ANNEXES

Audition de Mme Béatrice Bourgeois, présidente, et M. Jérémy Roubin, secrétaire général, de l'Agence française de lutte contre le dopage

MERCREDI 4 JUIN 2025

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M. Laurent Lafon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Béatrice Bourgeois, présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (ALFD). Madame la Présidente, c'est la première fois que vous vous exprimez devant notre commission depuis votre prise de fonction. Nous sommes heureux de vous entendre aujourd'hui alors que votre agence a été fortement mobilisée dans le cadre des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris.

Cette audition nous offre l'opportunité de dresser un état des lieux de la politique de lutte contre le dopage conduite sous votre autorité. Je rappelle que l'AFLD est une autorité indépendante créée en 2006 dont l'organisation et les compétences sont définies par le Code du sport. Au fil du temps, ses missions se sont élargies à la faveur de plusieurs réformes. L'agence s'est ainsi mise en conformité avec les exigences du Code mondial antidopage, notamment sur le plan disciplinaire et en matière d'enquête. Elle a également accru ses compétences en matière éducative. En 2022, le laboratoire antidopage a été transféré à l'Université Paris-Saclay, faisant ainsi évoluer l'organisation de la lutte antidopage au plan national.

Nos échanges porteront ce matin sur plusieurs points.

Tout d'abord, cette audition est l'occasion de procéder à un bilan des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. L'AFLD y a activement contribué sous l'égide de l'Agence de contrôles internationale (ITA). Ces jeux ont constitué un moment important pour l'agence qui a pu renforcer ses capacités opérationnelles, développer ses compétences et capacités de coordination et expérimenter de nouvelles méthodes de dépistage.

Ensuite, l'actualité de votre agence est marquée par la présentation prochaine de votre plan stratégique 2025-2030. Ce plan doit vous permettre de développer vos priorités, tout en vous inscrivant dans un contexte de rigueur budgétaire.

Enfin, le Sénat examinera, à la fin du mois, le projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. Plusieurs dispositions de ce texte concernent directement l'agence, notamment l'article 10 qui autorise le gouvernement à prendre, par voie d'ordonnance, les mesures nécessaires à la mise en oeuvre dans le droit national des nouvelles prescriptions internationales du Code mondial antidopage. L'article 11 apporte quant à lui des précisions concernant les procédures afin de tirer les enseignements opérationnels des jeux de 2024.

Notre collègue Claude Kern, rapporteur pour avis de ce texte, vous interrogera à ce sujet dans quelques instants. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur budgétaire, vous posera également quelques questions.

Je vous cède la parole pour une quinzaine de minutes. Je rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat.

Mme Béatrice Bourgeois, présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (ALFD). - Monsieur le Président, je vous remercie vivement de votre invitation et de l'occasion que vous m'offrez de m'exprimer devant votre commission, alors que l'agenda parlementaire vous conduira prochainement à examiner les dispositions antidopage du projet de loi pour l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030.

Comme vous m'y avez invitée, je voudrais saisir cette opportunité pour dresser un rapide bilan de la situation de l'AFLD, revenir sur le rôle que l'agence a joué durant les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, et enfin vous indiquer les principaux axes autour desquels nous souhaitons à présent orienter notre action.

L'antidopage a changé de dimension en France en l'espace de quelques années. Nous devons cette montée en puissance à la conjonction de différents facteurs, dont la volonté affichée de placer le dispositif antidopage au niveau olympique et celle de répondre pleinement à l'objectif d'harmonisation des règles nationales avec le corpus international.

Nous nous situons aujourd'hui, ce qui n'était pas le cas auparavant, au niveau de nos homologues allemands et britanniques. C'est le niveau que nous avons vocation à avoir, car tant l'Allemagne que le Royaume-Uni forment des nations sportives comparables à la nôtre, que ce soit en termes de performance ou de nombre de pratiquants.

L'ALFD a, quant à elle, profondément évolué. Si cette évolution concerne l'ensemble de ses activités, deux dimensions méritent d'être soulignées.

D'une part, l'agence concentre désormais, au niveau national, l'ensemble des instruments de répression administrative en matière de dopage. Elle sanctionne l'intégralité des violations aux règles antidopage. Elle définit et met en oeuvre sous sa seule responsabilité le programme annuel de contrôle. Il s'agit d'un programme ciblé qui a couvert 130 disciplines sportives en 2024 et qui s'est étoffé au cours des dernières années jusqu'à atteindre, en 2023 et en 2024, le nombre de 12 000 prélèvements sanguins et urinaires, soit 50 % de plus qu'en 2018.

L'efficacité de l'action répressive de l'AFLD s'est par ailleurs profondément renforcée grâce aux pouvoirs d'investigation dont elle dispose désormais : droits de communication de documents, auditions, visites de locaux, visites domiciliaires, etc. Ces pouvoirs lui donnent un avantage unique au monde parmi les organisations antidopage.

D'autre part, l'agence a fortement investi le champ de l'éducation et de la prévention antidopage. Ce point est essentiel. Si le dopage repose certes sur des protocoles élaborés, le dopage intentionnel côtoie également un dopage par négligence, que ce soit par des prescriptions médicales malheureuses ou par la consommation de produits contaminés, notamment des compléments alimentaires. La notion de dopage englobe en réalité tout un continuum de situations. C'est pourquoi, pour être efficace, la politique antidopage doit reposer sur l'accompagnement des acteurs. Aujourd'hui, l'agence revendique d'être présente auprès des sportifs et de ceux qui les encadrent, des fédérations et, plus globalement, de tous les acteurs du monde du sport.

Forte du développement de ses missions répressives et préventives, l'AFLD possède désormais les outils et la capacité d'action nécessaires pour appréhender la réalité hétérogène et évolutive du dopage. Il en va de même du laboratoire antidopage français, désormais distinct de l'agence, avec lequel nos liens demeurent étroits.

La montée en puissance de l'agence a été rendue possible grâce un soutien financier croissant et prévisible de l'État, fruit d'un dialogue budgétaire inédit avec le ministère en charge des sports entre 2017 et 2024.

Cette ambition s'est également traduite par un soutien parlementaire constant, particulièrement de la part de votre assemblée, dans la transposition des règles édictées par l'Agence mondiale antidopage (AMA). Cette ambition a bien sûr été portée par l'horizon de la tenue sur notre sol des jeux Olympiques et Paralympiques qui ont fait office d'accélérateur pour l'antidopage français.

L'AFLD a été conduite à participer aux jeux de Paris à un double titre.

D'une part, elle a oeuvré en qualité de prestataire du comité d'organisation dans le cadre de la réalisation du programme de contrôle déployé pendant les jeux sous l'autorité de l'ITA et du Comité international paralympique (CIP).

C'est la première fois de l'histoire des jeux que l'agence du pays hôte est intégrée au programme antidopage. L'ensemble de ses compétences et de ses réseaux ont ainsi pu être mobilisés. Ce modèle devrait faire école pour les prochaines éditions.

Au total, 6 000 contrôles ont été réalisés pendant les jeux Olympiques et environ 2 800 pendant les jeux Paralympiques. L'AFLD s'est appuyée sur ses équipes et son vivier propre de préleveurs mais aussi son réseau international. Elle a animé le centre de commandement antidopage pour coordonner la réalisation de l'ensemble des contrôles sous l'autorité de l'ITA et du CIP. 23 collègues issus d'organisations antidopage de 13 pays ont pris part à cette mission.

Les dépenses liées à l'engagement de l'AFLD lors des jeux ont été complètement couvertes par la somme versée par le Comité d'organisation des jeux. Le contribuable n'a donc pas été sollicité. Le pic d'activité a été intégralement absorbé grâce aux renforts internationaux mais aussi à un assouplissement des règles habituelles de travail décidées par l'agence pour assurer une continuité d'activité à effectif constant.

Forte du pouvoir d'investigation qui lui a été octroyé en 2021 et d'un partenariat considérablement renforcé ces dernières années avec les forces de l'ordre et l'autorité judiciaire, l'ALFD a conduit deux enquêtes durant les jeux. Cette fluidité entre les services répressifs, marquée par une collaboration exemplaire avec l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP) et les parquets de Paris et Marseille spécialisés en matière d'antidopage, s'est révélée particulièrement efficace, sans oublier la contribution des douanes avec lesquelles nous espérons renforcer à l'avenir l'activité de surveillance des livraisons et des trafics.

D'autre part, l'ALFD s'est impliquée en amont des jeux sur le volet éducatif en formant les délégations olympiques et paralympiques à la lutte contre le dopage. Les membres des délégations ont dû participer à une action d'éducation dispensée par un éducateur agréé par l'agence et compléter un module d'apprentissage en ligne. Pour la première fois, le président du Comité national olympique français (CNOSF), David Lappartient, a souhaité conditionner l'accréditation olympique des membres des délégations au suivi de ce module, ce qui constitue un pas en avant extrêmement important. Grâce au soutien du mouvement sportif, l'AFLD a donc pu jouer son rôle, consacré en 2021, d'autorité nationale en charge de l'éducation antidopage. Elle s'est appuyée pour ce faire sur son réseau de près de 200 éducateurs antidopage qu'elle a elle-même formés et agréés.

Je me permets d'insister sur l'importance de cette dimension car une préparation antidopage défaillante pour les sportifs et leur entourage est synonyme de risque de perte de médaille et de désillusions pour ceux qui se préparent, et qui sont susceptibles de chuter pour un dopage non intentionnel à quelques encablures de la compétition.

Le bilan des jeux est donc très positif pour l'antidopage français. Aujourd'hui, c'est avec des acquis solides que nous nous tournons vers l'avenir.

La nouvelle version du Code mondial antidopage, révisé tous les six ans, est en cours de finalisation. Ce travail a été initié en 2023 à travers un processus de consultation des organisations et laboratoires antidopage, du mouvement sportif et des autorités publiques du monde entier. La troisième et dernière phase de consultation s'est achevée la semaine dernière. Nous disposerons des versions finales de ces textes en septembre prochain et ils seront formellement approuvés au mois de décembre. Les échanges au sein de la communauté antidopage ont été productifs. Je tiens à souligner que l'AMA a tenu compte des retours qui lui ont été faits.

Pour procéder à la transposition de cette cinquième version du Code mondial antidopage, il est proposé, dans le cadre du projet de loi que vous examinerez à la fin du mois, de recourir à une ordonnance, une fois les textes définitivement arrêtés et avant la date fatidique du 1er janvier 2027. En effet, à cette date, l'absence de prise en compte des nouvelles exigences du Code mondial et de ses standards placerait l'agence, les autorités françaises et les sportifs de notre pays dans une situation de non-conformité passible de sanctions.

La fenêtre de tir est étroite, la marge de manoeuvre par rapport aux normes internationales restant toujours limitée. C'est la raison pour laquelle une demande d'habilitation parlementaire figure à l'article 10 du projet de loi. Cette habilitation est plus précise, plus détaillée que d'ordinaire afin d'associer au mieux et en amont les parlementaires aux mesures envisagées, alors que cette technique demeure, je le sais bien, frustrante pour la représentation nationale.

Ce texte pourrait d'ailleurs offrir au Parlement l'occasion d'évaluer la transposition des deux précédentes versions (2015 et 2021) du Code mondial, opérée par des ordonnances, que vous n'avez pas eu l'occasion de ratifier à ce jour. Depuis 2017, date d'attribution des jeux, pas moins de trois ordonnances, sept décrets et autant de délibérations de l'agence ont été nécessaires pour assurer la mise en conformité des règles françaises aux règles internationales.

S'il a parfois fallu être ingénieux pour surmonter les obstacles internes, y compris constitutionnels, notre droit interne demeure aujourd'hui en parfaite adéquation avec les règles internationales régissant le droit de l'antidopage.

Le collège de l'agence a également plaidé pour l'introduction - à l'article 11 du projet de loi - de plusieurs dispositions visant notamment à renforcer les pouvoirs d'investigation de l'AFLD en permettant l'inspection visuelle des bagages et leur fouille (celle-ci n'étant toutefois possible qu'avec le consentement des propriétaires desdits bagages) ou concernant les échanges d'informations.

Au-delà de ces textes, l'avenir de l'antidopage français s'appuie sur les orientations que nous avons voulu dessiner à travers un nouveau plan stratégique qui s'étend sur la période 2025-2030.

Les précédents plans étaient axés sur la montée en puissance nécessaire à la remise à niveau du dispositif antidopage. Le plan stratégique 2025-2030 repose, lui, sur une philosophie différente.

À présent que l'AFLD a développé une capacité d'action nettement plus importante, elle entend élargir son périmètre, en déclinant sa politique antidopage à l'ensemble des publics sportifs, notamment les plus jeunes. Je pense en particulier aux sportifs amateurs, tout autant impactés par le dopage, qui ne doivent pas être laissés de côté.

Plus que les contrôles, par nature limités, la prévention demeure essentielle. Sans renier les fondamentaux de l'antidopage pour le sport de haut niveau, notre nouveau plan stratégique entend mettre l'accent sur la protection de la santé publique et l'attention à l'ensemble des publics, amateurs, simples licenciés ou pratiquants libres. Il s'agit, je crois, de renouer avec une conception française qui veut que la lutte contre le dopage ne concerne pas uniquement la haute performance.

De plus, ce plan repose sur une nouvelle approche visant à inscrire l'action de l'AFLD dans les territoires. Cette démarche a été impulsée en 2023 avec la formation d'éducateurs antidopage dans les Centre de ressources d'expertise et de performance sportive (CREPS). Elle doit cependant s'intensifier afin de renforcer la grande proximité que nous voulons mettre en oeuvre avec les sportifs.

Dans le cadre de ce nouveau plan stratégique, l'agence entend en outre encourager une collaboration ouverte à l'expérimentation avec les partenaires publics, sportifs ou économiques implantés localement.

Le bilan de la lutte contre le dopage est assurément positif. Il convient à présent de préserver les acquis afin que l'antidopage français maintienne son niveau et continue à progresser. Pour y parvenir, il nous faut relever trois défis.

Le premier défi consiste à poursuivre l'effort d'adaptation afin de ne pas laisser au dopage une longueur d'avance. Il convient donc de soutenir l'effort de recherche et de développer les capacités d'investigation.

Le deuxième défi consiste à stabiliser le soutien financier dont dépend l'AFLD.

Actuellement, les trois quarts de nos dépenses, hors masse salariale, sont liés au coût des contrôles et des analyses opérés par le laboratoire antidopage français. C'est donc notre unique marge de manoeuvre financière.

Nous avons déjà diminué le nombre de prélèvements de 12 000 à 11 000 en 2025 par rapport à 2024, ce qui reste soutenable. Néanmoins, une nouvelle baisse des crédits, qui s'ajouteraient aux gels de gestion à hauteur de 5,5 % de ceux conservés, signifierait un plongeon en deçà des 10 000 prélèvements. Je tiens à le dire clairement devant votre commission : nous sortirions alors de la « cour des grands » avec des arbitrages douloureux à effectuer.

Par exemple, en 2025, nous estimions que retirer 1 000 prélèvements supplémentaires sur le programme annuel de contrôle nous aurait obligés à choisir entre deux options : supprimer l'ensemble des contrôles dans 44 disciplines sportives, dont certaines olympiques, ou retirer l'équivalent de deux mois de contrôle sur les quatre disciplines actuellement les plus contrôlées.

Je tiens à préciser qu'une réduction des contrôles signifie nécessairement une baisse du nombre d'analyses facturées par le laboratoire antidopage français.

Le troisième défi vise à renforcer l'adhésion et l'implication du mouvement sportif.

Le dopage ne doit pas être tabou. Les sportifs de haut niveau évoquent de plus en plus librement ce sujet et nous nous en félicitons. Il s'agit désormais de faire en sorte que les encadrants se sentent tout autant concernés. Leur implication est essentielle si l'on veut mettre toutes les chances du côté du sport propre.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis du projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. - Madame la Présidente, vous nous l'avez rappelé, l'antidopage français est monté en puissance au cours des dernières années. Je me réjouis des pouvoirs d'investigation propres confiés à l'AFLD et de l'accompagnement des acteurs du monde du sport pour la protection de la santé.

J'en profite pour vous remercier pour l'excellent travail fourni par les collaborateurs de l'AFLD pendant les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

L'article 10 du projet de loi relatif à l'organisation des jeux d'hiver, que nous examinerons en commission la semaine prochaine, habilite le gouvernement à légiférer par ordonnance afin de mettre le droit français en conformité avec le Code mondial antidopage. Ce champ d'habilitation semble plus étendu que lors des précédentes transpositions. Pourriez-vous nous préciser ses limites exactes ? Cette habilitation se borne-t-elle à intégrer les dernières évolutions du Code mondial antidopage ou permet-elle également d'intervenir au-delà ?

Par ailleurs, dans cet article 10, l'alinéa 7 mentionne des « mesures de conséquences » dont la formulation paraît floue. De quelles mesures s'agit-il précisément et comment élargissent-elles le champ de l'habilitation ?

Enfin, l'article 11 précise le déroulement des procédures antidopage en renforçant en premier lieu les liens entre l'AFLD et l'Agence nationale du sport (ANS). Pourriez-vous nous préciser les besoins concrets auxquels répond cette évolution ? Il s'agit aussi de permettre des inspections visuelles ainsi que des fouilles des bagages et des véhicules avec le consentement de leur propriétaire. Quelles seraient les conditions de mise en oeuvre de ce nouveau pouvoir et les garanties apportées quant à la proportionnalité des mesures prises ?

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis des crédits relatifs au sport. - L'ALFD est devenue au fil des années une référence au niveau européen, mais sa situation reste fragile. Pour la première fois, lors des JO 2024, une agence nationale était prestataire du Comité d'organisation. Quels enseignements tirez-vous de cette expérience ? Est-ce un modèle pour l'avenir ?

Par ailleurs, les contrôles antidopage, notamment la géolocalisation, sont-ils toujours perçus de façon négative par les sportifs ?

Au niveau international, le petit nombre de laboratoires antidopage et la facilité d'achat de produits dopants sur Internet ne sont-ils pas les principaux obstacles ?

Le conflit récurrent entre l'AMA et l'Agence américaine antidopage (USADA) ne devient-il pas préjudiciable à l'efficacité de la lutte antidopage dans le monde ? Enfin, certaines salles de sport en France (bodybuilding, culturisme) étaient devenues au fil du temps des lieux de trafic de produits interdits. Est-ce toujours le cas ?

Mme Béatrice Bourgeois. - L'habilitation recouvre avant tout la mise en oeuvre des modifications qui vont être apportées au Code mondial antidopage. Ces modifications ne portent pas sur les principes, mais davantage sur des détails nécessitant d'intervenir au niveau législatif, comme la modulation des sanctions ou encore la possibilité de bénéficier, en cas d'aveu rapide du sportif, d'une réduction de la durée de la suspension.

Nous avons choisi d'élargir le champ pour toiletter les dispositions existantes et asseoir certaines garanties, notamment pour les mineurs. Si les mineurs bénéficient actuellement de protections spécifiques pour les contrôles et les sanctions, rien n'est prévu pour les enquêtes, ce que nous souhaitons corriger.

Nous voulons également traiter le dopage animal, dont les règles n'ont pas évolué depuis des années, créant des incohérences juridiques qui ont même conduit à une question préjudicielle de constitutionnalité.

L'article 11 comporte deux types de mesures.

D'abord, la possibilité pour nos enquêteurs d'inspecter les bagages avec le consentement du propriétaire. Il s'agit de l'un des enseignements des jeux de Paris 2024 : faire intervenir les douanes est complexe et long. Ces compétences seront très circonscrites, applicables uniquement dans le cadre d'enquêtes ouvertes par le Secrétaire général.

Nous proposons également de renforcer nos liens avec différents partenaires comme Tracfin et l'ANS. Ces liens avec l'ANS sont primordiaux car ils nous permettent d'accéder aux données de performance des sportifs de haut niveau pour cibler efficacement les contrôles.

Concernant l'aspect international, le conflit entre l'USADA et AMA est en effet préjudiciable. Ce conflit est né de la révélation de contrôles positifs à la trimétazidine d'une vingtaine de nageurs chinois. Or cette information n'avait pas été entrée dans la base du Système d'administration et de gestion antidopage (Adams) et rendue publique. Nous avons été rassurés par le rapport du procureur indépendant Éric Cottier établissant l'absence de volonté de l'AMA de couvrir ces cas. Il expliquait par ailleurs pourquoi ne pas faire appel devant le tribunal arbitral du sport était légitime. Ce conflit sème un doute injustifié et nuit à la lutte antidopage.

Concernant les laboratoires, je partage votre analyse. Leur difficulté tient à un fonctionnement en vase clos : une trentaine de laboratoires accrédités analysent uniquement les prélèvements des autorités antidopage, créant un marché extrêmement limité.

Le laboratoire français antidopage a connu des progrès considérables ces dernières années. Son rôle pendant les jeux Olympiques et Paralympiques a été unanimement salué au niveau international. Les délais de traitement des analyses sont extrêmement courts au regard de ceux imposés par l'AMA.

Cependant, le laboratoire présente une fragilité financière liée à ses recettes. Sur environ 23 000 à 24 000 analyses annuelles, notre agence est à l'origine de 12 000 prélèvements, soit la moitié de son chiffre d'affaires. Si nous ne pouvons maintenir ce volume, une subvention d'équilibre plus importante de l'État sera nécessaire.

Bien que critiquée, la localisation reste un outil absolument indispensable. Elle ne concerne qu'un nombre limité de sportifs de très haut niveau - soit près de 270 dans notre groupe cible en 2024, et seulement 165 pour 2025. Face à des protocoles de dopage élaborés, la fenêtre d'intervention peut se jouer à quelques heures près. La plateforme Adams, bien qu'imparfaite, est devenue beaucoup plus ergonomique. Par ailleurs, nos services accompagnent activement les sportifs pour remplir leurs obligations (rappels, sessions d'information sur la plateforme Adams, etc.).

L'achat de produits dopants sur Internet est préoccupant. Nous observons même l'émergence de produits de dopage génétique sur le darknet. Ce fléau concerne aussi le dopage non intentionnel via des compléments alimentaires achetés en ligne pouvant être contaminés à l'insu de l'acheteur.

Désignée pour la première fois prestataire du Comité d'organisation des jeux 2024, l'AFLD a relevé le défi. Cette approche a permis de mobiliser l'intégralité des compétences de l'agence dans le cadre d'un contrat de prestation rémunéré, n'engendrant aucun coût pour la collectivité. Ce modèle devrait donc être pérennisé dès les prochains jeux.

Enfin, nous restons particulièrement vigilants face à la circulation de produits dopants ou contaminés dans les salles de sports. Nous souhaitons développer notre présence éducative dans ces lieux pour lutter contre ce dopage diffus qui touche souvent les plus jeunes, parfois trompés sur les produits ou insuffisamment informés des risques pour leur santé.

M. Michel Savin. - Je tenais à vous adresser mes félicitations pour la réussite de l'ALFD lors des jeux 2024. J'espère que ce succès fera de la France un modèle pour les futures grandes compétitions internationales.

Vous avez exprimé des inquiétudes concernant les enjeux budgétaires tout en affirmant vouloir renforcer vos actions d'information et de sensibilisation. Pouvez-vous préciser la nature de ces missions et les moyens que vous comptez mobiliser ? Ces actions se feront-elles au détriment du nombre de contrôles antidopage, déjà en diminution cette année ?

Quels moyens déployez-vous pour lutter contre la consommation de compléments alimentaires dans le sport ?

Pourriez-vous nous présenter un bilan, par discipline sportive, des contrôles effectués ?

Vous avez évoqué dans un entretien le problème de la consommation de cocaïne dans le rugby. Avez-vous besoin de mesures législatives supplémentaires pour renforcer vos moyens d'intervention dans ce domaine ?

Enfin, comment lutter contre l'apparition de compétitions où le dopage serait autorisé, voire encouragé pour battre des records ?

M. David Ros. - Le laboratoire antidopage est désormais installé à l'université Paris-Saclay, à Orsay. Cette implantation vise-t-elle à anticiper le dopage de demain, notamment face à des combinaisons de nanotechnologies et de chimie qui pourraient passer sous les seuils de détection ?

Les sportifs sanctionnés pour dopage ne devraient-ils pas également subir des sanctions financières, une partie de ces sommes revenant à l'agence afin de renforcer ses moyens ?

Enfin, concernant la prévention dans les salles de sport, comment abordez-vous la sensibilisation des plus jeunes, notamment les lycéens influencés par les réseaux sociaux et les promesses de « produits magiques » vantés par certains influenceurs ? Un travail avec l'Éducation nationale et les professeurs d'éducation physique et sportive ne serait-il pas pertinent ?

M. Jérémy Bacchi. - Certaines disciplines sont-elles désavantagées en France face à des pays où la lutte antidopage est moins poussée ?

Concernant les 12 000 dépistages annuels prévus, avec un seuil minimal de 10 000, n'existe-t-il pas une tendance à recentrer ces contrôles sur le sport professionnel au détriment du sport amateur ?

Enfin, observez-vous des parcours de dopage qui débuteraient dès le plus jeune âge et évolueraient progressivement avec la professionnalisation et l'augmentation des enjeux ? La prévention dès le plus jeune âge devrait-elle être renforcée ?

Mme Béatrice Bourgeois. - Je tiens à dissiper toute inquiétude quant à l'impact potentiel de notre projet d'éducation sur le niveau de contrôle. Les missions de prévention et d'éducation ont un coût budgétaire extrêmement léger, sans commune mesure avec nos activités de contrôle et d'analyse en laboratoire. Nous pouvons donc étendre nos actions éducatives sans impact négatif sur nos autres missions essentielles.

La question des compléments alimentaires constitue en effet un sujet majeur. Notre message est clair : un complément alimentaire ne peut être pris que si un besoin réel a été établi et si son innocuité a été vérifiée. Certaines études dans d'autres pays affirment que jusqu'à 35 % de compléments alimentaires sont contaminés. Contrairement aux médicaments, ces produits ne nécessitent pas d'autorisation de mise sur le marché. Si la certification AFNOR constitue un repère pour les consommateurs, le risque zéro n'existe pas.

Notre objectif est d'être présents dans le plus grand nombre de disciplines possible. L'efficacité de l'antidopage repose sur un triptyque : répression, dissuasion et éducation. Notre présence est plus importante dans quatre disciplines - rugby, football, athlétisme et cyclisme - non pas en raison d'un risque plus élevé, mais parce qu'elles comptent davantage de pratiquants. Nous sommes également particulièrement présents dans les sports de combat, discipline dans laquelle un sportif dopé peut devenir extrêmement dangereux pour son adversaire.

La cocaïne touche effectivement le rugby, mais pas uniquement. Cette substance n'est interdite qu'en compétition et bénéficie d'un régime de sanctions allégé, de quatre à trois ans par exemple, s'il s'avère que la consommation est sans lien avec la performance sportive. Ces sanctions peuvent sembler insuffisamment dissuasives. Face à ce fléau, nous effectuons des contrôles sur des compétitions de plus bas niveau et travaillons en partenariat avec la Fédération française de rugby sur des actions pilotes d'éducation.

Des Enhanced Games, ces jeux où le dopage sera autorisé, sont prévus à Las Vegas en 2026. Nous dénonçons fermement ce type de manifestation relevant davantage du spectacle que du sport. Le fait de légitimer le dopage dans certains contextes contribue à brouiller les cartes et risque d'avoir des conséquences sur la clarté du message que nous souhaitons transmettre. Même en supposant un encadrement médical parfait pour les participants, ce qui est loin d'être garanti, la reproduction de ces pratiques par un public plus large sans ces moyens médicaux aura de graves conséquences sanitaires.

En matière de recherche, les analyses sont de plus en plus performantes et détectent des concentrations toujours plus faibles, ce qui explique l'augmentation des cas de contamination détectés. Ces détections à de très faibles concentrations sont nécessaires car elles peuvent révéler une contamination, la fin du processus d'évacuation d'un produit dopant, ou le début d'une prise de substance.

Les laboratoires affichent aujourd'hui un très bon niveau de détection. Nous encourageons et finançons régulièrement les recherches du laboratoire antidopage français et des missions flash qui font avancer les contrôles et sanctions. Les progrès des laboratoires mais aussi les compétences en matière d'investigation et de renseignement nous permettent de prendre de l'avance face au dopage.

Pour prévenir le dopage, il est essentiel d'intervenir dès le plus jeune âge. Des sportifs de haut niveau se souviennent encore de leurs premiers messages d'éducation antidopage reçus à 10-12 ans. En plus du projet que nous avons mis en place avec la ville de Cannes, nous avons également noué un partenariat avec le réseau des établissements français à l'étranger. Nous rencontrons, en revanche, plus de difficultés avec l'Éducation nationale.

22 % des sportifs que nous contrôlons et sanctionnons sont étrangers. L'harmonisation entre les différentes organisations antidopage est de plus en plus importante. Des instances comme l'ITA, l'AMA ou le CIP veillent à éviter les « trous dans la raquette » afin qu'aucun pays n'échappe à ces contrôles.

Enfin, les sanctions financières existantes se limitent à quelques milliers d'euros versés au budget de l'État, ce qui demeure insignifiant par rapport aux fonds nécessaires pour la recherche.

M. Laurent Lafon, président. - Merci, Madame la Présidente, pour vos réponses précises. Nous examinerons le projet de loi relatif à l'organisation des JOP de 2030 le 11 juin en commission, avec la présentation du rapport de Claude Kern, puis dans l'hémicycle à partir du 24 juin.

Projet de loi n° 630 (2024-2025) relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030

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