B. L'ACCÉLÉRATION DE LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE DES BÂTIMENTS À USAGE D'HABITATION : UN OBJECTIF QUI DOIT ÊTRE ARTICULÉ AVEC CELUI DE LA PRÉSERVATION DU PATRIMOINE

1. Des dispositions destinées à accélérer la rénovation énergétique des logements et à lutter contre les passoires énergétiques qui oublient très largement les contraintes liées à la préservation du patrimoine

Partant du constat que le secteur du bâtiment représenterait en France « un quart des émissions des gaz à effet de serre » selon les chiffres communiqués par la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, le projet de loi comporte un chapitre relatif à la rénovation énergétique des bâtiments (articles 39 à 45 quinquies ). Il comprend un certain nombre d'articles destinés :

• d'une part, à renforcer les obligations et à intensifier le rythme de la rénovation des logements : inscription dans la loi des différentes classes allant de A à G du diagnostic de performance énergétique (DPE), généralisation du DPE pour les immeubles collectifs, définition des contours d'une rénovation énergétique performante, extension des missions attribuées au service public de la performance énergétique de l'habitat, mise en place d'un service d'accompagnement aux ménages pour leurs projets de rénovation énergétique, obligation pour les immeubles en copropriété de réaliser un DPE à l'échelle de l'immeuble et, sur cette base, d'élaborer un plan pluriannuel de travaux ;

• et, d'autre part, à lutter contre les passoires énergétiques : réalisation obligatoire d'un audit énergétique avant toute vente de maison ou d'immeuble en monopropriété considéré comme une passoire énergétique, interdiction progressive de location des passoires énergétiques à compter de 2025 et gel de leurs loyers d'ici là.

Le projet de loi n'intègre guère jusqu'ici les enjeux liés à la protection du patrimoine, sur lesquels les nouvelles obligations en matière de rénovation énergétique pourraient pourtant avoir des conséquences significatives.

Aucune disposition destinée à tenir compte des spécificités des différents types de bâti ne figurait dans le projet de loi initial, lorsqu'il fut déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 10 février dernier, alors que la ministre déléguée chargée du logement, Emmanuelle Wargon, reconnaissait que « l'adaptation des enjeux de ce projet de loi aux questions de défense du patrimoine est essentielle » devant la commission des affaires économiques le 12 mai dernier. Cet oubli s'explique-t-il par le fait que le Gouvernement considère que « lutte contre le dérèglement climatique et défense du patrimoine sont compatibles », conformément aux propos tenus par la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili lors de son audition par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable le 5 mai dernier ? Si tel est le cas, il s'agit d'une raison supplémentaire pour veiller à ce que ces deux objectifs qui revêtent, l'un comme l'autre, un intérêt public, s'articulent correctement.

En première lecture, les députés ont d'ailleurs introduit deux exceptions en matière de rénovation énergétique pour les immeubles qui présenteraient des « contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales » .

La première exception concerne la rénovation énergétique performante : la rénovation de ces immeubles pourrait être qualifiée de performante sans qu'elle permette d'atteindre la classe C , à la condition qu'elle permette un gain d'au moins deux classes et que les six postes de travaux de la rénovation énergétique aient été traités, à savoir l'isolation des murs, l'isolation des planchers bas, l'isolation de la toiture, le remplacement des menuiseries extérieures, la ventilation, ainsi que la production de chauffage et d'eau chaude sanitaire.

La seconde exception concerne le contenu de l'audit énergétique à réaliser préalablement à toute vente de maison relevant de la catégorie des passoires énergétiques. En principe, cet audit énergétique doit formuler des propositions de travaux pour atteindre un niveau performant de rénovation. Les députés ont fixé le principe de la compatibilité de ces propositions de travaux avec les servitudes d'utilité publique prévues par le code du patrimoine . Ils ont également exclu de l'obligation de prévoir un parcours de travaux permettant d'atteindre la classe B les immeubles qui présentent des contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales particulières.

2. Un dispositif à compléter pour mieux articuler l'objectif de lutte contre le dérèglement climatique avec la nécessaire préservation du patrimoine

S'il apparait essentiel, pour lutter contre le dérèglement climatique, de réaliser des efforts pour renforcer la rénovation énergétique des bâtiments et lutter contre les passoires énergétiques, ces mesures doivent tenir compte des spécificités architecturales ou patrimoniales du bâti et de leurs caractéristiques techniques . Les modalités de calcul du DPE sont peu adaptées au bâti ancien.

Les bâtiments anciens contribuent à l'identité et à la richesse de nos régions. Leur préservation constitue un enjeu central pour développer l'attractivité des territoires, améliorer le cadre de vie et favoriser le tourisme.

Cet enjeu est d'ailleurs au coeur des programmes de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs lancés au cours des dernières années. Il apparait donc important de ne pas le remettre en cause en imposant systématiquement la pose d'une isolation pour assurer la rénovation thermique de ces bâtiments, en particulier s'il s'agit d'une isolation par l'extérieur. Tous travaux qui emprisonnent l'humidité dans les murs peuvent leur causer des dommages irréversibles.

Les constructions traditionnelles datées d'avant 1948 , qui relèvent du bâti ancien, se distinguent en effet du bâti moderne. Elles sont composées de matériaux sensibles à l'humidité (bois, terre, brique, pierre) contrairement aux bâtiments modernes. Leur rénovation doit donc respecter leur équilibre hygrothermique sous peine de désordres qui seraient dommageables, non seulement pour le bâti et son aspect extérieur, mais aussi pour le confort de vie de leurs habitants. Un diagnostic est indispensable avant toute intervention car chaque bâtiment constitue un cas particulier qui ne peut faire l'objet d'un même traitement. Le choix des matériaux est fondamental pour maintenir l'équilibre hygrothermique d'un mur ancien.

On ne rénove pas le bâti ancien comme on rénove le bâti moderne.

Ces constats ont conduit la commission à déposer quatre amendements au projet de loi pour compléter le dispositif adopté par l'Assemblée nationale.

L'amendement COM-791 vise à préciser l'objectif strictement énergétique de la rénovation performante définie par le projet de loi, afin de dissiper tout malentendu qui pourrait surgir du fait de l'emploi du seul terme de « rénovation » pour la définir : une rénovation ne saurait être réduite au seul objectif d'obtenir des gains en termes énergétiques ; elle peut aussi viser à gagner en confort, à améliorer la qualité de l'air intérieur, à réduire l'empreinte carbone des constructions ou à améliorer leur insertion paysagère.

Les amendements COM-792 et COM-793 visent à ce que les bâtiments qui ne pourraient pas faire l'objet d'une rénovation susceptible d'être qualifiée de performante en raison de leurs contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales ne soient pas sanctionnés en tant que « passoires énergétiques » en imposant le gel de leurs loyers, puis l'interdiction de leur location à compter de 2025. Pour inciter les propriétaires à procéder à la réalisation de la rénovation énergétique de leur logement, ces amendements conditionnent cette exemption à l'étude des six postes de travaux de la rénovation énergétique performante et à leur traitement selon le meilleur état de la technique disponible, adaptée aux spécificités de leur bâti.

Enfin, l'amendement COM-794 vise à garantir que les opérateurs chargés d'accompagner les ménages dans la réalisation de leurs projets de rénovation énergétique disposent de qualifications qui leur permettent de prendre en compte, dans le cadre de leur mission et des solutions qu'ils préconisent, les spécificités des différents types de bâti . Ce professionnel jouera en effet un rôle déterminant pour articuler l'enjeu de la préservation du patrimoine avec celui de l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments.

Ces propositions vont dans le sens des propos tenus par la ministre déléguée chargée du logement, Emmanuelle Wargon, devant la commission des affaires économiques le 12 mai. Celle-ci a en effet reconnu à cette occasion que « rénovation du patrimoine et isolation thermique doivent être conciliées avec souplesse », précisant en particulier que « les travaux sur l'isolation extérieure restent impossibles sur les bâtiments patrimoniaux ». Elle a alors mentionné l'idée d'une obligation de moyens, plutôt que d'une obligation de résultats, et la nécessité pour son ministère de réaliser encore un « important travail [...] avec les filières industrielles concernant l'adaptation aux différents types de bâtiments ».

*

* *

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des articles dont elle s'est saisie pour avis, sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle a ainsi adoptés.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page