III. MIEUX RÉGULER LES DÉPENSES : UNE NÉCESSITÉ POUR MAITRISER LES DÉFICITS DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
A. UNE AUGMENTATION MASSIVE DES DÉPENSES DE 33 MILLIARDS D'EUROS, NON JUSTIFIÉE PAR LA CRISE
En 2024, les dépenses de la sécurité sociale ont augmenté de 5,3 %, alors qu'elles avaient augmenté de 3,1 % en 2023. Par rapport à la prévision en LFSS pour 2024, elles ont été plus élevées de 0,2 % : c'est donc bien la prévision erronée de recettes qui est à l'origine du manque de fiabilité du solde de la sécurité sociale anticipé en LFSS pour 2024.
Dépenses prévues et réalisées entre 2023 et 2024
(en milliards d'euros)
Source : Commission des finances du Sénat d'après la Cour des comptes
Les dépenses ont augmenté pour l'ensemble des branches. À l'exception des branches maladie et famille, la hausse des dépenses a été plus importante que la hausse des recettes pour l'ensemble des branches.
La hausse des dépenses de la branche retraite, de 6,8 %, est particulièrement frappante. Les prestations versées par la branche retraite ont en effet augmenté de 18,7 milliards d'euros, en raison de la revalorisation des pensions de retraite liée à l'inflation de 5,3 % au 1er janvier 2025.
En volume, les dépenses et le déficit de la sécurité sociale sont en grande partie dues à la branche maladie, qui représente 39,3 % des dépenses de la sécurité sociale, et à la branche retraite (46 % des dépenses de sécurité sociale).
Les dépenses augmenteraient encore de 3,6 % en 2025, alors que l'inflation ne sera probablement autour de 1 %, en raison notamment de l'augmentation des pensions de retraite de 2,2 % au 1er janvier 2025 (voir infra).
B. UNE EXPLOSION DES DÉPENSES DE LA BRANCHE MALADIE DEPUIS 2020, NON RÉSORBÉES MALGRÉ LA FIN DE LA CRISE SANITAIRE
1. Une explosion des dépenses de l'ONDAM, sous l'effet du Ségur de la santé
Les dépenses de la branche maladie reposent en grande partie sur l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM), qui comprend 80 % des dépenses de l'assurance maladie et intègre d'autres éléments qui n'en relèvent pas, tels que le fonds d'intervention régional (FIR). Il représente par exemple 36 % des dépenses de la branche AT-MP.
Les dépenses relevant de l'Ondam
L'Ondam est voté chaque année par le Parlement en loi de financement de la sécurité sociale et vise à encadrer l'évolution des dépenses publiques de santé. Il est conçu comme un objectif à ne pas dépasser, sans constituer un plafond au sens strict.
L'Ondam intègre les prestations légales en nature d'assurance maladie et d'accident du travail, les dotations aux établissements de santé et médicosociaux et les rémunérations forfaitaires des professionnels de santé. Il n'inclut pas les indemnités journalières maternité et paternité, les pensions d'invalidité, ni les rentes d'accidents du travail-maladies professionnelles. Les dépenses sont diminuées par les remises versées par les entreprises pharmaceutiques sur les prix publics des médicaments en fonction des volumes vendus.
Six sous-objectifs le structurent :
- soins de ville ;
- établissements de santé ;
- établissements et services médico-sociaux pour personnes âgées, établissements et services médico-sociaux pour personnes en situation de handicap ;
- fonds d'intervention régional (FIR) ;
- soutien national à l'investissement ;
- autres prises en charge.
Source : commission des finances du Sénat d'après la Cour des comptes
L'ONDAM voté en LFSS pour 2024 était de 254,9 milliards d'euros. Il a été réévalué à 256,9 milliards d'euros lors de la LFSS pour 2025. Au final, l'ONDAM hors Covid aura dépassé de 1,5 milliard d'euros la prévision en LFSS pour 2024 (soit + 1,5 %), tout en étant inférieur de 0,5 milliard d'euros à la prévision en LFSS pour 2025, pour atteindre 256,4 milliards d'euros.
Le dépassement de l'ONDAM par rapport à la prévision est lié entièrement au dépassement du sous-objectif « soins de ville », qui s'explique notamment par le plafonnement de la clause de sauvegarde sur les médicaments en LFSS pour 2024, ainsi que par la dynamique des indemnités journalières et des honoraires des infirmiers, des masseurs-kinésithérapeutes et des médecins spécialistes.
Ce dépassement n'est pas compréhensible ni justifiable : en effet, aucun événement exceptionnel ne l'explique, contrairement aux années précédentes. Ainsi, en 2022, le dépassement par rapport à la LFSS initiale était de 10,3 milliards d'euros, mais 6,8 milliards d'euros s'expliquaient par la crise sanitaire et 2,6 milliards d'euros par l'inflation.
L'ONDAM est composé à 42,9 % de dépenses pour l'objectif « soins de ville » (soit 109,9 milliards d'euros) et à 41,1 % des dépenses pour l'objectif « établissements de santé » (105,5 milliards d'euros). Il a augmenté de 6,3 % entre 2021 et 2022, de 4,8 % entre 2022 et 2023 et de 3,9 % entre 2023 et 2024, hors dépenses liées à la crise sanitaire, soit une hausse totale de 15,8 % (34,9 milliards d'euros) entre 2021 et 2024. Cette évolution sur trois ans est liée à la fois à la hausse de dépenses des établissements de santé, à hauteur de 14 milliards d'euros et des dépenses de soins de ville, à hauteur de 13,6 milliards d'euros.
Décomposition des dépenses de
l'ONDAM « hors Covid »
par sous-objectif entre
2021 et 2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après la Commission des comptes de la sécurité sociale
En 2024, comme en 2023, le Ségur de la santé aura coûté 13 milliards d'euros, dont 10,9 milliards d'euros pour les revalorisations salariales des établissements sanitaires et médico-sociaux (ESMS).
Par ailleurs, comme le relève la Cour des comptes, les dépenses de l'ONDAM sont majorées par le déficit des hôpitaux. En 2024, selon des résultats encore provisoires, celui-ci s'établirait entre 2,8 milliards d'euros et 3 milliards d'euros, contre 1,9 milliard d'euros en 2023 et même 0,7 milliard d'euros en 2019. Selon la Cour des comptes, le cumul des dépassements de l'ONDAM et des déficits des hôpitaux publics atteint 4,3 milliards d'euros en 2024, contre 4,6 milliards d'euros en 2022 et même 5,4 milliards d'euros en 2025.
Il s'agit d'un point d'alerte majeur, qui appelle à des mesures de correction importantes pour tenter de contenir le déficit des hôpitaux.
Une hausse structurelle des dépenses de l'ONDAM est observée depuis 2019 : en moyenne, elles ont augmenté de 4,8 % par an entre 2019 et 2024, alors que le taux d'inflation hors tabac n'a été que de 3 % par an. En particulier, en 2022, l'inflation a été de 5,2 %, alors que les dépenses d'ONDAM ont augmenté de 6,3 %, hors dépenses Covid. Entre 2017 et 2019, l'ONDAM a progressé de 5 %, alors que la hausse est de 23,7 % entre 2019 et 2024. En 2024, les dépenses de l'ONDAM sont supérieures de 65,7 milliards d'euros à celles de 2019. Sans les mesures liées à la crise sanitaire, aux revalorisations du Ségur de la santé ou l'inflation, les dépenses actuelles de l'ONDAM auraient été moins élevées de 22 milliards d'euros en 2024.
La hausse des dépenses de l'ONDAM est donc très importante et largement responsable de l'augmentation du déficit de la sécurité sociale, même sans compter les dépenses liées à la crise sanitaire.
Elles vont selon toute vraisemblance continuer à augmenter. La LFSS pour 2025 a prévu un ONDAM à 265,9 milliards d'euros, soit une hausse de 3,7 % par rapport à 2024. Cette prévision semble relativement crédible mais elle intègre des mesures d'économies à hauteur de 4,3 milliards d'euros, dont 2,2 milliards d'euros sur les produits de santé et le plan « bon usage » des produits de santé. Il est à voir si ces mesures d'économies produiront les résultats espérés.
Évolution des dépenses de l'ONDAM entre 2017 et 2024
(en milliards d'euros)
Source : d'après la Cour des comptes et la commission des comptes de la sécurité sociale
Au vu de l'évolution récente, et en l'absence de mesures d'économie décidées, il semble en effet difficile de croire que les évolutions de dépenses de l'ONDAM resteront contenues, comme c'était le cas entre 2017 et 2019. Elles font peser un risque sur le financement de la sécurité sociale et doivent être contenues par des mesures d'économie.
2. Une hausse plus limitée des dépenses de la branche santé hors ONDAM
Les dépenses hors ONDAM des branches maladie et AT-MP, centralisées par la CNAM, atteignent 21,9 milliards d'euros en 2024, soit une hausse de 0,7 % par rapport à 2023, inférieure à l'inflation. La hausse de ces prestations est conforme à la prévision, et est expliquée par la revalorisation, au 1er avril 2024, de 4,6 % des prestations d'invalidité, qui représentent 8 milliards d'euros.
Les prestations de maternité et de paternité, représentant 7,6 milliards d'euros sur la branche famille, diminuent de 2 % entre 2023 et 2024, en raison de la baisse de la natalité. Il serait toutefois souhaitable que cette situation ne se pérennise pas, au vu des enjeux associés à une trop forte baisse de la natalité en France.