N° 141

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2025

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées (1)
sur le projet de loi de finances,
considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2026,

TOME VII

DÉFENSE

Soutien de la politique de la défense

(Programme 212)

Par M. Jean-Pierre GRAND et Mme Marie-Arlette CARLOTTI,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Jean-Baptiste Lemoyne, Claude Malhuret, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; M. Étienne Blanc, Mme Valérie Boyer, MM. François-Noël Buffet, Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Didier Marie, Pierre Médevielle, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 1906, 1990, 1996, 2006, 2043, 2047, 2048, 2060, 2063 et T.A. 180

Sénat : 138 et 139 à 145 (2025-2026)

L'ESSENTIEL

Le PLF pour 2026 affecte au programme 212 « Soutien de la politique de défense » 25,8 milliards d'euros en autorisation d'engagement et 25,6 en crédits de paiement, soit une hausse, par rapport à la loi de finances initiale pour 2025, de 4,6 % et 3 %.

Les rapporteurs pour avis saluent la poursuite des efforts visant à consolider le redressement de l'attractivité des armées, et appellent à évaluer l'impact des mesures prises depuis quatre ans, à l'ambition indéniable, sur le pouvoir d'achat des militaires.

Ils insistent sur les facteurs de resserrement du lien entre les armées et la Nation, dans le double objectif de poursuivre les efforts d'attractivité d'une part, et de contribuer à l'hybridation de notre stratégie défensive d'autre part.

I. LES MILITAIRES, PREMIER FACTEUR DE SOUTIEN AUX ARMÉES

A. UNE TRAJECTOIRE D'EFFECTIFS REPARTIE DANS LE BON SENS

1. Une ambition de recrutement réalignée avec les objectifs de la LPM

Les dépenses inscrites pour 2026 sur le P 212 s'élèvent à 25,8 Md€ en autorisations d'engagement, en hausse de plus d'un milliard d'euros, ou 4,6 %, et 25,6 Md€ en crédits de paiement, en hausse de 3 %. Ce sont à 92 % des dépenses de personnel. Celles-ci s'élèvent en effet à 23,8 Md€, en hausse de 660 M€ par rapport à la LFI pour 2025.

Ces dépenses de personnel servent d'abord à assurer la remontée en puissance de notre format d'armée. Pour rappel, les schémas d'emplois fortement négatifs réalisés entre 2021 et 2023 avaient creusé, en trois ans, un écart de 6 300 unités entre les cibles de recrutement et les effectifs réels. Depuis 2024, la situation s'est améliorée : en 2024, le schéma d'emplois de 400 ETP dans le périmètre de la LPM, était encore trois cents unités en-deçà de l'objectif mais a été dépassé en exécution ; en 2025, le schéma d'emplois prévu en LFI ne s'écartait plus de la cible fixée en LPM que de 10 %, et devrait être réalisé également.

Programmation et exécution des schémas d'emplois de la mission Défense

Source : commission, d'après les documents budgétaires.

Il reste que le retard accumulé ces dernières années a maintenu un écart important entre les objectifs fixés et les effectifs des armées en valeur absolue. Ainsi que le relève la Cour des comptes, les effectifs arrêtés en fin de gestion 2024 se situent encore 5 097 unités en-deçà du plafond autorisé en loi de finances. La consommation de l'enveloppe de titre 2, chaque année, pour des mesures d'attractivité lorsque le schéma d'emplois n'est pas atteint, limite de toute façon la capacité du ministère à rattraper la courbe des effectifs.

Évolution des effectifs du ministère des armées en ETP

Source : Cour des comptes, analyse de l'exécution budgétaire 2024 de la mission « Défense », avril 2025, p. 60.

Le plafond des emplois autorisés pour 2026 s'élève à 272 279 ETPT, ce qui repose sur un schéma d'emplois prévoyant 834 ETP supplémentaires. L'année 2026 serait ainsi la première pour laquelle la programmation des effectifs en loi de finances initiale correspondrait à celle de la loi de programmation. Le ministère prévoit qu'environ 400 ETP supplémentaires seront consacrés aux forces armées et à leurs soutiens, environ 240 ETP seront dédiés au développement de l'intelligence artificielle et à la transformation numérique, une centaine d'ETP renforceront le renseignement et la cyberdéfense et environ 60 créations de postes interviendront dans le domaine de l'accompagnement du réarmement.

Le fléchage au sein des domaines d'emplois répondant aux orientations ministérielles et, qui ne correspondent pas forcément exactement aux axes capacitaires mentionnés dans le rapport annexé à la LPM, fait apparaître la répartition qui suit. En 2024, 78 % des postes créés au titre des domaines prioritaires identifiés par le ministère avaient été armés effectivement, ce qui est comparable aux tendances des années passées sous la précédente LPM.

Postes fléchés dans les domaines prioritaires

 

2024

2025

 

Postes créés

Postes armés

Postes créés

Soutiens

51

36

80

Cyberdéfense

73

54

59

Renseignement

93

86

74

Transformation numérique

47

31

58

Nouveaux espaces de conflictualité

34

25

55

Formation élèves

27

27

30

Infrastructures

3

3

3

Maîtrise d'oeuvre systèmes de défense, renforcement maîtrise d'ouvrage

37

20

30

Dissuasion nucléaires

15

14

14

Total

380

296

403

Source : Documents budgétaires.

Les rapporteurs regrettent toutefois, cette année encore, l'opacité des documents budgétaires en matière de suivi des effectifs et rejoignent la Cour des comptes, qui estimait au printemps dernier que « La lisibilité des sous-jacents de l'exécution budgétaire de la mission gagnerait à ce que le ministère des armées détaille, dans ses publications budgétaires, la trajectoire complète de ses effectifs et distingue d'une part l'effectivité des créations de poste décidées en LPM, et d'autre part la question du renouvellement du personnel géré en flux (en particulier les militaires du rang des armées) »1(*).

En toute hypothèse, la surmarche budgétaire de 3,5 milliards d'euros ne concerne donc pas le volet ressources humaines du budget de la défense.

Si la LPM doit être actualisée et l'effort poursuivi afin de garantir la remontée en puissance des armées en matière capacitaire, le volet « condition militaire » ne devra pas être ignoré.

2. Une politique d'attractivité qui affiche de premiers résultats

La bonne dynamique retrouvée dans l'exécution des schémas d'emplois atteste en tout cas des premiers résultats obtenus par la politique d'attractivité du ministère. En matière de recrutement, l'armée de Terre a misé, pour le pourvoi des postes dans les familles professionnelles en tension - renseignement, maintenance, systèmes d'information - sur des campagnes de recrutement ciblées ; l'armée de l'air et de l'espace a modernisé ses processus par le développement du e-CIRFA, l'amélioration des portails de communication et des partenariats avec des influenceurs. Les niveaux de sélectivité restent corrects.

Taux de sélection des militaires du rang

 

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

Terre

1,18

1,03

1,42

1,12

0,9

0,89

1,03

Air et espace

1,9

1,3

1,2

1,3

1

1,6

1,5

Marine

0,98

0,95

0,89

1,32

1,22

1,33

1,26

Le plan de fidélisation présenté en mars 2024, après le lancement des chantiers indemnitaires et indiciaires, semble avoir produit des résultats. D'après les réponses fournies au questionnaire budgétaire, le taux de renouvellement des militaires du rang devrait atteindre en 2025 un niveau inédit depuis six ans, si l'on excepte la période covid, peu propice aux départs. Le ministère relève toutefois que les militaires du rang négocient de plus en plus leur contrat, et que le dynamisme retrouvé de l'économie suscite des désirs de reconversion.

Taux de renouvellement des primo-contrats de MDR dont le ministère souhaite le renouvellement

 

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

Terre

 

97%

99%

97%

97%

98%

n.c.

Air et espace

87%

87%

91%

90%

86%

87%

88%

Marine

88%

89%

90%

86%

82%

84%

n.c.

Taux de démission des MDR

 

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

Terre

0,24%

0,28%

0,39%

0,72%

0,44%

0,25%

n.c.

Air et espace

0,27%

0,34%

0,30%

0,61%

0,80%

0,63%

0,47%

Marine

0,88%

0,08%

0,09%

0,11%

0,10%

0,08%

19%

Taux de dénonciation des contrats de MDR en cours de période probatoire

 

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

Terre

31%

33%

34%

32%

31%

32%

32%

Air et espace

16 %

23%

34%

30%

35%

30%

n.c.

Marine

18%

21%

21%

19%

25%

16%

19%

Source : ministère des armées, réponse au questionnaire budgétaire.

Le seul indicateur dont la dynamique ne semble pas favorable est celui des désertions. D'après les réponses au questionnaire budgétaire, le nombre de procédures de désertion enregistrées par les juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire est passé de 1629 en 2022 à 1517 en 2021, 1509 en 2023, et 1928 en 2024.

Ces résultats sont certainement à mettre au compte des efforts financiers traduits par les réformes indemnitaires et indiciaires récentes. Ces chantiers appellent toutefois des observations nuancées. Il est d'abord indéniable que l'effort a été significatif sur le plan quantitatif puisque, nonobstant les variations dans l'exécution des schémas d'emplois, les crédits de titre 2 hors CAS pensions sont passées de 12,3 Mds€ en 2021 à 14,3 Mds€ en 2026, soit une augmentation de plus de 16 %.

En 2026, les mesures catégorielles représentent près de 85 M€. Parmi celles-ci figurent la revalorisation des grilles indiciaires des officiers des armées, pour 61,2 M€, la réforme des grands corps techniques appliquée aux ingénieurs de l'armement (2 M€), la dernière étape de l'évolution du paquet indemnitaire des personnels du service de santé des armées vers la NPRM (13,5 M€) et la poursuite de l'alignement de l'IFSE des filières techniques et administratives (4,4 M€).

La refonte des grilles indiciaires

L'article 7 de la loi de programmation militaire prévoit la révision des grilles indiciaires des militaires du rang avant la fin de l'année 2023, celles des sous-officiers et des militaires assimilés avant la fin de l'année 2024, et celles des officiers avant la fin de l'année 2025. Les premiers ont fait l'objet du décret du 30 octobre 20232(*), à effet au 1er novembre 2023. Les sous-officiers subalternes ont fait l'objet d'un second décret du 30 octobre 20233(*), applicable aux rémunérations versées à compter du mois d'octobre 2023. Le projet de nouvelle grille des sous-officiers supérieurs a été publié le 4 décembre 20244(*), pour une entrée en vigueur au 15 décembre.

La refonte de la grille indiciaire des officiers a fait l'objet du décret du 27 octobre 2025, pour une mise en oeuvre le 15 décembre 2025 et une mise en paiement sur les douze mois de 2026. Sa conception semble répondre globalement aux besoins exprimés par les armées, même si le caractère séquencé de la réforme sur plusieurs années rend forcément plus délicate la mise en cohérence des grilles des différentes catégories de personnel.

D'après les échanges des rapporteurs pour avis avec le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), tous les objectifs pourraient en outre n'avoir pas été atteints. Les revalorisations ont, d'abord, été en partie érodées par l'inflation et le relèvement du Smic, qui tend à rattraper les indices d'entrée de grille.

Ensuite, l'échelonnement indiciaire des capitaines n'a globalement pas été revalorisé, au motif qu'ils avaient bénéficié des mesures issues du protocole « Parcours Professionnels, Carrières et Rémunérations (PPCR) » de 2017. L'attractivité du statut d'officier en est amoindrie pour les sous-officiers supérieurs, la solde des majors pouvant rester égale ou supérieure à celle des capitaines alors que leurs responsabilités sont moindres, ce qui désincite fortement à la progression et à la prise de responsabilités nouvelles.

Le bilan de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) reste, lui, suspendu au rapport d'évaluation que l'article 7 de la loi de programmation militaire impose au Gouvernement de produire d'ici la fin 2026. L'enveloppe globale, de 450 M€ environ, n'est pas négligeable, mais la forfaitisation des primes, déterminées antérieurement à la période de forte inflation qu'a connue la France depuis 2021, et leur fiscalisation, ont entraîné une perte de pouvoir d'achat. Certaines indemnités sont en outre calculées en fonction du foyer fiscal, mais les couples de militaires ne perçoivent chacun que la moitié de l'indemnité d'état militaire, alors que les sujétions s'additionnent. Le gel, depuis 2002, du complément de l'indemnité d'état militaire, est encore parfois mal compris.

Enfin, l'intégration d'une partie des primes dans le calcul de la pension, qui devait initialement être intégrée au PLF pour 2025, est reportée sine die. C'est un motif de regret, car cette mesure était l'une des plus attendues du plan « Fidélisation 360 », et car le taux de remplacement des pensions militaires de retraite reste inférieur à celui des autres corps en uniforme.


* 1 Cour des comptes, évaluation de l'exécution budgétaire de la mission « Défense » pour 2024, avril 2025.

* 2 Décret n° 2023-1001 du 30 octobre 2023 modifiant diverses dispositions statutaires applicables à certains militaires engagés.

* 3 Décret n° 2023-1003 du 30 octobre 2023 modifiant l'échelonnement indiciaire applicable à certains militaires non officiers.

* 4 Décret n° 2024-1121 du 4 décembre 2024 modifiant l'échelonnement indiciaire applicable à certains militaires non officiers.

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