- L'ESSENTIEL
- I. UNE STABILISATION DES MOYENS FAUTE DE MIEUX DANS
UN CONTEXTE BUDGÉTAIRE PARTICULIÈREMENT DÉFAVORABLE
- II. LA NÉCESSITÉ DE FAIRE DES CHOIX
POUR DÉVELOPPER LES OUTILS EXISTANTS
- I. UNE STABILISATION DES MOYENS FAUTE DE MIEUX DANS
UN CONTEXTE BUDGÉTAIRE PARTICULIÈREMENT DÉFAVORABLE
- EXAMEN EN COMMISSION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
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N° 141 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026 |
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Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2025 |
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AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense |
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TOME X AVANCES À L'AUDIOVISUEL PUBLIC France Médias Monde (Programme 844) |
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Par M. Roger KAROUTCHI et Mme Mireille JOUVE, Sénateur et Sénatrice |
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(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Jean-Baptiste Lemoyne, Claude Malhuret, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; M. Étienne Blanc, Mme Valérie Boyer, MM. François-Noël Buffet, Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Didier Marie, Pierre Médevielle, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie. |
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Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 1906, 1990, 1996, 2006, 2043, 2047, 2048, 2060, 2063 et T.A. 180 Sénat : 138 et 139 à 145 (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
Le débat budgétaire de l'année dernière avait été l'occasion pour les rapporteurs de marquer leur désapprobation avec la décision de réduire les moyens de l'audiovisuel public extérieur dans un contexte de « guerre de l'information ». Sans contester la nécessité de procéder à des ajustements budgétaires, les rapporteurs avaient regretté l'absence d'arbitrages au sein même des crédits consacrés à l'audiovisuel public pour préserver l'audiovisuel extérieur, alors même que les moyens consacrés à France Télévisions et Radio France permettaient de faire de véritables choix dans l'intérêt de notre pays.
La décision de limiter les crédits de l'audiovisuel public extérieur en 2025 est intervenue d'autant plus à contre-temps que l'encre du contrat d'objectifs et de moyens de France Médias Monde prévoyant une hausse des moyens de +2,6% en 2025 et de +1,9% en 2026 était à peine sèche que le document était déjà contredit par le PLF 2025 tandis que la programmation pluriannuelle prévoyant une hausse des moyens de TV5 Monde de +1,5% en 2025 et +1,54% était également démentie.
Le PLF 2026 prévoit de maintenir « en stabilité » les crédits de l'audiovisuel extérieur ce qui dans le contexte très dégradé des finances publiques constitue un élément de satisfaction qui ne peut être négligé. Faute de permettre un renforcement des moyens qui serait pourtant utile pour répondre aux défis de la guerre asymétrique livrée par la Russie et des contestations de notre influence engagées par nos compétiteurs stratégiques, le PLF 2026 peut être vu comme un budget de consolidation des moyens de l'audiovisuel extérieur propice à une revue des priorités afin de faire les meilleurs choix possibles.
Dans le détail, le programme 844 du PLF 2026 prévoit une dotation publique de 303,9 M€ à FMM composée d'une dotation « socle » de 273,1 M€ identique à celle prévue en 2025 et de compensations fiscales à hauteur de 30,8 M€. FMM devrait par ailleurs bénéficier de crédits du programme 209 consacré à l'APD à hauteur de 14,9 M€ contre 6,9 M€ en 2025. Cette hausse limitée des moyens obtenue grâce à l'APD devrait permettre à l'entreprise de retrouver l'équilibre.
Le programme 847 du PLF 2026 prévoit, par ailleurs, une dotation de 84,2 M€ pour TV5 Monde identique à celle inscrite dans le PLF 2025, la dotation de 1,3 M€ accordée en 2025 par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères pour soutenir le déploiement de la chaîne jeunesse TiVi5 dans le monde arabe n'étant, par contre, pas reconduite.
I. UNE STABILISATION DES MOYENS FAUTE DE MIEUX DANS UN CONTEXTE BUDGÉTAIRE PARTICULIÈREMENT DÉFAVORABLE
A. UN EFFORT BUDGÉTAIRE À RÉINSCRIRE DANS LA DURÉE
1. Des moyens seulement sauvegardés en 2026 en dépit de besoins toujours croissants
Les crédits inscrits au compte de concours financier relatif aux « Avances à l'audiovisuel public » baisseront de -1,79% en 2026 pour atteindre 3,88 Mds€ contre 3,95 Mds€ en 2025.
Cette baisse concernera exclusivement l'audiovisuel public national, les moyens de France Télévisions baissant de 2,6% à 2,44 Mds€, ceux de Radio France diminuant de 0,63% à 648 M€ tandis que ceux de l'INA seront réduits de 1,43% à 103,46 M€.
Dans ces conditions, le maintien des moyens de l'audiovisuel extérieur en 2026, qu'il s'agisse des 303,9 M€ dévolus à FMM ou des 84,2 M€ consacrés à TV5 Monde constitue une bonne nouvelle qu'il convient de saluer. La nécessaire contribution de l'audiovisuel public à l'effort de maîtrise du déficit public épargne ainsi l'audiovisuel public extérieur comme le réclament les rapporteurs depuis plusieurs années.
Cette stabilisation des moyens ne constitue ni un privilège ni une anomalie, elle prend simplement en compte les enjeux géopolitiques et le fait que chaque euro investi dans l'audiovisuel extérieur permet de développer notre influence et de lutter contre la désinformation dans le monde alors que l'offre de programmes d'information et de divertissement de qualité n'a jamais été autant foisonnante sur le territoire national.
Le maintien de la dotation « socle » de France Médias Monde à 273,1 M€ en 2026 était d'autant plus nécessaire que l'exécution budgétaire a été difficile en 2025 compte tenu d'un budget initial qui affichait un déficit de -4,9 M€ en dépit d'actions volontaristes sur la distribution, l'immobilier et la masse salariale. Ce déficit a néanmoins pu être ramené à -1 M€ dans le cadre du budget rectificatif adopté le 9 octobre 2025 compte tenu d'une augmentation de 2 M€ de la dotation publique suite notamment à l'adoption au Sénat d'un amendement porté par les rapporteurs, d'une dotation complémentaire de 2 M€ issue du programme 209 au titre de l'aide publique au développement (APD) et d'une augmentation des ressources propres de +1 M€ (droits voisins supplémentaires payés par les plateformes numériques).
En 2026, FMM devra faire face à une hausse de ses charges de personnel (+4,4 M€) du fait de l'application des accords d'entreprise, de l'augmentation des amortissements (+1,3 M€) liée à la reprise du plan pluriannuel d'investissement et des indexations contractuelles. L'entreprise entend, par ailleurs, réaliser de nouveaux efforts d'économies afin de préserver un résultat net à l'équilibre et est déterminée à poursuivre sa transformation numérique par redéploiement de crédits.
La réduction des moyens de TV5 Monde par rapport à la programmation budgétaire initiale établie en 2023, qui prévoyait de lui accorder 84,7 M€ en 2025 puis 86 M€ en 2026, a incité les autres États bailleurs à la prudence et obligé l'entreprise à réaliser 2,2 M€ d'économies structurelles avec l'arrêt de trois émissions (1,2 M€), l'augmentation progressive de l'utilisation de l'IA pour le sous-titrage (0,8 M€) et la réduction de la distribution en Allemagne (0,2 M€).
La stabilité des moyens prévus par le PLF 2026 pour FMM et TV5 Monde n'est donc qu'à moitié satisfaisante puisqu'elle ne règle pas la question des investissements nécessaires à la modernisation des deux entreprises et qu'elle reste soumise à l'adoption du PLF, le recours éventuel à une loi spéciale n'étant pas sans conséquence pour chacune des entreprises.
Les conséquences de l'instabilité
budgétaire sur l'audiovisuel
public extérieur
En l'absence d'adoption de la loi de finances, le vote d'une loi spéciale permettrait de maintenir à titre transitoire les dotations des opérateurs publics de l'audiovisuel extérieur dans la limite des crédits votés lors de l'exercice précédent ou dans un cadre plafonné par la loi spéciale. En revanche, selon la direction de TV5 Monde, « la loi spéciale interdirait tout engagement nouveau ou investissement non strictement indispensable. Les projets prévus dans le plan stratégique 2025-2028 seraient reportés ou suspendus ». Cette situation se traduirait également par un contrôle renforcé du ministère des Finances avec une marge d'autonomie réduite pour la direction de TV5 Monde. C'est pourquoi, selon l'entreprise : « une prolongation excessive de ce régime exceptionnel fragiliserait la relation avec les autres bailleurs internationaux (Suisse, Canada, Belgique, Québec) » et « nuirait à la crédibilité et à la prévisibilité de la contribution française ».
La direction de France Médias Monde estime, pour sa part, que le vote d'une loi spéciale devrait maintenir la dotation « socle » à 273,1 M€ mais « il faudrait que le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères puisse décider de verser une dotation complémentaire de 10 M€ au titre du programme 209 (« solidarité à l'égard des pays en développement ») sous le régime de la loi spéciale (qui prévoit la reconduction des crédits ouverts en loi de finances initiale 2025) ». L'entreprise estime que « ces crédits supplémentaires du MEAE sont vitaux pour FMM afin de préserver le socle de ses missions, qui sont plus indispensables que jamais pour porter une information libre, indépendante et plurilingue dans le monde ».
2. La nécessité de reconstruire une trajectoire budgétaire pluriannuelle positive
Le bleu budgétaire prévoit (p.11) que les dotations de France Médias Monde et de TV5 Monde devraient être maintenues en 2027 et 2028 au même niveau qu'en 2026 alors que de nouvelles baisses de crédits pourraient être envisagées pour France Télévisions, Radio France et l'INA. Cette programmation triennale n'a toutefois pas fait l'objet d'une concertation avec les entreprises de l'audiovisuel extérieur et elle ne tient donc pas compte des besoins. Elle n'a pas davantage de caractère contraignant compte tenu du principe d'annualité budgétaire.
Si les rapporteurs se réjouissent d'un maintien en volume des dotations à l'audiovisuel extérieur en 2026 ils ne pourraient que regretter que ce statu quo décidé dans un contexte budgétaire dégradé s'installe dans la durée, occasionnant une baisse des moyens en valeur compte tenu de l'inflation.
Les rapporteurs rappellent que le contexte géopolitique nouveau que connaît la France depuis 2022 et le déclenchement de la guerre en Ukraine nécessitent autant un réarmement conventionnel qu'informationnel et ils ne peuvent que constater la différence entre les moyens consacrés - à juste titre - aux armées et l'absence de sursaut dans le domaine informationnel. Or dans notre société médiatique connectée le champ de bataille est d'abord médiatique avant d'être militaire et le choix d'abandonner ce terrain à nos adversaires constitue une faute majeure.
Dans ces conditions les rapporteurs appellent de leurs voeux pour les années qui viennent une réévaluation des moyens de l'audiovisuel public extérieur qui pourrait prendre place dans le nouveau contrat d'objectifs et de moyens (COM) de FMM rendu nécessaire par l'abandon des précédents COM préparés en 2024.
Ils considèrent, par ailleurs, que la France devrait proposer à l'ensemble des pays actionnaires de TV5 Monde d'accroître ses moyens afin, en particulier, de développer son audience auprès des jeunes générations qui sont particulièrement visées par les stratégies de désinformation. Ils considèrent, enfin, que les crédits consacrés à l'audiovisuel public extérieur ont vocation à être pris en compte dans l'objectif de porter d'ici 2035 à 5% du PIB l'effort de défense au sens large adopté par les pays membres de l'OTAN lors du sommet des 24 et 25 juin 2025 à La Haye.
B. UNE ABSENCE D'AMBITION DEVENUE PROBLÉMATIQUE DANS UNE CONTEXTE DE GUERRE INFORMATIONNELLE
Le maintien des moyens prévus pour 2026 ne doit pas faire oublier le caractère structurellement limité des moyens dévolus à l'audiovisuel extérieur ainsi que les coupes claires opérées ces dernières années.
Une « procédure d'alerte » pour mieux lutter contre les infox
Le contexte international demeure préoccupant avec la multiplication des conflits et guerres partout dans le monde, l'essor des infox et des manipulations accentué par l'émergence de l'intelligence artificielle générative, les atteintes croissantes aux libertés (censures et coupures, risques sécuritaires pour les journalistes...), concurrence exacerbée dans le paysage audiovisuel mondial. Comme le remarque la direction de FMM : « l'ensemble de ces phénomènes participent d'un chaos informationnel et d'une guerre « hybride » dont la guerre de l'information est l'une des composantes majeures ».
Face à cette situation, FMM a développé une action d'envergure pour lutter contre la désinformation en proposant près d'une quinzaine d'émissions dédiées à la lutte contre les infox, en français et en langues étrangères. Le groupe s'est « organisé et est monté encore davantage en puissance dans ses capacités de riposte en formalisant une procédure d'alerte, de veille, de traitement éditorial et de dissémination rapide. Cette procédure prévoit également des signalements auprès des plateformes et de l'Arcom, ainsi qu'un lien étroit avec les autorités publiques compétentes (Viginum, ministère de l'Europe et des affaires étrangères) ».
Cette procédure d'alerte peut amener à « débunker » les infox en donnant plus de visibilité aux démentis qu'aux fausses publications. Dernièrement, France 24 a ainsi démenti une fausse publication de la chaîne annonçant à tort le décès du président ivoirien Alassane Ouattara tandis que RFI était amenée à « débunker » une infox selon laquelle la France aurait fait imprimer de faux billets pour déstabiliser l'économie malienne.
1. Une absence de visibilité budgétaire préjudiciable à France Médias Monde
Si les moyens de France Médias Monde ont été globalement préservés pour 2026, il convient de rappeler qu'ils demeurent limités et incertains pour l'avenir. En premier lieu en effet, il faut rappeler qu'une partie de la dotation publique de 303,9 M€ correspond à des compensations fiscales qui ne profitent pas à l'entreprise et gonflent facialement ses moyens.
La suppression de la contribution à l'audiovisuel public en août 2022 a eu pour effet pour FMM la perte du droit à déduction intégrale de TVA ainsi que son assujettissement à la taxe sur les salaires. Ces impacts fiscaux sont, depuis lors, compensés à l'euro près par l'État ce qui a pour effet d'augmenter facialement le budget de FMM dans la loi de finances.
Si le projet de loi de finances pour 2026 fixe, dans le programme 844, une dotation globale de 303,9 M€ incluant donc les compensations fiscales pour un montant de 30,8 M€, le montant inscrit dans le compte de résultat prévisionnel de l'entreprise s'élève pour sa part à 308 M€ compte tenu d'un montant de compensations fiscales de 34,9 M€. La dotation « socle » est la même dans les deux documents, à 273,1 M€, mais le compte de résultat de l'entreprise tient compte d'une réévaluation de la compensation du fait de la prise en compte de l'effet de l'autoliquidation de la TVA sur les achats de biens et services extracommunautaires. Là encore, ce montant supplémentaire ne profite pas à l'entreprise.
Source : FMM
Concernant la programmation pluriannuelle des moyens, l'abandon du COM intervenu l'année dernière avant même que le projet n'ait été examiné par les commissions compétentes des assemblées a sonné le glas d'une hausse des moyens qui était pourtant déjà insuffisante. La DGMIC a convenu, par ailleurs, que l'enveloppe de 14,9 M€ issue du programme 209 n'avait pas à date de caractère pérenne tout en indiquant qu'il était envisageable qu'un processus de rédaction d'un nouveau COM soit prochainement relancé.
La rédaction d'un nouveau COM devra impérativement clarifier les ambitions de l'État pour France Médias Monde, le choix à réaliser consistant soit à accroître les moyens pour permettre de répondre aux enjeux de la guerre informationnelle soit à modifier le périmètre de l'entreprise afin de réaliser des arbitrages.
À cet égard, les rapporteurs ont été étonnés d'apprendre qu'à la demande de la tutelle l'entreprise avait été amenée à chiffrer le montant des économies qui pourrait résulter d'une suppression de la chaîne France 24 en espagnol ou de la fermeture de MCD. Si une telle réduction du périmètre a heureusement été écartée en 2026, les rapporteurs estiment que sa mise à l'étude est significative d'une tentation qui doit être combattue en particulier en veillant à ce que le futur COM de FMM préserve absolument le périmètre existant.
2. Un développement de TV5 Monde contraint par un sous-investissement persistant
La remise en cause de la trajectoire budgétaire initialement envisagée pour TV5 Monde en 2025 et 2026 a eu pour effet de priver l'entreprise de ressources plus importantes encore compte tenu de l'alignement des autres bailleurs de fonds forçant l'entreprise à multiplier les économies, les redéploiements et la recherche de financements complémentaires.
En 2026, les ambitions du nouveau plan stratégique seront financées en particulier par de nouvelles mesures d'économies pour 0,5 M€ (arrêt du satellite de la chaîne Style en Afrique, nouvelle progression de l'IA sur le sous-titrage, réduction des déplacements), 0,5 M€ sur le marketing et la communication, 1 M€ de redéploiements (arrêt des trois journaux d'information du matin) et la recherche de financements complémentaires (nouveaux pays adhérents, publicité et parrainages, financements institutionnels...).
Toutefois, la direction de TV5 Monde estime que ces mesures d'ajustement ne suffiront pas alors que « TV5 Monde est en situation de décrochage par rapport au marché et sous-investit depuis de nombreuses années, alors que les dotations des opérateurs britanniques, allemands, russes ou chinois sont plus élevées et en croissance (...) ». L'entreprise doit, en effet, installer une nouvelle régie de production dont le coût, estimé à 4,9 M€, ne permet pas de programmer cet investissement indispensable. De même, l'entreprise estime ne pas être en mesure de mettre à jour son dispositif de post production afin qu'il soit nativement multimédia (coût estimé de 1,6 M€) ni de déployer des outils IA comme cela serait nécessaire (coût évalué à 1 M€/an) ou d'ouvrir un bureau en Afrique (coût évalué à 0,6 M€).
Face aux dépenses nécessaires pour renouveler et développer l'outil industriel, l'entreprise ne peut augmenter significativement ses ressources propres qui sont elles-mêmes contraintes. Si les recettes publicitaires sont en hausse dans le budget adopté en 2025 à 3,12 M€, ce montant reste limité compte tenu de la faiblesse du marché publicitaire africain tandis que les recettes issues de la distribution connaissent une tendance structurelle baissière et devraient s'établir à 5,75 M€ en 2025. La reprévision budgétaire laisse entrevoir une progression des recettes issues de la publicité et des parrainages (+0,6 M€) amoindrie par une baisse des recettes de distribution (- 0,2 M€).
Des besoins estimés à 71 M€ sur la période 2025-2028
La direction de TV5 Monde a évalué à 71,4 M€ les besoins d'investissements nécessaires à la mise en oeuvre du plan stratégique sur trois ans jusqu'à 2028 en tenant compte de l'inflation (dont le coût non compensé est estimé à 15 M€ entre 2017 et 2025). Les investissements nécessaires seraient de 18,7 M€ en 2026, 24,3 M€ en 2027 et 28,4 M€ en 2028 afin d'investir dans les contenus (25,1 M€), la modernisation technologique et numérique (24,9 M€) et le marketing et la distribution (16,4 M€).
Les équipes de TV5 Monde rappellent qu'ARTE investit chaque année 24 M€ dans l'acquisition de programmes numériques contre 1,4 M€ pour TV5 Monde.
II. LA NÉCESSITÉ DE FAIRE DES CHOIX POUR DÉVELOPPER LES OUTILS EXISTANTS
A. FRANCE MÉDIAS MONDE : UN RISQUE DE DÉCROCHAGE PAR RAPPORT À SES CONCURRENTS ET SES NOUVEAUX « COMPÉTITEURS »
1. La stratégie numérique « non financée » de France Médias Monde
Le projet de COM 2024-2025 de France Médias Monde prévoyait d'attribuer 5 M€ à l'entreprise en 2024 et 2025 puis 3 M€ en 2026 pour financer sa transformation numérique. Cependant ces crédits ont été amputés dès 2024 pour être ramenés à 1,4 M€ puis supprimés en 2025. L'entreprise considère que ces crédits étaient pourtant nécessaires pour financer sa stratégie numérique ce qui l'a amenée à maintenir le niveau des investissements en adaptant le rythme de déploiement pour atteindre les objectifs.
Une feuille de route pour la transformation numérique a ainsi été élaborée autour de trois axes prévoyant : la conception des grilles numériques pour RFI, France 24 et MCD à l'image des grilles « broadcast » en radio et télévision pour renforcer la structuration des offres de contenus ; une évolution du fonctionnement de l'entreprise à travers la constitution de « pôles numériques » ; et l'évolution des outils afin d'accélérer la convergence entre « broadcast » et numérique ainsi que le déploiement d'une feuille de route sur l'intelligence artificielle.
La direction de l'entreprise considère que « tous ces objectifs représentent des besoins de financement supplémentaires de l'ordre de 5 M€ par an à horizon 2028, non financés à ce stade. Si ces investissements dans la transformation numérique ne sont pas réalisés, le risque est réel d'un décrochage irréversible pour France Médias Monde dans le paysage audiovisuel et numérique international en pleine mutation ».
2. Un projet de « bouclier informationnel » pour pallier le retrait des Etats-Unis
À la suite de l'annonce de la suspension du financement des médias publics internationaux américains de l'US Agency for Global Media (USAGM) dans le cadre du « shutdown » budgétaire, France Médias Monde et Deutsche Welle ont réfléchi à une réponse coordonnée permettant de reprendre certaines fréquences laissées vacantes. Cette initiative vise à ne pas laisser le terrain libre avec le risque que le « vide informationnel » soit rempli par des contenus ni indépendants ni vérifiés.
Le « bouclier informationnel » proposé par FMM et DW vise à renforcer et étendre les réseaux des langues que les deux sociétés ont déjà en commun comme le russe et l'ukrainien mais aussi à développer de nouvelles langues pour compenser le retrait de Radio Free Europe. Ces nouvelles offres seront élaborées soit de manière conjointe soit de manière coordonnée et pourraient concerner le géorgien, l'arménien et le moldave au besoin en recrutant des journalistes de RFE/RL.
La mise en oeuvre de ce projet nécessiterait selon les premières estimations un budget de 50 M€ pris en charge à parité par la France et l'Allemagne.
Des médias européens pour pallier le retrait des médias américains ?
Le président des Etats-Unis a décidé en mars 2025 de cesser sans délai le financement des médias publics internationaux états-uniens rassemblés au sein de la US Agency for Global Media (USAGM) comprenant Voice of America (VOA), Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE/RL) et Radio Free Asia (RFA) laissant le champ libre aux médias russes et chinois pour récupérer leurs fréquences. Avec un budget de près d'1 milliard de dollars (876 M€) USAGM couvrait la quasi-totalité des continents en télévision, radio et numérique avec plus de 60 langues de diffusion (dont 27 langues en Europe).
Le retrait de USAGM porte également en lui un affaiblissement des médias locaux sur certains continents qui bénéficiaient d'un soutien financier américain.
Cette situation a amené FMM et Deutsche Welle à concevoir une réponse au retrait américain notamment en Afrique où Voice of America diffusait ses programmes en 17 langues (anglais, français, portugais, swahili, haoussa, bambara, fulani, lingala, sango, kinyarwanda, kirundi, amharique/tigréen/oromo, somali, ndbele/shona). FMM propose ainsi de relancer l'offre de RFI en anglais pour l'Afrique en offre audio broadcast sur les fréquences laissées vacantes par VOA en étroite coopération avec France 24 en anglais. RFI pourrait également reprendre certaines langues comme le lingala en RDC ainsi que plusieurs langues parlées en Éthiopie (amharique/tigréen/oromo). Par ailleurs FMM estime qu'une centaine de radios partenaires de RFI qui bénéficiaient d'un soutien de USAGM et pourraient connaître de sérieuses difficultés.
Au Maghreb et au Moyen-Orient de nombreuses fréquences FM sont laissées vacantes par le retrait d'USAGM ce qui pourrait justifier la reprise d'une quinzaine de fréquences par MCD en Mauritanie, au Maroc, en Syrie et en Irak selon la direction de FMM.
En Europe centrale et orientale et au Caucase où USAGM diffusait en 27 langues (arménien, azéri, bachkir, biélorusse, bosniaque, dari, géorgien, kazakh, kirghize, macédonien, moldave, pachto, persan, russe, serbe, tadjik, tatar, turkmène, ukrainien, ouzbek...) FMM envisage de renforcer son « hub » à Bucarest pour diffuser des programmes en moldave et de déployer des offres en arménien (broadcast), géorgien (numérique) et russe (offre mixte numérique et radio envisagée).
Enfin, en Asie où VOA propose ses programmes en une douzaine de langues (birman, cantonais, indonésien, khmer, coréen, laotien, mandarin, thaï, tibétain, vietnamien, hindi, bengali) et RFA en 9 langues (mandarin, tibétain, coréen, birman, cantonais, khmer, laotien, ouïghour et vietnamien) FMM envisage de proposer les contenus de RFI en chinois, vietnamien et khmer ainsi que l'audio de France 24 en anglais.
B. TV5 MONDE : MAINTENIR L'ATTRACTIVITÉ DU MODÈLE ET DES CONTENUS
1. Un maintien d'une forte ambition en matière de distribution
En dépit d'une contrainte budgétaire forte TV5 Monde a réussi à maintenir et développer ses audiences sur l'ensemble des zones les plus stratégiques. C'est notamment le cas en Algérie où la réception par satellite demeure importante mais également au Maroc où le rapprochement avec TV5 Monde prend forme notamment avec l'achat de programmes jeunesse marocains. L'entreprise prévoit ainsi de renforcer son offre jeunesse sur toute l'Afrique compte tenu de ses excellents résultats.
TV5 Monde est également accessible à la fois au Liban, en Israël et auprès d'un grand nombre de foyers palestiniens.
A contrario, la chaîne a connu des suspensions en Afrique pour plusieurs mois tant au Burkina Fasso et au Togo ainsi qu'une suspension toujours en cours au Mali. Elle connaît également des difficultés en RDC et à Madagascar. Selon la direction de l'entreprise « ces épisodes illustrent les pressions croissantes exercées sur les médias internationaux dans certains contextes politiques fragiles ».
Au final, la distribution de TV5 Monde demeure stable à 423 millions de foyers dans le monde, en recul de 15 millions imputables pour l'essentiel à l'arrêt de la distribution en Allemagne. Si la chaîne Style n'est plus diffusée par satellite, la chaîne généraliste bénéficie d'une diffusion multicanaux (satellite, OTT, IP, câble, TNT) selon les régions et elle demeure la seule chaîne étrangère diffusée en français en Chine.
Enfin, la plateforme TV5 Monde + poursuit son développement avec plus de 6000 heures de programmes accessibles gratuitement et la consommation de ses contenus a plus que doublé depuis son lancement en 2022 à 12,8 millions de vidéos vues. La plateforme a bénéficié en octobre 2025 d'un enrichissement de ses contenus avec le développement du rattrapage, l'intégration du direct antenne et des journaux d'information de TV5 Monde et des journaux de ses partenaires.
Les priorités du plan stratégique 2025-2028
Le plan stratégique adopté en mars 2025 poursuit une modernisation de l'entreprise avec une priorité donnée à la jeunesse et un élargissement de l'audience en particulier en Afrique grâce notamment à une hyper-distribution « ciblée » et des partenariats d'excellence.
TV5 Monde a adopté en 2025 un nouvel habillage visuel et sonore et a procédé à un renouvellement éditorial avec le lancement de nouvelles émissions. Ces changements ont été rendus possibles par des choix notamment à travers la refonte de l'offre d'information via le redéploiement interne des moyens dédiés aux trois journaux d'information du matin au service du développement des productions de la rédaction.
Parmi les nouvelles émissions figurent un concours TV panafricain d'entrepreneurs, une nouvelle émission hebdomadaire culturelle tandis que le déploiement au Maghreb de la chaîne jeunesse Tivi5 est engagé après son succès en Afrique subsaharienne qui a fait l'objet d'un soutien de 1,3 M€ de la part du MEAE en 2025.
TV5 Monde a engagé une refonte de son organisation et des processus de production en augmentant le nombre de journalistes contribuant à l'offre numérique et en accentuant le déploiement de l'IA pour gagner en productivité.
Le plan stratégique prévoit également de renforcer la distribution des contenus notamment en multipliant les chaînes FAST diffusées uniquement sur internet et financées par la publicité et en renforçant la présence sur YouTube. De nouvelles formes de partenariats ont également été lancées avec des journaux, des organisations d'entrepreneurs et des acteurs culturels.
2. L'élargissement possible de la gouvernance de TV5 Monde à plusieurs États africains
TV5 Monde a mené depuis plusieurs années une réflexion sur l'élargissement de sa gouvernance en particulier à destination des États africains où se situe une part importante de ses audiences. Parallèlement à ce travail sur l'avenir de la gouvernance des initiatives ont été conduites afin de développer la coproduction afin de valoriser davantage la diversité géographique des contenus francophones dans la programmation de TV5 Monde.
Depuis 2024, les échanges se sont intensifiés avec sept pays africains : le Bénin, le Cameroun, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Gabon, la RDC et le Sénégal. Deux options ont été envisagées, soit une adhésion individuelle soit une adhésion groupée avec les autres États africains consultés. Alors qu'une majorité de ces États se sont déclarés en faveur d'une adhésion groupée, un parcours d'adhésion à la gouvernance de TV5 Monde a été initié avec les États concernés. Par ailleurs, des échanges se poursuivent avec le Maroc qui pourrait prochainement rejoindre également la gouvernance de TV5 Monde dans le cadre d'une adhésion individuelle.
Ces adhésions, comme celle de la Principauté de Monaco intervenue en 2021, sont soumises au respect des règles déjà applicables aux bailleurs de fonds actuels à savoir : l'appartenance à l'OIF, l'absence de mesures restrictives prises par l'OIF ou l'UE, l'existence d'un opérateur audiovisuel public indépendant produisant et diffusant des contenus en français et la possibilité de diffuser les offres de TV5 Monde sur le territoire de l'État considéré.
Un retrait de la Suisse de TV5 Monde d'ici 2029 ?
Le Conseil fédéral suisse a adopté le 19 septembre 2025 un « programme d'allègement budgétaire 2027 » visant à réduire les dépenses publiques qui prévoit notamment la fin de financements aux services de la SSR destinés à l'étranger. Cet arrêt des dotations sera effectif dès 2027 pour Swissinfo et 3Sat tandis que la contribution à TV5 Monde ne serait supprimée qu'à compter de 2029.
Un arrêt du financement suisse reviendrait à priver TV5 Monde de 8 M€, de 11% des programmes de l'antenne et de 21% des programmes de la plateforme. Un retrait d'un des pays bailleurs de fonds constituerait, au-delà des aspects économiques, un précédent de nature à fragiliser le modèle de la chaîne internationale francophone et pourrait poser des problèmes juridiques difficiles à évaluer à ce stade compte tenu de l'absence de clause de sortie dans la Charte TV5 Monde.
La décision de la Suisse de ne plus collaborer à TV5 Monde consécutive au « programme d'allègement budgétaire 2027 » doit encore être soumise à une votation populaire qui pourrait avoir lieu à l'automne 2026. Par ailleurs, le maintien du financement de la Suisse en 2027 et 2028 laisse un peu de temps pour poursuivre le dialogue avec les responsables fédéraux et mettre en évidence le rôle de TV5 Monde pour faire rayonner la Suisse à l'international.
Le mercredi 3 décembre 2025, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 844, 847 et 848 du compte de concours « Avances à l'audiovisuel public » dans le projet de loi de finances pour 2026.
EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 3 décembre 2025, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits des programmes 844 « France Médias Monde », 847 « TV5 Monde » et 848 « Programme de transformation » de la mission « Avances à l'audiovisuel public » du projet de loi de finances pour 2026.
M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, je ne cherche pas à ménager le suspense : nous sommes favorables à l'adoption des crédits de ces programmes, mais sans joie. Par ailleurs, je n'ai pas le sentiment que mes remarques, déjà formulées l'an dernier pour la plupart, soient de nature à faire évoluer la position du Gouvernement.
Pour 2026, nous prévoyons d'augmenter les crédits de la défense d'un peu plus de 6 milliards d'euros. Pourtant, la part consacrée à l'information demeure le parent pauvre, quand bien même l'on répète que la guerre se joue aussi sur ce terrain. France Médias Monde disposera en 2026 d'environ 303 millions d'euros de crédits, fiscalité comprise, soit une hausse de 7 à 8 millions d'euros, qui ne s'explique que par l'augmentation de la participation de l'Agence française de développement (AFD).
Ces 303 millions d'euros restent dérisoires face à nos concurrents : la Chine y consacre près de 3 milliards d'euros, la Russie tout autant, la Turquie plus de 1 milliard d'euros, sans parler du Royaume-Uni qui investit bien davantage. Nous demandons à notre audiovisuel extérieur d'être « conquérant », mais avec quels moyens ?
Les dirigeants de France Médias Monde ou de TV5 Monde nous expliquent qu'ils disposent de journalistes dévoués, passionnés. Fort bien ! Pourtant, dans le même temps, le Gouvernement leur demande d'étudier, à partir de 2026, une réduction de leur périmètre. « Que rapporterait la fermeture de la version espagnole de France 24, basée en Colombie ? Faut-il fermer Monte Carlo Doualiya, la chaîne arabophone laïque, faute de moyens pour la maintenir ? » Voilà ce que l'on entend... Et lorsque l'on s'enquiert de la pérennité de la contribution supplémentaire de l'AFD, il nous est répondu que rien n'est garanti.
L'audiovisuel extérieur va donc rester enfermé dans un carcan financier particulièrement étriqué. Pour TV5 Monde, les crédits seront stables, à 84 millions d'euros. Pas un seul euro d'augmentation n'est prévu non plus pour 2027, ce qui, avec l'inflation, revient à une baisse réelle. On répète qu'il faut réarmer la présence informative de la France à l'étranger, mais, dans les faits, nos moyens restent inférieurs à 400 millions d'euros, ce qui est aberrant.
TV5 Monde ne parvient pas à trouver 4 millions d'euros pour refaire un studio d'enregistrement, France Médias Monde doit réduire le nombre de ses correspondants... Certes, les deux opérateurs continuent de fonctionner, mais avec des capacités amoindries, très en deçà de ce qu'exigerait une réelle stratégie de présence internationale. Cette situation ne me semble pas tenable, d'autant que nous avons déjà perdu du terrain en Afrique et en Asie.
On nous dit encore que, pour être crédibles à l'étranger, ces médias ne doivent pas apparaître comme des médias d'État. Je comprends la nécessité d'éviter qu'un média public soit immédiatement perçu comme politique, mais il n'en demeure pas moins que les moyens publics sont, par définition, des moyens d'État.
On nous dira aussi que les crédits de l'audiovisuel extérieur restent peu ou prou au même niveau que l'an dernier, alors que ceux de l'audiovisuel public national reculent de 2 à 3 %. C'est exact, mais les enjeux ne sont pas les mêmes : il s'agit ici d'une bataille stratégique, d'un conflit informationnel mondial. Sans renforcement budgétaire, la guerre informationnelle sera perdue, quelle que soit la rhétorique employée, et malgré l'engagement et le professionnalisme des équipes.
Je voterai ces crédits - il serait invraisemblable de faire autrement -, mais, une nouvelle fois, j'appelle l'attention de l'État : si nous voulons une voix française à l'international, il faudra lui donner les moyens de se faire entendre.
Mme Mireille Jouve, rapporteure pour avis. - Après la présentation des trajectoires budgétaires de France Médias Monde et TV5 Monde par Roger Karoutchi, je vais revenir sur la situation de chacune de ces entreprises.
France Médias Monde est confrontée à un problème de financement de sa stratégie numérique : le programme 848, qui devait y contribuer à hauteur de 3 millions d'euros en 2026, est maintenu, mais sans bénéficier d'aucun crédit. La feuille de route pour la transformation numérique de l'entreprise, élaborée pour maintenir son influence sur les nouveaux supports, nécessiterait 5 millions d'euros d'ici à 2028. Or aucun financement n'est prévu.
Un second défi concerne la suspension des crédits de l'audiovisuel public américain décidée par l'administration Trump, qui a eu pour effet l'arrêt partout dans le monde des programmes de Voice of America, Radio Free Europe-Radio Liberty et Radio Free Asia.
Non seulement le retrait de ces médias laisse le champ libre aux actions de désinformation menées par les Russes et les Chinois, mais il met aussi en péril tout un écosystème de médias locaux en Afrique qui bénéficiait du soutien des médias publics américains. Or une centaine de ces radios sont aussi des partenaires de RFI et pourraient connaître de sérieuses difficultés.
Pour répondre à cette situation, France Médias Monde et la Deutsche Welle (DW) ont élaboré une réponse commune de « bouclier informationnel » visant à apporter des réponses coordonnées pour développer des programmes de substitution aux programmes américains. France Médias Monde envisage ainsi de développer son hub à Bucarest pour diffuser des programmes en moldave et de déployer des offres en arménien, géorgien et russe. Je crois savoir que notre commission pourrait diligenter une mission sur les bords européens de la Mer noire. Ce serait peut-être l'occasion de visiter cette rédaction à Bucarest.
J'en viens maintenant à TV5 Monde, qui met en oeuvre son nouveau plan stratégique 2025-2028, avec pour priorité une hyperdistribution ciblée et un renouvellement de ses programmes.
La chaîne francophone réussit à développer ses audiences en Afrique du Nord grâce à la réception par satellite et elle a renforcé ses liens avec le Maroc, qui pourrait envisager une adhésion. Elle est toutefois encore confrontée à des coupures de son signal dans certains pays comme le Mali et le Burkina Fasso. Elle reste accessible auprès de 423 millions de foyers, ce qui constitue un atout important. C'est dans ce contexte que se pose la question de l'élargissement de sa gouvernance à plusieurs pays africains où se situe une part importante de son audience. Depuis 2024, les échanges se sont intensifiés avec sept pays : le Bénin, le Cameroun, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Gabon, la République démocratique du Congo (RDC) et le Sénégal. Deux options ont été envisagées : soit une adhésion individuelle, soit une adhésion groupée avec les autres États africains consultés. Alors qu'une majorité de ces États se sont déclarés en faveur d'une adhésion groupée, un parcours d'adhésion à la gouvernance de TV5 Monde a été initié avec les États concernés.
À contre-courant de cet élargissement, TV5 Monde est également confrontée au risque de départ de la Suisse. En effet, le Conseil fédéral a adopté le 19 septembre 2025 un « programme d'allègement budgétaire 2027 » visant à réduire les dépenses publiques, qui prévoit notamment la fin de la contribution à TV5 Monde à compter de 2029. Un arrêt du financement suisse reviendrait à priver TV5 Monde de 8 millions d'euros, 11 % des programmes de l'antenne et 21 % des programmes de la plateforme. Un retrait d'un des pays bailleurs de fonds constituerait, au-delà des aspects économiques, un précédent de nature à fragiliser le modèle de la chaîne internationale francophone.
La décision de la Suisse doit encore être soumise à une votation populaire qui pourrait avoir lieu à l'automne 2026. D'ici là, le dialogue se poursuit et je m'interroge sur le rôle que pourrait jouer la diplomatie parlementaire afin de favoriser un maintien de la Suisse dans TV5 Monde.
En conclusion, je ne peux que partager les constats de Roger Karoutchi : le pire a sans doute été évité pour 2026 concernant les moyens de l'audiovisuel public extérieur, mais l'avenir est loin aujourd'hui de présenter toutes les garanties. Il manque une vision claire, une ambition affirmée et une incarnation pour porter une politique de réarmement informationnel comparable aux efforts déployés pour la défense.
Je propose donc également de donner un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 844, 847 et 848, sans cacher qu'un sursaut reste indispensable.
M. Cédric Perrin, président. - Les années se suivent et, malheureusement, se ressemblent. Alors que nous sommes ici particulièrement informés et mobilisés sur les enjeux de désinformation et de lutte informationnelle, il est parfois désarmant de constater la facilité avec laquelle nous sacrifions certains budgets, avant de regretter d'être progressivement évincés de partout. Nous sommes sur un toboggan et nous ajoutons encore de l'eau pour qu'il glisse plus vite : c'est, je l'avoue, assez décourageant. Nous avons aussi pour mission de sensibiliser l'ensemble de nos collègues à ces sujets.
S'agissant de la Suisse, je m'y rendrai la semaine prochaine, en ma qualité de président du groupe d'amitié, et je n'hésiterai pas à rappeler l'importance de ces enjeux. Les Suisses rencontrent des problématiques budgétaires similaires aux nôtres - certes à une autre échelle - et cherchent eux aussi à réduire leurs dépenses. Nous tentons de les convaincre de rester dans Interreg et dans TV5 Monde.
M. Rachid Temal. - Il serait temps que nous cessions d'être les idiots utiles. Non seulement nos capacités d'influence sont très limitées, mais elles servent aussi parfois de cheval de Troie, notamment en Afrique, pour faciliter la diffusion de programmes ou de technologies chinoises.
Nous nous prononcerons donc contre l'adoption de ces crédits, car nous ne pouvons pas continuer ainsi sans réagir. Certes, j'entends les arguments relatifs aux contraintes budgétaires et au fait que la situation aurait pu être pire ; je les partage en partie. Mais si nous n'envoyons pas un signal fort en tant que commission saisie pour avis, personne n'entendra que nous devons cesser de nous désarmer à l'heure où tous les pays mobilisent leurs médias et leurs technologies pour porter leurs idées.
Quelle est exactement la position de la commission des finances sur ces crédits budgétaires ?
M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis. - La commission des finances a émis un avis favorable sur les crédits de l'audiovisuel en général, y compris ceux de l'audiovisuel public extérieur. J'entends les arguments de Rachid Temal, et je pourrai, moi aussi, être tenté de voter contre ces crédits. Mais France Médias Monde et TV5 Monde sont déjà fragilisés par un carcan budgétaire très étroit, et je ne suis pas convaincu qu'un vote hostile stabiliserait ces structures, bien au contraire. Nous saurions pourquoi nous avons voté contre, mais, à l'extérieur de ces murs, beaucoup pourraient interpréter ce vote comme un rejet de l'audiovisuel public extérieur et l'annonce de son déclin.
À mes yeux, il faut en priorité une réforme de structure, car la double tutelle des ministères de la culture et des affaires étrangères est absurde. L'audiovisuel extérieur devrait relever d'une tutelle unique, celle du ministère des affaires étrangères, avec un seul interlocuteur et une ligne claire.
Si nous votons contre, je crains aussi que les salariés de ces médias, souvent installés à l'étranger, ne comprennent pas la nuance. Pour ma part, je reste donc sur l'idée d'un vote favorable. En séance publique, nous aurons largement l'occasion d'interpeller le Gouvernement et de lui dire clairement que nous ne pouvons pas continuer ainsi.
M. Cédric Perrin, président. - Plusieurs amendements viseront à abonder ce budget, la difficulté étant de déterminer où trouver les crédits...
M. Rachid Temal. - J'entends les arguments de Roger Karoutchi, mais les journalistes et professionnels de l'information savent lire et comprendre les nuances. Nous aurions pu accompagner notre avis négatif d'un communiqué de presse expliquant qu'il s'agissait d'interpeller le Gouvernement sur l'insuffisance des moyens consacrés à ces médias. Cela ne nous empêche pas ensuite de déposer des amendements pour abonder les crédits.
Nous partageons le diagnostic, pas la méthode.
M. Cédric Perrin, président. - Le débat en séance publique permettra à chacun de s'exprimer et aux rapporteurs de faire entendre leur point de vue. Des amendements pourront également être déposés. Pour ma part, je doute qu'un avis négatif sur les crédits constitue un bon signal.
M. Olivier Cadic. - Dans la véritable guerre informationnelle que nous vivons, la question des moyens est déterminante.
Le lien avec l'AFD est intéressant. Lorsque j'ai rencontré la présidente de TV5 Monde, elle m'a présenté un programme très positif de promotion des entrepreneurs africains, et je lui ai indiqué qu'il rejoignait certaines actions menées par l'Agence.
Je partage l'idée d'une tutelle unique, indispensable pour éviter la fragmentation de notre action. La tutelle du ministère des affaires étrangères, qui dispose lui-même d'outils dédiés - nous en parlerons dans le cadre du programme 105 -, me paraît s'imposer. Il faut faire apparaître une stratégie cohérente, ainsi que les moyens qui l'accompagnent.
Alors que nous allons étudier le budget de l'aide publique au développement, je m'interroge sur la meilleure manière de redonner de la cohérence à l'ensemble. Il est important de montrer au contribuable que nos actions peuvent porter leurs fruits. Comment imaginer un lien direct et lisible entre l'AFD et le financement de l'audiovisuel public extérieur ?
M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis. - L'AFD participe déjà au financement de certains programmes, et sa contribution est passée de 8 millions d'euros à 14,9 millions d'euros pour l'ensemble de l'audiovisuel public extérieur. Il y a donc un progrès, mais il reste insuffisant.
L'AFD peut déjà être impliquée dans les programmes de France Médias Monde et TV5 Monde, en particulier en Afrique, mais aussi en Asie ou en Amérique latine. Je ne sais pas si nous pouvons aller plus loin, mais le Gouvernement s'est en principe engagé à garantir l'effort de l'AFD sur les années 2027 et 2028. Nous verrons s'il tient ses promesses.
S'il faut, à mon sens, davantage de conventions et de coopérations entre TV5 Monde, France Médias Monde et l'AFD - les possibilités de projets communs sont nombreuses -, tout ne doit pas non plus reposer sur l'AFD. Si nous considérons que la guerre informationnelle fait partie intégrante de notre défense, les ministères des armées et des affaires étrangères doivent assumer leur part de responsabilité et accorder davantage de crédits à l'audiovisuel public extérieur.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 844, 847 et 848 de la mission « Avances à l'audiovisuel public ».
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Mardi 28 octobre 2025
- Ministère des Affaires étrangères : M. Aurélien Chanquin Torres, sous-directeur de la culture et des médias, M. Vincent Guimard, responsable du pôle médias et cinéma et Mme Aurélie Lachkar, rédactrice audiovisuel public et privé. ;
- TV 5 Monde : Mme Kim Younes Charbit, présidente directrice générale, M. Thomas Derobe, secrétaire général et M. Ithier Bariety, chargé de mission ;
Mercredi 29 octobre 2025
- DGMIC : M. Ludovic Berthelot, chef du service des médias et Mme Maïté Lamothe, chargée de mission au bureau du secteur de l'audiovisuel public ;
Jeudi 6 novembre 2025
- France-Média Monde : Mme Marie-Christine Saragosse, présidente, M. Roland Husson, directeur général en charge du pôle ressources et M. Corentin Masclet-Andrieu, responsable relations institutionnelles et communication transverse.
