EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 24 janvier 2023, la commission a examiné le rapport pour avis de Mme Dominique Estrosi Sassone sur la proposition de loi n° 174 (2022-2023) visant à protéger les logements contre l'occupation illicite.

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous examinons ce matin le rapport pour avis de Dominique Estrosi Sassone sur la proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite.

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - Notre commission s'est saisie pour avis de l'intégralité du texte de cette proposition de loi, qui a été déposée par le député Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Se saisir pour avis de l'intégralité d'un texte - sans qu'aucune disposition soit déléguée au fond à notre commission - est une situation assez inhabituelle. Cela s'explique par l'enchevêtrement des dispositifs concernant le logement avec les questions de droit pénal et de procédure civile d'exécution, qui toutefois prédominent, d'où le renvoi au fond à la commission des lois.

Je remercie chaleureusement André Reichardt, rapporteur au fond pour la commission des lois : nous avons pu croiser nos regards et nos expériences, tout en menant la quasi-totalité des auditions en commun, et, in fine , être d'accord sur tout. Certains de nos amendements sont identiques ; d'autres, différents, relèvent de nos compétences respectives, mais tous ont été déposés dans une entente parfaite.

Dans un souci de rééquilibrage face à des procédures inextricables et afin de garantir que « force reste à la loi » devant la violence des squatteurs et des occupations illicites, la proposition de loi opère parfois un rapprochement trop rapide entre les squatteurs et les locataires en difficulté qui ont besoin d'un accompagnement précoce et adapté.

Nous avons accompli un travail de démêlage avec André Reichardt. Pour résumer les choses avec une formule à succès : nous avons voulu être gentils avec les gentils et méchants avec les méchants. Nous souhaitons ainsi être plus stricts contre les squatteurs et les locataires de mauvaise foi abusant des procédures, mais aussi préserver les droits des locataires victimes d'accidents de la vie et leur assurer un meilleur accompagnement social sans en faire porter le poids aux propriétaires.

Il convient d'établir une distinction claire entre squatteurs et locataires en difficulté. Le squat de domicile est un véritable viol de l'intimité. Il doit être réprimé sans faiblesse, mais sans adopter une vision étriquée : un accédant à la propriété ou un attributaire de logement social peut se voir priver de la jouissance de son futur logement, alors qu'il doit en supporter la charge. Ces personnes méritent elles aussi d'être protégées, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Aujourd'hui, le phénomène de squat est rare. Depuis l'adoption de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap), il est prévu une procédure accélérée permettant le recours à la force publique sous quarante-huit heures en vue d'exécuter une décision d'expulsion. Selon les chiffres qui nous ont été communiqués, il y aurait eu, en 2021, environ 160 saisines des préfets. Pas moins de 70 % des demandes sont acceptées. Pour les autres, le refus s'explique ainsi : soit il ne s'agit pas d'un domicile, soit il est impossible de reloger aussi rapidement des publics fragiles comme des familles avec enfants. Dans la très grande majorité des cas, l'évacuation est acceptée, une fois que le préfet a pris la décision d'expulsion. Il n'y aurait eu qu'environ quarante cas d'intervention effective de la force publique.

Il arrive que les squatteurs soient victimes de réseaux, mais certains activistes, qui proposent de véritables modes d'emploi et encouragent ces pratiques illégales, restent impunis.

Si, heureusement, les squats sont rares, les impayés de loyer représentent un phénomène de masse. Le récent rapport de la Cour des comptes, qui se fonde sur les chiffres des années 2018 et 2019 - avant la crise sanitaire -, constate environ 500 000 impayés par commandements de payer chaque année, dont environ 140 000 dans le parc social, soit 3,1 % des locataires, et 350 000 dans le parc privé, soit 4,9 % des locataires. Plus d'un tiers de ces impayés débouchent sur 130 000 assignations devant le juge et 120 000 décisions, ce qui signifie que la dette a été acquittée ou qu'une solution amiable a été trouvée dans les autres cas. Sur les 120 000 décisions, on recense 70 000 expulsions fermes et 50 000 expulsions conditionnelles, lorsqu'elles sont assorties d'un échéancier strict de paiement.

Ces décisions d'expulsion se traduisent par 66 000 commandements de quitter les lieux et 33 000 demandes de concours de la force publique, dont seulement 15 000 sont effectivement appliquées.

Cette simple énumération montre, heureusement, que beaucoup de situations se résolvent sans finalement recourir à la force publique. En outre, la procédure est complexe : elle nécessite de nombreux actes, tant du propriétaire que des juges. Enfin, elle est susceptible d'être particulièrement longue : on évoque souvent une durée de vingt-quatre à trente-six mois, mais ce n'est pas toujours le cas.

Il convient de bien distinguer les deux parties de la procédure. Le premier volet, d'une durée maximale de trois ans, offre au locataire un délai suspensif, qui s'arrête au premier incident de paiement, afin que celui-ci puisse apurer sa dette. Il y va de l'intérêt réciproque des parties : le locataire se met en règle et garde son logement tandis que le propriétaire recouvre l'intégralité des sommes qui lui sont dues. Le second volet intervient après la décision d'expulsion : le juge peut de nouveau accorder des délais jusqu'à trois ans. Quant à lui, le préfet peut atermoyer ou refuser le concours de la force publique. La situation est alors bloquée : le locataire n'a plus vraiment intérêt à payer et c'est le propriétaire qui supporte indûment l'incapacité de l'État à reloger le ménage en difficulté ou à faire respecter la loi.

Le squat et les impayés de loyer sont des situations très différentes. Ce texte vise à définir des sanctions pénales lorsqu'un logement est occupé de manière illicite ou lorsque l'occupation illicite d'un logement ou lorsqu'une décision de justice définitive et exécutoire a été rendue. Il tend à sanctionner plus fortement le squat, la propagande en faveur du squat et le fait de se dire faussement propriétaire d'un bien pour le louer à des personnes qui se retrouvent involontairement en situation de squat. Il étend la procédure d'expulsion administrative sous quarante-huit heures à tous les logements, que ceux-ci soient meublés ou non : sont ainsi concernés les futurs domiciles, afin de prendre en compte les cas de squat d'un bien dans lequel le locataire ou le propriétaire n'a pas encore emménagé. À Paris, environ un quart des demandes d'expulsion émanent de locataires.

En outre, la proposition de loi précise et étend la notion de domicile, qui, pour l'essentiel, sert de base à cette procédure.

Elle instaure une exonération de la responsabilité civile du propriétaire et de son obligation d'entretien du bien en cas d'occupation illicite.

En dehors du squat, le texte tend à pérenniser le dispositif expérimental d'occupation temporaire des logements créé par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, dite loi Molle. Celui-ci a été prolongé par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan). C'est un dispositif gagnant-gagnant : celui-ci protège du squat des locaux professionnels ou d'habitation grâce à l'occupation temporaire accordée à des personnes en mobilité professionnelle, géographique ou familiale et à des personnes en difficulté. La durée de l'hébergement s'élève à dix-huit mois au maximum. Cette activité est soit assurée par des entreprises privées - deux d'entre elles sont agréées actuellement - soit par des associations d'insertion, comme Emmaüs.

Enfin, la proposition de loi vise à réduire les délais des procédures en cas d'impayé en généralisant la clause résolutoire dans les baux, en supprimant certains pouvoirs d'intervention d'office des juges et en diminuant certains délais minimaux dans la première phase visant à la résorption de la dette locative. Elle tend également à réduire les délais pouvant être accordés après la décision d'expulsion, en les faisant passer de trois ans à un an au maximum, voire de les supprimer lorsque le locataire est jugé de mauvaise foi.

Avec André Reichardt, nous estimons que la proposition de loi comporte des dispositions utiles. D'autres méritent toutefois d'être corrigées ou complétées.

Nous approuvons sans réserve les mesures contre le squat. Celles-ci sont d'ailleurs partiellement issues de la proposition de loi que j'avais déposée et qui a été votée par le Sénat le 19 janvier 2021. Mais que de temps perdu ! Si le Gouvernement avait inscrit mon texte à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale, la loi serait déjà appliquée.

Nous approuvons également l'objectif général d'accélération des procédures du contentieux de l'impayé et de l'expulsion. Ce contentieux décourage les propriétaires d'investir et de proposer des logements à la location de longue durée pour lui préférer des meublés de tourisme par exemple. Or les locations de longue durée sont nécessaires pour répondre à la crise du logement. Cette protection exagérée se retourne donc contre les locataires et se traduit par une pénurie de logements à louer.

J'en viens aux modifications importantes que nous proposons pour ce texte.

Comme je l'avais fait dans le cadre de ma proposition de loi, nous opérons une distinction stricte entre les squatteurs et les locataires en difficulté, alors que les formulations retenues par l'Assemblée nationale pouvaient faire craindre un amalgame.

Outre les précisions juridiques qu'il convient d'apporter à l'article 2, ce dernier devrait inclure les apports du texte voté par le Sénat, notamment les possibilités d'action des ayants droit et l'aide de l'État à la victime du squat pour prouver qu'il s'agit de son domicile. Très souvent, le propriétaire n'est pas en capacité de le prouver : cette tâche devrait incomber à l'État.

À l'article 2 bis , nous approuvons le principe de l'exonération de responsabilité du propriétaire en cas d'occupation illicite, mais nous voulons la réserver aux propriétaires de bonne foi et éviter absolument que des marchands de sommeil ne cherchent à utiliser ce dispositif.

À l'article 2 ter , nous approuvons le principe de la pérennisation du dispositif de logement intérimaire, mais nous voulons protéger son développement en empêchant toute requalification en bail classique, ce qui retirerait alors tout intérêt à cette solution bénéfique pour tous.

En matière de procédure d'impayé et d'expulsion, nous pensons qu'il est contraire au droit à un procès équitable de soumettre un certain nombre de décisions à des demandes des locataires, car ceux-ci sont peu conscients de leurs droits, sont peu présents à l'audience et bénéficient peu de l'aide juridictionnelle. Dès lors, soumettre l'établissement d'un échéancier d'apurement de la dette à la demande du locataire alors que celui-ci pourrait figurer dans le diagnostic social et financier (DSF) ou être proposé par le propriétaire lui-même est contreproductif. De même, il n'est guère concevable d'empêcher le juge de vérifier le montant de la dette locative. Celui-ci doit aussi pouvoir s'assurer que le logement respecte bien les conditions de décence. Certes, je comprends la volonté de responsabiliser le locataire, mais cette amélioration passera davantage par un accompagnement social adéquat que par une réduction de ses droits.

Nous souhaitons également sécuriser pour le propriétaire les exigences de la période pendant laquelle la poursuite du bail est suspendue au respect de l'échéancier fixé par le juge et qui pourrait, en l'état du droit, faire l'objet d'une cassation selon les informations que nous avons recueillies.

Si nous approuvons la réduction des délais une fois la décision d'expulsion prise contre les locataires de mauvaise foi, nous pensons qu'il est contreproductif de réduire trop drastiquement la période durant laquelle la majeure partie des impayés se résolvent, c'est-à-dire entre le commandement de payer et l'assignation. Les acteurs du secteur considèrent qu'un délai de six semaines - plutôt que quatre, comme l'a voté l'Assemblée nationale, et au lieu de deux, comme la loi le prévoit actuellement - semble être la durée minimale à respecter.

Je souhaite également que l'on puisse progresser en matière d'indemnisation des bailleurs privés lorsque le concours de la force publique pour recouvrer leur bien leur est refusé. Aujourd'hui, seulement 50 % d'entre eux seraient indemnisés - et encore partiellement. L'article 40 de la Constitution m'empêche d'aller aussi loin que je le souhaiterais : j'estime que cette indemnisation devrait être intégrale et automatique. Je vous propose cependant de confier à un décret le soin d'en définir les modalités, ce qui permettra de sortir du maquis de la jurisprudence et des pratiques variant selon les préfectures.

Enfin, et c'est pour moi un point très important, j'ai voulu améliorer la prévention des expulsions. Le rapport de Nicolas Démoulin, alors député, et celui de la Cour des comptes montrent que la prévention n'est pas assez précoce, que les services sociaux n'ont pas assez de temps pour réaliser les diagnostics sociaux et financiers et que les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex) ne disposent pas de moyens suffisants pour mener à bien leur action. Après mes échanges avec l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil) et son réseau départemental des agences départementales d'information sur le logement (Adil), avec la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), ainsi qu'avec les commissaires de justice et d'autres acteurs du secteur, je propose d'avancer d'un à trois mois, selon le département, le seuil à partir duquel un commandement de payer est transmis aux Ccapex, soit à partir de deux mois d'impayé.

En outre, je suggère d'avancer d'autant le moment à partir duquel un DSF doit être mené : sa durée sera ainsi augmentée de 50 %, et passerait de deux à trois mois. Aujourd'hui, le DSF n'est réalisé que pour un tiers des audiences. Pourtant, sans cet outil, comment accompagner sérieusement les locataires en difficulté ?

Je propose également de renforcer les moyens des Ccapex, via un nouveau chapitre consacré à l'amélioration de l'accompagnement social des locataires en difficulté. Les métropoles, qui gèrent les Fonds de solidarité pour le logement (FSL) doivent s'impliquer davantage. Les Ccapex doivent être en mesure de mobiliser les aides, de déclencher des mesures d'accompagnement social personnalisé (Masp) de niveau 3 et de pouvoir s'assurer du versement des aides personnelles au logement (APL) si les ménages en ont besoin. Plus largement, les informations doivent leur être transmises tout au long de la procédure, afin qu'elles puissent mener à bien leur action préventive et éviter qu'un ménage ne se retrouve à la rue. Ainsi, lors de la transmission du commandement de payer, les commissaires de justice pourront désormais transmettre aux Ccapex les coordonnées des locataires dont ils disposent. Cela leur est aujourd'hui interdit en raison du secret professionnel : bien souvent, les services sociaux ne disposent pas de l'information et ne peuvent pas joindre facilement les locataires en difficulté. Cela représente une avancée réelle.

Tout en renforçant le volet contre le squat et en luttant contre l'usage dilatoire des procédures par des locataires de mauvaise foi, j'entends établir une distinction nette entre squatteurs et locataires en difficulté en reprenant le contenu du texte déjà voté par le Sénat. De plus, je souhaite favoriser le développement du dispositif de logement intérimaire ou intercalaire, qui constitue aujourd'hui une possibilité légale d'occuper des locaux vacants ou sans destination immédiate au bénéfice des personnes en difficulté ou de celles qui sont en mobilité géographique. Enfin, je veux débloquer la prévention précoce des impayés de loyer et améliorer les outils d'accompagnement social sans allonger les procédures au détriment des propriétaires.

J'espère que la commission des lois adoptera ce texte, dont l'équilibre diffère de celui qui a été transmis par l'Assemblée nationale. Nos principes de justice, d'humanisme et de respect de la propriété privée et des fruits du travail sont respectés.

M. Bernard Buis . - Je salue cette proposition de loi, qui s'inscrit dans le prolongement de la loi Asap de 2020 et dont notre groupe a souhaité l'inscription à l'ordre du jour des travaux de notre assemblée. Le squat et les impayés à répétition ne sont plus un phénomène marginal ; leurs conséquences sont désastreuses pour les petits propriétaires. Certaines dispositions font écho à la proposition de loi déposée par notre rapporteur.

Avec ce texte empreint de bon sens, on cherche à rééquilibrer les forces, en renforçant l'arsenal juridique et en réduisant certains délais de procédure judiciaire. Dans un contexte de crise locative, on sécurise la vie des petits propriétaires, qu'il convient de rassurer.

À l'issue des débats à l'AN, marqués par un esprit de compromis entre groupes politiques, nous souhaitons apporter quelques modifications pour gagner en équilibre et ne pas tomber dans des travers idéologiques entre riches propriétaires et locataires mal logés. Ainsi, nous souhaitons un geste envers les locataires de bonne foi, qui doivent être effectivement informés par le préfet de leur droit à demander au juge de leur accorder des délais de paiement. Le juge pourra aussi suspendre la résiliation du bail si le locataire est de bonne foi. Ne stigmatisons pas les locataires en grande difficulté économique en les assimilant à des squatteurs.

M. Daniel Salmon . - Je salue le travail du rapporteur. Il est difficile de trouver un équilibre entre propriétaires et locataires. On se focalise sur des faits divers. Or environ 120 à 170 squats ont fait l'objet d'une procédure judiciaire. Il faut donc séparer le problème des squats et celui des loyers impayés.

Madame la rapporteur, vous avez parlé d'humanisme : le droit de la propriété ne doit pas supplanter tous les autres droits sociaux. Le juge doit conserver sa liberté d'interprétation.

Le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale ne nous convient pas, car il rompt les équilibres institués au fil du temps. Nous examinerons avec attention les amendements qui nous semblent aller dans le bon sens. Ne criminalisons pas les squats, car le nombre de sans-abri et de logements insalubres va croissant. Soyons également vigilants contre les marchands de sommeil.

M. Fabien Gay . - Je salue moi aussi le travail du rapporteur, même si j'estime que ce texte confond les courgettes avec les tomates. Il existe des problèmes liés aux squats et d'autres aux impayés ; or ce sont des choses très différentes. Certains faits très médiatisés sont certes insupportables, mais ils sont limités : madame la rapporteur, vous avez évoqué quarante-deux situations de ce type, qu'il convient de rapporter aux 500 000 cas d'impayés.

Cela étant, pourquoi assimiler les locaux non meublés et non habités à des domiciles ? Dans notre pays, qui compte 300 000 sans domicile fixe (SDF), certains locaux d'entreprise sont inutilisés depuis des années. Le télétravail va encore accentuer le phénomène, alors même qu'à rebours de l'histoire l'on continue de construire des immeubles de bureaux. Sur ce point, nous ne sommes pas d'accord avec Mme la rapporteur pour avis.

Au sujet des marchands de sommeil, nous sommes également en désaccord avec ce qui nous est proposé : aujourd'hui, les intéressés encourent cinq ans d'emprisonnement, contre trois ans dans le texte qui nous a été transmis.

Les loyers impayés sont une problématique difficile. La précarité liée au logement est révélatrice d'une précarité beaucoup plus large, qu'il s'agisse de l'énergie ou du travail. Si l'on ne paye plus son loyer, c'est bien souvent parce que l'on a atteint la dernière extrémité.

Il faut s'interroger sur notre projet de société : s'agit-il de jeter toujours plus de personnes à la rue ? Bien sûr que non.

Nous nous opposerons à cette proposition de loi, malgré les quelques mesures de bon sens défendues par Mme la rapporteur pour avis. En effet, nous sommes radicalement contre la philosophie de ce texte, qui mélange trop de sujets et finit par rater sa cible. Les associations de locataires le disent elles-mêmes et nous devrions les écouter davantage.

M. Denis Bouad . - Mme la rapporteur pour avis l'a dit clairement : il faut distinguer le squat, qui exige des mesures spécifiques, et les problèmes de précarité.

Je suis moi aussi soucieux de la situation des bailleurs privés, qui investissent notamment pour préparer leur retraite, lorsqu'ils sont victimes de locataires indélicats.

Parmi les locataires, il faut faire la part des mauvais payeurs et celle des personnes en difficulté financière. Pour ce qui concerne ces dernières, il faut que les services sociaux puissent travailler dans de bonnes conditions, ce qui suppose de ne pas réduire excessivement leurs délais d'intervention.

La principale difficulté, aujourd'hui, c'est bien la politique du Gouvernement en matière de logement social ; c'est le manque général de logements que subit notre pays. Comme M. Gay, je pourrai soutenir certains amendements, mais je m'opposerai à plusieurs autres.

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - Monsieur Buis, je vous invite à examiner attentivement nos amendements : leurs dispositions vont encore plus loin que ce que vous envisagez.

Monsieur Salmon, il y a certes peu de squats en France, mais il faut avoir conscience du traumatisme que ces derniers provoquent. Force doit rester à la loi. On se souvient de l'affaire de Théoule-sur-Mer, à l'été 2020, qui avait été extrêmement médiatisée et à la suite de laquelle j'avais présenté ma propre proposition de loi. Face à de telles situations, nous devons nous montrer intraitables. Certes, la construction de logements n'a jamais été si faible dans notre pays ; mais ce n'est pas aux propriétaires de supporter à la place de l'État la charge du mal-logement, que notre assemblée dénonce à une grande majorité.

Monsieur Gay, ce n'est pas parce qu'un bureau est vide que l'on peut y entrer impunément. Le logement intérimaire-intercalaire, expérimenté en vertu de la loi Élan, me semble bon, et je me réjouis que nos collègues députés aient décidé de le pérenniser. C'est un dispositif gagnant-gagnant, permettant de recourir à des sociétés privées agréées par l'État, ou à des associations, pour des logements qui ne sont pas tout de suite destinés à un usage précis. Emmaüs développe ainsi des partenariats très féconds avec la ville de Nantes, pour installer des personnes dans des locaux vides en toute légalité et pour une durée clairement définie. Désormais, les promoteurs viennent même voir Emmaüs directement. C'est aussi une solution de logement pour des personnes devant accomplir une mobilité professionnelle de courte durée. Ces conventions d'occupation, qui ne sauraient être transformées en baux classiques, méritent d'être développées.

Monsieur Bouad, à la différence de l'Assemblée nationale, nous faisons clairement la différence entre squatteurs et locataires défaillants. D'ailleurs, ma proposition de loi établissait elle aussi cette distinction. Aujourd'hui, les services sociaux ne travaillent pas dans de bonnes conditions : c'est précisément pourquoi, par mes amendements, j'entends prévenir de manière plus précoce les impayés de loyers. Cette solution, qui est la plus efficace, va dans l'intérêt de tout le monde. Il faut mieux accompagner socialement les locataires qui font face à un accident de la vie tout en donnant davantage de moyens d'action aux Ccapex.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er A (nouveau)

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - Présenté avec André Reichardt, l'amendement COM-52 s'inspire des dispositions de ma proposition de loi, adoptée par le Sénat en janvier 2021. Il faut éviter que la sanction pénale proposée ne puisse s'appliquer à des locataires défaillants. Il s'agit aussi de sanctionner pénalement le squat de locaux qui ne constituent pas un domicile, au nom du respect du droit à la propriété privée.

L'amendement COM-52 est adopté.

Article 2

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-53 est lui aussi présenté de concert avec André Reichardt.

L'article 2 revient sur la procédure d'évacuation forcée sous l'égide du préfet, prévue à l'article 38 de la loi de 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (Dalo).

À mon sens, la rédaction transmise par l'Assemblée nationale pose problème : elle pourrait être interprétée comme autorisant le recours à cette procédure pour obtenir l'évacuation d'un locataire défaillant. Cet amendement vise donc à substituer au dispositif adopté par l'Assemblée nationale les mesures adoptées par le Sénat en janvier 2021 au titre de ma proposition de loi.

Tout d'abord, le champ d'application de l'article 38 serait étendu au squat d'un local d'habitation, alors qu'il ne s'applique actuellement qu'au squat d'un domicile. Deviendraient ainsi éligibles à la procédure d'évacuation forcée les logements occupés par des squatteurs entre deux locations ou aussitôt après l'achèvement de la construction, avant que le propriétaire n'ait eu le temps d'emménager. Cette question peut sembler anecdotique ; mais, aujourd'hui, il y a bien un trou dans la raquette. Un logement peut être squatté sitôt construit, avant même que le propriétaire ou le locataire n'ait emménagé.

Ensuite, lorsque le propriétaire ne peut apporter la preuve de son droit en raison du squat, il reviendrait au préfet de s'adresser à l'administration fiscale pour établir ce droit.

Enfin, le délai laissé au préfet pour mettre en demeure le squatteur de quitter les lieux serait réduit de quarante-huit à vingt-quatre heures : ce serait le moyen d'apporter une réponse plus rapide à des situations qui plongent certaines familles dans de graves difficultés.

L'amendement COM-53 est adopté.

Article 2 bis (nouveau)

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-54 a pour objet d'exclure du dispositif de l'article 2 bis les propriétaires bailleurs hébergeant dans un logement indigne des personnes dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou leur sont connus, et ce en vue d'empêcher les marchands de sommeil de profiter indûment d'une exonération destinée à protéger les propriétaires de bonne foi.

Cette mesure conforterait les dispositions votées par le Sénat à l'article 190 de la loi Élan, qui sont un acquis important pour renforcer la lutte contre le logement indigne.

L'amendement COM-54 est adopté.

Article 2 ter (nouveau)

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-55 a pour objet de sécuriser le dispositif de mise à disposition temporaire de locaux vacants. Il permettrait de lever le risque de requalification des contrats de résidence temporaire, conclus en conformité avec les dispositions de l'article 29 de la loi Élan, en baux d'habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 qui régit les rapports entre bailleurs et locataires.

Il s'agit d'une précision qui ne change ni le droit existant ni la nature des conventions d'occupation, mais qui est de nature à inciter les propriétaires de logements temporairement vacants à les affecter au logement temporaire plutôt qu'à les laisser vides, sans risquer que le contrat de résidence temporaire ne soit requalifié en bail classique.

L'amendement COM-55 est adopté.

Article 4

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - L'article 4 subordonne à une demande expresse du locataire l'octroi par le juge d'une expulsion conditionnelle et la vérification des éléments constitutifs de la dette locative et du caractère décent du logement. Il est pourtant dans l'intérêt aussi bien du locataire que du bailleur que les rapports locatifs soient maintenus lorsque le locataire peut acquitter sa dette locative.

Selon les chiffres fournis par l'Anil, seuls 38 % des audiences pour impayé de loyers ont lieu en présence des locataires défaillants, ces publics ne maîtrisant souvent pas le vocabulaire juridique et l'échéancier des procédures judiciaires. Par conséquent, le fait de conditionner l'octroi de délais de paiement à une demande du locataire pourrait être contreproductif par rapport à l'objectif affiché d'une « responsabilisation du locataire ».

L'article 4, dans sa rédaction actuelle, aurait pour conséquence d'empêcher le juge de se saisir d'office d'un DSF mentionnant un échéancier viable d'apurement de la dette ou d'un échéancier proposé par le propriétaire lorsqu'aucune demande du locataire n'est formalisée, ce qui va à l'encontre des intérêts du bailleur si ce dernier souhaite obtenir le remboursement des loyers impayés.

C'est pourquoi l'amendement COM-56 tend à maintenir la possibilité pour le juge d'accorder d'office un délai de paiement au locataire « en situation de régler sa dette locative », et à préserver la faculté dont il dispose de vérifier d'office « tout élément constitutif de la dette locative ».

En outre, afin de lutter contre l'habitat insalubre, les marchands de sommeil et l'indécence énergétique, cet amendement maintient la faculté pour le juge de vérifier d'office le respect du caractère décent du logement.

L'amendement COM-56 est adopté.

Article 5

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - L'article 5 réduit de deux à un mois le délai légal minimal entre la délivrance d'un commandement de payer et la possibilité d'assigner en justice un locataire défaillant.

Or, aujourd'hui, deux tiers environ des situations litigieuses sont réglées de façon amiable avant que ne soit ouverte une procédure judiciaire. Un raccourcissement trop important du délai légal minimal entre la délivrance du commandement de payer et l'assignation en justice risquerait donc de judiciariser et, partant, de complexifier des situations pour lesquelles des solutions amiables peuvent être aisément trouvées.

Par conséquent, l'amendement COM-57 tend à diminuer l'ampleur de la réduction de ce délai minimal légal, le faisant passer à six semaines contre un mois dans le texte transmis au Sénat et deux mois dans le droit en vigueur. Je rappelle à cet égard que l'Anil évalue à cinq semaines le délai minimal de traitement d'un commandement de payer par les agences départementales d'information sur le logement.

L'amendement COM-57 est adopté.

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - L'Assemblée nationale a souhaité favoriser le signalement et le traitement précoce des situations d'impayés. Cependant, il n'est ni réaliste, ni financièrement soutenable, ni très utile d'envisager la transmission de près de 500 000 commandements de payer aux Ccapex, et de réaliser autant de DSF, même simplifiés, en un mois - pour un coût évalué à environ 250 euros l'unité -, puis de recommencer cette procédure entre l'assignation et l'audience, alors même qu'aujourd'hui de tels diagnostics n'existent que pour 30 % des audiences.

C'est pourquoi l'amendement COM-58 rect . vise à fixer le seuil de transmission des commandements de payer à deux mois d'ancienneté d'impayé ou du montant de la dette locative - contre trois à six mois aujourd'hui -, seuil estimé pertinent tant par l'Anil que par la Dihal pour caractériser une situation justifiant une prise en charge, et à permettre la réalisation des DSF dès ce stade.

Ainsi, les situations d'impayés seront traitées plus précocement - entre un et quatre mois plus tôt -, et les services sociaux disposeront de trois mois, au lieu de deux aujourd'hui, pour réaliser le DSF, ce qui devrait conduire à ce qu'un beaucoup plus grand nombre de ces diagnostics soit réalisé en vue de l'audience.

Enfin, l'amendement prévoit que les commissaires de justice devront transmettre à ce stade de la procédure les coordonnées et les informations socioéconomiques sur le locataire qu'ils auront pu recueillir.

L'amendement COM-58 rect. est adopté.

Après l'article 5

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-59 , qui vise à créer un chapitre III consacré au renforcement de l'accompagnement des locataires en difficulté, a pour objet d'améliorer les capacités des bailleurs à obtenir une reprise rapide du paiement de leur loyer et un apurement de leur créance locative, en renforçant les moyens des Ccapex et en leur permettant d'agir le plus en amont possible tout au long de la procédure.

Il prévoit une réécriture complète de l'article 7-2 de la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, en incluant les métropoles dans la coprésidence des Ccapex, et ce afin d'améliorer les possibilités d'apurement des dettes locatives à travers la mobilisation du fonds de solidarité pour le logement dont elles assurent désormais la gestion sur leur territoire, en rendant ces Ccapex décisionnaires en matière de maintien ou de suspension des allocations logement en cas d'impayés locatifs, après avis consultatif de la caisse d'allocations familiales compétente, en optimisant l'orientation des situations d'impayés locatifs auprès des différents dispositifs d'apurement de la dette, d'accompagnement budgétaire des locataires et de relogement, en assurant l'information complète des Ccapex, notamment à travers le logiciel « EXPLOC », lors des différentes étapes clés de la procédure et, enfin, en diminuant les risques en matière de protection des données personnelles liés à la transmission d'informations des Ccapex aux opérateurs réalisant les DSF au stade de l'assignation.

L'amendement COM-59 portant article additionnel est adopté.

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-60 a pour objet d'améliorer la capacité des bailleurs à obtenir une reprise rapide du paiement de leur loyer et un apurement de leur créance locative, en permettant aux Ccapex de déclencher une procédure de placement en quasi-tutelle du locataire lorsque les impayés de loyers résultent de difficultés de gestion. Le représentant de l'État et les Ccapex disposeraient de la possibilité de demander au juge la mise en place d'une Masp de niveau 3 afin, notamment, de procéder au versement direct des prestations sociales du locataire sur le compte du bailleur.

L'amendement COM-60 portant article additionnel est adopté.

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis . - Aujourd'hui, en cas de refus du concours de la force publique par le préfet pour exécuter une mesure d'expulsion contre un locataire, le propriétaire a théoriquement droit à une indemnisation par l'État.

Mais cette procédure supplémentaire est complexe et aléatoire si bien que de nombreux propriétaires renoncent à y recourir. Les règles sont en effet appliquées différemment selon les préfectures, en vertu d'une importante jurisprudence portant notamment sur la période éligible et le montant de l'indemnité.

Le rapport de notre collègue député Nicolas Démoulin sur la prévention des expulsions indiquait que « par ignorance, ou pour ne pas avoir à engager une ultime requête auprès des services préfectoraux, ou par voie judiciaire, seuls 53,8 % des propriétaires [faisaient] une demande d'indemnisation ». Il proposait donc de la systématiser en appelant à mettre fin aux pratiques de négociation des indemnités dues aux bailleurs par les préfets.

À défaut de pouvoir instaurer une forme d'automaticité, du fait de l'article 40 de la Constitution, l'amendement COM-61 prévoit une clarification des règles d'indemnisation des propriétaires par un décret en Conseil d'État.

L'amendement COM-61 portant article additionnel est adopté.

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