B. UNE NÉCESSITÉ DE RENFORCER LE LIEN ARMÉES-NATION POUR LA RÉSILIENCE COLLECTIVE

1. Les armées et la société

La situation internationale impose de faire comprendre à la société qu'il lui faut rompre avec l'idée que la guerre ne la concerne pas.

L'état-major des armées se considère à juste titre comme un contributeur important au renforcement de la cohésion nationale, et poursuit l'objectif d'en convaincre ses interlocuteurs. Un cycle d'informations et d'échanges sera entamé dès l'automne 2025 avec différents milieux de la société civile identifiés comme autant d'interfaces avec la population : milieux académique, économique, culturel et sportif, associatif, ou relatif au monde combattant. La première séquence, à la fin novembre, est consacrée au monde combattant.

Les armées sont par ailleurs à la recherche de relais territoriaux. Les correspondants Défense, qui sont des conseillers municipaux et parfois des maires, pourraient être activés plus régulièrement et mobilisés pour amplifier les messages et les actions vers leurs concitoyens. La convention signée en septembre 2025 par l'armée de Terre et l'Association des maires de France participe de cette logique. Les armées ont en outre mis en place en 2025 un processus de labellisation d'actions et de projets, proposés par les unités militaires, susceptibles de contribuer localement au resserrement des liens entre les mondes civils et militaires : immersions, journées portes ouvertes au profit de jeunes au sein d'unités, séquences d'informations, compétitions sportives, événements mémoriels...

Enfin, les armées entretiennent depuis 1988 un partenariat structurant avec le monde économique via leur principale représentation syndicale (MEDEF) qui permet de dialoguer avec près de 70% de la représentation des entreprises de France. Ce partenariat porte sur la réserve, l'acculturation réciproque, la reconversion professionnelle, l'accompagnement des blessés, ainsi que la souveraineté économique. Les activités organisées sur l'année 2024-2025 ont permis de mobiliser près de 1500 acteurs de ces deux mondes.

2. Les armées et la jeunesse

La construction d'une « armée nouvelle », plus hybride, exige encore d'insuffler à la jeunesse un véritable esprit de défense.

L'année 2025 a été celle de la refonte de la Journée Défense et Citoyenneté (JDC). Les crédits alloués à la DSNJ au titre de la JDC relèvent du programme 169, ce qui justifierait que la commission s'en saisisse pour avis. Le développement de la JDC a ainsi porté l'enveloppe budgétaire qui lui est consacré de 22,7 M€ en 2024 à 37,6 M€ au PLF pour 2026, pour un coût de la journée qui devrait atteindre 175€ par jeune à terme, contre environ 120 aujourd'hui.

La réforme vise à rendre la journée plus immersive, davantage tournée vers le recrutement potentiel, en s'approchant de l'expérience quotidienne du militaire. À la cérémonie de lever des couleurs et à La Marseillaise fait suite une lecture de la charte des droits et devoirs du citoyen français. Puis des activités pratiques sont organisées : tir sportif laser, jeux de stratégie autour de scénario de crise désignant explicitement les adversaires de la France - groupes djihadistes, Russie, Iran, Corée du Nord... -, repas autour d'une ration de combat, expérience des métiers militaires en réalité virtuelle, etc.

Le système d'information DEFENSE+, financé par le P 212, vise à d'établir à cette occasion un lien durable entre le ministère des armées et la jeunesse. Il remplacera les systèmes existants traitant les données du recensement et de la JDC pour plus de 800 000 jeunes par an, élargira leur périmètre et leur ajoutera une interface mobile et des appariements avec d'autres bases de données ministérielles. À terme, son objectif est de fournir :

- aux jeunes, un lien numérique durable avec les forces armées en les dotant d'un canal d'information sur les métiers et l'actualité de la défense, ainsi que d'un passeport défense individuel contenant des données obligatoires collectées lors du recensement, de la JDC, et mises à jour régulièrement jusqu'à 25 ans, enrichi de données individuelles qualitatives afin de disposer des informations nécessaires pour solliciter chacun en fonction de son profil et des besoins de la défense nationale, et qui pourra être complété par les usagers eux-mêmes dans le cadre de leur engagement citoyen civil comme militaire, et dont ils pourront se prévaloir professionnellement ;

- à la DSNJ, un entrepôt de données central ouvert, un système d'organisation de la JDC et d'un éventuel rétablissement de l'appel sous les drapeaux, et, à compter de 2028, un portail numérique accessible aux administrés et aux 35 000 mairies ;

- aux états-majors, directions et services et unités du ministère des armées qui participent à la JDC, un bouquet de services et de supports documentaires leur permettant de planifier leur participation, et à tous les services de recrutement du ministère, de quoi accéder aux données utiles des administrés ;

- aux mairies, un accès au portail recensement ;

- aux partenaires de l'insertion, les données utiles des administrés en situation de décrochage au moment de leur passage en JDC.

Une première version de l'application mobile DEFENSE+ sera mise à la disposition des jeunes courant novembre 2025. Les premiers Passeport Défense seront constitués en 2026.

La DSNJ assure le pilotage d'autres dispositifs à l'attention de la jeunesse : cadets de la défense, cordées de la réussite, contrats armées-jeunesse, ou encore les classes de défense. Le nombre de ces dernières a progressé de 168% entre 2021 et 2025, pour atteindre 1 077 classes, dont six dans le réseau de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger, dans près de 800 établissements, impliquant un total de plus de 27 000 élèves.

3. La nécessité d'une nouvelle forme d'engagement militaire

Eu égard à la dégradation du contexte international, ainsi qu'en raison de la diminution tendancielle de la natalité, qui a porté la taille des cohortes annuelle de 828 000 en 2010 à 663 000 en 2025, la Revue nationale stratégique actualisée à l'été 2025 estimait qu'« Il devient nécessaire que la Nation tout entière se tourne à nouveau vers sa défense et sa sécurité. Il s'agit notamment de renforcer la cohésion nationale et de créer un réservoir de personnes mobilisables en cas de crise. À ce titre, un service militaire volontaire rénové pourrait être créé pour proposer aux Français majeurs de recevoir une formation militaire socle pouvant déboucher sur un engagement »10(*). Le Premier ministre a en conséquence annoncé le 19 septembre dernier la « mise en extinction du SNU et [la] création prochaine du service militaire volontaire (SMV) ».

Les rapporteurs pour avis ne sont cependant pas parvenus à obtenir du ministère ni de l'état-major des armées d'indications précises sur les contours du dispositif envisagé. Le maintien du Parlement à l'écart de la réflexion en période de débat budgétaire n'est d'ailleurs pas sans poser quelques questions de principe et d'acceptabilité sociale.

Dans une note de mai 2025, le Haut commissariat au plan esquissait plusieurs scénarios. Le troisième consiste en un service militaire volontaire, dont le coût est chiffré, à partir de l'hypothèse de 70 000 volontaires par an et d'un coût comparable à celui du SMA et du SMV existant, à « environ 1,7 milliard d'euros par an, hors coût des structures nouvelles d'accueil et d'hébergement »11(*). La loi de programmation militaire 2024-2030 excluant explicitement le financement d'une extension du service national universel de son périmètre, la mise en place d'un service militaire volontaire exigera par conséquence un financement ad hoc. Le Haut commissariat au plan relève accessoirement qu'il « peut offrir aussi des opportunités d'insertion professionnelle, à l'instar du SMA et du SMV, ce qui pourrait le rendre éligible à des financements européens ».

Les rapporteurs pour avis seront attentifs à ce qu'en toute hypothèse, l'introduction du service militaire volontaire ne fragilise pas les effectifs déjà engagés au sein des armées, la priorité devant rester la préservation de la disponibilité opérationnelle et la qualité du soutien apporté aux militaires en activité, via les dépenses d'infrastructures et les moyens financiers affectés aux unités d'active. Nombre de nos voisins en Europe ont déjà entamé cette réflexion, ou l'ont déjà achevée.

Le rétablissement du service militaire en Europe

À la mi-novembre 2025, les partis de la coalition au pouvoir en Allemagne se sont accordés sur les grandes lignes du projet de loi sur lequel le Bundestag se prononcera en décembre, instituant un service militaire volontaire. Le Gouvernement poursuit l'objectif d'une armée de 260 000 soldats d'ici 2035, dans un contexte de diminution des effectifs qui n'a pour l'heure pas été enrayée puisque la Bundeswehr est passée de 181 540 à 181 200 hommes et femmes entre 2023 et 202412(*). L'objectif du texte est de recruter 20 000 nouveaux volontaires d'ici 2026.

Tous les hommes de 18 ans devront, dès 2026, remplir une « déclaration de volontariat » et répondre à des questions sur leur forme physique et leur éventuelle volonté de servir dans les forces armées, que les femmes peuvent toutefois choisir de remplir aussi13(*). Le texte oblige toutefois une les hommes de 18 ans, à partir de juillet 2027 - soit environ 300 000 par an -, à se soumettre à une évaluation physique destinée à examiner leur aptitude au service. Les nouveaux volontaires recevront 2 600 € bruts par mois et une subvention pour le financement du permis de conduire. Le ministère de la Défense tâche à présent d'identifier les infrastructures nécessaires.

Ailleurs en Europe, le service volontaire vient d'être instauré pour les femmes en Lettonie et en Croatie, et d'autres pays cherchent à élargir leur vivier de réservistes, comme la Pologne, l'Estonie, ou la Norvège. Le ministère de la Défense belge vient d'envoyer près de 150 000 lettres aux jeunes Belges les invitant à participer à un service volontaire d'un an.

Le mercredi 26 novembre 2025, sous la présidence de M. Philippe Paul, vice-président, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 212 de la mission défense dans le projet de loi de finances pour 2026.


* 10 Revue nationale stratégique, point 201, 14 juillet 2025.

* 11 Haut commissariat au plan, « Service national : construire un nouveau modèle français (et européen) », Note flash n° 1, mai 2025.

* 12 D'après le rapport 2025 du Commissaire parlementaire aux forces armées.

* 13 L'article 12 a) de la Loi fondamentale allemande ne fait peser la possibilité d'être obligé de servir dans les forces armées que sur les hommes.

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