B. UNE DETTE SOCIALE INSOUTENABLE POUR L'ACOSS

La dette sociale, définie comme les déficits cumulés par les organismes de sécurité sociale, s'élève à 157,5 milliards d'euros en 2024, soit une baisse de 2,6 % par rapport à 2023, du fait de l'excédent de la CADES, supérieur au déficit de la sécurité sociale de 15,2 milliards d'euros Cette dette a toutefois augmenté de 37,3 % entre 2019 et 2024.

Évolution de la dette sociale entre 2019 et 2024

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après la Cour des comptes

La dette sociale est composée à 87,6 % par la dette devant être amortie par la CADES, caisse provisoire créée en 1996 pour apurer la dette de la sécurité sociale, ainsi que par les déficits de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) à hauteur de 11,7 milliards d'euros, et depuis 2022 de la dette de la CNRACL, à hauteur de 7,9 milliards d'euros en 2024.

Cette situation, extrêmement problématique, a malheureusement vocation à se pérenniser. Ainsi, la dette sociale devrait représenter 202 milliards d'euros en 2028, selon les prévisions du Gouvernement. En particulier, si la dette reprise par la CADES devrait diminuer, il est anticipé une multiplication par huit des déficits de l'ACOSS et une hausse de 64,6 % de la dette de la CNRACL.

Évolution réalisée et anticipée de la dette sociale entre 2024 et 2028

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après la Cour des comptes

La reprise de la dette par la CADES est encadrée par la loi organique du 7 août 20209(*) qui prévoit une reprise de 136 milliards d'euros de dette, déjà achevée en 2024 (voir infra). Les déficits de l'ACOSS ne peuvent donc plus être transférés à la CADES à partir de 2024, en l'absence de nouvelle loi organique, ce qui explique la hausse de ses déficits entre 2024 et 2028. La situation est d'autant plus problématique que l'ACOSS n'a pas le droit d'emprunter à un horizon supérieur à deux ans10(*), contrairement à la CADES, ce qui lui impose de réaliser des emprunts de très court terme, difficiles à obtenir en cas de crise financière grave. La création de la CADES visait d'ailleurs à éviter une telle fragilisation des comptes de la sécurité sociale. Une nouvelle loi organique de transfert de dette à la CADES pourrait permettre de remédier à cette situation, mais elle aurait le désavantage d'acter la pérennisation d'une dette sociale importante et ne parait donc pas souhaitable.

1. Des difficultés croissantes de trésorerie pour l'ACOSS

Après une année 2023 en excédent ponctuel, à hauteur de 4 milliards d'euros, le solde de l'ACOSS est redevenu négatif fin 2024, à hauteur de 3,7 milliards d'euros. Pourtant, la CADES a effectué un versement anticipé de 13 milliards d'euros, pour financer le désendettement et les investissements des hôpitaux jusqu'en 2028, dont seulement 4,3 milliards d'euros ont été utilisés en 2024. Le solde de l'ACOSS est donc amélioré artificiellement de 8,7 milliards d'euros. Si ce versement n'était pas compté, la perte nette de l'ACOSS serait de 12,4 milliards d'euros.

Cette situation va s'aggraver, d'autant que l'enveloppe destinée aux hôpitaux doit être consommée d'ici à 2029 et qu'en l'état actuel de la législation, les versements de la CADES devraient s'interrompre à partir de 2025.

Le plafond maximal d'endettement de l'ACOSS, limité à des emprunts de moins d'un an en 2024, est fixé à 45 milliards d'euros pour 2024 et 65 milliards d'euros pour 2025, soit normalement un montant suffisant pour répondre aux besoins de l'ACOSS même au point bas de trésorerie de l'année.

Toutefois, en l'absence de nouveaux transferts de dette à la CADES, l'endettement moyen de l'ACOSS dépassera sans doute les 70 milliards d'euros à partir de 2027. Or la limitation de la durée moyenne d'endettement de l'ACOSS met en risque le financement de la sécurité sociale. Il n'est pas certain que le marché soit capable d'absorber un tel niveau de dette de court terme. Par ailleurs, augmenter la durée d'endettement de l'ACOSS remettrait en question le principe d'équilibre des comptes de la sécurité sociale.

La situation de la trésorerie de l'ACOSS est extrêmement fragile et devrait s'aggraver dans les années à venir en raison de la maitrise incontrôlée des dépenses et du plafond atteint en 2024 de reprise de dette par la CADES.

2. Une gestion satisfaisante de la dette sociale, malgré des taux d'intérêt élevés

La loi organique et la loi du 7 août 2020 relatives à la dette sociale et à l'autonomie opèrent un transfert de dette sociale à hauteur de 136 milliards d'euros à la CADES. En 2019, la CADES portait déjà près de 89 milliards d'euros de dette à amortir, qui s'ajoutent aux 136 milliards d'euros de dette transférés entre 2020 et 2024.

Ce transfert couvre :

- près de 31 milliards d'euros de déficits passés ;

- 13 milliards d'euros pour la reprise d'un tiers de la dette des hôpitaux, annoncée fin 2019 dans le cadre du plan d'urgence pour l'hôpital ;

- 92 milliards d'euros au titre des déficits sociaux prévisionnels 2020-2024 liés à la crise actuelle et des futurs investissements dans les établissements publics de santé qui ont été décidées dans le cadre du Ségur de la santé.

L'objectif est en effet de sécuriser la situation financière du système de protection sociale. La reprise des 136 milliards d'euros de dette sociale par la CADES doit avoir lieu d'ici 2033. Toutefois, en 2024 la CADES a déjà repris l'intégralité des 136 milliards d'euros de dette autorisés par la loi organique du 7 août 2020, dont 20 milliards d'euros en 2020, 40 milliards d'euros en 2021 et en 2022, 27,2 milliards d'euros en 2023 et 8,8 milliards d'euros en 2024.

Ainsi, l'article 2 du PLACSS porte, entre autres, approbation des montants amortis par la Cades durant l'exercice. En 2024, la Caisse a amorti 16 milliards d'euros, correspondant à l'objectif d'amortissement fixé par la LFSS pour 2024.

Le programme de financement de la CADES, décidé fin 2023, a été réalisé en 2024 à hauteur de 90%, pour un montant de 18,1 milliards d'euros, sous la forme notamment d'« émissions sociales11(*) » à moyen et long terme. Ainsi, deux émissions sociales, d'un montant total de 8 milliards d'euros, ont été émises en euros, pour des maturités comprises entre trois et cinq ans, et trois emprunts ont été réalisés en dollars, représentant 10,1 milliards d'euros, avec des maturités comprises entre trois et cinq ans. Les intérêts payés par la CADES se sont élevés à 1,25 milliards d'euros, en baisse de moitié par rapport à 2024, l'environnement économique étant moins incertain.

Évolution de la dette amortie et de la dette restant à amortir
par la CADES entre 2010 et 2024

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après le rapport d'activité de la CADES de 2024 12(*)

Au total, la CADES a amorti en 2024, 258,6 milliards d'euros et a encore 138 milliards d'euros à amortir.

La gestion de la dette sociale par la CADES est satisfaisante : en effet, depuis 2015, le montant de dette amortie représente plus de 80 % des ressources affectées à la CADES, ce qui implique que moins de 20 % des ressources sont utilisées pour payer la charge d'intérêt. La faiblesse des charges d'intérêt est liée tant à la stabilité des ressources de la CADES et à sa stratégie payante en termes d'emprunt, qu'à l'environnement de taux d'intérêt bas sur les marchés financiers pendant plusieurs années.

Évolution de la proportion de dette amortie par la CADES
selon les ressources affectées entre 2011 et 2024

Source : commission des finances du Sénat d'après la Cour des comptes

Toutefois, la hausse de l'inflation entre 2022 et 2023 a entrainé une augmentation des taux d'intérêt sur le marché, impliquant une aggravation de la charge d'intérêt payée par les individus emprunteurs.

Échéancier de l'encours de dette à moyen et long terme à fin 2024

(en millions d'euros)

Source : d'après la CADES

La stabilité des ressources de la CADES joue un rôle important pour lui permettre d'obtenir des taux d'intérêt avantageux sur les marchés financiers. Les ressources de la CADES se sont ainsi élevées en 2024 à 19,2 milliards d'euros, dont l'attribution de 0,45 point de CSG, représentant 9,2 milliards d'euros, et de 0,5 point de CRDS, représentant 7,9 milliards d'euros, ainsi qu'un versement du FRR de 2,1 milliards d'euros.

Or, les ressources attribuées à la Cades diminueront encore en 2025 pour abonder les branches et renforcer la trajectoire d'équilibre de la sécurité sociale :

en 2024, la fraction de CSG affectée à la Cades est passée de 0,6 à 0,45 point, notamment pour financer des dépenses nouvelles liées à la prise en charge de la perte d'autonomie par la CNSA ;

en 2025, le versement annuel du FRR passe de 2,1 milliards d'euros à 1,45 milliard d'euros, faute de réserves suffisantes.

Selon le rapport d'activité de la Caisse, ses ressources devraient atteindre seulement 19,1 milliards d'euros en 2025, dont 8,1 milliards d'euros de CSG, 9,5 milliards d'euros de CRDS et le versement annuel du FRR de 1,45 milliards d'euros. Le programme de financement de 2024 devra couvrir des échéances de 22,1 milliards d'euros d'emprunts à moyen et long terme, ainsi que le paiement des intérêts et l'échéance d'emprunts à court terme. La Caisse prévoit d'emprunter 10 milliards d'euros avec des émissions de dette à moyen et long terme, et 12,1 milliards d'euros d'emprunts à court terme. Le montant de dette devant être amorti par la CADES sera à nouveau supérieur au montant de ses ressources, ce qui interroge sur sa capacité à emprunter de manière aussi avantageuse sur les marchés financiers.

La capacité d'emprunt de la CADES parait fragile, surtout si une nouvelle loi organique devait augmenter le montant de la dette reprise par la Caisse.


* 9  Loi organique n° 2020-991 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie.

* 10 Cette durée a été portée à deux ans par la LFSS pour 2025, alors qu'elle était précédemment d'un an. Toutefois, la durée moyenne des emprunts ne peut excéder un an.

* 11 D'après l'International capital market association (ICMA), le social bond est une obligation qui finance exclusivement des projets à impact social positif sur la population cible. L'émetteur s'engage à communiquer aux investisseurs des éléments d'évaluation sur les bénéfices attendus.

* 12 Rapport financier annuel, édition 2023, CADES.

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