformer en une grosse structure unique, notamment pour ne plus avoir à conventionner une multitude de MFR - avoir un interlocuteur unique. Il existe une fédération, mais il semble qu'elle n'ait pas la main sur toutes les problématiques. Je crains que la crise sanitaire ne serve de prétexte pour les faire entrer dans des cases.

Enfin, monsieur Magner, oui, les personnels sont à nouveau précarisés, des postes sont supprimés, au moment où les enjeux sont importants. Nous avons noté qu'il n'y avait que peu d'échanges au niveau régional entre la direction régionale de l'agriculture et de la forêt (DRAF) et le directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN) pour justement établir des cartes complémentaires d'enseignement, et éviter ce système concurrentiel.

M. Pierre Ouzoulias . - Je souhaiterais faire part de ma grande tristesse, à la présentation de votre rapport, madame Delattre. Nous sentons bien que c'est le diagnostic vital de l'enseignement agricole qui est engagé. Vous avez indiqué que le ministère avait investi dans un camion pour faire la promotion de l'enseignement agricole ; or aujourd'hui, c'est un corbillard qu'il faudrait ; nous en sommes là, malheureusement.

Voilà des années que le ministère de l'agriculture demande aux établissements d'enseignement agricole de trouver des fonds propres par la vente de produits. Un grand nombre de régions ont déjà instauré des mesures en ce sens, notamment en fournissant la restauration collective en légumes bio. Mais c'est cette activité qui les pénalise aujourd'hui. Les personnes concernées doivent vivre une forme de schizophrénie insupportable, puisque lorsqu'elles font des efforts, expressément demandés par Bercy, elles sont pénalisées. C'est scandaleux.

Le budget général de l'enseignement supérieur agricole n'a pas été doté de moyens supplémentaires. Or nous savons tous, ici, que, pour faire face au réchauffement climatique et aux enjeux environnementaux, il conviendra d'investir massivement dans la connaissance et l'apprentissage. L'éducation est le levier essentiel de cette transformation. Si le Gouvernement ne s'engage pas de façon forte sur cette question, nous serons en très grande difficulté à court et moyen termes.

Enfin, les lycées agricoles sont des outils d'aménagement du territoire extrêmement précieux. Par leur biais, les élus peuvent promouvoir des politiques novatrices, y compris en matière sociale.

Pour toutes ces raisons, nous devrons exprimer, dans l'hémicycle, notre attachement à l'enseignement agricole, afin qu'il ne disparaisse pas.

M. Max Brisson . - Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce qu'ont dit mes collègues. Je remercie Mme Delattre pour l'avis circonstancié, et défavorable, qu'elle a exprimé de manière à la fois politique et technique. Le groupe Les Républicains partage entièrement cet avis.

Je suis en colère, car cette filière de notre enseignement a toujours récupéré des élèves en grande difficulté. Elle a pu, par des pédagogies souvent innovantes, différenciées, raccrocher un certain nombre de jeunes. Il s'agit d'une filière - avec d'autres, bien sûr - qui est en marge de la grande maison Éducation nationale, mais chaque élève compte. D'ailleurs, le ministre le dit souvent : ces élèves comptent autant que ceux de l'enseignement général. Il s'agit souvent d'élèves issus d'un milieu défavorisé, d'élèves en échec scolaire qui retrouvent un chemin de réussite.

J'entends bien le discours du ministre de l'éducation nationale sur des parcours de réussite ; il en existe d'exemplaires dans l'enseignement agricole. Certains sont d'ailleurs devenus d'excellents sénateurs. Preuve que l'enseignement agricole, dans notre pays, a su participer à l'émancipation républicaine, à la promotion républicaine, à la méritocratie républicaine par une pédagogie adaptée à son public.

Il s'agit maintenant, pour reprendre l'expression de l'historien Peter Laslett, d'un monde que nous avons perdu, ou du moins, qui est en train de disparaître.

Je m'associe aux propos de tous les orateurs, et vous invite à être présents dans l'hémicycle le jour de la discussion du programme 143, pour manifester notre colère et notre volonté de préserver et de doter de moyens un enseignement qui a fait ses preuves.

M. Olivier Paccaud . - Je suis issu d'un département dans lequel un réseau de MFR a fait ses preuves et qui, comme vient très bien de l'exprimer Max Brisson, a su « remettre dans le droit chemin » des enfants laissés sur le bord de la route.

L'enseignement agricole est depuis longtemps le parent pauvre de l'éducation, mais aujourd'hui, il est en train de sortir des radars. Nous ne pouvons que nous en émouvoir.

J'insisterai sur la contradiction des discours ambiants gouvernementaux sur l'attachement au territoire ; la République, c'est avant tout l'égalité des chances. C'est la raison pour laquelle, il est profondément regrettable qu'une attention particulière n'est pas été portée aux MRF et à l'enseignement agricole dans le cadre du dispositif « Un jeune, une solution ». Je suis donc également défavorable à l'adoption des crédits qui nous sont proposés par le Gouvernement.

Mme Laure Darcos . - Bien évidemment, je souscris à tout ce qui a été dit. Madame la rapporteure, connaissez-vous l'impact de la crise sanitaire sur les jeunes des lycées agricoles, s'agissant notamment des stages ? Y a-t-il, dans les territoires, une souplesse de la part des préfets pour que les jeunes puissent effectuer leur stage dans les exploitations agricoles ou forestières ? Cette question me taraude depuis le premier confinement, la crise sanitaire étant pour eux une véritable punition.

Mme Nathalie Delattre , rapporteure. - Effectivement, nos établissements ont trouvé des solutions innovantes pour diversifier leurs recettes et répondre aux enjeux de demain, notamment avec les magasins mutualisés. Non seulement ils produisent autrement, mais transforment autrement. Or, plus ils innovent, moins ils sont aidés ; c'est une véritable double peine. Il est donc important, à travers notre avis, de souligner et d'encourager leurs efforts.

Situées dans les territoires les plus ruraux, les MFR sont au coeur de notre pays ; elles créent un écosystème. Leur disparition serait un non-sens, alors même que nous soutenons la ruralité par le biais de politiques publiques.

Concernant le dispositif « Un jeune, une solution », nous n'avons rien à perdre à tenter d'en faire bénéficier l'enseignement agricole.

Je tiens à remercier Max Brisson pour ses propos et son soutien.

Enfin, madame Darcos, la filière fait de gros efforts pour trouver un stage à ces jeunes et faire en sorte qu'ils subissent le moins possible la crise sanitaire.

Je rappellerai que 45 % des exploitants agricoles feront valoir leurs droits à la retraite d'ici à 2024, soit 215 000 exploitants. La filière a donc bien conscience qu'elle doit former et préparer la relève.

Mme Monique de Marco . - Je remercie Mme Delattre pour son rapport très clair et intéressant.

Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires soutiendra l'avis émis, car, si nous voulons relever les enjeux de la transition écologique, il nous faut absolument soutenir l'enseignement agricole, qui, non seulement est ancré sur le territoire, mais a une pédagogie de projet auprès des enfants.

M. Laurent Lafon , président. - Madame la rapporteure, je vous remercie de votre investissement sur cette mission de l'enseignement agricole, un sujet auquel notre commission a toujours été très attachée. Les représentants de nos groupes politiques partagent l'inquiétude exprimée dans votre rapport et ont tenu à exprimer leur incompréhension devant les arbitrages réalisés.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Enseignement technique agricole » au sein de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances pour 2021.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Jeudi 29 octobre 2020

- SNETAP-FSU : Mme Laurence DAUTRAIX , secrétaire générale adjointe, secteur politique scolaire et laïcité.

- Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP) : M. Philippe POUSSIN , secrétaire général.

- Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation : M. Roland GRIMAULT , directeur.

Mardi 3 novembre 2020

- Ministère de l'agriculture et de l'alimentation - Direction générale de l'enseignement et de la recherche : Mmes Isabelle CHMITELIN , directrice générale, et Isabel DE FRANCQUEVILLE , sous-directrice des établissements, des dotations et des compétences.

- France Agro 3 : Mmes Cindy SCHWEITZER , déléguée générale, et Sophie BROCARD , office manager.

ANNEXE

Comparaison des crédits alloués au programme 143
dans la LFI 2020 et le PLF 2021

LFI 2020
(millions d'euros)

PLF 2021
(millions d'euros)

Évolution
(millions d'euros)

Évolution

(%)

Action 1 : mise en oeuvre de l'enseignement dans les établissements publics

783,79 M€

790,55 M€

+ 6,76 M€

+ 0,86 %

Action 2 : mise en oeuvre des enseignements dans les établissements privés

596,96 M€

590,39 M€

- 6,57 M€

- 1,10 %

Action 3 : aide sociale aux élèves (enseignement public et privé)

85,84 M€

92,21 M€

+ 6,67 M€

+ 7,77 %

Action 4 : Évolution des compétences et dynamique territoriale

4,36 M€

4,63 M€

+ 0,27 M€

+ 6,19 %

Action 5 : Moyens communs à l'enseignement technique agricole, public et privé

6,23 M€

6,23 M€

0

0 %

Total

1 477,18 M€

1 484,01 M€

6,83 M€

+ 0,47 %

Source : Rapport annuel de Performance « enseignement scolaire », PLF 2021


* 1 Cf. annexe.

* 2 Le CNEAP regroupe les lycées agricoles privés d'enseignement à temps plein.

* 3 Audition de Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, le 12 novembre 2019 devant la commission de la culture du Sénat.

* 4 Deux types d'enseignement toutefois ne sont pas concernés par ce relèvement des seuils : les enseignements pour lesquels les dédoublements répondent à des considérations de sécurité, et les enseignements de langue vivante, dont les effectifs ont été baissés.

* 5 À la différence des lycées relevant de l'éducation nationale où les spécialités suivantes existent : arts ; histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques ; humanités, littérature et philosophie ; langues, littératures et cultures étrangères et régionales ; littérature, langues et cultures de l'Antiquité ; mathématiques ; numérique et sciences informatiques ; physique-chimie, sciences de la vie et de la terre, sciences de l'ingénieur, sciences économiques et sociales.

* 6 Présidé par le ministre en charge de l'agriculture, le conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) assure des missions de conseil, d'expertise, d'évaluation, d'audit et d'inspection.

* 7 Rapport commun du CGAAER n° 19097/inspection de l'enseignement agricole n° R2020-005 sur le suivi de la réforme des seuils de dédoublement dans l'enseignement technique agricole, juin 2020.

* 8 http://draaf.centre-val-de-loire.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/DECISION_V2_signee_07_02_2019_
Bac_general_specialite_-_option_cle4e1afd.pdf

* 9 Au nombre de 42, ces établissements de « priorité 1 » ont une perte financière cumulée de près de 12 millions d'euros du fait de la crise de la covid-19. Il s'agit d'établissements qui étaient déjà dans une situation financière précaire ou rencontraient des problèmes de trésorerie avant la crise.

* 10 Au nombre de 65, ces établissements de « priorité 2 » ont une perte cumulée de 18,62 millions d'euros. Il s'agit d'établissements qui ont subi de lourdes pertes de fonds de roulement ou qui ont une prévision de résultat très dégradée à l'issue de la crise covid.

* 11 Ces 160 établissements de « priorité 3 » représentent 20 % de l'ensemble des établissements d'enseignement agricole.

* 12 Les entreprises peuvent bénéficier d'une aide de 6 000 à 8 000 euros pour financer le recrutement d'un apprenti à la rentrée 2020.

* 13 5 millions d'euros en crédits de paiement en 2021 et 10 millions en autorisation d'engagement.

* 14 Réponse ministérielle au questionnaire budgétaire parlementaire.

* 15 Il s'agit d'enseignants contractuels devant justifier pour l'enseignement des disciplines générales d'un titre ou diplôme de niveau master, et pour l'enseignement des spécialités professionnelles, d'un diplôme de niveau Bac + 2 et d'une expérience professionnelle de 5 ans au minimum ou d'un diplôme de niveau baccalauréat et d'une expérience professionnelle de 7 ans au minimum.

* 16 Les assistants d'éducation sont recrutés et rémunérés par les établissements publics locaux d'enseignement, mais ceux-ci bénéficient d'une subvention de la part du ministère de l'agriculture et de l'alimentation pour couvrir leur rémunération.

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