TRAVAUX EN COMMISSION
Audition de
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances
et de la
souveraineté industrielle, énergétique et
numérique
(Mercredi 5 novembre 2025)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - C'est avec plaisir que nous retrouvons Roland Lescure, ancien président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, avec qui nous avons examiné, dans un esprit constructif, nombre de textes lors du quinquennat précédent. Nous vous auditionnons dans vos nouvelles fonctions de ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.
Cependant, ce plaisir est tempéré par le contenu du projet de loi de finances présenté par le Gouvernement, voire mêlé d'une franche inquiétude au vu de la tournure des débats à l'Assemblée. Comme notre rapporteur général, Jean-François Husson, je suis attachée à la vérité des chiffres dans leur simplicité, même si elle est difficile, voire brutale. On présente aux Français des données compliquées, avec des efforts structurels ou tendanciels importants et bien difficiles à matérialiser.
Pourtant, au regard des chiffres clés diffusés par votre propre ministère, je constate que les dépenses nettes sont prévues en augmentation de 22,7 milliards d'euros, quand les recettes nettes progressent plus rapidement encore, à hauteur de 24,6 milliards d'euros, ce qui permet d'améliorer de seulement 6,1 milliards d'euros le solde général. La charge de la dette augmente et atteint 59,3 milliards d'euros, tandis que l'État crée 8 459 nouveaux postes de fonctionnaires.
S'agit-il donc vraiment d'un budget d'économies et de rigueur visant à retrouver un solde primaire positif pour réduire notre dette et restaurer une crédibilité internationale abîmée, qu'illustre la dégradation de la notation de notre dette, ou, au contraire, n'est-il qu'un écran de fumée masquant l'impuissance et l'indécision ? En effet, la situation budgétaire n'est pas grave par principe ou par idéologie, mais bien parce que les renoncements - particulièrement la suspension de la réforme des retraites, qui coûtera au moins 1,5 milliard d'euros d'ici à 2027 et bien plus au-delà - portent atteinte à notre souveraineté et à l'avenir de notre pays.
Je prends l'exemple du secteur spatial. Lors de la prochaine réunion au niveau ministériel du Conseil de l'Agence spatiale européenne (ESA), qui se tiendra à Brême les 26 et 27 novembre prochain, devrait être actée une forte hausse du budget pour la période 2026-2028. Alors que notre pays était au premier rang en Europe depuis le général de Gaulle, notre participation se limiterait à 3,5 milliards d'euros, voire à 2,5 milliards d'euros, là où les Allemands devraient contribuer à hauteur de 5 à 6 milliards d'euros et les Italiens pour 4 milliards d'euros ! Sommes-nous à la veille d'un déclassement brutal de la France en Europe, susceptible d'entraîner des milliers de suppressions d'emplois chez nos fabricants de satellites Airbus Defense and Space et Thales Alenia Space en raison d'un moindre retour sur investissement pour nos industriels ?
Un autre sujet de préoccupation majeure est la pression fiscale. Philippe Aghion, nouveaux prix Nobel d'économie, a marqué les esprits en disant préférer la croissance à l'impôt. Mais, visiblement, nul n'est prophète en son pays... Pourtant, la seule richesse qui puisse être redistribuée est celle qui est créée et qui augmente le pouvoir d'achat. Aujourd'hui notre pays a un immense besoin de réindustrialisation et de conserver ses champions mondiaux, mais aussi de faire émerger des start-ups et des licornes. Souhaite-t-on vraiment le départ de France des centres de décision ou de recherche, la cotation à l'étranger de nos grands groupes ou le passage à Londres ou Palo Alto de notre trentaine de licornes ? Quelle stabilité fiscale et réglementaire offrons-nous aux investisseurs ?
Enfin, monsieur le ministre, vous êtes également chargé des questions énergétiques. Nous sommes attachés au fait que le Parlement en fixe les grandes orientations. Voilà pourquoi Daniel Gremillet et notre commission ont défendu la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, qui a franchi le cap de la deuxième lecture au Sénat et devait être examinée à l'Assemblée fin septembre avant une commission mixte paritaire (CMP) mi-octobre, calendrier fixé avant la chute du gouvernement Bayrou. Les circonstances en ont décidé autrement, mais il reste urgent d'avancer, alors que reprendre le processus de zéro ferait perdre un temps précieux. Peut-on vraiment se permettre de ne pas voir ce texte aboutir avant l'élection présidentielle, au regard des enjeux de transition énergétique, d'électrification des usages et de coût de l'énergie ? Bien sûr que non ! Monsieur le ministre, ne soyez pas la Pénélope de la programmation énergétique en attente d'un Ulysse providentiel. Passons aux actes, notre pays et ses industriels en ont besoin.
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique. - Je suis moi aussi très heureux de retrouver la commission des affaires économiques du Sénat. Lorsque je présidais celle de l'Assemblée nationale, nous étions en cinq ans parvenus à onze commissions mixtes paritaires conclusives. Depuis, le Sénat a un peu changé, l'Assemblée nationale beaucoup. Par conséquent, notre capacité à faire aboutir des textes s'en trouve compliquée.
Pendant l'examen du budget, l'économie française continue de tourner, et elle tourne plutôt bien. Nous avons eu une croissance de 0,5 % au troisième trimestre et la production industrielle a fortement rebondi en septembre : pour cette année, nous serons donc en ligne avec les prévisions de croissance qui ont sous-tendu le budget, comme j'espère que nous le serons avec l'objectif d'un déficit public à 5,4 % du PIB. Surtout, les entreprises françaises sont au rendez-vous, elles qui ont continué à investir et à exporter.
Comme vous le savez, les incertitudes politiques accroissent les inquiétudes économiques et suscitent de l'attentisme ; il est donc essentiel que les travaux budgétaires à l'Assemblée nationale et au Sénat les lèvent au plus vite.
J'entends vos interrogations, madame la présidente, mais la stabilité politique a un prix. Nous sommes entrés dans un « 110 mètres haies », de la nomination du deuxième gouvernement Sébastien Lecornu à l'adoption éventuelle d'un budget avant Noël. Chaque semaine est une nouvelle haie. La première a consisté à échapper à une motion de censure, qui nous aurait ramenés à la case départ. Or, si la motion n'a pas été votée, s'il existe une majorité de députés qui souhaitent que la France ait un budget, c'est parce que le Premier ministre a annoncé la suspension de la réforme des retraites.
Le terme de suspension est important, madame la présidente. En effet, le crayon n'est levé que jusqu'à l'élection présidentielle, qui sera l'occasion de reprendre le travail sur des modes alternatifs d'organisation et de financement. Ainsi, quand le Président - ou la Présidente - de la République aura été élu en 2027, la réforme des retraites s'appliquera, sauf si une solution alternative était votée.
Le ministre de l'économie et des finances présent devant vous a soutenu cette réforme alors qu'il était membre d'un groupe dont les parlementaires ont vu leurs permanences dégradées, qui étaient insultés sur les réseaux sociaux, etc. Cette suspension n'a pas été facile, mais elle était le coût de la stabilité politique. Vous avez sans doute vu la réaction des marchés financiers : les taux d'intérêt français ont baissé. Les investisseurs internationaux que j'ai rencontrés se sont dits rassurés, alors même qu'ils ne sont pas nécessairement partisans de la suspension, parce que ce qu'ils attendent, c'est la stabilité. Tous souhaitent que la France ait un budget, mais aussi qu'elle poursuive les politiques qui, selon eux, ont permis à la France de prendre une part importante dans le développement de l'Europe.
Si nous ne devons pas céder à la fatalité, il est vrai que la discussion est difficile, à l'Assemblée comme au Sénat. Cependant, elle va, je l'espère, nous amener à la dixième haie de cette course. Le budget, s'il est adopté, par construction, ne contentera personne puisqu'il sera de compromis. Seuls celles et ceux qui souhaitent que la France ait un budget en seront satisfaits - et la France en aura un.
Ensuite, il faudra continuer le travail, et même l'amplifier l'année prochaine, pour continuer à développer l'économie française. Nous en avons besoin pour les territoires, pour l'emploi, mais aussi pour assurer la pérennité de notre système social, auquel chacun ici est attaché, mais qui doit tenir compte des enjeux démographiques indéniables auxquels nous faisons face.
Il s'agit d'un budget d'effort, et non d'un écran de fumée, madame la présidente. Nous prévoyons une hausse des dépenses égale à zéro pour l'État et ses principaux opérateurs, et proposons - le Parlement en décidera - des économies dans tous les secteurs d'activité, hors défense, enseignement supérieur, recherche et régalien, ce que justifie l'environnement géopolitique, extrêmement risqué. En effet, la guerre est aux portes de l'Europe, la situation au Moyen-Orient reste extrêmement tendue, la Chine, extrêmement ambitieuse et puissante, pousse son avantage, et les États-Unis se referment.
Cela rend nos investissements dans la défense et l'innovation cruciaux. Je pense notamment au spatial, madame la présidente. Vous avez mentionné la conférence ministérielle (CMIN) de l'ESA, qui se réunira les 26 et 27 novembre. La France a l'ambition de rester une nation spatiale importante. Il est vrai que les Allemands investissent davantage que par le passé, et tant mieux, car nous nous sentions un peu seuls ! Cela signifie que l'Europe, dans son ensemble, investit davantage. Toutefois, nous ne pouvons ignorer le retour industriel, qui dépend de chaque contribution et a des répercussions sur nos territoires.
En outre, dans le cadre de France 2030, nous avons consacré un milliard d'euros au secteur, ce qui permet de créer des start-ups et de les développer. Ainsi, une start-up développe un cargo spatial qui intéresse le monde entier. Nous devons continuer à accompagner les entreprises françaises qui veulent investir l'espace.
Vous avez parlé des licornes, madame la présidente. Le Président de la République souhaitait que nous en ayons vingt-cinq en 2025 : nous en avons trente, non seulement dans le secteur numérique, mais aussi dans l'industrie. Il faut en être fier.
Vous avez parlé des start-ups : pas moins de 2 500 d'entre elles agissent dans le domaine de la deep tech, c'est-à-dire dans l'industrie et qu'elles créent des produits, de l'emploi et de l'innovation. Alors que nous avons tendance à battre notre coulpe, reconnaissons que nous avons en France des entrepreneurs prêts à conquérir le monde et gardons-le à l'esprit dans le cadre des discussions budgétaires.
En effet, à l'Assemblée nationale, certains amendements, votés par une majorité, sont acceptables et d'autres, sans que je les soutienne, sont compréhensibles. Mais d'autres encore sont tout bonnement inacceptables. Résoudre nos problèmes en taxant le monde entier est tout simplement inconventionnel, inconstitutionnel et pourrait se retourner contre nous, puisque l'État devrait rembourser les personnes concernées si de telles dispositions devaient être adoptées, puis censurées, comme cela est déjà arrivé...
Ma boussole est de garantir les grands équilibres du budget. Il faut réduire les dépenses et éviter de trop taxer, voire diminuer certains prélèvements, comme la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), intégralement compensée depuis des années auprès des collectivités locales. Et il faut tendre vers un déficit public inférieur à 3 % du PIB en 2029, tout en préservant la croissance. À l'inverse, créer 50 milliards d'euros de dépenses et 50 milliards d'euros d'impôts n'affecterait pas le déficit et asphyxierait la croissance française.
Ma feuille de route comporte quatre priorités stratégiques.
La première est de contribuer à doter la France d'un budget pour 2026.
La deuxième est de protéger nos concitoyens et nos entreprises face aux déséquilibres mondiaux. La mondialisation que nous connaissons n'est plus celle d'hier. Le libre-échange n'est pas une religion, même si certains, comme Thomas Piketty, nous qualifient parfois d'idéologues. Le libre-échange est un ensemble de règles économiques qui ne fonctionnent que si tout le monde les suit. Mais les Européens ne peuvent pas être les derniers à suivre le modèle du début des années 2000. Nous avons donc une mission importante de protection et d'adaptation des règles du commerce international à la nouvelle situation géopolitique.
Ainsi, en Europe, des mesures comme la clause de sauvegarde sur l'acier, les droits de douane que nous avons mis en place il y a un an sur l'automobile, ou encore l'attribution du bonus automobile aux véhicules fabriqués en Europe, si elles ne sont pas tout à fait en phase avec l'idéologie du passé, permettent de protéger l'industrie européenne face aux attaques chinoises, principalement, mais aussi américaines.
Nous avons beaucoup parlé de Shein et des autres plateformes capables de changer de collection tous les jours et de vendre des produits à des prix défiant littéralement toute concurrence. Or nous avons changé de dimension depuis quelques jours, une plateforme ayant clairement dépassé les bornes. Le Premier ministre nous a demandé de prendre des décisions très fermes, dans le respect de la loi que vous avez votée. Nous allons plaider pour la préférence européenne dans les marchés publics, comme cela a eu lieu, dans le cadre du soutien à l'Ukraine pour quelques secteurs importants : les éoliennes, les batteries, les pompes à chaleur et l'hydrogène. Nous souhaitons désormais la généraliser.
Concernant l'objectif de ne vendre que des véhicules électriques en 2035, nous sommes prêts à intégrer un peu de la flexibilité demandée par certains partenaires européens, mais à condition que cela profite aux producteurs européens.
La présidence française du G7 commencera au début de l'année prochaine. Dans ce cadre, le Président de la République m'a demandé de traiter des sujets économiques et financiers pour défendre les intérêts de l'Union européenne et lutter contre les déséquilibres énormes qui existent entre les trois grands blocs que sont les États-Unis, la Chine et l'Union européenne. La première étape est de reconnaître ces déséquilibres, même si l'un des blocs, situé à l'est, considère qu'il n'y a pas de problème.
Ma troisième priorité est de renforcer notre souveraineté et notre attractivité industrielles, technologiques et numériques.
Ainsi, la différence entre les usines qui ont fermé et celles qui ont ouvert ou vu leur capacité de production s'accroître approche les 500. C'est bien, comparé aux années précédentes, mais cela reste insuffisant, d'autant que ce mouvement ralentit du fait des incertitudes politiques et économiques. Il faut donc utiliser à fond nos investissements dans la défense, dont nous souhaitons qu'ils fassent également l'objet de la priorité européenne. Comme vous le savez, nous achetons beaucoup français, alors que nos partenaires européens, eux, achètent trop américain. Or, si les Américains font de très bonnes choses, nous aussi, tout comme les Allemands et les Italiens. La base industrielle et technologique de défense (BITD) est donc une priorité absolue. J'échange régulièrement avec Mme la ministre Vautrin pour qu'au-delà de cet écosystème puissant de grandes, de moyennes et de petites entreprises, d'autres sociétés profitent aussi de ces investissements importants. Ce ne sont ni les dividendes de la paix ni les dividendes de la guerre, car si nous ne sommes pas en guerre, nous ne sommes plus tout à fait en paix. Nous devons cependant tirer les dividendes de ces investissements massifs dans notre souveraineté.
La souveraineté, ce n'est pas le repli. Nous avons des filières exportatrices exceptionnelles : l'aéronautique, le vin, le luxe, les technologies environnementales, etc. Nous devons continuer à investir dans ces secteurs, mais aussi rester ouverts à l'importation, sans naïveté, afin de continuer à exporter. Il faut simplifier, investir, accompagner les entreprises à l'export et défendre nos appellations.
Enfin, la quatrième priorité est de construire notre souveraineté énergétique de demain.
L'énergie, c'est le nerf de la guerre. Sans un grand volume d'énergie bon marché et décarbonée, nous n'arriverons à rien. Nous ne pourrons pas concurrencer les pays émergents sur l'industrie à l'ancienne ; nous devons donc investir dans la décarbonation et dans les industries vertes de demain. Pour cela, une grande production d'énergie nucléaire et renouvelable doit s'accompagner d'infrastructures.
J'entends vos interrogations sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Je vous dis, solennellement, que nous allons avancer, avec vous et avec les députés, malgré la complexité des débats à l'Assemblée nationale sur ce sujet. Votre proposition de loi, monsieur le sénateur Gremillet, a été déformée par l'Assemblée. Je reviendrai vers vous prochainement et je m'engage à tenir compte de vos avancées.
La finalité est de faire de la décarbonation de l'industrie traditionnelle un levier de réarmement industriel. Nous en avons besoin, comme nous avons besoin de développer les nouvelles industries. Ainsi, les ouvertures et agrandissements d'usines que j'évoquais tout à l'heure concernent essentiellement l'industrie verte. Je suis persuadé que nous pouvons faire de l'écologie un modèle industriel et de l'industrie un modèle écologique. Il faut arrêter d'opposer les uns aux autres. Nous devons travailler tous ensemble pour que l'Europe soit le premier continent décarboné, non pas au travers de la décroissance, de la contrainte ou de la norme, mais bien par un développement et un modèle ambitieux.
Les défis sont considérables, mais je suis persuadé qu'avec vous, nous pouvons trouver des consensus. Nous ne serons pas toujours d'accord sur tout, mais nous pouvons nous retrouver sur la volonté commune de faire de la France et de l'Europe une grande nation et un grand continent industriel.
Pour ce faire, je m'appuierai sur les piliers de mon ministère, dont le numérique et l'intelligence artificielle, essentiels pour assurer notre compétitivité et notre productivité, tout en maintenant notre modèle social. C'est aussi ce qui nous permettra d'être plus efficaces, y compris dans la production énergétique. Je serai à vos côtés et j'espère que vous serez aux miens, pour qu'ensemble nous fassions de la France une grande nation industrielle, souveraine et conquérante.
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables » (volet Énergie). - Le Gouvernement a mis fin au bonus écologique pour l'achat d'un véhicule propre, aide désormais financée par les certificats d'économies d'énergie (CEE). Ne craignez-vous pas que la hausse des obligations d'économies d'énergie imposée aux fournisseurs n'entraîne, dès 2026, une hausse significative des factures ?
Par ailleurs, dans le cadre de la réforme liée à la fin de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), le Gouvernement propose de désigner Réseau de transport d'électricité (RTE) comme affectataire du versement nucléaire universel (VNU), taxe dont le produit est ensuite reversé aux fournisseurs d'électricité pour compenser la minoration du prix appliqué aux consommateurs. Ces derniers seront incités à déplacer leurs consommations des mois de forte tension vers les mois de plus faible tension. En pratique, comment les entreprises pourront-elles déplacer leur production et les particuliers leur consommation de l'hiver vers l'été ? Il serait terrible d'inciter ces derniers à chauffer leur piscine plutôt que leur logement...
M. Christian Redon-Sarrazy, rapporteur pour avis sur la mission « Économie ». - Notre présidente a pris l'exemple du secteur spatial afin de vous interroger sur le risque d'un déclassement brutal de la France, susceptible d'entraîner des milliers de suppressions d'emplois. Je voudrais élargir cette question à toute l'industrie.
En effet, pour la première fois, le projet de loi de finances descend sous le seuil symbolique du milliard d'euros, avec seulement 941 millions d'euros en crédits de paiement (CP) à destination de l'action n° 23 « Industrie et services », qui regroupe des crédits d'intervention pour l'industrie. C'est un très mauvais signal adressé à notre économie.
Vous êtes chargé de la souveraineté industrielle. Mais laquelle entendez-vous défendre exactement ? S'il s'agit de la souveraineté européenne, nous savons ici que l'Union européenne ne sait protéger ni notre agriculture ni notre industrie. S'il s'agit de la souveraineté nationale, les montants que je viens d'évoquer devraient nous plonger dans un abîme de perplexité.
Pour conclure, monsieur le ministre, comment, sans moyens, notre industrie peut-elle survivre dans une économie ouverte, globalisée, mais aussi de plus en plus asymétrique ? Je rappelle que sous la menace américaine de droits de douane, l'Union européenne a conclu le 28 juillet 2025 avec les États-Unis un accord commercial qui nous conduira à ouvrir encore davantage nos marchés.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». - Les documents budgétaires prévoient pour 2026 et pour les années suivantes une normalisation du compte d'affectation spéciale (CAS), appelé à être de moins en moins sous perfusion du budget général de l'État. Dans le même temps, les produits des cessions d'actifs ne sont plus fléchés vers le désendettement, ce qui est heureux, car ce sont les efforts structurels qui permettront de réduire la dette. En outre, dans un environnement géopolitique et économique de plus en plus incertain, la prise de participation directe de l'État dans des entreprises stratégiques, notamment de la défense ou du numérique, est une indiscutable garantie qu'elles ne seront pas captées par des acteurs extra-européens.
Quelle est la doctrine d'intervention de l'État en matière d'industries de base, en particulier la chimie et la sidérurgie, dont le maintien en France conditionne la survie de pans entiers de l'industrie française ? Je rappelle l'importance, pour ces entreprises très consommatrices, du coût de l'énergie, et vous rappelle votre déplacement à Saint-Jean-de-Maurienne, pour signer le renouvellement du contrat de Trimet Aluminium avec EDF. Cependant, d'autres attendent toujours : Ferroglobe, MSSA Métaux spéciaux, Tokai Cobex Savoie, Ugitech, rien que pour la Savoie.
Ensuite, à l'heure où l'on parle de plus en plus de souveraineté européenne, notamment en matière de défense, cela a-t-il encore un sens d'intervenir en ordre dispersé, plutôt qu'au niveau européen, a fortiori lorsque nos moyens sont de plus en plus contraints ?
M. Roland Lescure, ministre. - Monsieur Gremillet, le bonus existe encore, comme vous le précisez dans votre question. Cependant, il est désormais recentré sur les véhicules - à une exception près - fabriqués en Europe. Ainsi, la part de marché des véhicules électriques chinois est passée de plus de 60 % à moins de 20 %, et 80 % des véhicules électriques achetés en France sont fabriqués en Europe. Le plus vendu de ces véhicules est la Renault 5, fabriquée à Douai.
En revanche, nous en avons pérennisé le financement, avec le recours aux CEE. En effet, les financements budgétaires vont et viennent, tandis que les CEE resteront. Il s'agit d'un bon outil. Cela étant, vous avez raison : en faisant trop payer des entreprises qui distribuent de l'énergie carbonée, la facture finale pourrait augmenter. Nous sommes donc particulièrement vigilants quant au risque que pose la hausse de 25 % du niveau d'obligation. Il existe aussi de nouveaux gisements de CEE, notamment dans les transports et dans l'industrie, susceptibles d'abaisser sur les prix.
Nous allons renforcer la lutte contre la fraude à la rénovation énergétique, grâce à des moyens techniques et humains supplémentaires. Notre arsenal nous permettra, je l'espère, de continuer à soutenir la transition écologique tout en évitant que ce soient les ménages ou les entreprises le plus en difficulté qui paient.
L'Arenh était critiqué par tout le monde, mais permettait tout de même à de grands industriels de bénéficier d'une énergie décarbonée à un coût raisonnable y compris dans les moments difficiles, comme pendant la guerre en Ukraine. Nous nous étions engagés auprès de la Commission européenne à changer de système, et j'avais signé avec Bruno Le Maire un accord avec EDF sur les contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN), à un coût compétitif pour les grands industriels, dont un à Saint-Jean-de-Maurienne, comme vous l'avez rappelé, madame la sénatrice Berthet. Il se trouve, d'ailleurs, qu'EDF détenait une partie du capital de cette entreprise, ce qui explique peut-être l'attribution en priorité de ce CAPN.
Mais nous avons changé de monde, de volume et de dynamique, et EDF a compris qu'être détenue à 100 % par l'État supposait des efforts commerciaux pour aider notre industrie. En effet, sans industrie, pas de revenus, y compris pour EDF. Nous sommes donc dans une phase d'accélération de la signature des CAPN, dont certains sont conçus pour les petites et moyennes entreprises ou celles de taille intermédiaire. J'espère que vous l'entendez sur vos territoires. Si tel n'est pas le cas, faites-le-nous savoir.
La politique industrielle ne se réduit pas à une ligne budgétaire. Ainsi, le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte (C3IV), peu coûteux, fonctionne. Il aide à installer, par exemple, des usines de panneaux solaires. J'espère que ce dispositif sera maintenu, voire renforcé.
La baisse de la CVAE bénéficie aux 300 000 entreprises qui y sont assujetties, essentiellement des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) industrielles. Il s'agit donc d'un choix stratégique pour soutenir l'industrie. Cependant, si nous devons continuer à « mettre le paquet » sur les industries qui vont bien - innovation, intelligence artificielle, décarbonation, etc. -, il faut aussi aider celles qui sont en difficulté. Cela fait partie de la feuille de route du ministre Sébastien Martin. Ainsi, même si nous ne pouvons sauver tout le monde, lorsque nous avons un business plan correct et un repreneur prêt à investir, nous accompagnons.
Selon notre doctrine, nous avons clairement vocation à investir, via l'Agence des participations de l'État (APE), dans trois types d'entreprises. Les premières sont les entreprises stratégiques, qui contribuent à l'indépendance et la souveraineté, dont notre grand électricien. Les deuxièmes participent à des missions de service public ou d'intérêt général. Enfin, les troisièmes sont les entreprises en difficulté soulevant un risque systémique. Ces décisions doivent s'inscrire dans une stratégie patrimoniale plus large dépassant le cadre budgétaire, qui regroupe les portefeuilles complémentaires de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), de Bpifrance et de l'APE, dont j'ai la tutelle. Le Premier ministre a souhaité engager une réflexion sur la cohérence de l'ensemble. En particulier, la participation de l'État au capital de certaines entreprises devrait conduire celles-ci à modifier leurs relations commerciales avec les fournisseurs.
Dans certains secteurs très cycliques, l'État ne doit intervenir qu'avec une main tremblante. La chimie fait face à des défis incommensurables, en particulier la concurrence déloyale et malsaine d'un certain nombre de pays. Nous devons y travailler avec l'Europe et simplifier les normes, tout en préservant la planète et la santé de nos concitoyens. Attention, toutefois, aux voeux pieux et aux demandes de nationalisation à tout-va !
M. Fabien Gay. - Nous nous connaissons depuis longtemps, monsieur le ministre. Vous appelez à la responsabilité, à trouver un compromis avec les gens raisonnables. Cependant, dans votre récit, vous avez oublié une chose : il y a un an, vous avez perdu les élections. Or je ne connais aucun pays démocratique où, lorsque l'on perd les élections, on continue la même politique !
Je suis prêt à chercher un compromis, mais que soutenez-vous ? Par exemple, M. Jean-Pierre Farandou explique que l'on va retirer la prime de Noël de 150 euros à ceux qui, touchant le RSA - 646 euros par mois -, n'ont pas d'enfants à charge. Mais ces gens-là ont, eux aussi, droit à un petit peu de bonheur en fin d'année ! Peut-être ont-ils des neveux, des nièces, des grands-parents, ou l'envie de faire un bon repas et d'offrir quelques cadeaux... Par ailleurs, je constate votre refus de taxer à hauteur de 2 % le patrimoine de 1 800 milliardaires. Ainsi, votre choix politique est de raboter de 200 millions d'euros la prime de Noël de ceux qui perçoivent 646 euros, tout en écartant l'idée de la taxe Zucman, pourtant défendue par sept prix Nobel. Où est le compromis ? Où allons-nous ?
J'en viens à ma deuxième question. Hier, j'étais à un meeting de soutien aux salariés d'ArcelorMittal. Vous avez dit qu'il n'y aurait pas de nationalisation, sujet qui sera à nouveau évoqué à l'Assemblée nationale, le 27 novembre, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe La France insoumise. Sauf que les pratiques de ce groupe, nous les connaissons depuis Gandrange, puis Florange, tout comme les trahisons qui ont suivi.
Afin de décarboner les deux hauts fourneaux situés près de Gravelines, il faut construire une ligne à haute tension pour les relier à la centrale. Or les salariés de la centrale de Gravelines, des camarades de la CGT, m'ont dit que le projet était à l'arrêt. Il n'y aura pas de ligne à haute tension. Face à cela, le pouvoir politique ne peut fermer les yeux. Mittal ne décarbonera pas. Le laisserons-nous, d'ici à 2030, fermer encore trois hauts fourneaux ? Quelle est l'alternative à la nationalisation ? Si nous ne commençons pas la décarbonation dans les six mois, les deux hauts fourneaux ne seront jamais prêts pour 2030. Les salariés ne demandent pas la lune, ils nous exposent les faits !
M. Philippe Grosvalet. - En tant que ministre de l'industrie, vous êtes venu à Saint-Nazaire, dont vous avez constaté le dynamisme industriel, y compris de la part d'entreprises anciennes qui s'engagent dans des secteurs d'avenir et dans la transition énergétique. Tout cela est évidemment le fruit conjoint de l'action des entreprises elles-mêmes, mais aussi des acteurs locaux, collectivités et chambres consulaires notamment.
Or vous avez déjà ponctionné 100 millions d'euros, l'an dernier, sur la trésorerie des chambres de commerce et d'industrie (CCI). Dans le projet de loi de finances, il est prévu, non pas un nouveau coup de rabot, mais la quasi-décapitation d'un réseau indispensable sur nos territoires, à raison de 175 millions d'euros. Je rappelle que les CCI accompagnent les entreprises, mais définissent aussi, avec nos collectivités, des stratégies locales de très long terme.
M. Henri Cabanel. - Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? J'ai du mal à établir la corrélation entre les dépenses et les recettes...
À titre d'exemple, le 8 octobre dernier, le président de la Fédération française du bâtiment nous a démontré qu'un euro investi par l'État au travers de MaPrimeRénov' rapportait in fine deux ou trois euros de retombées économiques. Est-ce exact ? Pourquoi, en ce cas, en restreindre les critères et se limiter à 13 000 dossiers par an ?
En outre, les élus de territoire que nous sommes savent que c'est non pas l'investissement qui coûte le plus cher, mais bien le fonctionnement. Or notre pays ne compte pas moins de 1 200 agences publiques, dont le fonctionnement coûte plus de 80 milliards d'euros par an. Monsieur le ministre, savez-vous ce qu'est le Céreq ? Il s'agit du Centre d'études et de recherches sur les qualifications... Avons-nous besoin de toutes ces agences ? N'y a-t-il pas là de larges économies à réaliser ?
M. Roland Lescure, ministre. - Monsieur Fabien Gay, nous n'avons pas gagné les élections, même si pour ma part, j'ai été réélu, après avoir adressé à mes électeurs le même message qu'à vous : nous allons devoir travailler avec toutes celles et tous ceux qui souhaitent que la France avance, et dont vous faites partie, monsieur le sénateur. Cependant, votre camp n'a pas gagné non plus...
Aujourd'hui, dans tous les groupes parlementaires à l'exception de La France insoumise et du Rassemblement national, des députés ont décidé de ne pas voter la censure. Cela étant, je sais bien que le député communiste et ses collègues écologistes et socialistes qui sont dans ce cas ne sont pas d'accord avec moi sur grand-chose. Parmi les députés de la droite républicaine, et même en notre sein, il y a des désaccords profonds. Mais vous ne pouvez pas dire que vous n'avez rien obtenu et qu'il n'y a pas eu de compromis. La suspension de la réforme des retraites m'a-t-elle fait plaisir ? Non. Suis-je satisfait que le Premier ministre l'ait acceptée ? Oui, parce que c'est le prix de la stabilité politique.
J'ai défendu un amendement à l'Assemblée nationale, monsieur le sénateur, introduisant une surtaxe exceptionnelle de 2 milliards d'euros, s'ajoutant à celle de 4 milliards d'euros déjà prévue dans le projet de budget. Je ne l'ai pas fait de gaieté de coeur, mais parce que je suis convaincu que, face à des dépenses votées ou susceptibles de l'être, comme sur l'année blanche fiscale ou la forfaitisation de l'abattement fiscal sur les pensions de retraite, il fallait des recettes. J'ai fait de nombreux compromis. Certains ont récemment remporté des victoires, même s'ils ne les revendiquent peut-être pas suffisamment. Mais je ne peux pas vous laisser dire que nous n'avons rien fait.
Quant à la taxe Zucman, ce n'était pas un compromis, mais une proposition à prendre ou à laisser. Parmi les sept prix Nobel qui soutiennent cette proposition, pas un ne paie ses impôts en France, contrairement à Philippe Aghion.
M. Philippe Grosvalet. - Ce n'est pas un argument !
M. Yannick Jadot. - Esther Duflo paye ses impôts en France !
M. Roland Lescure, ministre. - En tout cas, elle enseigne aux États-Unis... Si un impôt sur les grandes fortunes touche l'outil de production, ce dernier sera déplacé ailleurs. Je pense, par exemple, à une entreprise de taille intermédiaire dans l'agroalimentaire, détenue par une famille de génération en génération et dont les dirigeants, sans doute, gagnent bien leur vie. Ces gens-là ont du capital, qui dépasse sans doute les 300 millions d'euros, soit le seuil proposé par Gabriel Zucman. Ainsi, les parts d'entreprise qu'ils devront vendre pour payer la taxe Zucman pourraient aller à l'État, selon l'hypothèse de son instigateur ; mais ce n'est pas le rôle de l'État que de prendre 2 % de l'ensemble du capital des entreprises de taille intermédiaire. L'autre option serait de les vendre à l'international.
J'entends la demande de justice fiscale, mais à ce jour, l'Assemblée nationale a voté pour 5 milliards d'euros d'impôts supplémentaires à destination des plus aisés. Ces « riches » sont ainsi passablement « chargés ». 'Mais telle n'est pas la proposition de M. Zucman. Quoi qu'il en soit, il faut préserver notre modèle social, fondé sur la prospérité et sur la solidarité nationale. Attention, toutefois, à ne pas casser l'outil.
Je suis toujours le dossier d'ArcelorMittal, avec qui nous menons une négociation difficile. Toujours est-il que ce grand champion industriel mondial sait faire tourner des aciéries. Toutefois, la problématique de la subvention de la décarbonation ne se pose pas qu'en France, comme le montre l'exemple de ThyssenKrupp. Nous avons accepté de subventionner la décarbonation à hauteur de 900 millions d'euros. En effet, si nous ne sommes pas capables de fournir de l'énergie décarbonée abondante et peu chère, ils partiront. En revanche, sur la ligne à haute tension, je n'ai pas de réponse. Je vais m'assurer que cette ligne importante figure bien dans le plan de développement de RTE.
J'en arrive à la clause de sauvegarde. La Commission européenne doit tenir son engagement de septembre dernier, afin de protéger les aciéries européennes contre la concurrence déloyale venue d'Asie ; je suis persuadé que nous pouvons y arriver. Des centaines de salariés travaillent chez ArcelorMittal, dans un bassin industriel en pleine renaissance. Nous continuerons à y investir.
Nous avons visité ensemble les chantiers navals de Loire-Atlantique, monsieur le sénateur Grosvalet : ils doivent continuer à se développer, conformément au message formulé il y a quelques jours par le Président de la République, lors des dernières Assises de l'économie de la mer.
Je ne vais pas vous dire que la situation des CCI est facile. Je rencontrerai, demain, les présidents de CCI France et de CMA France, pour les chambres de métiers et de l'artisanat. J'entends la nécessité de baisser les dépenses et tout le monde devra faire des efforts.
Je reconnais volontiers que nous devons travailler sur les agences et lirai en détail le rapport de Christine Lavarde, écrit au nom de la commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État. On ne peut pas dire, cependant, que ces dernières doivent faire encore plus d'efforts, tout en en dispensant les CCI et les CMA. Peut-être certaines agences peuvent-elles se rapprocher dans des territoires, ou développer des activités commerciales ? Mais face au mur, tout le monde doit se retrousser les manches.
Sur MaPrimeRénov', nous avons reçu des plaintes quant à son caractère, parfois, d'« open bar ». Nous avons donc, l'été dernier, recentré le dispositif.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Entretemps, vous avez retiré l'isolation par les murs et les chaudières.
M. Roland Lescure, ministre. - Nous avons recentré ce dispositif pour qu'il soit plus efficace, puisque nous parlons d'argent public. Nous allons concentrer les efforts contre la fraude, et nous avons pérennisé le financement de la prime grâce aux CEE.
Si je suis convaincu de l'utilité de ce dispositif, il faut qu'il soit efficace économiquement et sur le plan environnemental. In fine, il nous faut des maisons bien isolées émettant peu de gaz à effet de serre. En effet, c'est dans le bâtiment que le coût de la tonne de carbone évitée est le plus élevé. La moindre des choses est donc de nous assurer de l'efficacité de ces dépenses.
Mme Antoinette Guhl. - Duralex, La Meusienne, Bergère de France, Scop-TI : voilà quatre entreprises qui ont été rachetées par leurs salariés pour éviter, tout simplement, leur fermeture. Duralex a réalisé, pas plus tard qu'hier, une levée de fonds importante auprès des Français, dans une forme de plébiscite. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour faciliter la reprise d'entreprises par les salariés ? Quels outils Bpifrance peut-elle mettre à leur disposition ?
Sur la lutte contre la fraude, nous avons vu le rôle important de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), par exemple dans l'affaire Nestlé Waters. De quels moyens la doterez-vous pour qu'elle continue à réaliser pleinement ses missions, alors que les modes de commercialisation sont très changeants ?
Enfin, quels sont les secteurs prioritaires d'industrialisation et de réindustrialisation ? Quels outils créez-vous au service de votre politique industrielle, que j'avoue pour l'instant ne pas percevoir ?
Mme Marie-Lise Housseau. - Je voudrais vous parler des plateformes de commerce en ligne, notamment chinoises, comme Shein, Temu et Joybuy, qui comptent 600 millions de clients. Désormais, elles s'attaquent aux marchés physiques, comme le BHV, et passent des accords avec La Poste. Le résultat : des milliers de références qui ne respectent pas la législation et des prix bradés qui tuent tous les commerces.
Comment lutterez-vous contre ce pillage en règle de notre tissu économique ? La taxe de 2 euros sur les petits colis, inscrite dans le projet de loi de finances pour 2026, sera-t-elle suffisante, d'autant que la Commission européenne se montre très critique et suggère d'attendre l'harmonisation en 2028 ? Cela, alors même que Donald Trump multiplie les taxes douanières dissuasives contre les produits chinois, renvoyant ceux-ci vers l'Europe. Aurons-nous le remède avant que le malade ne soit mort ?
M. Patrick Chaize. - Je souhaite notamment vous interroger sur le numérique.
Qu'en est-il de l'équilibre économique des réseaux d'initiative publique (RIP), qui pose une vraie difficulté ?
Par ailleurs, quelle est votre vision pour Mayotte ? En effet, dans le projet de budget, le compte n'y est pas...
Un accord de votre ministère est attendu sur la vente d'Exaion à l'américain Mara. Je souhaite vous entendre sur ce sujet, qui soulève une problématique de souveraineté.
Les conséquences du projet de loi sur les missions de service public et d'aménagement du territoire de La Poste risquent de créer une réelle difficulté de fonctionnement pour les agences postales communales. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, qu'allez-vous faire du projet de loi de simplification de la vie économique ?
(M. Daniel Gremillet, vice-président de la commission des affaires économiques, prend la présidence de la réunion en lieu et place de Mme Estrosi Sassone.)
M. Roland Lescure, ministre. - Les sociétés coopératives participatives (Scop) sont une très bonne chose. Je suis favorable à la reprise d'entreprises en difficulté dans le cadre d'un plan d'affaires favorable, surtout si, de surcroît, les salariés peuvent en bénéficier. Je le suis tellement que c'est moi qui ai autorisé le soutien du fonds de développement économique et social (FDES) pour la reprise de Duralex. Je suis donc très heureux que cette entreprise aille mieux, même si l'on ne peut pas encore dire qu'elle va bien. Elle a pu réaliser une augmentation de capital de 5 millions d'euros en quelques heures, au lieu de trois semaines, et nous avons accordé un prêt de 750 000 euros au titre du FDES.
La Scop est un levier de reprise, un modèle que nous soutenons. Le commissariat général aux Scop est très présent et Bpifrance aide à la reprise par les salariés. En outre, nous avons créé des exonérations de plus-value pour la cession par le chef d'entreprise aux salariés et les chambres de commerce et d'industrie assurent un accompagnement. Je suis également très favorable à l'actionnariat salarié.
Sur la répression des fraudes, je transmets votre question à Serge Papin, ministre de plein exercice chargé des questions de consommation et de pouvoir d'achat.
Les secteurs stratégiques prioritaires sont nombreux et comprennent, entre autres, le spatial et l'aéronautique. Le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac) permet de financer la recherche dans le domaine. N'oublions pas le secteur ferroviaire, avec un champion mondial, Alstom, et celui des médicaments, notamment critiques. J'avais beaucoup travaillé à la relocalisation de la production de ces derniers dans le cadre de mes précédentes fonctions et j'ai demandé à Sébastien Martin de continuer à le faire, car la crise du covid a révélé à quel point notre souveraineté était mise à mal.
En fait également partie le secteur énergétique, notamment le nucléaire, l'éolien en mer, les batteries, les pompes à chaleur et les panneaux solaires, éléments très importants de notre souveraineté énergétique future, tout comme le nouveau nucléaire. Des gigafactories de panneaux photovoltaïques sont en cours de construction et un écosystème exemplaire des batteries se développe dans les Hauts-de-France. Il en va de même pour la production de pompes à chaleur, qu'il faut continuer à soutenir.
Madame la sénatrice Housseau, nous n'avons pas de formule magique pour interdire les plateformes de commerce en ligne, d'autant que, paradoxalement, ce dernier fait aussi vivre les territoires au travers de plateformes locales. Il n'en reste pas moins vrai que, face à ces géants capables de changer de collection tous les jours et de proposer des produits à des prix tuant toute concurrence, nous devons agir et ce, comme vous l'avez dit, au niveau européen. Le Premier ministre nous a demandé, à Anne Le Hénanff et à moi-même, d'écrire aujourd'hui à la Commission européenne sur ce point.
Cela arrive maintenant parce que, à deux reprises, en quarante-huit heures, une plateforme a enfreint la loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, dans ses dispositions sur la vente ou la promotion de contenus à caractère terroriste, pédopornographique ou liés au narcotrafic, avec une obligation absolue de retirer les contenus en vingt-quatre heures. Concernant les armes, une autre législation prévoit un délai de quarante-huit heures.
Compte tenu de ces deux délits, le Premier ministre a décidé d'entamer la procédure de suspension, mais celle-ci ne s'improvise pas. Je reçois les fournisseurs d'accès demain, mais, si nous voulons traiter ce sujet de manière durable, nous devons le faire au niveau européen. Afin de renchérir les coûts pour ces plateformes, nous allons, je l'espère, adopter la taxe de 2 euros par colis. Mais nous ne pourrons pas faire plus ; en effet, si nous taxons chaque colis Shein à hauteur de 20 euros, ils passeront par Munich, Francfort, Milan ou ailleurs. Or nous voulons que La Poste continue à gagner de l'argent sur ces colis, afin de ne pas affaiblir son modèle économique.
À celles et ceux qui, lors de son audition du 21 octobre dernier, ont bousculé la patronne de La Poste sur son accord avec Temu, je dis de ne pas tirer sur le postier. Les colis qu'il livre contribuent au chiffre d'affaires de La Poste, ce qui est bienvenu alors que d'autres activités sont en profonde décroissance. En outre, si ce n'est pas lui qui le fait, d'autres s'en occuperont. Il faut donc bien agir à Bruxelles, où nous aurons de forts arguments à présenter compte tenu des évènements de ces derniers jours.
Monsieur Chaize, j'imagine que votre question portait sur le développement de la fibre optique à Mayotte ; je n'ai pas de réponse précise à vous fournir et je vous propose de nous rencontrer pour évoquer ce sujet.
J'en viens à votre question sur Exaion. Il s'agit non pas d'une vente, mais d'une prise de participation envisagée par un acteur américain sur des activités certes importantes, mais non critiques. L'opération porte sur 0,1 % de la capacité de calcul française. Nous ne sommes pas en train de construire les réacteurs nucléaires de demain avec une entreprise que nous vendrions aux Américains. D'aucuns à l'Assemblée nationale ont donné l'impression que nous bradions toutes les technologies françaises. Ce n'est pas le cas : EDF resterait actionnaire de l'entreprise.
Les activités de service public de La Poste décroissent. Le courrier diminue, la livraison des journaux coûte une fortune à l'entreprise, alors même que l'État en compense une bonne partie. La Poste est à peu près parvenue à l'équilibre sur ses activités commerciales, pour lesquelles la concurrence est importante. En tant que parlementaires, vous êtes évidemment très sensibles à la mission d'aménagement du territoire assumée par La Poste. Mais tout le monde doit faire des efforts dans le contexte financier actuel.
L'examen du projet de loi de simplification de la vie économique a été de plus en plus complexe au fil du temps. Nous ne connaissons pas la date de la commission mixte paritaire. Lorsque Bruno Le Maire a présenté ce texte - j'étais à ses côtés à l'époque -, nous envisagions de bâtir la cathédrale de la simplification. Mais la dissolution est passée par là... La version adoptée par l'Assemblée nationale n'est pas la meilleure base de discussion : certaines dispositions sont intéressantes, tandis que d'autres sont très disparates. Nous devons veiller à ce que le projet de loi réponde bien à l'objectif qui lui a été fixé et ne complexifie pas les choses.
M. Yves Bleunven. - Votre discours est clair : nous devons faire montre de responsabilité collective pour affirmer notre souveraineté industrielle.
Je souhaite attirer votre attention sur les conséquences de l'entrée en vigueur du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) le 1er janvier prochain. Si je suis en phase avec le concept à l'origine de ce dispositif, qui vise à ne pas pénaliser les entreprises européennes face à des importations aux conséquences néfastes sur les émissions de carbone, les choses se sont dégradées lors de l'application du principe.
Il faut rappeler le contexte. Notre économie est très résiliente, puisqu'elle a surmonté le covid, la guerre en Ukraine et la flambée des prix de l'énergie. Il lui est plus difficile de surmonter l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, source de grands désordres dans l'ordre économique mondial. Nous peinons à adapter nos codes douaniers à la hauteur de la déstabilisation que connaissent les flux économiques.
C'est dans ce contexte que le MACF s'appliquera à des produits simples, tels que l'acier, l'aluminium, les engrais, l'hydrogène ou l'électricité, et qui comptent pour la moitié de nos émissions de carbone.
Nous nous dirigeons tout droit vers une catastrophe monumentale. En un an, trois usines d'engrais ont fermé dans le Grand Ouest. Alors que nous dépendons désormais de l'étranger pour nos approvisionnements, nous sommes sur le point de doubler, voire de tripler, la valeur des produits à cause du MACF. C'est complètement absurde : nous allons affaiblir notre agriculture à vitesse grand V !
Nous disposons dans notre pays de véritables pépites dans le secteur de la métallurgie, avec de véritables savoir-faire. Je pense notamment à l'entreprise Ferotec, située en Bretagne, qui achète de l'acier chinois pour fabriquer des unités destinées aux usines fabriquant des granulés. Celle-ci paie des taxes lorsqu'elle achète l'acier, alors que les produits élaborés en Chine n'y sont pas soumis. Si vous ajoutez à cela un MACF au taux de 15 %, on ramassera l'entreprise à la petite cuillère dans un an !
Je ne crois guère à un report du dispositif, à deux mois de son entrée en vigueur. En tant que ministre de la souveraineté industrielle, quel dispositif envisagez-vous de mettre en place dans le prochain projet de loi de finances pour éviter que ces entreprises ne meurent ?
M. Daniel Fargeot. - L'article 22 du projet de loi de finances instaure la taxe sur les petits colis livrés depuis l'étranger. Ce dispositif vise à envoyer un signal-prix face aux dérives environnementales et au dumping des plateformes de commerce en ligne étrangères, qui se traduisent par un afflux de biens importés hors de l'Union européenne, notamment d'Asie. Pour la France, cela représente plus de 800 millions de colis. Si ce dispositif répond à un objectif partagé, sa rédaction actuelle soulève des obstacles qui risquent d'en détourner le sens. Trois angles morts menacent son efficacité.
D'abord, qui est le redevable effectif ? Le texte désigne le transporteur - La Poste, FedEx, entre autres -, qui n'a aucun lien contractuel avec l'acheteur final. Le recouvrement ex- post est illusoire et créerait des créances irrecouvrables de plus de 10 millions d'euros par an pour les seuls expressistes implantés à Roissy, qui emploient des milliers de salariés.
Ensuite, comment appréhendez-vous le détournement de trafic ? La Chine, par exemple, passera par l'Allemagne - et DHL - et non par la France, ce qui n'apportera aucun bénéfice, ni pour l'environnement, ni pour nos douanes, ni pour nos opérateurs français. Comment limiter clairement la taxe aux entreprises en B2C (business to consumer) lorsque la frontière opérationnelle avec le B2B (business to business) reste floue ?
Enfin, le partenariat entre Temu et La Poste entrera-t-il pleinement dans le champ de la taxe ou constitue-t-il une faille du dispositif ?
En résumé, comment garantir une mise en oeuvre réelle pour éviter qu'une bonne idée ne devienne un dispositif marketing qui resterait dans son emballage ou, pis, qui fragiliserait une filière en France ? Il s'agit d'emplois : vous aurez compris que je défends les expressistes face à ces angles morts.
Mme Amel Gacquerre. - J'aimerais revenir sur l'enjeu de la souveraineté industrielle, et plus précisément sur notre industrie locale et nos petites et moyennes entreprises (PME), qui constituent l'ossature des filières clés que nous voulons défendre : la chimie, l'automobile, l'agroalimentaire ou encore les matériaux. Sans ce tissu industriel local, sans ces fleurons, notre industrie ne serait pas ce qu'elle est.
Ces PME sont les plus exposées aux prix de l'énergie, aux ruptures d'approvisionnement, au déficit d'investissement et aux difficultés de recrutement, sans oublier les lourdeurs administratives et réglementaires inégalées auxquelles elles font face. Tout cela a un coût.
Dans le projet de loi de finances pour 2026, quels dispositifs sont prévus pour renforcer l'amont des chaînes de valeur, pour financer la modernisation des PME et leur transition énergétique et écologique ? Celles-ci souhaitent s'y engager, mais n'en ont pas les moyens aujourd'hui. Il y va de la survie de ces entreprises locales ; sans cela, nous ferions face à la perte irréversible de compétences et de savoir-faire. Lorsque la filière du nucléaire a été relancée, nous avons manqué de compétences.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Ma question portait sur les petits colis ; M. Fargeot m'a devancée. J'attends votre réponse, monsieur le ministre, avant d'intervenir.
M. Daniel Salmon. - J'ai reçu de nombreux acteurs de l'insertion par l'activité économique (IAE) de mon département : tous s'alarment d'une baisse de 200 millions d'euros des crédits du programme 102 « Accès et retour à l'emploi ». C'est catastrophique, tant l'utilité sociale de ces acteurs est reconnue.
De nombreuses personnes éloignées de l'emploi ont absolument besoin de ces activités pour se réinsérer. J'espère que ces crédits pourront être rétablis.
M. Roland Lescure, ministre. - Monsieur Bleunven, le MACF est une bonne idée. Nous devons toutefois veiller à ce que celle-ci ne se transforme pas en cauchemar si le dispositif était mal calibré.
Le MACF vise à taxer à l'entrée les produits fabriqués hors d'Europe de manière plus polluante, pour tenir compte de leurs émissions de carbone. Mais nous ne sommes pas en mesure de tout intégrer, voilà la difficulté. Nous avons commencé par intégrer les produits de base, mais nous nous battons pour élargir le champ d'application du mécanisme. L'exemple que vous avez cité, sur les produits de l'aval, est pertinent : un produit semi-fini fabriqué en Chine et exporté en Europe ne sera pas soumis à la MACF ; en revanche, un produit fabriqué en Europe à partir d'une matière brute importée de Chine le sera, lui. D'où une distorsion de concurrence. Nous faisons pression sur la Commission européenne pour que celle-ci élargisse le mécanisme à d'autres secteurs ; nous attendons également des propositions de sa part sur certains produits de l'aval.
Pour certains secteurs comme la chimie, nous avons prévu des mécanismes de lissage afin d'éviter un « coup de bambou » dès le 1er janvier. Notre objectif est d'éviter les fuites de carbone. Si votre entreprise importe des produits soumis à un MACF cher et exporte, elle sera doublement taxée, ce qui pose des enjeux de compétitivité.
Un autre débat porte sur le calcul de la contribution carbone. Si une usine chinoise est située près d'un barrage produisant de l'hydroélectricité, ses responsables diront qu'elle ne pollue pas. Or la Chine émet globalement beaucoup plus de gaz à effet de serre que nous. Nous nous battons donc pour que l'on intègre les émissions du pays d'origine, et non pas seulement celles du barrage, lequel risque d'être utilisé plusieurs fois dans les déclarations de taxes.
Les sujets de l'aval, de l'exportation et de la mesure de la contribution carbone sont donc très importants. Nous insistons pour que la Commission fasse des propositions concrètes avant le début de l'année 2026, date à laquelle le MACF doit théoriquement entrer en vigueur.
Monsieur Fargeot, madame Renaud-Garabedian, si nous fixions le montant de la taxe sur les petits colis à 50 euros, ceux-ci transiteraient par d'autres pays. C'est pourquoi nous l'avons fixé à 2 euros. Le produit de cette taxe nous permettra de recruter des contrôleurs. Toutefois, celle-ci a vocation à être transitoire : nous souhaitons en effet entamer des négociations au niveau européen pour régler le problème avant l'échéance électorale de 2027.
Cette taxe est collectée par l'administration des douanes lors de la procédure de dédouanement ; elle n'est à la charge ni de La Poste ni du client.
M. Daniel Fargeot. - Cela ne figure pas sur l'imprimé H7.
M. Roland Lescure, ministre. - Non, la taxe n'est pas encore entrée en vigueur.
M. Daniel Fargeot. - Il faudra modifier le formulaire !
M. Vincent Louault. - Quid du principe de libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne ? Le colis peut transiter par l'Italie, par exemple.
M. Roland Lescure, ministre. - Vous avez raison : c'est pourquoi le montant de la taxe ne doit pas être trop élevé.
M. Daniel Fargeot. - Je vous ai préparé une petite note : c'est bien l'imprimé H6 qui fait référence, et non le H7. Il faut régulariser les choses ; il s'agit d'un simple problème technique.
M. Roland Lescure, ministre. - La technique a parfois des effets pervers que nous devons traiter...
Madame Renaud-Garabedian, ai-je répondu à votre question ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Il me semble que la taxe s'applique par catégorie d'articles, et non par colis : est-ce exact ?
M. Yannick Jadot. - Oui, c'est cela. Si le colis comporte par exemple deux tee-shirts et deux paires de chaussettes, la taxe s'élèvera à 4 euros.
M. Roland Lescure, ministre. - Je vérifierai cette information et vous tiendrai informés.
Monsieur Salmon, je ne veux pas vous donner l'impression de botter en touche, mais l'IAE relève de la compétence de mon collègue Jean-Pierre Farandou. Je lui demanderai de vous répondre.
Madame Gacquerre, nous avions déjà fait avancer les choses en matière de stratégie industrielle, mais le rapport Draghi a constitué une sorte de signal d'alarme. Le projet de loi de finances prévoit le financement du nouveau nucléaire, grâce aux contrats d'allocation de production nucléaire, les CAPN. Il prévoit aussi une baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), ce qui stimulera la compétitivité des entreprises dans les territoires. J'invite aussi chacun à limiter la sorcellerie fiscale - j'ai utilisé ce terme dimanche dernier à l'Assemblée nationale. Évitons de créer des usines à gaz qui compliquent la vie des entreprises !
L'innovation est la clé de la stratégie industrielle. Un peu plus de la moitié des crédits de France 2030, qui s'élèvent à 54 milliards d'euros, a déjà été engagée. Les crédits restants seront dirigés prioritairement vers l'industrie, secteur dans lequel quelque 60 000 emplois ne sont pas pourvus. Madame la sénatrice, encouragez les jeunes filles à postuler ! Nous avons besoin de soudeurs et de techniciens.
Enfin, les règles du commerce international ont changé. Nous travaillons d'arrache-pied pour introduire la préférence européenne pour les produits européens ; j'espère que nous y parviendrons à l'occasion du prochain Conseil européen.
M. Yannick Jadot. - Les filières économiques, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, ne supportent plus l'instabilité permanente des politiques publiques. Dominique Estrosi Sassone, Amel Gacquerre et moi-même avons reçu les représentants de la Fédération française du bâtiment : ceux-ci estiment que l'effondrement de l'investissement dans le logement a entraîné une perte de recettes fiscales s'élevant à 20 milliards d'euros, puisqu'un euro investi représente deux à trois euros de recettes.
Dans le secteur de la rénovation, tout le monde est effondré. Dans le secteur des énergies renouvelables, tout le monde est effondré. Nous avons reçu les représentants d'Engie la semaine dernière, qui nous ont dit : « Arrêtez l'instabilité ! ». Nous avons auditionné Carlos Tavares et Jean-Dominique Senard, qui nous ont dit : « Nous serons prêts en 2035 pour la voiture électrique ». Certains groupes politiques s'emparent de cette instabilité. Résultat : les industriels reculent. Descendre du train alors que la Chine a dix ans d'avance est une aberration absolue ! Monsieur le ministre, tenez ferme sur l'échéance de 2035, car nous avons besoin d'une industrie automobile compétitive. Investissez dans le logement et cessez de réduire à peau de chagrin les crédits en faveur de la rénovation énergétique.
J'en viens à Shein. Ne pourrions-nous pas anticiper sur le règlement européen relatif au travail forcé, qui ne doit entrer en vigueur qu'en 2027 ? La Chine pratique le travail forcé d'État. L'Union européenne pourrait sanctionner ces conditions de production qui s'apparentent à du semi-esclavage, notamment dans le Xinjiang.
La quasi-totalité des sénateurs et des députés est opposée à l'adoption de l'accord avec le Mercosur, si bien que le Gouvernement évoque maintenant l'adoption de clauses de sauvegarde. J'ai travaillé quinze ans sur les accords de libre-échange : ceux-ci permettent de communiquer, de rassurer, mais, en réalité, cela ne sert à rien.
Au mois de janvier dernier, à la suite d'un accord transpartisan, le Sénat avait voté en faveur de l'acquisition par l'État d'une action spécifique de TotalEnergies, qui donnerait à l'État les moyens d'agir, notamment pour conserver le siège social du groupe en France.
M. Rémi Cardon. - Alain Cadec, Annick Jacquemet et moi-même avons récemment publié un rapport d'information sur la filière automobile, formulant dix-huit recommandations.
Les discussions avancent sur l'harmonisation au niveau européen des aides à l'achat ; avez-vous des informations à nous communiquer à ce sujet ?
Se pose aussi la question, déjà soulevée, de la stabilité fiscale en France, notamment sur les aides, que ce soit pour les voitures électriques ou pour la rénovation thermique. Pour les voitures électriques, le dispositif a changé dix-sept fois en cinq ans : les consommateurs et les concessionnaires ont du mal à s'y retrouver.
Le leasing social - un outil efficace, préconisé à une époque par les socialistes et repris par Emmanuel Macron - rencontre un grand succès, avec plus de 40 000 foyers modestes qui pourront accéder à la voiture électrique. Le plafond du dispositif, fixé à 50 000 foyers, sera atteint rapidement. Il faudra plus de moyens, notamment pour l'étendre aux classes populaires et moyennes afin d'accélérer le passage vers la voiture électrique.
Pour accéder au leasing social, le plafond du revenu fiscal de référence (RFR) est fixé à 16 300 euros, soit 1 300 euros par mois, le niveau du seuil de pauvreté. Sauf si elle a des enfants, une personne payée au Smic ne peut bénéficier du dispositif. En outre, il faudrait faire un geste en faveur de nos concitoyens dont le niveau de revenus est situé légèrement au-dessus du Smic, car le coût moyen d'une voiture électrique reste élevé.
M. Jean-Jacques Michau. - Monsieur le ministre, vous n'avez pas évoqué l'hydroélectricité, qui est pourtant une énergie décarbonée et durable. Celle-ci représente 13 % de notre mix énergétique, mais son développement est entravé par un long contentieux avec l'Union européenne. La part de l'hydroélectricité progresserait de 10 % si nous parvenions à le surmonter. Daniel Gremillet, Patrick Chauvet, Fabien Gay et moi-même avons rédigé un rapport sur l'avenir des concessions hydroélectriques. Pourrons-nous travailler ensemble sur le sujet, monsieur le ministre ?
M. Bernard Buis. - L'article 5 du projet de loi de finances propose diverses suppressions et rationalisations des dépenses fiscales, notamment la suppression des avantages fiscaux des biocarburants de première génération, l'E85 et le B100. Plusieurs acteurs du secteur agricole, notamment, s'en sont émus. Pouvez-vous revenir sur les motivations qui vous ont conduit à présenter cette mesure ?
M. Roland Lescure, ministre. - Monsieur Jadot, l'instabilité réglementaire ne saurait expliquer à elle seule la crise du logement, qui a traversé une période très difficile, comme partout dans le monde. Les taux d'intérêt ont augmenté et nous avons connu de très fortes incertitudes économiques ; la France n'y a pas échappé.
M. Yannick Jadot. - L'instabilité réglementaire avait commencé avant ces phénomènes conjoncturels.
M. Roland Lescure, ministre. - Je veux bien assumer ma part de responsabilité : les règles applicables au logement ont souvent changé ces dernières années. Les gouvernements précédents n'ont pas dérogé à ces pratiques. Mais vous m'accorderez que l'environnement financier était aussi extrêmement contraint.
Les élus et les parlementaires nous faisaient état de fraudes liées à MaPrimeRénov' qu'il nous fallait traiter.
Nous nous interrogeons sur l'efficacité réelle d'un certain nombre d'aides au logement. Alors que leur montant total s'élève à plus d'un milliard d'euros, nous ne pouvons pas dire que nous ayons le secteur du logement le plus florissant et le plus décarboné au monde.
Nous avons sécurisé le fonctionnement de MaPrimeRénov' lorsque celle-ci a été relancée en septembre. Une partie des crédits de MaPrimeRénov' ne sera plus issue du budget, mais proviendra désormais des certificats d'économies d'énergie, les CEE.
Nous constatons un début de reprise pour le logement. Certes, celle-ci est encore fragile, mais quelques rayons de soleil apparaissent.
Vous avez raison, monsieur Cardon, nous ne devons pas descendre du train de l'automobile ! Il faut que les industriels disposent d'une échéance pour pouvoir s'y préparer.
Il faut reconnaître que la demande n'est pas au rendez-vous. Nous espérions que les véhicules électriques représenteraient plus de 25 % de parts de marché. Or ceux-ci représentent entre 17 et 18 % des ventes. Les constructeurs nous indiquent ne pas gagner d'argent sur les véhicules électriques, faute de volumes suffisants. Il faut donc poursuivre les politiques mentionnées, notamment le leasing social. Je ne savais pas que c'était une idée socialiste, mais tant mieux : nous prenons les idées là où elles sont bonnes.
Le leasing social est une bonne idée, à condition qu'il conserve son caractère social, justement. Nous devons aussi veiller à ce que sa montée en puissance corresponde aux capacités de production. Nous perdrions sur toute la ligne si le leasing social conduisait à importer des voitures chinoises. C'est pourquoi nous avons instauré un éco-score.
Depuis septembre, le leasing social a permis à 43 000 foyers de passer commande, pour 300 millions d'euros d'aides publiques. C'est donc une très belle opération après les 50 000 véhicules de l'année dernière.
Il faut faire feu de tout bois contre les plateformes d'e-commerce qui font n'importe quoi. Veillons toutefois à ne pas nous focaliser sur un seul acteur. Il me semble que les poupées pédopornographiques étaient accessibles à partir de quatre plateformes. Certes, nous ne disposons pas d'arme létale nous permettant d'agir rapidement en cas d'erreur, mais nous pouvons mettre un terme à la concurrence déloyale ; je suis prêt à étudier la possibilité d'utiliser des outils européens, s'ils existent.
La Commission européenne espère avancer sur le traité avec le Mercosur lors du prochain Conseil européen ; c'est un débat difficile.
Monsieur Jadot, je ne suis pas d'accord avec vous : les clauses de sauvegarde ne sont pas inutiles. Elles permettent de sauvegarder certains secteurs. Demandez à ArcelorMittal s'il ne veut pas de la clause de sauvegarde pour sauver son site de Dunkerque. Demandez aux constructeurs automobiles s'ils ne sont pas satisfaits des droits de douane que nous avons mis en place sur les véhicules importés de Chine. Si l'on ne se bat pas pour les clauses de sauvegarde, autant démissionner tout de suite : nous n'avons plus qu'à produire entre nous et ne plus commercer avec personne !
Si le traité avec le Mercosur était signé, de nombreux secteurs français en bénéficieraient, notamment le secteur agroalimentaire. Je connais bien le Canada. Je me suis fait expulser manu militari du sommet agricole de Cournon, car j'avais voté le Ceta, l'Accord économique et commercial global. Or, presque dix ans plus tard, nous avons doublé nos exportations de fromage et de vin, et nous n'avons pas un gramme de boeuf canadien dans nos assiettes.
Si le traité avec le Mercosur était voté, ce qui n'est pas encore acquis, nous devrions instaurer des clauses de sauvegarde efficaces pour protéger quelques filières - la filière bovine, celles du poulet, de l'éthanol ou du sucre. Nous devons continuer à commercer avec les autres pays du monde, tout en réexaminant nos relations avec ceux qui ne respectent plus les règles : je pense à ce grand État situé entre le Canada et les pays du Mercosur... Notre réflexion doit bien sûr porter sur les enjeux économiques et commerciaux, mais aussi sur les enjeux démocratiques. Nous devons choisir nos amis, choisir entre les pays qui croient encore à la démocratie et ceux qui n'en veulent pas ou qui n'y croient plus. Notre politique commerciale doit intégrer cette réflexion.
Monsieur Jadot, je sais que les actions spécifiques sont l'un de vos dadas ; je vous reconnais une certaine constance. Mais ce n'est pas avec les actions spécifiques que nous garderons nos entreprises cotées en France. TotalEnergies est une entreprise toujours cotée à Paris. Le groupe a envisagé une double cotation, car une grande partie de ses actionnaires est située outre-Atlantique. Je me réjouis qu'une entreprise française que l'on aime - ou pas, je sais que nous ne serons pas d'accord sur ce point, monsieur Jadot - rayonne à l'international. Malheureusement, TotalEnergies ne dispose pas suffisamment d'actionnaires français et européens. En outre, les capitaux de long terme ne sont pas suffisamment développés. Les plans d'épargne retraite (PER) constituent une première réponse ; n'y touchez que d'une main tremblante lors de l'examen du projet de loi de finances ! Cette question devra faire partie des débats qui se tiendront en 2027. La compétitivité de la place de Paris et de l'Union européenne doit être maintenue.
Monsieur Michau, nous avançons au niveau européen sur le sujet de l'hydroélectricité ; quelques détails doivent encore être réglés. J'en profite pour saluer l'action d'Olga Givernet et de Marc Ferracci. Nous devons veiller à ce que le capital des barrages hydroélectriques reste français. Faute d'avoir pu faire évoluer les concessions, nous n'avons pas investi dans les barrages, qui représentent une marge de progression importante dans nos capacités de production d'énergie bas-carbone.
M. Daniel Gremillet, président. - Notre commission a trouvé la solution, grâce à la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, qui pourrait être prochainement examinée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture. Nous sommes en phase avec nos homologues de la commission des affaires économiques de la chambre basse.
M. Roland Lescure, ministre. - Nous verrons l'évolution des travaux de vos assemblées respectives.
L'Assemblée nationale a supprimé la disposition du projet de loi de finances relative à l'E85, qui aurait entraîné un surcoût de 15 centimes pour l'année 2026. L'E85 est importé à hauteur de 50 % de notre consommation. Cette niche fiscale profite donc pour moitié à des producteurs français et pour moitié à des producteurs étrangers.
Bien sûr, dès lors que l'on supprime ou que l'on modifie une niche fiscale, des personnes souffrent. Manifestement, le niveau de souffrance des personnes concernées était assez élevé, puisque l'Assemblée nationale est revenue sur ce point.
Tout en diminuant très progressivement cette niche fiscale, nous souhaitions intégrer de plus en plus d'éthanol dans le super sans plomb. Je ne suis pas certain que le bilan aurait été aussi négatif que ce qui a été présenté. Cela dit, je n'ai pas l'impression que vous rétablirez cet article.
M. Vincent Louault. - J'ai voté le Ceta.
M. Roland Lescure, ministre. - Merci !
M. Vincent Louault. - J'étais d'ailleurs l'un des seuls à le défendre au sein de cette commission.
Quand arrêterez-vous de « cramer le gasoil » pour compenser les charges de service public des énergies renouvelables ? Le projet de loi de finances prévoit 2,8 milliards d'euros supplémentaires. Le 1er août dernier, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) indiquait qu'1,2 milliard d'euros serait nécessaire.
Nous exportons actuellement 100 térawattheures d'électricité, ce qui améliore l'état de nos comptes. Je demande non pas un moratoire - ici, nous sommes plus subtils -, mais un ralentissement de la trajectoire. Lorsque je l'ai interrogée, Mme Mourlon, directrice générale de l'énergie et du climat (DGEC), m'a indiqué que la trajectoire de la programmation pluriannuelle de l'énergie ne pouvait pas être révisée puisque la concertation avait déjà eu lieu. Résultat : soit nous suivons la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) dans sa totalité, soit nous n'avons pas de PPE du tout.
Peut-on encore rectifier la trajectoire de la PPE et mettre un terme à ces compensations pour charges de service public, qui représentent une fois et demie le budget de la politique agricole commune (PAC) ? Nous ne vous avons jamais donné l'autorisation de créer une nouvelle PAC sur le dos du contribuable français !
M. Roland Lescure, ministre. - Vous évoquez des contrats passés, les contrats pour différence. Lorsque les prix de l'électricité sont élevés, ce sont les producteurs qui remboursent l'État. Quand les prix sont bas, c'est l'inverse. Ce mécanisme est utile, car il donne de la visibilité ; il convient donc de le garder. Le Premier ministre a souhaité que nous examinions les contrats passés pour vérifier l'absence d'excès. Il n'y en a peut-être pas eu, mais ce travail est en cours.
Actuellement, la demande en électricité est faible et les prix durablement bas. Voilà pourquoi l'État rembourse les producteurs. Ce dispositif fut toutefois bien utile au début de l'invasion russe en Ukraine pour alléger notre facture ; il ne faut jamais l'oublier.
Nous vous communiquerons les chiffres après nos vérifications. Je reconnais qu'il est douloureux de faire des chèques aussi élevés. C'est pourquoi nous devons examiner avec attention les futurs contrats : cela fait partie des discussions que nous devons avoir sur l'avenir de la PPE. Il nous est impossible de revenir sur la consultation préalable à la PPE, car cela nous ferait prendre non pas trois mois de retard, mais trois ans.
M. Daniel Gremillet, président. - Merci, monsieur le ministre.
Examen en
commission
(Mercredi 19 novembre 2025)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons maintenant les rapports pour avis sur les volets « Commerce, artisanat, consommation et tourisme », « Postes, télécommunication et économie numérique » et « Industrie » de la mission « Économie ».
Mme Sylviane Noël, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à la consommation, au commerce, à l'artisanat et au tourisme de la mission « Économie ». - À l'image des crédits de la mission « Économie », en baisse de 27 % en autorisations d'engagement (AE) et de 5 % en crédits de paiement (CP) par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2025, les moyens du volet « Consommation, commerce, artisanat et tourisme » diminuent ou restent stables, à quelques rares exceptions près.
Dans le cadre de mon propos, je souhaite mettre l'accent sur les moyens de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la fermeture de l'Institut national de la consommation (INC), le soutien aux associations de défense des consommateurs, la réforme du réseau d'Atout France et, enfin, la régionalisation des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA).
En 2026, les crédits de l'action 24, dédiés pour une large part à la mise en oeuvre des missions de la DGCCRF aux niveaux national et déconcentré, sont parmi les rares crédits de ce budget en légère hausse, avec une augmentation de 0,66 % en AE et de 3,49 % en CP par rapport à 2025. Ce constat peut rassurer, mais il s'agit d'une évolution en trompe-l'oeil. En effet, 90 % des 270 millions d'euros de cette action sont relatifs aux dépenses de personnel de la DGCCRF. Or, si les évolutions semblent à première vue donner la priorité à la consommation, il convient de les mettre en regard de l'augmentation mécanique des dépenses, sous l'effet du glissement-vieillesse-technicité (GVT) et des 5 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires. Celles-ci doivent également se lire en regard des nombreux textes intervenus dans la période récente, en vue d'améliorer la protection des consommateurs ; depuis seulement trois ans, j'ai dénombré près de 30 textes législatifs ou réglementaires ayant accru les missions de la DGCCRF.
Ces missions croissantes relativisent le premier constat d'une légère hausse des crédits. L'évolution des moyens de la DGCCRF s'avère donc une illusion, comme cela nous a été confirmé par la directrice générale et ses équipes lors de leur audition.
Dans un contexte de rigueur budgétaire, il convient d'identifier les leviers organisationnels, numériques et juridiques permettant, à moyens constants, de renforcer les contrôles de la DGCCRF, notamment ceux des informations fournies aux consommateurs.
Il reste à inventer de nouvelles approches. Si la DGCCRF met utilement à disposition ces plateformes - SignalConso, RappelConso et RéponseConso -, il convient d'aller plus loin dans le développement et la rationalisation de nouveaux outils numériques, ainsi que dans l'optimisation des services rendus au consommateur. Il est, par exemple, surprenant que les réponses des conseillers « humains » de ces différents services soient toutes rédigées par des systèmes d'intelligence artificielle. Ces doublons interrogent sur les marges d'économie et d'amélioration de ces plateformes destinées aux consommateurs.
Un service unique et performant serait, a minima, pertinent. Mais, selon les informations recueillies lors de l'audition, les crédits envisagés pour 2026 ne suffiraient pas à conduire de nouveaux projets de développements informatiques, y compris en vue de la fusion de ces trois plateformes.
Je poursuis mon propos avec la fermeture de l'INC et la stabilité du soutien aux associations de défense des consommateurs. Les crédits dédiés à l'INC et au mouvement de défense du consommateur s'élèvent à 10,34 millions d'euros en 2026, contre 6,4 millions d'euros en 2025, soit une hausse de 61 % qui s'explique par la couverture des opérations de dissolution-liquidation de l'INC, à hauteur de 8 millions d'euros. L'article 71 du PLF précise que celles-ci doivent s'achever au plus tard le 31 mars 2026.
Créé en 1966, l'INC va donc, l'année de ses 60 ans, cesser ses activités, y compris la diffusion de son magazine 60 millions de consommateurs - celui-ci pourrait être cédé -, ainsi que de ses émissions de télévision ConsoMag.
En plus de son appui technique aux organisations de consommateurs, l'INC a conduit des travaux sur tous les champs de la consommation à travers des essais comparatifs, des études juridiques et économiques, des enquêtes journalistiques et des campagnes d'information. Si son rôle d'information et d'alerte des consommateurs est incontestable, il traversait depuis plusieurs années une situation financière difficile, notamment due aux difficultés chroniques de son activité de presse, dont le chiffre d'affaires ne cesse de se détériorer. Sa disparition est donc regrettable, mais logique.
Les crédits restants dans l'enveloppe - soit 2,34 millions d'euros - sont fléchés vers le soutien aux 14 associations de défense des consommateurs qui bénéficient d'un agrément national dans les conditions définies par le livre IV du code de la consommation. Cela correspond à une stabilité du montant de leurs subventions, ces dernières étant, depuis 2022, renforcées par les moyens attribués dans le cadre d'appels à projets auxquels les associations peuvent candidater, sur des thématiques proposées par la DGCCRF.
J'en viens maintenant à la réforme du réseau d'Atout France. Notre agence de développement touristique pourrait, à moyen terme, fusionner avec Business France ; mais, à ce stade, le PLF pour 2026 se contente de prévoir la mutualisation de leurs réseaux à l'étranger. Du côté d'Atout France, on recense 29 bureaux dans 26 pays différents.
Le plafond d'emploi et la subvention versée à Atout France sont respectivement en baisse de 21 emplois et de 1,6 million d'euros par rapport à la LFI pour 2025 - soit 23 millions d'euros programmés en 2026, contre 24,6 millions d'euros en 2025.
J'appelle à la vigilance sur les conditions de cette mutualisation. Si les deux opérateurs peuvent partager des objectifs communs, il ne faudrait pas que cette réforme rapide entraîne des conséquences néfastes sur le secteur du tourisme en France. La réorganisation de ces deux réseaux n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact, notamment concernant les retombées économiques éventuelles.
Je conclus mon propos avec la régionalisation des CMA. Ces dernières poursuivent la trajectoire de baisse de leur taxe pour frais de chambres (TFC) qui, pour 2026, est fixée à 56 millions d'euros. Cela suscite émotion et inquiétude, mais les CMA se sont bien adaptées à cette trajectoire contrainte.
Ayant perdu en 2020 leur mission de collecte de la taxe d'apprentissage, elles ont accéléré la réforme de leur réseau en se régionalisant, ce qui a permis une réduction du nombre d'établissements. En 2015, le réseau se composait de 93 établissements publics ; depuis le 1er janvier 2021, celui-ci ne comprend plus que 21 établissements. Je tiens à saluer cet effort de rationalisation.
Je voterai les crédits de la mission, et vous encourage à faire de même. Il s'agit, cette année, d'un budget de rigueur ; je le déplore mais, sachant le contexte, il est difficile de faire autrement.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs aux Postes, à la télécommunication et à l'économie numérique de la mission « Économie ». - Je souhaite revenir sur trois points importants de cette mission : le plan France très haut débit (PFTHD), La Poste et les conseillers numériques.
Concernant le PFTHD, la France fait aujourd'hui partie des pays les plus « fibrés » d'Europe avec, au 30 juin 2025, 93 % des locaux couverts en fibre optique. Sur les 44,9 millions de locaux recensés à l'échelle nationale, 41,6 millions sont raccordables à la fibre optique, tandis que 3,3 millions restent à raccorder. Selon la direction générale des entreprises (DGE), le taux de couverture, au 31 décembre 2025, devrait être compris entre 95 et 96 % ; il s'agit donc d'un succès.
Plusieurs éléments viennent nuancer ce bilan. En premier lieu, le ralentissement des déploiements se poursuit dans les zones les plus denses qui relèvent des opérateurs privés, ce qui pourrait perturber le plan de fermeture du réseau cuivre d'Orange ; celui-ci, amorcé cette année, devrait atteindre un rythme plus important à partir de 2028 et se poursuivre jusqu'en 2030.
Concernant les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (Amii), c'est-à-dire les 3 600 communes pour lesquelles les opérateurs ont pris des engagements de déploiement juridiquement contraignants auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), la situation s'améliore grâce à la pression exercée sur Orange et SFR.
Concernant les zones moins denses où se déploient les réseaux d'initiative publique (RIP), il reste 1,6 million de locaux à raccorder. Le PLF pour 2026 prévoit des crédits de paiement (CP) à hauteur de 258,4 millions d'euros. Si le déploiement de la fibre dans les territoires ruraux est un succès, se pose, en revanche, la question de l'équilibre économique de certains RIP, notamment en raison du nombre d'abonnements à la fibre qui demeure insuffisant dans de nombreux territoires.
Autre situation préoccupante : l'imbroglio actuel à Mayotte. À la suite du passage du cyclone Chido, l'opérateur Orange, inquiet de la concurrence de Starlink, a annoncé qu'il ne redéploierait pas son réseau cuivre dans les zones sinistrées, et qu'il couvrirait en fibre optique, en particulier à Mamoudzou. L'opérateur déploie ainsi de la fibre dans des zones supposées couvertes par le RIP du conseil départemental, ce qui remet en cause l'équilibre économique de ce dernier, reposant sur une péréquation interne entre les zones denses et moins denses.
Aujourd'hui, ce RIP doit être redéfini. Cela obère sa mise en place en 2026, raison pour laquelle aucun crédit n'est prévu dans le PLF ; celle-ci devra attendre, dans le meilleur des cas, 2027, ce qui est regrettable pour nos concitoyens de Mayotte.
Le financement des raccordements complexes progresse lentement. Cela pourrait pénaliser la fermeture totale du réseau cuivre d'ici 2030, avec de premières fermetures massives prévues en 2028. Comme les années précédentes, on observe une sous-consommation de l'enveloppe de 150 millions d'euros pour les raccordements complexes sur le domaine public. Concernant le domaine privé, où les raccordements sont à la charge des particuliers, un fonds de 16 millions d'euros permettant d'attribuer une aide aux ménages les plus modestes résidant dans une commune concernée par la fermeture prochaine du réseau cuivre a enfin été mis en place en septembre. Sachant que les besoins totaux sont estimés entre 640 millions et 1 milliard d'euros, on peut, là encore, s'interroger sur la capacité à fermer les réseaux cuivre dans les délais impartis.
Le financement des missions de service public de La Poste, évoqué lors de l'audition de la nouvelle présidente de l'entreprise, est un autre point important de la mission. Pour rappel, le déficit cumulé de ces missions s'élève à 2 milliards d'euros. Alors que l'État en compensait jusqu'ici la moitié, le PLF pour 2026 prévoit de limiter cette compensation à 848 millions d'euros. La Poste conservera à sa charge un déficit de 1,1 milliard d'euros, à prélever sur ses résultats, ce qui contribuera à alourdir sa dette désormais supérieure à 10 milliards d'euros. Se pose donc pour La Poste la question de la soutenabilité, à moyen terme, de la poursuite de ses missions de service public à périmètre inchangé. Par ailleurs, le groupe est également confronté à une concurrence internationale croissante.
Plutôt que de m'attarder sur le service public universel postal, qui continue de subir la diminution du courrier, je souhaite insister sur les missions de contribution à l'aménagement du territoire et de transport et de distribution de la presse. Particulièrement stratégique, car elle implique le maintien d'au moins 17 000 points de contact sur l'ensemble du territoire, la mission de contribution à l'aménagement du territoire représente pour La Poste un déficit avant compensation légèrement supérieur à 300 millions d'euros.
Alors que le contrat de présence postale territoriale prévoit un financement jusqu'à 174 millions d'euros par an - niveau maintenu en 2025 -, la compensation budgétaire prévue dans le cadre du PLF pour 2026 est fixée à seulement 122 millions d'euros, soit une baisse de 42 %. Celle-ci fragilise l'exercice de la mission, et ne permet plus de financer les actions décidées par les commissions départementales de présence postale territoriale (CDPPT), essentielles à l'évolution et à l'adaptation concertée de la présence postale dans nos territoires.
C'est la raison pour laquelle je propose un amendement visant à rétablir ces 174 millions d'euros, et donc à augmenter de 52 millions d'euros les crédits destinés à compenser le déficit de la mission de contribution à l'aménagement du territoire de La Poste.
Concernant le transport et la distribution de la presse, la réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2023 devait inciter à une bascule du postage vers le portage ; elle s'est soldée par un échec. Dans la mesure où les tarifs ne couvrent que 31 % des coûts, il en résulte un véritable gouffre financier pour La Poste, supérieur à 600 millions d'euros par an et compensé par l'État à hauteur de 24 millions d'euros. Pour donner une idée de la situation, le déficit de la presse quotidienne ou hebdomadaire est de 1,85 euro par objet transporté.
Il apparaît indispensable de revoir, dès 2026 dans la perspective du PLF pour 2027, les conditions économiques de cette mission nécessaire au pluralisme du débat démocratique, en tenant compte de la capacité contributive des différents éditeurs de presse. Parmi eux, si un certain nombre relèvent de la catégorie des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE), d'autres bénéficient du soutien de propriétaires à même d'assumer tout ou partie des coûts laissés aujourd'hui à la charge de La Poste.
D'après mes informations, le Gouvernement prévoit, par voie réglementaire, une augmentation en 2026 de 7 % de tous les tarifs postaux pour le transport et la distribution de la presse. Cette décision paraît discutable, dans la mesure où le déficit est surtout lié à la presse urgente.
Enfin, concernant les conseillers numériques, l'État se désengage du dispositif. En 2025, les crédits dédiés étaient limités à 27,9 millions d'euros ; ils ne représentent plus que 14 millions d'euros en 2026, avant une extinction en 2027. À cette date, il est prévu un transfert intégral du dispositif sur le budget des collectivités territoriales, avec un fort risque de renoncement à ce dispositif d'inclusion numérique pourtant nécessaire. Dans le contexte budgétaire actuel, je ne propose pas d'amender ce dispositif, mais la question risque de se poser en 2027.
En conclusion, je propose d'adopter les crédits de la mission, sous réserve de l'adoption de l'amendement visant à favoriser la mission de contribution à l''aménagement du territoire de La Poste et le maintien de l'accès aux 17 000 points de contact.
M. Franck Montaugé. - Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette enveloppe de 52 millions d'euros ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur pour avis. - Il s'agit d'un gage sur les crédits du Trésor, indispensable compte tenu des règles de redevabilité financière qui s'appliquent aux amendements de crédits. Je ne veux bien sûr pas ponctionner les crédits du Trésor, nous aurons un débat en séance, et nous verrons si le Gouvernement est en capacité de nous suivre et de lever ce gage.
M. Franck Montaugé. - Comme chaque année, nous transférons des crédits d'une ligne à une autre. Je m'interroge sur le niveau de recettes nécessaire pour corriger les faiblesses pointées par les rapporteurs.
Mme Annick Jacquemet. - Je ne suis pas favorable à l'alourdissement des dépenses, mais, dans ce cas, cela relève d'un équilibre à maintenir dans nos zones rurales. En conséquence, je soutiens l'amendement proposé par la rapporteure.
M. Christian Redon-Sarrazy, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'industrie de la mission « Économie ». - Je ne vous cache pas mon inquiétude face à ce projet de budget pour 2026, surtout concernant notre politique industrielle - laquelle est devenue introuvable. Les auditions que j'ai conduites les 15 derniers jours, au lieu de me rassurer, ont encore accru mes craintes.
Un chiffre m'a frappé en lisant le projet de loi de finances pour 2026 : pour la première fois, nous descendons sous le seuil symbolique du milliard d'euros, avec seulement 941 millions d'euros en crédits de paiement à destination de l'action 23, qui regroupe une partie des crédits d'intervention pour l'industrie.
Directement impactés par le contexte de rigueur budgétaire, les crédits de la mission « Économie » connaissent à nouveau une forte baisse : en AE, la mission recule de 27 %, de 35 % pour son principal programme et plus de 46 % pour l'action 23, consacrée au soutien à l'industrie. Cette action ne reflète pas la totalité des moyens publics accordés à la politique industrielle, mais c'est un très mauvais signal alors que l'industrie française poursuit malheureusement son déclin.
D'après la direction générale des entreprises (DGE), que j'ai auditionnée, les fermetures d'usines l'emporteraient désormais sur les ouvertures ou agrandissements, alors que le premier semestre était encore à l'équilibre, et le solde de l'année pourrait être négatif - au contraire de l'objectif de réindustrialisation.
Les tarifs douaniers américains illustrent les incertitudes dans le commerce mondial et la triste réalité d'un environnement international concurrentiel et instable, dommageable aux entreprises industrielles françaises, et ce en dépit de l'accord commercial entre l'Union européenne et les États-Unis signé le 28 juillet 2025, qui - bien que considéré comme un moindre mal - est très pénalisant.
L'horizon est donc particulièrement sombre pour notre industrie, pour tous les secteurs et en particulier pour la chimie et les transports, dont l'automobile tout particulièrement.
Dans un tel contexte, je conteste le choix gouvernemental d'accélérer la baisse des soutiens à l'industrie dans le PLF pour 2026.
Les aides à la décarbonation et, surtout, la compensation carbone pour les électro-intensifs seront les deux dispositifs qui bénéficieront principalement de ces moyens, marquant la priorité donnée - si l'on peut encore parler de priorité - par le Gouvernement aux enjeux de compétitivité et de climat en matière industrielle.
L'industrie française doit être aidée différemment, pas juste en fonction des enjeux climatiques, et de manière beaucoup plus ambitieuse. Nous avons besoin de grands plans industriels. Les structures consulaires ainsi que les opérateurs (Bpifrance, Business France...), dont la plupart sont financés en-dehors de l'action 23 de la mission, pourraient avoir des difficultés à conduire leurs missions en 2026. Bpifrance a même fait valoir le risque d'une mise en danger de la pérennité de son activité de conseil. Les activités d'accompagnement de Bpifrance, qui bénéficie pour moitié à des entreprises industrielles, seront en tout état de cause fragilisées.
Alors que la rédaction initiale du PLF réduisait de 175 millions d'euros la taxe pour frais de chambre dédiée aux CCI, je me félicite de l'adoption par la commission des finances de l'Assemblée nationale d'un amendement visant à rétablir un plafond de taxe de 525 millions d'euros pour 2026.
De même, et comme l'année passée, les pôles de compétitivité subissent la suppression de la ligne budgétaire qui leur est consacrée dans le PLF, au nom de la régionalisation de leur gouvernance et de leur financement. Je trouve positive l'adoption par la commission des finances de l'Assemblée nationale d'un amendement visant à rétablir le montant de 9 millions d'euros attribué traditionnellement aux pôles de compétitivité par l'État. Il faudra soutenir cette mesure au Sénat.
Le projet met fin aux mesures conjoncturelles d'aides aux entreprises pour compenser leurs surcoûts énergétiques, mises en place dès 2022. Cela semble logique puisque les prix de l'énergie se sont stabilisés depuis 2023 et que les dispositifs sont tous arrivés à échéance en 2024 et 2025 : boucliers tarifaires, garanties de prix, amortisseur électricité, guichet d'aide d'urgence...
Deux mots sur la compensation carbone des entreprises électro-intensives : les crédits sont en baisse, avec 782 millions d'euros, du fait de la baisse du prix du quota d'émission de gaz à effet de serre et de la fin du mécanisme d'avance de cette compensation qui permettait aux entreprises de recevoir dès l'année N une partie de la prise en charge des coûts de l'année N+ 1. Ces taux d'avance étaient de 24,42 % avant 2025 et de 10 % cette année. Les représentants d'entreprises que j'ai auditionnés ont tous déploré la fin de ce mécanisme d'avance qui conduira à faire porter un poids supplémentaire sur la trésorerie des entreprises industrielles.
Je voudrais, pour conclure, redire que la politique industrielle est illisible d'un point de vue budgétaire, car ses moyens sont éclatés au sein du budget ; cela nuit à la mission de contrôle du Parlement. L'exécutif en a conscience puisque la DGE a elle-même réclamé une refonte de la maquette budgétaire afin de faire apparaître de manière unifiée et consolidée les crédits de la politique industrielle au sein du PLF.
Le Gouvernement repousse cette réforme, mais nous devons la soutenir pour que le changement s'opère dans le budget 2027, laissant ainsi le temps à toutes les administrations concernées de préparer cette évolution.
Voilà le bilan que je tire des crédits de la politique industrielle dans ce PLF pour 2026 ; vous aurez compris que je ne peux pas - à titre personnel et à la différence de mes collègues - vous proposer de donner un avis favorable. Vous avez entendu mes inquiétudes et mes réserves, qui vont bien au-delà de la seule question budgétaire.
M. Patrick Chaize. - La situation de La Poste est pour beaucoup liée au manque de clairvoyance de l'établissement, à son manque d'anticipation ; nous avons rédigé un rapport sur le sujet, l'État s'était engagé par contrat - renouvelé tous les trois ans - à financer des missions pour charges de service public, dont les frais de personnels dans les agences postales et les points relais commerçant. C'est pourquoi l'amendement de notre rapporteure est bienvenu, il ne fait que respecter la parole de l'État. Cependant, le problème ne s'en trouve pas réglé et nous devons avoir un débat sur l'avenir de La Poste : a-t-on encore besoin, par exemple, d'une distribution du courrier six jours sur sept ? Je n'ai pas la réponse, je ne fais que poser la question.
Sur l'aspect numérique, ensuite, il faut regarder de près ce qui se passe à Mayotte : alors que ce département est le dernier à se lancer dans Plan France Haut débit, alors qu'un réseau de qualité est particulièrement indispensable à Mayotte, on laisse Orange venir en concurrence d'un projet porté par l'État : cela pose un problème criant de gouvernance, on risque de voir se développer deux réseaux en parallèle - et le réseau public ne tiendra pas ; ce sera perdant-perdant. L'État est au capital d'Orange, il doit prendre ses responsabilités et se faire entendre pour remettre tout le monde en phase, c'est la seule façon de garantir un réseau de qualité à Mayotte, qui en a grand besoin.
Mme Antoinette Guhl. - Les contaminants nocifs pour la santé dans les couches pour bébés ont été mis à jour par l'Institut national de la consommation (INC), tout comme les défauts des installations des pompes à chaleur, la baisse de qualité de l'huile d'olive ou les failles dans les préservatifs. Une politique qui protège le consommateur demande de l'argent et des postes budgétaires. Aussi, la dissolution de l'INC est une véritable victoire des lobbies, notamment des grands industriels qui veulent faire fi de toute une série de contraintes.
Je pense, ensuite, très malvenue la baisse des effectifs de la DGCCRF. Ceux qui ont suivi ici l'affaire Nestlé savent que nous avons eu besoin de la DGCCRF, avec sa capacité d'analyse et de contrôle, même si elle n'a pas toujours été au rendez-vous. Nous en avons également besoin pour appliquer les lois EGalim, pour la lutte contre toutes les fraudes, ou encore pour appliquer la loi contre la vie chère dans les outre-mer - de même qu'on a besoin de douaniers pour arrêter ces produits interdits à la vente que sont les poupées pédopornographiques découvertes sur le site chinois Shein. La DGCCRF a besoin de plus d'effectifs et d'expertise, pour protéger les consommateurs au moment où la consommation connaît une mutation inédite depuis plusieurs décennies.
Je déplore également le trop faible soutien à l'économie sociale et solidaire (ESS). Le secteur représente 15 % de l'emploi salarié du privé dans notre pays, mais le budget fléché ne dépasse pas 13 millions d'euros : ce n'est pas sérieux... La Cour des comptes s'apprête à publier un rapport sur le sujet, nous devrons y revenir. Au passage, c'est une bonne chose qu'ESS France soit désormais considérée comme une chambre consulaire et puisse représenter l'économie sociale et solidaire.
Enfin, nous savons tous que les crédits « industrie » de cette mission « Économie » sont loin de représenter l'ensemble des moyens de la politique industrielle, cela pose un problème de lisibilité et de pilotage des politiques publiques. Quant au contenu, la baisse des budgets de décarbonation ne va évidemment pas dans le bon sens, nous avons besoin d'engager une politique de décarbonation bien plus forte - mais nous devons agir avec des bouts de ficelles... qui raccourcissent. Il est grand temps que nous ayons une politique industrielle en France, ce n'est pas le cas.
M. Fabien Gay. - On a l'habitude des budgets d'austérité et du discours qui dit qu'on peut faire mieux avec un peu moins - mais, à un moment, ça ne passe plus ! Huit ans qu'on baisse les moyens de la DGCCRF, alors qu'il y a une guerre commerciale avec la Chine. J'ai vu à l'aéroport Charles-de-Gaulle des hangars remplis des centaines de milliers de colis qui arrivent chaque jour sans qu'on ait les moyens de les contrôler à la douane... Alors des ministres s'en émeuvent, on vient de le voir, ils font de la communication, mais cela ne change rien à la situation : les douaniers manquent, et les agents de la DGCCRF aussi. On pourra toujours dire qu'on peut faire plus, ce n'est pas vrai, il y a bien une limite - sauf au bla-bla, il faut bien le dire... On nous serine avec la mobilisation dans la guerre commerciale, mais comment allons-nous la faire sans agents publics ? Nous sommes tous pour rétablir des règles, mais ce qu'il faut voir, au-delà des belles déclarations main sur le coeur, c'est ce qu'on met en face : nous avons besoin d'une politique globale, d'une protection des frontières et d'agents pour des contrôles - ou bien si on laisse un maillon faible, on n'aura rien fait.
Autre sujet, la protection des consommateurs : on en a encore plus besoin qu'avant, mais on en diminue les moyens, on regarde ailleurs quand 60 millions de consommateurs annonce qu'il va fermer ses portes ; c'est le dernier organe indépendant, lié non pas à tel grand groupe industriel, mais à des scientifiques et des chercheurs, il n'est pas à l'équilibre, ce n'est pas une surprise d'être déficitaire dans ce type de presse - mais on arrête de le soutenir et on s'en frotte les mains, c'est un choix politique, de même que le fait de diminuer les fonds pour les associations de consommateurs. Quand on prétend protéger les consommateurs, il faut s'en donner les moyens ; le Gouvernement fait l'inverse - c'était déjà le cas l'an passé, il se disait déjà que 60 millions de consommateurs allait fermer, ce sera finalement le cas cette année...
Un mot sur la politique industrielle : on nous annonce des ouvertures d'usines, Choose France jongle avec les milliards d'euros d'annonces d'investissements - mais quand on y annonce 30 milliards, il faut savoir que 21 étaient déjà sur la table, c'est une technique éprouvée que de faire du neuf avec du vieux, mais il faut dire aussi que les 9 milliards restant, iront à un énorme data center, ce qui n'apportera quasiment aucun emploi, mais qui consommera beaucoup d'eau et d'énergie. Nous le voyons partout en Seine-Saint-Denis, tel projet de data center ici, tel autre là ; nous demandons s'il y aura des emplois - on nous répond que non, sauf peut-être un peu de gardiennage... à se demander si ce qu'on nous réserve, c'est de tous devenir des gardiens ! Il pleut des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) comme à Gravelines, alors avant de parler de réindustrialiser, commençons au moins par arrêter de désindustrialiser !
Enfin, un mot sur la presse écrite. Son modèle économique ne fonctionne plus, le secteur connaît une mutation et il vit seulement parce que nous avons intérêt à ce qu'une presse plurielle nourrisse le débat démocratique - nous avons besoin de lecture pour éclairer nos débats ; la démocratie c'est le vote libre et éclairé, nous avons besoin de lumière. Le secteur est en déficit et que propose ce projet de loi de finances ? De diminuer les aides publiques de 30 % et d'augmenter les tarifs postaux de 7 % : le secteur est en crise, on l'enfonce un peu plus ! Résultat : seuls les grands groupes, seuls les milliardaires pourront faire de la presse écrite ; ils en possèdent déjà 92 %, allons plus loin... Remarquez, même chez eux il y a du mouvement : il paraît que Bernard Arnault voudrait vendre Le Parisien - qui perd 34 millions cette année - à Vincent Bolloré : comme quoi, même la poche des milliardaires n'est pas infinie ! Soyons sérieux, tout ceci est lié à la démocratie, à ses conditions d'exercice...
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre - nonobstant la qualité du travail de nos rapporteurs...
M. Franck Montaugé. - L'état des lieux de l'industrie est particulièrement inquiétant quand on sait les enjeux d'emploi et de compétitivité auxquels font face les entreprises, grandes et petites. À vous entendre, nous avons l'impression d'un détricotage de politiques - dont nous, socialistes, avons été critiques, mais qui apportaient une forme de soutien aujourd'hui mis en cause.
Pourquoi ne propose-t-on pas un amendement de 13 millions d'euros pour les réseaux d'initiative publique ? Ce serait utile à nos territoires.
Ensuite, quel sera l'impact sur nos territoires des baisses de moyens des chambres de commerce et d'industrie, des pôles de compétitivité, des territoires d'industrie, voire de Bpifrance ? Soit ces dispositifs ne servaient à rien - ce que je ne peux admettre, car nous en mesurons tous l'utilité dans nos territoires -, soit il y aura des conséquences négatives. Avez-vous des éléments d'évaluation ? Je n'en ai guère, et c'est regrettable quand on parle de diminuer ou arrêter des pans entiers de politique publique.
La partie recettes du projet de loi de finances devrait aider les entreprises, petites et grandes, sur tous nos territoires - et le moins qu'on puisse dire, c'est que ne n'est pas du tout le cas, nous le regrettons.
Mme Martine Berthet. - Dans mon département, beaucoup d'industriels - des groupes japonais, allemands, américains - se désengagent petit à petit des investissements qu'ils devaient réaliser, ou envisagent de fermer ; faute d'accompagnement adapté, de clauses de sauvegarde dans les accords commerciaux, mais aussi de confiance dans la politique générale de notre pays, le contexte est de plus en plus négatif. Je ne suis donc guère étonnée que le solde d'emplois industriel redevienne négatif au deuxième semestre de cette année, c'est ce que nous ressentons sur nos territoires. Je m'inquiète de la baisse des compensations carbone qui permettait jusqu'à présent à nos industriels d'avoir un prix de l'énergie relativement compétitif : il faut être très vigilant sur ce point.
Il y a certes des avancées à l'échelon européen, par exemple hier même, le vote de l'accord pour la clause de sauvegarde sur le silicium et le manganèse, c'est utile et il faut continuer dans ce sens. Nous sommes à un tournant pour les politiques industrielles, nous n'avons plus comme principaux sujets la formation ou les compétences, comme je l'entendais hier au groupe d'études Industrie, mais des sujets bien plus graves et fondamentaux comme le prix de l'énergie et les compensations carbone, qui sont d'échelle européenne et pas seulement nationale.
M. Daniel Gremillet. - Les sujets de l'industrie dépassent le cadre de la loi de finances, mais elle est une occasion de les évoquer. Nous avons besoin d'un débat sur La Poste, parce que ses utilisateurs se découragent et parce que des décisions doivent être tranchées, ou bien la situation ne fera qu'empirer. Nous devons nous saisir de ce sujet, ses implications territoriales sont fortes ; nous avons tous notre part de responsabilité en recourant désormais beaucoup plus au courriel - sans prendre en compte d'ailleurs le bilan carbone de tout cela, mais c'est un autre sujet.
Les entreprises repoussent des investissements, et comment pourrait-il en être autrement quand il y a autant d'incertitudes en matière de financement public ? Pourquoi choisiraient-elles la France pour s'y implanter ou s'y développer ? On parle de réindustrialisation, mais nous ne parvenons même pas à stopper la désindustrialisation. Et ce PLF, en réalité, ne déploie aucune vision politique au service de l'investissement, nous le déplorons.
M. Vincent Louault. - Le PLF n'a effectivement pas pour ambition de résoudre tous les problèmes, mais il envoie des messages aux entreprises, en particulier aux industriels. Or, ce que nous voyons ici, ce sont des mesures très précises qui sont proposées sans aucune études d'impact, c'est de l'amateurisme. La taxe de 2 euros sur les petits colis est un message aux commerçants, mais tout à fait insuffisant ; des colis se déversent de Chine sans payer aucune taxe, et quand ils en paient, c'est bien moins qu'il ne faudrait parce que les Chinois déclarent des valeurs bien moindres, pour que le client ne paie pas de taxe - l'appareil photo à 5 000 euros est prétendument vendu à 149 euros pour rester sous la barre des 150 et de la taxation... en tout, on perdrait 10 milliards d'euros de TVA - mais l'afflux est tel qu'on ne peut pas le contrôler... Nous adoptons une règle nouvelle en disant que quand l'Europe aura pris la sienne, nous supprimerons la nôtre - mais nous sommes trop gentils, je proposerai d'y revenir par amendement. En fait, on attend toujours que l'Europe prenne des mesures et on ne fait rien dans l'intervalle. Regardez ce qui se passe pour la réforme du commerce : elle a été adoptée depuis des lustres, mais il n'y a toujours pas de système informatique unifié capable d'un véritable contrôle à l'échelle du continent. Résultat, c'est la fraude permanente alors que nous, l'État contrôle la moindre parcelle de nos fermes...
Attention, donc, aux mesures très précises que ce texte dissimule dans ses paragraphes compliqués, on ne les voit pas tout de suite, mais elles sont nombreuses et leur effet va se faire ressentir dans six mois - et c'est à ce moment-là que les industriels vont nous demander pourquoi nous les avons laissées passer... Pour dissimuler les 12 milliards d'euros de charges de service public, par exemple, le Gouvernement instaure une taxe prélevée à la source sur les carburants, ça évite une écriture dans le budget du ministère de l'environnement : c'est Ali Baba et les quarante voleurs ! Nous en serons réduits à constater une perte de recettes fiscales, sans aucun droit d'évoquer ces milliards destinés à la compensation pour charges de service public : c'est une atteinte inacceptable à notre droit de parlementaires. Ce texte fourmille de ces mesures qu'on ne voit pas si on ne l'examine pas dans son détail et dont l'exposé des motifs se garde bien de parler, lisse comme il est pour que les choses passent : je recommande à chacun une lecture serrée, imprimez le texte et regardez chacun de ces paragraphes, vous verrez ce dont je parle, et le décalage avec l'exposé des motifs !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Voilà qui est dit...
Mme Sylviane Noël, rapporteure pour avis. - Nous déplorons tous la disparition de l'INC ; le Gouvernement avait envisagé un plan de rebond, il opte finalement pour la liquidation de l'activité. Les difficultés de l'INC sont anciennes et nous les avons soulignées à plusieurs reprises ces dernières années en préconisant des mesures qui n'ont pas été prises. Peut-on défendre indéfiniment le maintien d'une activité structurellement déficitaire ? C'est compliqué dans la situation budgétaire actuelle. Il reste quatorze associations agréées de défense des consommateurs, dont l'UFC-Que Choisir, qui fait un travail remarquable. Ces associations n'ont pas subi de baisse de crédits ces trois dernières années ; ces crédits sont stables, ce qui est un moindre mal.
Enfin, les effectifs et des moyens de la DGCCRF ne diminuent pas, c'est même l'une des seules parties de cette mission qui bénéficie d'une augmentation...
M. Fabien Gay. - Il y a 5 ETP de plus...
Mme Sylviane Noël, rapporteure pour avis. - ...Voilà, ce n'est pas une baisse. Ce n'est pas suffisant, nous en sommes d'accord, mais on ne peut pas dire que les effectifs diminuent, c'est le cas aussi pour les crédits, en légère hausse.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur pour avis. - Oui, il y a des insuffisances, nous ne les avons pas toutes présentées. Nous parlons de La Poste depuis des années, déjà lors du Covid-19 nous avions fait un rapport sur les missions postales, les alertes n'ont pas manqué - nous devons remettre le sujet sur la table.
Quant au déploiement d'Orange à Mayotte, il est irrationnel ; la DGE nous dit que l'État n'a pas d'outil juridique pour s'y opposer - il y en a d'autres, il faut que le message passe.
M. Christian Redon-Sarrazy, rapporteur pour avis. - Hier, lors du débat sur la dette publique, le ministre avait l'air optimiste et nous a dit que les ouvertures d'usines l'emportaient sur les fermetures, mais ce n'est pas ce que nous a dit la DGE, qui a souligné clairement la dégradation de la situation. L'an passé déjà, les moyens d'accompagnement reculaient alors que les suppressions d'emplois augmentaient, la même tendance se poursuit et la DGE n'a plus les moyens d'accompagner les entreprises qui ont du mal à passer un cap difficile, ou encore celles qui ont besoin de soutien pour leur décarbonation. Nous n'anticipons pas assez - et si nous continuons dans ce sens, la Chine, qui est déjà très en avance, emportera tout.
Ce qui manque, c'est sans doute aussi la confiance, une véritable politique à long terme, une vision et une méthode. L'éparpillement des crédits est un fait, mais c'est aussi une question de méthode, comme nous l'avons vécu tout au long de l'année. Le projet de loi sur l'industrie verte est venu télescoper d'autres projets. Nous l'avons vu également avec la loi sur l'énergie : nous ne savons pas où nous allons. Comment les entreprises et les territoires s'y retrouveraient-ils, si nous-mêmes travaillons à contretemps ? La politique industrielle n'est pas articulée aux territoires ; le programme « Territoires d'industrie » est laissé de côté, on ne sait pas s'il servira un jour à quelque chose - et ce projet de loi de finances n'apporte pas les solutions attendues.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur pour avis. - Avec l'amendement AFFECO.1, je vous propose d'augmenter de 52 millions d'euros, en AE et en CP, la dotation budgétaire versée à La Poste pour l'exercice de sa mission de service public de contribution à l'aménagement et au développement du territoire.
L'amendement AFFECO.1 est adopté à l'unanimité.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Économie ».