AVANT PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (PLACSS) pour 2024 est le troisième projet de loi de cette nature soumis au Parlement.
Par cohérence avec sa pratique habituelle, la commission des finances a fait le choix de se saisir pour avis de ce texte, en raison de l'importance des recettes et dépenses de la sécurité sociale dans les finances publiques. Les administrations de sécurité sociale (ASSO) représentent en effet 46,5 % des dépenses publiques.
S'il existe depuis 1818 une loi de règlement qui, aux termes de l'article 37 de la loi n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), « constate les résultats financiers de chaque année civile et approuve les différences entre les résultats et les prévisions de la loi de finances de l'année, complétée, le cas échéant, par ses lois rectificatives » et « arrête le montant définitif des recettes et des dépenses du budget auquel elle se rapporte, ainsi que le résultat budgétaire qui en découle », tel n'était pas le cas pour les comptes de la sécurité sociale jusqu'à 2022. La loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale a prévu la création d'une « loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale » (LACSS), qui permet au Parlement un temps de débat plus approfondi sur l'exécution des recettes et des dépenses de la sécurité sociale.
Le présent rapport pour avis vise à établir un tableau synthétique de la situation financière et patrimoniale de la sécurité sociale en 2024 et à donner l'appréciation de la commission des finances sur cette situation. En 2022, et 2023, elle avait émis un avis défavorable sur le PLACSS, avis réitéré en 2024.
Rejeté par l'Assemblée nationale, le présent projet de loi a été transmis au Sénat le 11 juin 2025.
I. UN DÉFICIT EN HAUSSE INCONTRÔLÉE ET INJUSTIFIÉE
A. UN DÉFICIT STRUCTUREL ÉLEVÉ
1. Un excédent en trompe-l'oeil des ASSO cachant l'augmentation du déficit de la sécurité sociale
Le PLACSS pour 2024 présente à son article liminaire un excédent égal à 0,04 % du produit intérieur brut (PIB) pour l'ensemble des administrations de sécurité sociale (ASSO), soit un périmètre beaucoup plus large que celui de la Sécurité sociale. Les ASSO regroupent en effet l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, les régimes de retraite complémentaire, l'assurance chômage, les hôpitaux, la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) et le Fonds de réserve pour les retraites (FRR).
L'excédent constaté, correspondant à un montant de 1,3 milliard d'euros, est toutefois en trompe-l'oeil, puisqu'il est largement dû à l'amortissement de la dette des régimes obligatoires de base par la CADES, pour un montant de 15,6 milliards d'euros. Hors excédents de la CADES, le solde des ASSO serait négatif, à hauteur de 14,3 milliards d'euros. Le résultat des ASSO est de plus inférieur au résultat prévu par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 20243(*), qui anticipait un excédent de 0,6 % du PIB pour 2024.
Les comptes de la Sécurité sociale regroupent uniquement les régimes obligatoires de base, le fonds de solidarité pour la vieillesse (FSV) et les retraites et les autres prestations en espèces versées aux fonctionnaires civils et militaires. La Sécurité sociale accuse en 2024 un déficit particulièrement élevé, à hauteur de 15,3 milliards d'euros. Il reste toutefois nettement inférieur au déficit du budget de l'État, s'élevant à 154 milliards d'euros en 2024.
Recettes et dépenses des régimes
obligatoires de base
de la sécurité sociale
en 2024
(en milliards d'euros)
FSV signifie fonds de solidarité-vieillesse.
Source : commission des finances du Sénat d'après le PLACSS pour 2024
Le déficit constaté de la Sécurité sociale pour 2024 est essentiellement porté par les branches maladie et retraite. La branche maladie représente un déficit de 13,2 milliards d'euros et la branche retraite a un solde négatif de 5,6 milliards d'euros, partiellement compensé par le résultat positif de 1,1 milliard d'euros du FSV.
Plus de la moitié du déficit de la branche retraite de la Sécurité sociale est imputable à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), qui gère le régime de retraite et d'invalidité des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. La CNRACL, en déficit depuis 2018, accuse un solde négatif de 3 milliards d'euros en 2024, en hausse de 500 millions d'euros par rapport à 2023. Il serait légèrement réduit en 2025 à 2,2 milliards d'euros.
Après la hausse d'un point de cotisation employeur de la CNRACL en 2024, celui-ci augmentera à partir du 1er janvier 2025 de trois points par an sur quatre années, pour atteindre 43,65 % en 2028, conformément à la LFSS pour 20254(*). En conséquence, selon le Conseil d'orientation des retraites (COR), le déficit de la CNRACL devrait être contenu à 0,04 % du PIB en 2030, contre 0,24 % sans augmentation des taux de cotisation. La CNRACL serait revenue à l'équilibre budgétaire en 2028, mais redeviendrait déficitaire dès 2029.
Les excédents des branches AT-MP, famille et autonomie, à hauteur respectivement de 0,6 milliard d'euros, 1,1 milliard d'euros et 1,3 milliard d'euros, sont insuffisants pour compenser ces résultats.
Évolution de solde de la
Sécurité sociale, décomposé par branches,
entre
2013 et 2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après le rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale sur les résultats de 2024 et les prévisions pour 2025, mai 2025
Le déficit constaté pour 2024 est supérieur de 4,5 milliards d'euros au déficit pour 2023, soit une hausse de 29,3 %, et de 88,2 % par rapport à 2019. Au total, la crise sanitaire aurait entrainé des dépenses supplémentaires cumulées de 50 milliards d'euros entre 2020 et 2023. En 2024, seuls 0,4 milliard d'euros de dépenses seraient liées au Covid.
En excluant les dépenses liées à la crise sanitaire, les dépenses de la Sécurité sociale avaient déjà augmenté en 2023 de 5 % par rapport à 2022, soit un montant de 29,2 milliards d'euros, correspondant à une hausse du déficit de 1,7 milliard d'euros par rapport à 2022.
Le déficit pour 2024, comme en 2023, est d'autant plus frappant que dans la période pré-crise sanitaire, les comptes de la Sécurité sociale étaient pratiquement à l'équilibre, le déficit s'étant élevé à 1,3 milliard d'euros en 2018 et à 1,8 milliard d'euros en 2019.
Ce déficit est largement lié à la hausse de 33 milliards d'euros de dépenses entre 2023 et 2024. Par ailleurs, les dépenses du Ségur de la santé, annoncées en 2020, sont évaluée à 13 milliards d'euros chaque année et n'ont pas été couvertes par des mesures nouvelles de financement (voir infra).
2. Un déficit plus élevé qu'anticipé en LFSS pour 2024, mais réduit par rapport aux anticipations de la LFSS pour 2025
Le déficit constaté est supérieur de 4,8 milliards d'euros au solde anticipé par la LFSS pour 20245(*) (10,5 milliards d'euros), mais est inférieur de 2,9 milliards d'euros au solde prévu pour cette même année par la LFSS pour 2025 (18,2 milliards d'euros).
Décomposition de la hausse du
déficit de la Sécurité sociale pour 2024
par
rapport au déficit prévu
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances d'après le rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale sur les résultats de 2024 et les prévisions pour 2025, mai 2025
Cette hausse du déficit par rapport aux anticipations en LFSS pour 2024 s'explique par plusieurs facteurs :
- en premier lieu, par des recettes fiscales moins élevées qu'anticipé. Elles ont été surestimées de 3,9 milliards d'euros. En particulier, les recettes de TVA ont été inférieures de 2,4 milliards d'euros à ce qui était prévu. Cette surestimation des recettes de TVA a un fort impact également sur le déficit de l'État, puisqu'au total elles ont été plus basses de 12,8 milliards d'euros par rapport à ce qui était prévu6(*) ;
- en deuxième lieu, les recettes de cotisations sociales ont également été surestimées de 1 milliards d'euros ;
- enfin, les dépenses ont été plus élevées de 1,5 milliard d'euros sur l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM), en raison d'une surconsommation des soins de ville, et de 0,7 milliard d'euros sur les prestations hors du champ de l'ONDAM. Les transferts supplémentaires notamment de l'Unédic et de l'AGIRC-ARCCO, à hauteur de 0,6 milliard d'euros, permettent de compenser partiellement la hausse des dépenses.
Une fiabilisation des prévisions du solde de la sécurité sociale est indispensable pour garantir la validité du vote au Parlement des comptes de la sécurité sociale. Il n'est pas acceptable, ni viable, qu'une erreur de cette ampleur dans les prévisions soient constatées. La mise à jour des modèles permettant de prévoir les recettes publiques sera bienvenue. Il est à souhaiter qu'elle permette de fiabiliser les prévisions notamment de déficit.
À noter, toutefois, que les prévisions de 2024 ont été réactualisées en LFSS pour 2025, de manière particulièrement prudente. Les dépenses ont en effet finalement été mieux contenues à hauteur de 900 millions d'euros, notamment sur l'ONDAM économique. Par ailleurs, les prévisions en recettes avaient été revues de façon beaucoup plus mesurée et prudente, à tel point qu'elles sous-estimaient de 2 milliards d'euros le montant réel qui a été encaissé.
Le rapporteur spécial souligne qu'une méthode prudente de prévision des recettes et des dépenses, comme celle qui a été utilisée lors du PLFSS pour 2025, lui parait bien préférable à une sous-estimation du déficit final. Elle témoigne d'un souci de gestion sage des finances publiques à saluer.
3. Des déficits à venir en forte hausse
Les déficits de la sécurité sociale devraient exploser de façon incontrôlée dans les années à venir, malgré la fin de la crise sanitaire. Ainsi, dans son rapport de mai 20257(*), la commission des comptes de la sécurité sociale estime que le déficit de la Sécurité sociale s'élèvera en 2025 à 21,9 milliards d'euros, en hausse de 6,6 milliards d'euros, soit 43 % de plus qu'en 2024. Il représenterait 0,7 points de produit intérieur brut (PIB). Cette prévision de déficit, actualisée, est moins élevée que celle qui était envisagée par la LFSS pour 2025, à hauteur de 22,1 milliards d'euros.
L'aggravation est liée à l'indexation des prestations à l'inflation de 2024, conduisant à une revalorisation des pensions de retraite de 2,2 % au 1er janvier 2025 et des prestations familiales, d'invalidité et des rentes d'ATMP de 1,7 % au 1er avril 2025. Elle est liée également à la progression incontrôlée des dépenses d'assurance maladie, de 2,2 milliards d'euros, entre 2024 et 2025.
Les prévisions de déficit pour les années 2026 à 2028 sont encore plus élevées. Le déficit social devrait selon les prévisions s'élever à 23,2 milliards d'euros en 2026 et à 24,2 milliards d'euros en 2028, soit une hausse de 57,7 % par rapport à 2024. La dégradation des comptes serait liée à la stabilisation du déficit de la branche maladie, toujours évalué à 16,8 milliards d'euros, et surtout à l'aggravation du déficit de la branche retraite à 8,9 milliards d'euros en 2028, soit pratiquement une multiplication par 2 de son déficit.
Solde réalisé et prévu de la sécurité sociale entre 2019 et 2028
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat à partir des prévisions en LFSS pour 2025, corrigée des résultats du PLACSS 2024
La hausse anticipée des déficits de la sécurité sociale est d'autant plus inquiétante qu'elle repose sur des hypothèses macroéconomiques encore très incertaines et plutôt optimistes, impliquant que les déficits réels pourraient être plus élevés.
Hypothèses macroéconomiques
utilisées
pour anticiper le solde à venir de la
sécurité sociale
Source : annexe du PLFSS pour 2025
Il est à noter que la croissance pour 2025 est prévue à 0,7 % par la LFSS pour 2025, soit une estimation proche de celle de la plupart des institutions.
Anticipations de croissance selon différentes sources
Source : commission des finances du Sénat d'après l'avis du 15 avril 2025 du Haut conseil pour les finances publiques (HCFP)
Selon l'avis du Haut conseil pour les finances publiques (HCFP) du 15 avril 20258(*), la trajectoire de croissance « n'est pas hors d'atteinte malgré l'accumulation de risques à la baisse ». En effet, l'environnement international est source d'incertitudes fortes, « en raison notamment des initiatives protectionnistes de l'administration américaine et des incertitudes géopolitiques grandissantes ».
D'autre part, la trajectoire entre 2025 et 2028 est fondée sur l'hypothèse d'une réduction du rythme de la dépense de 5,2 milliards d'euros en 2025, un objectif très ambitieux qui sera difficile à accomplir. Alors que les lois de financement de la sécurité sociale actent l'existence d'un déficit structurel déjà très élevé, il est très probable que celui-ci soit encore plus important.
L'explosion en cours et à venir des déficits de la sécurité sociale est d'autant moins justifiée qu'elle a lieu dans un contexte de croissance économique, après la fin de la crise sanitaire, et alors que les déficits étaient presque nuls avant la crise.
* 3 Loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024.
* 4Loi n° 2025-199 du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025.
* 5 Loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024.
* 6 Pour davantage de précisions sur la surestimation globale des recettes de TVA, voir le rapport fait au nom de la commission des finances par le rapporteur général Jean-François Husson sur le projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024.
* 7 Résultats 2024 et prévisions 2025, Commission des comptes de la sécurité sociale, juin 2025.
* 8 Avis n° HCFP-2025-3 relatif au rapport d'avancement annuel 2025 du plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2029, 15 avril 2025.