II. CONSTRUIRE UNE ARMÉE NOUVELLE
Nos 200 000 militaires ne peuvent soutenir seuls un engagement de haute intensité. Plus qu'un renforcement ponctuel des professionnels par des civils, c'est un nouveau système de défense qu'il faut construire, reposant sur une armée hybride et un esprit de défense partagé.
A. LA MONTÉE EN PUISSANCE DE LA RÉSERVE OPÉRATIONNELLE
1. Des objectifs de recrutement dans la réserve pour l'instant tenus
La réserve opérationnelle se décompose en une réserve opérationnelle de premier niveau (RO1), dite d'engagement, qui contribue à la réalisation du contrat opérationnel des armées dans les mêmes conditions d'emploi et de statut que les militaires d'active, et une réserve opérationnelle de second niveau (RO2), ou de disponibilité, constituée de tous les anciens militaires d'active soumis à une obligation de disponibilité cinq ans après leur départ des forces, et des anciens réservistes opérationnels de premier niveau dans la limite de cinq ans à compter de la fin de leur engagement pour ceux qui en ont formulé la demande.
L'article 7 de la loi de programmation militaire a fixé un objectif ambitieux d'augmentation des effectifs de volontaires de la réserve opérationnelle RO1, « portés à 80 000 en 2030 puis à 105 000 au plus tard en 2035 pour atteindre l'objectif, y compris en outre-mer, d'un pour deux militaires d'active ».
Calendrier d'augmentation des effectifs de la réserve opérationnelle fixé en LPM
|
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
Total |
|
|
Cibles d'augmentation nette des effectifs |
3 800 |
3 800 |
4 400 |
5 500 |
6 500 |
7 500 |
8 500 |
40 000 |
Source : Article 7 de la LPM 2024-2030.
Après un creux dans la dynamique de recrutement consécutif à la pandémie de covid, la tendance est repartie à la hausse en 2023 et, en 2025, les objectifs de recrutement ont été dépassés dès le mois d'octobre, avec 48 595 réservistes opérationnels pour un objectif annuel fixé à 47 600.
Effectifs de la réserve opérationnelle RO1 (au 31/10/2025)
Source : commission, d'après les réponses au questionnaire budgétaire.
Pour mémoire, la LPM avait donné une nouvelle impulsion aux réserves : augmentation de la limite d'âge, fixée pour tous les réservistes à 72 ans, possibilité donnée aux militaires d'active de souscrire un engagement à servir dans la réserve dans un nombre plus grand de positions de non-activité, assouplissement des règles de détermination des critères d'aptitude, facultés d'avancement pour les réservistes spécialistes, élargissement des possibilités d'affectation et d'emploi, possibilité d'exercer des missions à l'étranger, facilitation des convocations, etc.
Les crédits de masse salariale destinés aux réservistes, qui affichaient 220,5 M€ en 2025, seront fortement revalorisés en 2026, à hauteur de 318,8 M€. Conformément aux recommandations du Haut comité d'évaluation de la condition militaire9(*), l'ensemble du budget de titre 2 consacré à la réserve est désormais distribué en début d'année, et des points de gestion sont conduits chaque trimestre pour piloter la ressource, afin de limiter la tentation de faire de cette enveloppe une variable d'ajustement en cours d'année.
Dépenses de masse salariale destinée aux réservistes en loi de finances (en M€)
Source : commission, d'après les documents budgétaires.
2. Une modernisation de la gestion des réserves à encourager
Le parcours de recrutement des réservistes a été fluidifié grâce à la poursuite des travaux de fiabilisation du SI ROC, pilotée par une direction de projet interne, dont une nouvelle version est mise en production tous les trimestres. Celui-ci a par ailleurs été simplifié par la réduction et l'uniformisation, au niveau interarmées, des pièces justificatives exigées pour la signature de l'engagement à servir, et la redéfinition des postes permettant les plus sédentaires, donc moins exigeants sur le plan physique, ce qui permet de réduire la part des candidatures rejetées pour inaptitude médicale. Les nouveaux critères d'évaluation médicale permettent par ailleurs de recruter plus et mieux, et la prise de rendez-vous par le SI ROC sera possible en 2026.
Les processus administratifs ont également été simplifiés. Les délais de versement de la solde ont bénéficié de travaux du centre interarmées du soutien solde et administration du personnel : le délai moyen de paiement est passé de 90 jours en 2022 à 78 jours en 2023, puis à 69 jours en 2024. Depuis le début de l'année 2025, l'objectif d'un délai moyen de paiement inférieur à 60 jours est tenu. Les défraiements liés aux convocations ont bénéficié de travaux du centre interarmées du soutien à la mobilité : désormais, ces frais, remboursés dès le premier euro, ne sont payés qu'à partir du seuil de 50 euros, à défaut au bout d'un trimestre, ce qui a permis de réduire de plusieurs milliers le nombre de dossiers de remboursement et le délai de traitement. Le SI ROC permet en outre d'acheter les billets de train pour se rendre à une convocation sans avoir à avancer le coût du billet.
Les armées se fixent pour objectif de créer une force de réserve jeune et opérationnelle, en faisant un effort sur les recrutements de personnes sans expérience militaire. Ces « ab initio » représentaient 67% des recrutements en 2024, contre 65% en 2023. L'âge moyen des réservistes RO1 diminue, passant de 42 à 40 ans entre 2023 et 2024. En 2024, les réservistes opérationnels ont réalisé 1 557 178 jours d'activité sur l'année pour une moyenne de 35 jours d'activité par réserviste, ce qui est assez nettement supérieur à la moyenne des années précédentes.
La difficulté à attirer les salariés ne s'est toutefois pas complètement résorbée. Malgré les mesures de la LPM, augmentant le nombre de jours de disponibilité pour lesquels l'employeur peut libérer son personnel, les remontées terrain font état de nombreuses convocations de réservistes sur des jours de vacances. L'équipement des réservistes est encore souvent insuffisant ; si l'effort budgétaire de l'an prochain devait achever de donner aux armées les moyens de convoquer, entraîner et payer sans difficulté les réservistes, la dotation en matériel identique à celui des soldats d'active devrait être effective en fin de programmation seulement.
Il n'en reste pas moins que la création d'une armée commune entre militaires d'active et réservistes - ces « soldats à temps partiel » (général Pierre Schill) - progresse, comme en témoigne l'adaptation des doctrines d'emploi. La publication interarmées 4.14 sur la politique d'emploi des réserves a été amendée le 11 juillet 2025 pour tenir compte des évolutions liées au plan réserve 2030, publié en mai 2025. L'idée est de se doter de la masse nécessaire à un affrontement majeur en pensant très précocement l'intégration de la réserve aux unités d'active, selon les stades de défense (STADEF) définis récemment par le SGDSN. Trois objectifs en découlent : protéger le territoire, de densifier les chaînes de soutien interarmées, et de renforcer ou régénérer les forces engagées au combat.
- La réserve opérationnelle de l'armée de Terre repose sur trois viviers : les réservistes insérés dans les commandements et états-majors pour les besoins en compétences rares (cyber, MCO, génie, etc.), ceux servant au sein des brigades pour appuyer les missions opérationnelles, y compris en engagement majeur, et ceux dédiés à la protection du territoire national et à l'assistance aux populations ;
- La réserve de la Marine nationale assure la complétude des plans d'armement, le soutien des bases, arsenaux et écoles, ainsi que la protection des installations liées à la dissuasion. À partir du STADEF 3, elle soutient la mise en disponibilité accélérée de la flotte, la mobilisation industrielle de défense et les centres de rappel des réservistes. Structurée en flottilles maritimes, spécialisées et côtières, elle permet l'intégration progressive des réservistes et la génération d'escouades dédiées à la surveillance, la protection et l'appui aux opérations en métropole, outre-mer ou en mer ;
- Dans l'armée de l'air et de l'espace, les réservistes servent comme compléments individuels dans les bases et états-majors, comme spécialistes dans des domaines civilo-militaires, ou au sein d'unités constituées. Dès le STADEF 5, elle participe aux missions permanentes, à la posture de sûreté aérienne et au maintien en condition opérationnelle. À partir du STADEF 3, elle contribue à la protection des bases, à l'encadrement de la RO2 et à la constitution d'une base aérienne de réserve projetable.
* 9 HCECM, 18e rapport annuel, juillet 2024.

