EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 26 novembre 2025, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Philippe Paul, vice-président, a procédé à l'examen des crédits de la mission « Défense » - programme 212 - Soutien de la politique de défense.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - Monsieur le président, Mes chers collègues,
Le programme 212 porte, comme vous le savez, les crédits de soutien aux forces armées, et notamment l'ensemble de la masse salariale.
Les dépenses inscrites pour 2026 sur le P 212 s'élèvent à 25,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement, en hausse de 4,6 %, et 25,6 milliards d'euros en crédits de paiement, en hausse de 3 %. Ce sont à 92 % des dépenses de personnel, lesquelles sont en hausse de 660 millions d'euros par rapport à la LFI pour 2025.
Ces dépenses de personnel servent d'abord à assurer la remontée en puissance de notre format d'armée.
Pour rappel, les schémas d'emplois fortement négatifs réalisés entre 2021 et 2023 avaient creusé, en trois ans, un écart de 6 300 unités entre les cibles de recrutement et les effectifs réels. Depuis 2024, la situation s'est améliorée : en 2024, le schéma d'emplois de 400 ETP dans le périmètre de la LPM, était encore trois cents unités en-deçà de l'objectif mais a été dépassé en exécution ; en 2025, le schéma d'emplois prévu en LFI ne s'écartait plus de la cible fixée en LPM que de 10 %, et devrait être réalisé lui aussi. Pour 2026, le schéma d'emplois prévoit 834 ETP supplémentaires. Ce sera la première fois que la programmation des effectifs en loi de finances correspondra à celle de la loi de programmation.
Ce point appelle encore deux observations. D'une part, la surmarche budgétaire de 3,5 milliards d'euros ne concerne hélas pas le volet « RH » du budget des armées.
D'autre part, le retard accumulé ces dernières années a maintenu un écart important entre les objectifs fixés et les effectifs des armées. Un des enjeux de l'actualisation de la LPM sera, on l'espère, un desserrement de l'enveloppe de titre 2 pour financer concomitamment une trajectoire réaliste ainsi que des mesures d'attractivité ambitieuses.
Sur ce dernier chapitre, il faut saluer les premiers résultats obtenus par les efforts du ministère.
En matière de recrutement, les procédures se numérisent et les campagnes ciblées permettent d'atteindre des résultats, de sorte que les niveaux de sélectivité ne se dégradent pas.
Les indicateurs de fidélisation attestent des résultats obtenus par le plan « Fidélisation 360 » présenté en mars 2024. Le taux de renouvellement des militaires du rang, par exemple, devrait atteindre en 2025 un niveau inédit depuis six ans.
Ces résultats sont certainement à mettre au compte des réformes indemnitaires et indiciaires récentes, qui appellent des observations globalement positives, mais nuancées. En 2026 encore, les mesures catégorielles représentent près de 85 millions d'euros. Parmi celles-ci figurent la revalorisation des grilles indiciaires des officiers, qui semble répondre aux attentes des militaires.
Toutefois, le caractère séquencé de la réforme sur plusieurs années rend forcément plus délicate la mise en cohérence des grilles des différentes catégories de personnel. L'échelonnement indiciaire des capitaines a semble-t-il été peu revalorisé, ce qui pourrait limiter les souhaits de progression des sous-officiers. Enfin, l'inflation et la progression du Smic rattrapent forcément plus vite que prévu les indices d'entrée de grille des militaires du rang.
Le bilan de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) reste, lui, suspendu au rapport d'évaluation que l'article 7 de la loi de programmation militaire impose au Gouvernement de produire d'ici la fin 2026 mais la fiscalisation de certaines primes et l'inflation en ont forcément limité les ambitions, qui étaient de combler le retard de pouvoir d'achat des militaires relativement aux autres cadres civils et militaires.
L'intégration d'une partie des primes dans le calcul de la pension (qui devait initialement être intégrée au PLF pour 2025...) est encore reportée.
Les crédits finançant les infrastructures liées aux conditions de vie et de travail des personnels et des familles augmentent de 490 millions d'euros en autorisation d'engagement. La réalisation des infrastructures de défense absorbe 281 M€ de cette enveloppe supplémentaire en engagement, dont fait partie le plan Hébergement. L'état des infrastructures progresse doucement.
Sur le terrain toutefois, le ressenti des militaires peut encore se trouver en décalage avec les efforts consentis. C'est vrai pour les infrastructures comme pour le petit matériel.
En matière de logement, l'année à venir s'annonce compliquée. Le parc devrait se réduire du fait des rénovations prévues au plan « Ambition logement » : sur les 8 000 logements domaniaux confiés en gestion au prestataire Nové, 2 500 connaîtront des chantiers, ce qui imposera de reloger les occupants. La refonte de l'instruction ministérielle relative aux conditions d'attribution et d'occupation des logements, annoncée pour le printemps, et attendue par les militaires, a par ailleurs été reportée.
S'agissant de l'accompagnement offert aux familles de militaires faisant l'objet d'une mutation, il reste quelques irritants, comme l'accompagnement professionnel des conjoints, ou encore la prise en charge des frais de garde-meuble pour les militaires mutés hors métropole, mais le service rendu s'améliore.
Sur un plan plus général, le Conseil supérieur de la fonction militaire salue l'amélioration du dialogue avec le ministère mais regrette que, depuis deux ans, ses séances plénières ne se soient pas tenues en présence du ministre des Armées accompagné de l'ensemble des grands chefs militaires, comme le prévoit le code de la défense.
Notre rapport dit encore un mot de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les armées, qui a fait l'objet d'un rapport d'inspection et d'un plan d'action ambitieux en 2024, et qui semble très largement mis en oeuvre.
Enfin, le P212 porte les crédits nécessaires à l'élaboration et au maintien des systèmes d'information d'administration et de gestion, qui s'élèvent à environ 175 millions d'euros en autorisation d'engagement. Je n'en citerai que deux, dont dépend pour une grande part la modernisation de notre outil de défense : d'une part, le système ROC pour accompagner la réserve opérationnelle ; d'autre part le système DEFENSE+, destiné à faciliter le recrutement à partir du passage en journée défense et citoyenneté de 800 000 jeunes chaque année. Mme Carlotti vous en parlera plus en détail. Je vous propose de donner un avis favorable
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - En cas d'affrontement majeur, les 200 000 militaires ne pourront seuls défendre le pays. Face aux dangers qui nous guettent, nos armées ont besoin de s'étoffer. Il faut donner de la masse combattante, disent les états-majors. Car à la dégradation du contexte international s'ajoute la démographie et la baisse des naissances - les cohortes annuelles sont passées d'environ 828 000 en 2010 à 663 000 en 2025. Le contexte exige donc de réorganiser notre outil de défense, de nous orienter vers la construction d'une armée hybride, d'une armée nouvelle, avec d'abord une armée de métier au statut conforté, des réservistes beaucoup mieux intégrés et une cohésion nationale à renforcer. Bref, c'est de l'armée de la Nation que nous parlons désormais.
M. Grand a rappelé les mesures de soutien aux armées prises de façon volontariste et avec l'accompagnement assidu de notre commission.
Je m'attacherai à la nécessaire montée en puissance de la cohésion nationale. Le premier instrument en est le renforcement de la réserve opérationnelle. La doctrine d'emploi des réservistes a été clarifiée ; ils sont, davantage que par le passé, partie prenante de nos armées, leurs missions sont de mieux en mieux ciblées. C'est tout le sens de la construction d'une armée hybride. Je rappelle que l'objectif fixé par la loi de programmation militaire est de doubler les effectifs, qui doivent atteindre 80 000 en 2030.
En 2025, les objectifs de recrutement ont été dépassés dès le mois d'octobre, avec 48 595 réservistes opérationnels pour un objectif annuel fixé à 47 600. Les crédits de masse salariale destinés aux réservistes, qui affichaient environ 220 millions d'euros en 2025, seront fortement revalorisés en 2026, à presque 319 millions d'euros.
De meilleures pratiques de gestion ont par ailleurs été mises en oeuvre. Le parcours de recrutement des réservistes a été fluidifié grâce à la poursuite des travaux de fiabilisation du système d'information « ROC », qui coûte 14 millions d'euros. Les processus administratifs ont également été simplifiés : depuis le début de l'année 2025, l'objectif d'un délai moyen de paiement inférieur à 60 jours est tenu. Les défraiements liés aux convocations sont en outre rendus plus aisés. Le système ROC permet par exemple d'acheter les billets de train pour se rendre à une convocation sans avoir à avancer le coût du billet.
L'âge moyen des réservistes diminue, passant de 42 à 40 ans entre 2023 et 2024. Les armées se fixent pour objectif de créer une force de réserve jeune et opérationnelle, en faisant un effort sur les recrutements de personnes sans expérience militaire.
Renforcer la résilience de la société exige encore de développer l'esprit de défense chez les jeunes. L'année 2025 a ainsi été celle de la réforme de la Journée Défense et Citoyenneté (JDC). Depuis septembre, mais l'an prochain en outre-mer, les jeunes Français participent à une JDC plus immersive, davantage tournée vers le recrutement potentiel, qui s'approche de l'expérience quotidienne du militaire : levée des couleurs, déjeuner d'une ration de combat, tir sportif laser, jeux de simulation stratégique nommant explicitement nos adversaires - Russie, Iran, groupes djihadistes...
Le système d'information Defense+, financé par le P212, trouve ici son utilité : établir un lien durable entre le ministère des armées et la jeunesse. C'est un canal de communication pour les informations utiles à la défense, le support d'un Passeport Défense délivré aux jeunes, mais aussi, du point de vue du ministère, une base de données utiles pour solliciter, le moment venu, les compétences nécessitées par la défense nationale.
Une remarque encore à ce propos : les crédits alloués à la Direction du service national et de la jeunesse (DSNJ) relèvent du programme 169 : sans doute faudrait-il songer, à l'avenir, à nous en saisir pour avis, comme le fait la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale.
Dans un climat de tensions mondiales, nous devons convaincre nos concitoyens de rompre avec l'idée selon laquelle la guerre s'est éloignée et qu'elle ne nous concernerait plus. Il nous faut nous interroger sur la gestion des crises et la préparation de la population à un potentiel conflit. Les armées ont besoin à cet égard du soutien de la Nation. Ce besoin d'unité face à une menace potentielle, c'est la cohésion nationale. Elle reste à construire par un dialogue entretenu entre les armées et la société civile.
C'est pourquoi l'état-major des armées lancera bientôt un cycle d'informations et d'échanges avec différents milieux de la société civile vus comme autant d'interfaces avec la population : milieux académique, économique, culturel et sportif, associatif, ou relatif au monde combattant. Le chemin est étroit entre une mise en garde nécessaire et des propos très alarmistes, nous l'avons vu... La polémique née des propos du chef d'état-major des armées en montre la difficulté.
Les armées sont à la recherche de relais territoriaux, et d'une relation plus serrée avec les correspondants Défense, qui sont des conseillers municipaux et parfois des maires. La convention signée en septembre 2025 par l'armée de terre et l'Association des maires de France participe de cette logique. Cette stratégie de l'aller-vers doit commencer par un débat au Parlement.
Enfin, comment susciter cet esprit de défense auprès de la jeunesse ? Nos voisins en débattent. Certains ont tranché en faveur d'un service militaire volontaire : en Belgique, en Allemagne, en Suède, par exemple. Le Bundestag devrait le voter en décembre. Là-bas, c'est le Parlement qui s'en empare... Chez nous, le Président de la République devrait faire des annonces prochainement, et nous ne sommes hélas pas parvenue à obtenir beaucoup de détail sur le contenu du dispositif. C'est d'ailleurs un motif de perplexité : tenir le Parlement à l'écart de la réflexion, sur un sujet si important, n'est pas acceptable, et d'autant moins justifié que nous sommes en plein débat budgétaire.
Le financement du dispositif est un sujet. Dans une note de mai 2025, le Haut commissariat au plan a chiffré le coût d'un service militaire volontaire pour 70 000 personnes par an à environ 1,7 milliard d'euros par an, hors coût des structures nouvelles d'accueil et d'hébergement. La LPM ayant été conçue en excluant le coût d'une extension du « service national universel », il faudra trouver un financement ad hoc.
Il nous semble qu'en toute hypothèse, un tel dispositif ne devrait pas peser sur l'effort consenti en faveur de la qualité du soutien apporté aux militaires en activité et l'amélioration des infrastructures affectées aux unités d'active. Nous y serons attentifs.
Nous vous proposons de donner un avis favorable aux crédits du programme 212 de la mission « Défense ». Nous les voterons certes un peu à l'aveugle, ne sachant pas exactement en quoi consistera le service militaire volontaire. Il nous faut cependant soutenir nos armées, et nous aurons bientôt un débat sur ses attendus et son financement.
M. Philippe Folliot. - Mme Carlotti a en partie répondu à la question que j'allais poser sur le financement du service militaire volontaire. Je partage votre sentiment : il semble lunaire qu'une telle décision, aussi importante pour l'avenir de nos forces et le lien armées-Nation, soit prise par le seul Président sans aucune concertation ni aucun échange avec les représentants de la Nation que sont les parlementaires.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - Rappelons que Jacques Chirac n'avait pas non plus convoqué le Parlement pour lui faire adopter la suspension du service national. C'est, en quelque sorte, dans la logique de la Ve République.
Une remarque encore : nous serons vigilants sur la rémunération des volontaires. Le projet du Gouvernement devrait, semble-t-il, proposer une solde d'environ 1 000 euros brut, tandis que les Allemands en offriront 2 600. Il faudrait trouver un juste milieu...
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je voudrais rappeler que parmi nos trois millions de compatriotes à l'étranger se trouvent de nombreux jeunes tenus de faire leur JDC mais que l'on convoque parfois à Perpignan alors qu'ils habitent à Sydney... Voilà des années que nous encourageons au dialogue entre les armées et les services consulaires, lesquels pourraient très bien organiser ces journées - ils l'ont déjà fait, d'ailleurs.
Mme Gisèle Jourda. - Nous avions voté un amendement à l'article 29 de la LPM introduisant une disposition à l'article L. 4231-1 du code de la défense, qui soumet à l'obligation de disponibilité les volontaires pendant la durée de validité de leur engagement dans la réserve opérationnelle et dans la limite de cinq ans à compter de la fin de leur engagement, pour ceux qui en formulent la demande. Savez-vous si ce dispositif a porté ses fruits ?
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - Le général commandant la division cohésion nationale de l'état-major des armées nous a surtout dit sa satisfaction devant le nombre de jeunes engagés dans la réserve.
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - La disponibilité des réservistes se heurte surtout à la bonne volonté des employeurs, et les choses sont d'autant plus difficiles dans les petites entreprises. Les états-majors sont surtout soucieux d'orienter les jeunes vers un véritable engagement de défense.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 212.