EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2025
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M. Laurent Lafon, président. - Nous passons à l'examen du rapport pour avis de notre collègue François Patriat sur les crédits relatifs au Livre et aux industries culturelles.
M. François Patriat, rapporteur pour avis sur les crédits du Livre et des industries culturelles. - Quelques années après la crise sanitaire, les industries culturelles ont globalement rattrapé et même légèrement dépassé leur chiffre d'affaires d'avant la crise. Il reste que leur modèle économique a été sérieusement bousculé par une offensive sans précédent des plateformes numériques, sur laquelle je reviendrai.
Pour 2024, le chiffre d'affaires des différents secteurs culturels est stable par rapport à 2023 et progresse de 8 % par rapport à 2019, avant la crise. Toutefois, la situation est contrastée selon les secteurs.
Comme pour 2022 et 2023, trois secteurs enregistrent un recul de leur chiffre d'affaires par rapport à 2019 : de 18 % pour la presse, de 15 % pour la radio et de 3 % pour le cinéma.
En revanche, le chiffre d'affaires du secteur du livre reste stable à 10,4 milliards d'euros. Les ventes de livres numériques représentent environ 10 % de ce chiffre.
La vidéo se porte également très bien, avec un chiffre d'affaires en progression de près de 8 %, qui atteint 2,7 milliards d'euros. Les vidéos à la demande représentent désormais 93 % de ce marché dominé par les grandes plateformes américaines, notamment Netflix, suivie par Amazon Prime et Disney +.
Le chiffre d'affaires de la musique enregistrée et de l'édition musicale, porté par la musique en streaming, se porte plutôt bien et enregistre une croissance de 9 % par rapport à 2023, pour s'établir à 1,7 milliard d'euros.
En termes de chiffre d'affaires, le secteur le plus important reste celui du jeu vidéo. Toutefois, il baisse de 6 % par rapport à l'année précédente et atteint 5,7 milliards d'euros. Ce chiffre constitue tout de même la deuxième meilleure performance de son histoire et la baisse enregistrée s'explique surtout par le caractère exceptionnel du chiffre d'affaires de l'année 2023, qui avait connu une progression de 23 %.
En 2024, 38,3 millions de Français ont joué à un jeu vidéo, soit plus de 60 % de la population. Dans ce secteur, de grandes manoeuvres sont en cours à l'échelle mondiale. Les acteurs américains et chinois sont très actifs, et la France est très bien placée, grâce à quelques poids lourds, mais surtout à un écosystème très complet et à de nombreux talents.
J'en viens aux crédits du programme 334 « Livre et industries culturelles » inscrits au projet de loi de finances (PLF) pour 2026.
Participant à l'effort national de maîtrise des déficits, ces crédits sont en baisse de 2,11 %. La baisse est concentrée sur l'action n° 02 Industries culturelles, et plus précisément sur le Centre national de la musique (CNM) et le Centre national du livre (CNL) ; j'y reviendrai.
Concernant les interventions financées par ces crédits, j'évoquerai d'abord la Maison du dessin de presse, sur laquelle plusieurs d'entre vous avaient interrogé la ministre de la culture et dont les crédits avaient mystérieusement disparu du précédent PLF.
L'idée avait été émise en 2007 par Georges Wolinski, puis reprise par son épouse Maryse. Le 7 janvier 2020, le ministre de la culture Franck Riester avait annoncé la création d'une « maison du dessin de presse et du dessin satirique » à l'occasion des commémorations de l'attentat contre Charlie Hebdo. Le Président de la République avait annoncé une création pour 2026, mais le projet avait ensuite semblé s'enliser, peut-être pour des raisons sécuritaires. Le 28 novembre 2024, la ministre de la culture a confirmé l'ouverture en 2027 et le programme 334 comprend bien 7 millions d'euros fléchés vers ce projet, ce dont nous pouvons nous féliciter.
J'en viens aux grands enjeux budgétaires du programme et d'abord à la Bibliothèque nationale de France (BnF), dont le site François-Mitterrand a fêté cette année ses trente ans. Après des débuts difficiles, il est parvenu à assurer sa mission de démocratisation des savoirs et de la culture, avec une fréquentation toujours en hausse.
Cependant, nous revenons de loin. En 2000, nos anciens collègues Philippe Nachbar et Philippe Richert ont publié un rapport d'information qui s'ouvrait sur cette question : « Faut-il détruire les quatre tours de Tolbiac ? » En effet, les débuts de cet ensemble, qui a coûté 7,8 milliards de francs, ont été extrêmement chaotiques. Il s'agit d'un équipement hors normes dans tous les domaines.
Ainsi, son budget annuel doit s'élever à 248 millions d'euros en 2026, ce qui en fait le plus important des opérateurs du ministère. De plus, il aura accueilli 1,7 million de visiteurs en 2025, ce qui en fait l'une des bibliothèques les plus visitées au monde. Enfin, son fonds d'ouvrages compte 15 millions de livre et d'imprimés.
Or, le site François-Mitterrand est confronté à la fois à l'obsolescence de l'ensemble de ses équipements et à la dégradation de ses lots architecturaux. Une stratégie de maintenance assez élaborée a permis de reporter un grand nombre d'opérations d'entretien, mais celle-ci atteint ses limites, de l'éclairage aux ascenseurs, des toits au planchers. Le bâtiment constitue aussi un gouffre énergétique.
Le montant nécessaire pour mener à bien des travaux qui ne couvriraient que le remplacement progressif des équipements critiques a été chiffré par la BnF à 600 millions d'euros. Un plan stratégique d'investissement a donc été développé, dont la mise en oeuvre doit s'étendre sur une durée de quinze ans et qui nécessiterait, au cours des cinq prochaines années, environ 190 millions d'euros par an. Sans ces investissements, le taux de vétusté ne baissera pas de façon significative et pourrait conduire à la fermeture du site entre 2029 et 2032.
Parallèlement à ces travaux, la BnF doit mener de nombreux autres chantiers, tels que la mise en place du dépôt légal numérique prévu à l'article 5 de la loi visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs, dite Darcos, et la construction d'un nouveau centre de stockage à Amiens, pour lequel les travaux débuteront en 2026.
Or, le budget d'investissement de la BnF ne sera que de 35 millions d'euros en 2026. L'État demande donc à l'opérateur d'accroître ses recettes propres, mais celles-ci ne représentent que 6 % des recettes totales. Les leviers pour les développer ne sont pas nombreux, hormis le mécénat et la location du site Richelieu. Par ailleurs, 300 emplois ont été supprimés en dix ans, malgré une fréquentation en hausse, et les relations sociales au sein de l'institution sont assez tendues. Nous sommes donc confrontés à une situation difficile, qui impose de définir un plan de rénovation réaliste. Il s'agit d'un sujet important, à suivre avec attention au cours des prochaines années.
J'en viens au CNM, que nous voyons prendre sa place dans le monde de la musique, six ans après la promulgation de la loi d'origine parlementaire qui l'a créé.
Le CNM reçoit le produit de deux taxes affectées, qui représentent les deux tiers de ses ressources : la taxe sur les spectacles vivants et la taxe streaming. Cette dernière a été adoptée de haute lutte il y a deux ans, sur l'initiative du Sénat. Le rendement de cette taxe a d'abord été plus faible qu'attendu, en raison de la réticence de certains redevables à s'en acquitter. Toutefois, le CNM a prévu un rendement de 13 millions d'euros en 2025 qui devrait être dépassé, grâce à un travail conjoint mené avec Bercy, pour identifier les redevables qui ne s'acquittent toujours pas de leurs obligations.
Vous le savez, ces deux taxes sont plafonnées. Le plafond de la taxe sur les spectacles était de 50 millions d'euros et a été rehaussé l'année dernière à 53 millions d'euros. La taxe streaming est plafonnée à 18 millions d'euros.
Le PLF vise à opérer une sorte de bascule entre la dotation et les taxes. Ainsi, la dotation passera de 26,9 à 20 millions d'euros, ce qui représente une diminution de près de 7 millions d'euros, tandis que les plafonds des taxes passeraient respectivement à 58 et 21 millions d'euros, entraînant une augmentation de leur rendement de 8 millions d'euros au total. Cette opération permet un moindre écrêtement des recettes par l'État et donc un meilleur retour pour les secteurs soumis à ces taxes.
Certes, les deux sources de financement, taxes et subventions, ne constituent pas des vases communicants parfaits. Néanmoins, l'opération permettra de maintenir le volume global du budget du CNM, ce qui semble être l'essentiel.
Enfin, je voudrais évoquer le monde de l'édition et la problématique omniprésente de l'intelligence artificielle (IA).
Comme dans d'autres secteurs de la culture, les éditeurs sont très inquiets de l'usage qui est fait de l'IA générative. Ainsi, le Syndicat national de l'édition, la Société des gens de lettres et le Syndicat national des auteurs et des compositeurs ont saisi le tribunal judiciaire de Paris en mars 2025 contre Meta. Ils estiment que, pour améliorer son modèle d'IA générative Llama, l'entreprise de Mark Zuckerberg a utilisé une base de données contenant les textes de près de 200 000 livres, constituée au mépris du droit d'auteur.
Autre pratique douteuse : des plateformes mettent en vente des milliers de livres écrits par des IA, vendus très peu cher, en général accompagnés de milliers de bons commentaires sur lesquels on peut avoir des doutes. À titre d'exemple, 80 % des livres d'herboristerie seraient des faux livres. Le pire, c'est que ces livres atteignent des niveaux de vente respectables.
Troisième type de concurrence déloyale : internet regorge de contenus générés par des IA nourries d'ouvrages réels sur des sujets comme la cuisine ou le tourisme, qui dispensent les utilisateurs d'acheter des livres traitant de ces questions.
Pour mieux faire valoir leurs droits, les éditeurs et les auteurs auraient avant tout besoin que les plateformes soient plus transparentes sur les opérations menées par leurs IA.
Ce défi de l'IA générative ne concerne pas seulement l'édition. Dans le domaine de la musique enregistrée par exemple, Paul McCartney a annoncé il y a quinze jours la sortie d'un morceau silencieux sur un album muet, auquel participent de nombreux artistes célèbres pour dénoncer un projet portant sur l'IA, qui doit assouplir le droit d'auteur au Royaume-Uni.
Au niveau européen, la situation est évolutive. Ainsi, la semaine dernière, l'entrée en vigueur de certaines obligations du règlement (UE) 2024/1689 établissant des règles harmonisées concernant l'IA a été reportée à 2027. Par ailleurs, une révision de la directive sur le droit d'auteur et les droits voisins a été annoncée. Dans ce contexte, la démarche engagée par Laure Darcos, Agnès Evren, Pierre Ouzoulias et notre président pour rééquilibrer le rapport de force entre créateurs de contenus et acteurs de l'IA trouve toute sa pertinence.
En conclusion, les crédits budgétaires du programme 334 prévus pour 2026 me paraissent satisfaisants. En effet, un nécessaire effort de modération contribuera au rétablissement des finances publiques. De plus, il s'agit de prendre en compte les principaux défis du monde de la culture.
Les grands opérateurs du ministère seront en mesure de poursuivre leur rôle d'animation et de soutien de différents secteurs, pour lesquels le dynamisme des acteurs reste une clef en matière de pertinence et d'originalité de la création.
Parallèlement, le ministère de la culture continuera de mettre en oeuvre plusieurs initiatives pertinentes. Je pense notamment aux contrats départementaux de lecture, mis en oeuvre dans la ruralité, ou encore aux actions menées pour développer la lecture des plus jeunes, comme l'opération Ma première carte de bibliothèque et les États généraux de la lecture pour la jeunesse, organisés en lien avec le ministère de l'éducation nationale, dont les conclusions sont attendues prochainement.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, je propose de donner un avis favorable aux crédits du programme « Livres et industries culturelles » pour 2026.
Mme Sylvie Robert. - Je partage la quasi-totalité du constat du rapporteur, mais je n'ai pas la même interprétation quant aux impacts qu'auront les baisses de crédits, singulièrement sur le CNM.
Les crédits alloués au CNL vont diminuer, ce que je trouve dommage. Opérer une baisse sur un petit budget aura de plus forts retentissements que pour de grands opérateurs.
En ce qui concerne le CNM, il s'agit de mettre en place un système de vases communicants entre le rendement de la taxe, que certains amendements visent à rehausser, et la baisse du budget de fonctionnement de 7 millions d'euros. Pourtant, ces deux éléments ne sont pas du tout équivalents. Nous avons créé le CNM sur l'initiative de notre collègue Jean-Raymond Hugonet, en mettant en place une part de soutien de l'État pour le fonctionnement. Du côté des taxes, nous avons ajouté la taxe streaming il y a deux ans, pour qu'un certain nombre d'aides sélectives et automatiques puissent être distribuées à l'ensemble de l'écosystème musical, par l'intermédiaire des commissions. Dans les deux cas, les fléchages sont différents. L'idée que la baisse de crédits pourra être compensée par la hausse du rendement des taxes est dangereuse, pourrait créer des tensions au sein du CNM et modifier la nature de son fonctionnement. Ainsi, la taxe streaming n'est pas payée pour la musique classique et les acteurs des musiques actuelles n'accepteront pas de compenser la baisse de budget.
Enfin, le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) subira une nouvelle ponction de 50 millions d'euros sur sa trésorerie, après avoir subi une ponction de 500 millions d'euros cette année. Il absorbera, mais faisons attention.
Le CNC fait l'objet de fantasmes et est considéré par certains de nos collègues comme un opérateur disposant d'énormément d'argent. Ce n'est pas vrai. D'abord, le CNC est exclusivement financé par des ressources issues des taxes affectées et ne bénéficie d'aucune contribution de l'État.
En tant qu'administratrice de cet opérateur, je voudrais vous alerter : à un moment, celui-ci ne pourra plus remplir ses missions.
M. Jean-Gérard Paumier. - Représentant le Sénat au CNL, je voudrais évoquer le livre et la lecture.
Le budget de cet opérateur connaît une baisse de 4,3 millions d'euros, qui touche son fonds de roulement. Si cette diminution peut s'entendre, car il s'agit de concourir au nécessaire effort de redressement budgétaire, la méthode ne peut pas devenir une habitude, au risque de déséquilibrer gravement le CNL.
À l'heure où le rapport des Français à la lecture ne cesse de se dégrader, cette baisse pose question, d'autant plus que l'IA bouleverse les métiers de l'édition.
Au cours des douze derniers mois, la part occupée par la lecture quotidienne a atteint son niveau le plus bas depuis dix ans. Pire encore, 30 % des 16-19 ans déclarent ne pas lire et ne pas vouloir lire. De plus, 92 % des Français déclarent privilégier les activités en ligne plutôt que la lecture pendant leur temps libre.
L'augmentation exponentielle du temps passé derrière les écrans constitue l'une des raisons majeures de cet effondrement. Comme le souligne une étude du CNL, ce déséquilibre est encore plus prononcé chez les moins de 25 ans, qui passent en moyenne 35 heures par semaine sur leurs écrans. Les réseaux sociaux dévorent leur temps libre et empiètent sur la pratique de la lecture et du sport, donnant corps à l'expression « obésité mentale et physique », développée aux États-Unis.
Nous devons réfléchir à des solutions concrètes pour lutter contre ce désamour. Afin de relancer la lecture en France, je suggère de mener une mission de terrain dans quelques départements. Il s'agirait de dresser un inventaire précis de la situation et de la promotion de la lecture dans les collectivités et les établissements publics. Cette mission pourrait s'accompagner d'une campagne de promotion mobilisant les familles, les structures de la petite enfance et de la parentalité. Elle pourrait aussi mettre l'école au centre, de manière à dépasser le clivage entre lecture éducative et lecture récréative.
Permettez-moi une digression rapide sur le digital et le livre à l'école.
En 2017, la Suède a été pionnière en matière de digitalisation à l'école, au nom de l'égalité. La chute des résultats observée par le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) a conduit le gouvernement à revenir à un enseignement plus traditionnel. En 2024, la Suède a largement subventionné le retour des livres dans l'enseignement.
Pour résister face aux réseaux sociaux et analyser les mutations générées par l'IA, il faut envisager une évolution du cadre juridique. La technique suivra la loi, à condition que celle-ci soit claire. Il y va de la santé de nos enfants et de la langue française, tant la lecture contribue au développement de l'orthographe, du vocabulaire et de l'esprit critique.
Notre groupe votera en faveur de l'adoption de ces crédits.
M. Pierre Ouzoulias. - Je consacrerai l'essentiel de mon propos à la BnF. Le ministère de la culture est confronté à de lourds problèmes de gestion pour les très grands équipements tels que le Louvre, la BnF ou le Grand Palais. Aujourd'hui, nous sommes obligés de remédier aux conséquences d'une époque où le geste architectural a été favorisé au détriment de l'efficience des équipements. Parce qu'on ne le leur a pas demandé, les architectes n'ont pas pensé le fonctionnement de ces grands établissements.
La consommation d'énergie de la BnF correspond à celle d'une ville de 30 000 habitants. Une part énorme de son budget de fonctionnement est donc consacrée au chauffage, à la climatisation ou au fonctionnement des ascenseurs. Si on n'aide pas la BnF à sortir de cette dépendance énergétique, ses volontés de développement resteront bloquées.
Or, il s'agit d'une institution qui déjà a mené d'énormes efforts de conversion. En effet, il y a dix ans, on pouvait estimer que les lecteurs ne viendraient plus sur place, en raison de la numérisation des fonds. Pourtant, la fréquentation reste forte, ce qui montre bien qu'on vient chercher autre chose dans une bibliothèque que la consultation du document : une atmosphère de travail et le contact d'ouvrages que l'on n'aurait pas nécessairement cherchés sur internet. Il faut remercier les deux présidents successifs, Mme Laurence Engel et M. Gilles Pécout, pour cette conversion réussie, qui a montré quelque chose de tout à fait novateur dans ce domaine.
M. Pécout indique qu'il peut voir sur la facture d'électricité de la BnF les conséquences du pillage de toutes ses bases de données par les grandes plateformes de l'IA. En effet, la demande de moissonnage est telle qu'il a fallu renforcer l'alimentation électrique des serveurs. C'est tout de même terrible et insupportable : le pillage de ces données, très souvent protégées, oblige la BnF à augmenter encore sa dépendance à l'énergie. Nous pourrions demander aux opérateurs d'aider à prendre en charge le surcoût induit par leurs activités, qui ne sont pas légales.
M. Pierre-Antoine Levi. - Dans un contexte de redressement des finances publiques, la question est simple : ce budget permet-il encore un accès effectif aux livres, à la lecture et à la création musicale sur l'ensemble du territoire ?
Les crédits du programme 334 s'établissent à 360 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 343 millions d'euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une baisse d'environ 2 %. Nous prenons acte de cet effort de maîtrise des dépenses publiques. De plus, cette baisse ne se fait pas au détriment des grands projets structurants, ce qui constitue un motif de satisfaction.
Je voudrais évoquer les 15 500 bibliothèques qui maillent notre territoire et composent le premier réseau culturel de France. Elles comptent près de 7 millions d'inscrits - chiffre record - et constituent un irremplaçable service public culturel de proximité.
En la matière, notre groupe salue trois priorités financées par ce programme. Premièrement, les contrats départementaux de lecture sont essentiels pour irriguer nos territoires ruraux et périurbains, là où l'offre culturelle est la plus fragile. D'ici à la fin 2025, 83 contrats auront été signés.
Deuxièmement, les crédits financent plus de 250 projets d'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques, qui permettent un gain moyen de 9 heures et 30 minutes par semaine, bénéficiant à 15 millions de personnes. C'est exactement le type de politique publique que nous défendons : concrète, lisible et tournée vers l'usager.
Troisièmement, il s'agit de soutenir les programmes nationaux Premières pages et Des livres à soi, qui s'adressent aux enfants et aux familles éloignés du livre. La lutte contre l'illettrisme et la promotion de la lecture dès le plus jeune âge sont des investissements d'avenir dont l'utilité sociale n'est plus à démontrer.
Les crédits du programme permettent également de financer quatre grands projets d'investissement que nous soutenons avec conviction.
En premier lieu, la création d'un pôle de conservation de la BnF à Amiens constitue un projet structurant pour les Hauts-de-France. Il s'agit de transférer 150 kilomètres linéaires des magasins de collections, pour une mise en service prévue, avant la fin 2029, d'un équipement du XXIe siècle qui allie conservation et dynamique territoriale. Nous serons attentifs au respect du calendrier, notamment au lancement des travaux annoncé pour le printemps 2026.
En second lieu, le relogement temporaire de la Bibliothèque publique d'information (Bpi) pendant la fermeture du Centre Pompidou mobilise 4,3 millions d'euros supplémentaires en CP, afin de maintenir un service public de lecture et d'information au coeur de la capitale.
En troisième lieu, la Maison du dessin de presse, dont les travaux démarreront fin 2026 et qui doit ouvrir en 2027, constitue un projet politique fort. À l'heure où la liberté d'expression et la liberté de la presse sont régulièrement questionnées, ce lieu aura une dimension symbolique autant que culturelle.
Enfin, la création du portail national de l'édition accessible et adapté, prévue pour 2027, répond à une exigence simple : permettre à tous les citoyens d'accéder à la lecture, quelle que soit leur situation de handicap. C'est une question d'égalité républicaine.
J'en viens aux crédits de l'action n° 02 Industries culturelles, au sujet desquels notre groupe exprime une satisfaction mêlée de vigilance. Nous prenons acte de la réduction de 7 millions d'euros de la subvention de l'État au CNM, compensée par une hausse des plafonds des taxes affectées.
Toutefois, cette substitution de ressources budgétaires par des ressources fiscales affectées pose trois questions. D'abord, ces taxes bénéficient aujourd'hui d'un marché dynamique ; leur rendement sera-t-il suffisamment stable en cas de retournement de conjoncture ? Ensuite, cette substitution réduit mécaniquement notre capacité de contrôle annuel et pose question en matière de visibilité parlementaire ; nous y serons attentifs. Enfin, si le financement par la filière se comprend, il ne doit pas devenir prétexte à un désengagement progressif de l'État.
Notre groupe a pris connaissance des critiques exprimées en 2024 par la Cour des comptes quant à l'absence de stratégie claire du CNM. Nous saluons l'adoption en 2025 d'un nouveau règlement général des aides financières, qui intègre les critères de transition écologique, d'égalité et d'inclusion. Nous saluons également la signature d'un premier contrat d'objectifs et de performance pour 2024-2028 ; nous serons attentifs au bilan qui devra être présenté à partir de 2026.
Je ne peux conclure sans évoquer les 612 millions d'euros de dépenses fiscales rattachées au programme 334, qui représentent près du double des crédits budgétaires. Je songe notamment aux crédits d'impôt pour dépenses de production d'oeuvres phonographiques et pour dépenses d'édition d'oeuvres musicales. Ce sont des outils utiles, mais il faut les évaluer régulièrement. Dans un contexte de ressources rares, nous ne pouvons conserver des dispositifs fiscaux qui ne produisent pas les effets attendus.
Malgré les contraintes, ce budget préserve les priorités que nous jugeons justes. Notre groupe suivra donc l'avis favorable du rapporteur.
Mme Monique de Marco. - Je commencerai par l'action n° 01 Livres et lecture, pour laquelle les dotations aux opérateurs augmentent de 16 millions d'euros. Cette hausse s'explique par le financement du nouveau site de la BnF à Amiens. Cependant, elle cache une baisse des subventions pour charges de service public pour deux des trois opérateurs, dont le CNL, qui voit sa subvention diminuer de 16 %.
La BnF François-Mitterrand a été inaugurée en 1995 et ouverte au public en 1996. En 1989, Dominique Perrault avait remporté le concours avec un geste architectural alors qualifié d'audacieux. Aujourd'hui, nous sommes dans une impasse, car le geste audacieux de l'époque n'est pas adapté à la réalité du changement climatique et de la hausse des coûts de l'énergie. Si l'on peut parfois saluer l'audace, il faut rester prudent.
J'en viens à l'action n° 02, dont les crédits baissent de 9 millions d'euros, ce qui représente une diminution de 28 %. Le PLF prévoit notamment une coupe de 7 millions d'euros pour le CNM, qui doit être compensée, selon le ministère, par le rehaussement du plafond des deux taxes affectées. Je voudrais vous alerter sur ce sujet. En effet, plusieurs organisations de professionnels de la musique ont dénoncé ce « jeu à somme quasi nulle », estimant que la baisse est trop brutale et qu'il serait nécessaire d'envisager un déplafonnement de ces deux taxes, à l'instar de la taxe finançant le CNC.
Notre avis est réservé quant à la proposition du rapporteur.
Mme Laure Darcos. - La loi que j'ai portée a permis à beaucoup de librairies de se lancer dans le commerce en ligne. À ce sujet, un juge européen doit rendre sa décision sur Amazon le 18 décembre. Comme vous le savez, cette entreprise contourne la loi que j'ai défendue en utilisant des casiers pour ses livraisons. Le service du livre et de la lecture du ministère me demande, monsieur le président, pourquoi ni le Sénat ni l'Assemblée nationale n'ont publié de bilan de l'application de cette loi, alors que ce dernier pourrait peser dans la décision du juge. Nous devons essayer d'être forts et unis contre Amazon. De plus, cette publication mettrait encore un peu la pression sur la BnF et l'Institut national de l'audiovisuel (INA), qui n'arrivent toujours pas à se mettre d'accord quant à l'application des dispositions de l'article 5, relatives au dépôt légal numérique.
Concernant le CNC, nous avons pu obtenir le retrait de l'amendement du rapporteur général de la commission des finances, M. Husson, qui portait sur l'article 36. Cependant, il reste des amendements du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), qui visent à plafonner des taxes affectées au CNC. Il serait bon que le CNC puisse être épargné, d'autant que nous avons allégé la taxe sur les recettes publicitaires pour aider les chaînes privées et publiques.
Mme Samantha Cazebonne. - Les industries culturelles constituent une composante majeure de notre économie, mais aussi de l'attractivité et du rayonnement international de la France. Avec 360 millions d'euros en AE et 343 millions d'euros en CP inscrits dans ce PLF, le programme « Livre et industries culturelles » voit ses crédits diminuer de plus de 2 %. Il s'agit de participer à l'effort national de maîtrise des déficits.
Ces dernières années, la place du livre et de la musique a été renforcée dans la vie des Français grâce à plusieurs initiatives, dont le plan Lecture, l'élévation de la lecture comme grande cause nationale ou encore la création du CNM. Par ailleurs, la création de la Maison du dessin de presse, annoncée en 2020, est finalement confirmée pour 2027, ce que vient concrétiser ce budget.
Le CNM a conforté sa place dans le monde de la musique et s'est imposé comme une institution essentielle à la vitalité culturelle du pays. Cependant, la question de son financement demeure au coeur de nos débats. Le produit des taxes affectées va augmenter de 8 millions d'euros, ce que nous saluons.
Pour ces raisons, notre groupe suivra l'avis favorable du rapporteur.
M. François Patriat, rapporteur pour avis. - Le CNL a un fonds de roulement suffisant pour assurer l'année 2026, mais il ne faudra pas que de nouvelles baisses aient lieu.
Concernant le champ de compétence du CNM et l'absence de taxe sur la musique classique, des réflexions peuvent être menées.
Les ressources du CNC augmentent, avec un bon rendement global des taxes affectées. Le président de l'opérateur lui-même nous a dit que le prélèvement de 50 millions d'euros serait indolore.
Concernant la BnF, je me demande encore comment un bâtiment qui n'a que trente ans peut connaître de telles difficultés. Les erreurs de conception commises me paraissent surprenantes, notamment en matière d'énergie, alors que nous connaissions déjà les prémices de la crise climatique.
Quant au pillage que vous avez évoqué, M. Ouzoulias, il oblige à augmenter les ressources de la BnF. Il nous faut travailler sur certaines pistes et je compte sur vous en la matière.
Le pôle d'Amiens ne sera pas seulement un centre de stockage ; les documents y seront aussi consultables sur rendez-vous, notamment par les chercheurs. C'est un point positif.
Il y a une hausse du plafond des taxes affectées au CNM, ce qui crée des recettes supplémentaires. J'entends que les organismes estiment que les taxes qui devraient leur être affectées sont détournées au profit d'autres missions. Cependant, garder une petite réserve pour le budget de l'État ne me paraît pas choquant.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au Livre et aux industries culturelles au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2026.