- L'ESSENTIEL
- I. UN BUDGET DES JURIDICTIONS FINANCIÈRES
RELATIVEMENT PRÉSERVÉ MALGRÉ UNE RÉDUCTION DES
EMPLOIS
- II. LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES PROCHES DE
LEURS LIMITES FACE À DES FLUX CONTENTIEUX CROISSANTS
- A. UNE AUGMENTATION SANS FREIN DES RECOURS
CONTENTIEUX
- 1. Les juridictions administratives non
spécialisées sont confrontées à une forte hausse
des recours contentieux difficilement absorbable à effectif
constant
- 2. La Cour nationale du droit d'asile a su
s'adapter promptement aux évolutions de la loi
« immigration » du 26 janvier 2024 en rapprochant son
office des justiciables
- 3. Le contentieux du stationnement payant,
véritable tonneau des Danaïdes
- 1. Les juridictions administratives non
spécialisées sont confrontées à une forte hausse
des recours contentieux difficilement absorbable à effectif
constant
- B. MALGRÉ LEURS DIFFICULTÉS, LES
JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES CONTRIBUENT SIGNIFICATIVEMENT À L'OBJECTIF
DE MAÎTRISE DE LA DÉPENSE PUBLIQUE
- A. UNE AUGMENTATION SANS FREIN DES RECOURS
CONTENTIEUX
- I. UN BUDGET DES JURIDICTIONS FINANCIÈRES
RELATIVEMENT PRÉSERVÉ MALGRÉ UNE RÉDUCTION DES
EMPLOIS
- EXAMEN EN COMMISSION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- LISTE DES DÉPLACEMENTS
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N° 145 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026 |
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Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2025 |
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AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale (1) |
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TOME IV JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JURIDICTIONS FINANCIÈRES |
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Par M. Guy BENARROCHE, Sénateur |
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(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Laurence Harribey, Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, Lauriane Josende, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. Jean-Baptiste Blanc, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Thani Mohamed Soilihi, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Anne-Sophie Patru, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel. |
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Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 1906, 1990, 1996, 2006, 2043, 2047, 2048, 2060, 2063 et T.A. 180 Sénat : 138 et 139 à 145 (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
Les programmes 164 et 165 de la mission « Conseil et contrôle de l'État » financent respectivement l'activité des juridictions financières et des juridictions administratives. Les crédits de paiement (CP) affectés à ces programmes s'établissent, dans le texte transmis au Sénat, respectivement à 267,2 millions d'euros et à 568 millions d'euros.
Bien que ces deux programmes affichent, dans l'ensemble, une stabilité des crédits, celle-ci ne saurait masquer l'importante contribution des juridictions administratives et financières à l'objectif, affiché par le Gouvernement, de réduction de la dépense publique, qui se manifeste notamment par des efforts conséquents sur les ressources humaines dans un contexte d'activité particulièrement dynamique, voire presque exponentielle pour la justice administrative.
Malgré un avis défavorable du rapporteur, Guy Benarroche, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de ces programmes, estimant que le degré de participation de la justice financière et administrative à la maîtrise de la dépense publique était approprié.
I. UN BUDGET DES JURIDICTIONS FINANCIÈRES RELATIVEMENT PRÉSERVÉ MALGRÉ UNE RÉDUCTION DES EMPLOIS
Le programme 164 finance l'activité de la Cour des comptes et des 23 chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC), ainsi que du conseil des prélèvements obligatoires (CPO), de la commission de contrôle des organismes de gestion des droits d'auteurs et des droits voisins, et du haut conseil des finances publiques (HCFP).
A. DES CRÉDITS DE PAIEMENT EN HAUSSE MODESTE, PORTÉE PAR LES DÉPENSES DE PERSONNEL
Avec des crédits de paiement s'élevant à 267,2 millions d'euros, le programme 164 affiche, pour la dixième année consécutive, une hausse, qui apparaît significative dans un contexte de maîtrise de la dépense publique. En effet, les crédits de paiement sont en augmentation de 8,2 millions d'euros, soit une hausse de 3,16 %, supérieure à l'inflation anticipée pour 2026 (1,3 %). Les autorisations d'engagement (AE), qui s'élèvent à 264,5 millions d'euros, sont quant à elles stables, puisqu'elles n'augmentent que de 0,29 %.
La hausse des crédits de paiement est exclusivement portée par les dépenses de personnel, qui s'établissent à 242,2 millions d'euros. En revanche, les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement et d'intervention sont figées à leur niveau de 2025, malgré l'inflation. Ainsi, la contribution des juridictions financières à l'objectif de baisse de la dépense publique s'appuie partiellement sur des efforts de maîtrise des dépenses courantes, notamment par le biais de l'optimisation des achats, la part des achats mutualisés étant passée de 67 à 75 % en un an, et par la rationalisation du parc immobilier des juridictions financières. À titre d'exemple, la chambre régionale des comptes des Pays de la Loire, dans laquelle s'est rendu le rapporteur, s'apprête à réduire son emprise immobilière de près de 40 %.
Évolution des crédits de paiements du programme 164 depuis 2020 (en millions d'euros)
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LFI 2020 |
LFI 2021 |
LFI 2022 |
LFI 2023 |
LFI 2024 |
LFI 2025 |
PLF 2026 |
Progression 2025/2026 |
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(en M€) |
(en %) |
||||||||
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Programme 164 |
220,4 |
221,1 |
226,6 |
247,4 |
255,2 |
259,0 |
267,2 |
+ 8,2 |
+ 3,2 % |
Source : commission des lois, sur la base des documents budgétaires
Les dépenses de personnel, qui constituent 90 % des crédits du programme, augmentent quant à elles de 8,2 millions d'euros, soit 3,5 %, une augmentation similaire à celle de 2025. Cette hausse s'explique non pas par des gains d'effectifs (voir infra), mais, outre le glissement vieillesse technicité (GVT) qui atteint 2,3 millions d'euros, par les conséquences de la revalorisation indemnitaire des magistrats financiers dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique. Cette revalorisation, qui vise à aligner progressivement la rémunération des magistrats financiers sur celle des administrateurs de l'État, afin de maintenir l'attractivité des juridictions financières, a représenté en 2025 un coût de 5 millions d'euros. Il ne s'agissait toutefois que d'un premier palier, l'alignement complet sur les rémunérations des administrateurs de l'État étant estimé par la Cour des comptes à un montant compris entre 10 et 12 millions d'euros, qui sera atteint en trois étapes. Pour l'année 2026, 2,5 millions d'euros sont alloués à des mesures catégorielles, qui ne constituent pas le deuxième palier attendu mais visent en réalité à rattraper une sous-estimation du GVT en 2025. Si cette réforme indemnitaire apparaît justifiée et bienvenue, le rapporteur tient à nouveau à alerter sur l'écart de rémunération entre les magistrats et les personnels administratifs et techniques des juridictions financières, qui continue de s'accroître, malgré la signature d'un accord avec les représentants du personnel le 4 juin 2025, d'un montant de 1,5 million d'euros mais que la Cour qualifie elle-même « d'incomplet ».
B. LA CONTRIBUTION DES JURIDICTIONS FINANCIÈRES À L'EFFORT DE RÉDUCTION DE LA DÉPENSE PUBLIQUE SE MANIFESTE PRINCIPALEMENT PAR UNE DIMINUTION DES EMPLOIS
Malgré la hausse des dépenses de personnel, le programme 165 connaît pour la première fois depuis 2020 une baisse de son plafond d'emplois, à périmètre constant.
En effet, après plusieurs années de hausse du plafond d'emplois (+ 10 équivalents temps plein travaillé [ETPT] en 2021, + 30 ETPT en 2022 et + 5 ETPT en 2023), les lois de finances pour 2024 et 2025 se sont caractérisées par une stabilité du plafond d'emplois, hors légers changements de périmètre entre programmes. Pour 2026, alors que le périmètre du programme est inchangé, le projet de loi de finances prévoit quant à lui une diminution du plafond d'emplois de 18 unités. Cette baisse affecte principalement les postes de catégories B et C (respectivement 12 et 21 ETPT de moins), les emplois de catégories A+ et A connaissant une hausse respective de leur plafond de 5 et 10 unités. La Cour des comptes justifie ces évolutions différenciées par le renforcement de la fonction de contrôle, en lien avec le plan « JF2025 » (voir infra), qui se matérialise par le recours à des détachements de fonctionnaires de catégorie A+ en qualité de magistrats financiers, et par la revalorisation des vérificateurs, plus fréquemment recrutés en catégorie A.
Bien que la baisse - à périmètre constant - du plafond d'emplois marque une rupture symbolique dans l'évolution du programme, les conséquences de cette diminution devraient toutefois être marginales, la Cour souhaitant améliorer sa consommation du plafond d'emplois, relativement mauvaise au cours des dernières années.
Plafond d'emplois du programme 164 autorisé en loi de finances initiale et sa consommation (en ETPT)
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2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
LFI 2025 |
PLF 2026 |
|
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Plafond d'emplois autorisé en LFI |
1 802 |
1 802 |
1 804 |
1 826 |
1 830 |
1 822 |
1 804 |
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Consommation du plafond d'emplois |
1 763 |
1 758 |
1 766 |
1 770 |
1 803 |
1 816 (prévision au 31/07/2025) |
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Source : commission des lois, sur la base des documents budgétaires
C. 2025, ANNÉE D'ABOUTISSEMENT DE L'AMBITIEUX PLAN « JF2025 »
1. Une modernisation des méthodes de travail des juridictions financières dont les résultats apparaissent satisfaisants
Depuis le lancement, par le Premier président Pierre Moscovici, du plan « JF2025 » en 2020, le rapporteur s'attache à évaluer les crédits du programme 164 au regard de l'application des 75 « actions » qu'il porte.
À titre liminaire, le rapporteur salue l'ambition initiale d'un plan qui illustre, sans conteste et nonobstant le détail des mesures, la capacité d'adaptation et le dynamisme des juridictions financières. Ce plan ayant commencé à être appliqué en 2023, le rapporteur a pu, l'année dernière, en dresser un premier bilan, qu'il a estimé être, dans l'ensemble et malgré des réserves, « une réussite ». Les travaux conduits par le rapporteur en 2025 ont confirmé ce satisfecit, bien que l'appréciation particulièrement élogieuse de la Cour des comptes, selon laquelle la mise en oeuvre de ce plan est « un véritable succès », puisse être tempérée par certains effets de bord ou résultats moins probants.
La baisse des effectifs prévue par le projet de loi de finances n'est ainsi pas la conséquence d'une activité qui serait décroissante : la Cour des comptes se fixe en effet des objectifs exigeants, à l'instar de l'objectif affiché par le projet annuel de performance de publication de 1 400 rapports pour 2026, soit 62 % de plus que le nombre de rapports publiés en 2024. Toutefois, cette cible très élevée, qui est identique depuis 3 ans, n'a pas été atteinte en 2024, année lors de laquelle 862 rapports ont été publiés. Tout en comprenant le levier d'action qu'il constitue, le rapporteur s'interroge donc sur le réalisme de cet objectif.
Outre cet objectif général qui irrigue l'activité de la Cour, cinq des principales mesures du plan « JF2025 » ont fait plus particulièrement l'objet de l'attention du rapporteur.
La réforme du 100 % publication, effective depuis 2023, a incontestablement contribué à la meilleure visibilité des travaux des juridictions financières. Ainsi, le nombre de visiteurs uniques sur le site internet de la Cour a crû de 21 % au cours des six premiers mois de l'année 2025, dépassant le seuil d'un million et augurant de donc l'atteinte des deux millions de visiteurs uniques pour l'ensemble de l'année 2025. Cette mesure a incité les magistrats financiers à un effort accru de lisibilité et d'accessibilité de leurs travaux, qui n'est pas sans intérêt bien que le rapporteur souhaite rappeler que ces rapports n'ont une plus-value réelle pour les entités contrôlées que s'ils maintiennent un haut niveau de technicité.
L'ouverture citoyenne se mesure également au regard de la mise en place de deux plateformes, l'une dédiée au recensement des initiatives en matière de contrôle, la seconde permettant de signaler des irrégularités dans le bon emploi des deniers publics. Il s'agit dans les deux cas d'un succès quantitatif indéniable, qui a été réitéré cette année : lors de la campagne de 2025, 16 346 visiteurs ont déposé 1 006 propositions de thèmes de contrôle, soit 7 % de propositions supplémentaires par rapport à 2024. 37 thèmes avaient été retenus pour 2025, dont une vingtaine devant être traités par les CRTC. Toutefois, à l'échelle locale, les propositions de contrôle sont peu nombreuses, comme l'ont confirmé au rapporteur autant la Cour des comptes que les magistrats interrogés lors de son déplacement à la chambre régionale des comptes des Pays de la Loire. De même, les juridictions financières ont été destinataires en 2024 de 996 signalements, soit approximativement 80 par mois, un chiffre stable par rapport à 2023. La population semble donc avoir assimilé cet outil, d'autant plus que la plupart - 842 - de ces signalements ont été considérés comme suffisamment pertinents par le Parquet général pour être transmis aux chambres compétentes. Parmi ceux-ci, 306 ont donné lieu à des suites, soit de nature contentieuse, soit à travers leur prise en considération dans le cadre de travaux de contrôle en cours ou programmés.
L'objectif de division par deux du délai de publication des travaux d'examen de la gestion de la Cour et des CRTC devrait être approché. Le projet annuel de performance fixe ainsi pour objectif en 2026, comme pour 2025, un délai de 8 mois aussi bien pour la Cour que pour les CRTC, qui ne sera pas atteint mais devrait honorablement s'établir à un peu moins de 10 mois. Pour rappel, ces délais s'élevaient respectivement à 15 et 17 mois avant cette réforme. Le rapporteur a toutefois de nouveau été alerté sur les difficultés que les magistrats rencontrent parfois pour tenir ce délai lorsque les entités contrôlées sollicitent des délais supplémentaires pour leur transmettre les réponses et données demandées.
Alors qu'avec quatre saisines l'année 2024 laissait entrevoir un début d'appropriation par les collectivités territoriales de la mission d'évaluation des politiques publiques confiée par la loi du 21 février 2022 dite « 3DS »1(*) aux CRTC, l'année 2025 est apparue décevante, puisque, à la connaissance du rapporteur, aucune CRC n'a été saisie. Seules des auto-saisines des CRTC ont permis de donner corps à cette nouvelle compétence que le législateur leur a attribuée. Un travail supplémentaire devra donc être effectué pour inciter les collectivités territoriales à s'appuyer davantage sur l'expertise des magistrats financiers pour des missions d'évaluation des politiques publiques, en les distinguant bien des travaux de contrôle de la gestion.
Enfin, le nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics2(*), adossé à la création de la chambre du contentieux de la Cour des comptes et de la cour d'appel financière, est entré en rythme de croisière et ne présente pas de difficulté particulière. À la date du 31 août 2025, la chambre du contentieux, à laquelle sont affectés 35,5 ETPT dont 23,5 magistrats, a instruit après trente mois d'installation 132 affaires et prononcé 43 arrêts. Quant à la cour d'appel financière, dont l'activité dépend mécaniquement de celle de la chambre du contentieux, elle a été saisie de dix requêtes entre sa création en juillet 2023 et le 31 août 2025, l'activité attendue à terme étant de 15 à 20 appels par an.
2. Des indicateurs de performance enfin ajustés pour prendre en compte les avancées du plan « JF2025 »
À l'occasion des lois de finances pour 2023, 2024 et 2025, la commission puis le Sénat ont, avec constance, soutenu un amendement du rapporteur, Guy Benarroche, visant à adapter les indicateurs du programme 164 aux nouvelles missions que confie le plan « JF2025 » aux juridictions financières. Il s'agissait notamment de créer un indicateur retraçant l'activité des CRTC liée à leur mission d'évaluation des politiques publiques et d'avis sur les projets d'investissement exceptionnel. L'établissement de ce nouvel indicateur était à chaque fois jugé trop complexe par la Cour des comptes et le Gouvernement3(*). Le projet annuel de performances du programme 164 intégrant enfin la demande de la commission, le rapporteur se félicite que cette « complexité » ait pu être surmontée.
II. LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES PROCHES DE LEURS LIMITES FACE À DES FLUX CONTENTIEUX CROISSANTS
Le programme 165 finance l'activité du Conseil d'État et des 51 juridictions administratives non spécialisées - 9 cours administratives d'appel (CAA) et 42 tribunaux administratifs (TA), dont 31 situés dans l'Hexagone et 11 en outre-mer -, ainsi que la cour nationale du droit d'asile (CNDA) et le tribunal du stationnement payant (TSP).
A. UNE AUGMENTATION SANS FREIN DES RECOURS CONTENTIEUX
1. Les juridictions administratives non spécialisées sont confrontées à une forte hausse des recours contentieux difficilement absorbable à effectif constant
La juridiction administrative se caractérise - comme la justice judiciaire - par une hausse élevée et continue des recours dont elle est saisie, d'autant plus préoccupante qu'elle concerne toutes les catégories de contentieux qui relèvent de sa compétence. Au total, les entrées contentieuses devant les juridictions administratives non spécialisées ont ainsi augmenté de 147 % en première instance entre 2000 et 2024.
L'année 2024 s'inscrit dans cette tendance haussière, puisque les juridictions administratives non spécialisées ont été saisies de 320 014 affaires, dont 86,9 % devant les tribunaux administratifs, soit une hausse de 7,4 % par rapport à 2023. Fait notable, il s'agit de la première année au cours de laquelle le seuil de 300 000 entrées contentieuses est atteint. Si l'activité contentieuse s'est avérée stable au Conseil d'État et dans les CAA, elle a crû substantiellement dans les tribunaux administratifs, de 8,2 % en un an. Pour 2025, les prévisions d'activité des TA annoncent une impressionnante hausse de 20 %.
L'augmentation des entrées contentieuses a eu pour corollaire un accroissement des sorties, d'autant plus significatif dans un contexte de gel des créations d'emplois (voir infra). Le rapporteur souhaite donc saluer la mobilisation des magistrats administratifs et des agents, qui a permis d'éviter une embolie des affaires en cours. Ainsi, les sorties ont été supérieures aux entrées au Conseil d'État et légèrement inférieures dans les CAA, permettant de réduire sensiblement le stock des affaires en cours ou, a minima, de le stabiliser. Quant aux tribunaux administratifs, malgré un nombre de décisions rendues en hausse de 4,8 %, qui démontre une activité soutenue de la part des juges administratifs, le stock s'est accru de 11,4 % et atteint 238 655 affaires. Au total, pour l'ensemble des juridictions administratives non spécialisées, le stock d'affaires s'élève à 272 474, en hausse de 10 % sur un an. Toutefois, la proportion d'affaires enregistrées depuis plus de deux ans reste modérée, à 1,9 % pour le Conseil d'État, 4,7 % pour les CAA et 11,3 % pour les tribunaux administratifs.
Activité contentieuse des juridictions administratives non spécialisées
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2023 |
2024 |
|||||||
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Saisines |
Décisions rendues |
Stock |
Délai de jugement |
Saisines |
Décisions rendues |
Stock |
Délai de jugement |
|
|
Conseil d'État |
9 574 |
9 746 |
5 205 |
7 mois et 8 jours |
9 528 |
9 763 |
5 003 |
7 mois et 8 jours |
|
Cours administratives d'appel |
31 586 |
32 144 |
28 303 |
11 mois et 16 jours |
31 522 |
31 025 |
28 820 |
11 mois et 12 jours |
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Tribunaux administratifs |
257 329 |
243 089 |
214 292 |
9 mois et 20 jours |
278 964 |
254 644 |
238 655 |
9 mois et 29 jours |
|
TOTAL |
298 489 |
284 489 |
247 800 |
- |
320 014 |
295 432 |
272 478 |
- |
Source : commission des lois, sur la base des documents budgétaires
En effet, malgré une activité contentieuse dynamique, les délais de jugement se maintiennent à des niveaux qui respectent assez largement les objectifs fixés par le législateur dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 20024(*), à savoir un an. Le délai moyen de jugement des affaires est ainsi inférieur à un an pour les trois catégories de juridictions administratives non spécialisées. Toutefois, signe de leurs difficultés, les tribunaux administratifs affichent une hausse de neuf jours de leur délai moyen de jugement. Cependant, ces délais incluent les procédures d'urgence telles que les référés, qui ont augmenté de 8,2 % en moyenne entre 2022 et 2025.
2. La Cour nationale du droit d'asile a su s'adapter promptement aux évolutions de la loi « immigration » du 26 janvier 2024 en rapprochant son office des justiciables
La cour nationale du droit d'asile, juridiction spécialisée dont le Conseil d'État assure la gestion, a été profondément affectée par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, à travers deux principales mesures : l'extension du principe du juge unique et la création de chambres territoriales.
Comme l'avait déjà constaté le rapporteur l'année dernière, ces deux mesures ont été mises en place avec célérité par la CNDA. Néanmoins, les mesures réglementaires d'application n'ayant été publiées qu'en juillet 20245(*) et les premières chambres territoriales n'ayant débuté leurs audiences qu'en novembre de la même année, il était encore trop tôt pour dresser un bilan suffisamment approfondi de leur mise en oeuvre.
Bien que le recours au juge unique fût déjà une pratique courante à la CNDA, son extension produit des effets sinon massifs à ce stade, du moins significatifs. Entre septembre 2024 et août 2025, le nombre d'audiences à juge unique a augmenté de 21 %. Au total, la part des décisions rendues par un juge unique atteint près de 27 % à la mi-2025, contre 23 % en 2024. Si cette proportion a vocation à s'accroître, les cas les plus sensibles et ceux pour lesquels la formation de jugement l'estime nécessaire demeureront jugés collégialement, comme l'a souhaité le législateur.
Ressort des chambres territoriales de la CNDA (2025)
Source : cour nationale du droit d'asile
La territorialisation a également été menée à terme dans un délai réduit et fort satisfaisant, puisqu'il n'a fallu que dix-huit mois pour ouvrir les sept chambres territoriales, ce qui a nécessité de sélectionner et d'aménager des locaux, et de composer les services. Plus précisément, cinq chambres territoriales ont été ouvertes fin 2024 (deux à Lyon, une à Nancy, une à Toulouse et une à Bordeaux, où s'est rendu le rapporteur en 2024), ce qui leur a permis de tenir les premières audiences déconcentrées dès le mois de novembre 2024, soit dix mois après la promulgation de la loi. Les deux dernières chambres territoriales, qui nécessitaient des travaux d'aménagement plus lourds, ont été ouvertes en septembre 2025 à Nantes et à Marseille et devraient tenir d'ici le mois de janvier 2026 leurs premières audiences. Le rapporteur a pu constater lors de ses déplacements dans les chambres de Bordeaux et de Nantes, que les locaux étaient adaptés à la pratique juridictionnelle et que les agents sur place étaient motivés par leurs fonctions. Le coût de 1 million d'euros de l'installation de ces 7 chambres territoriales apparaît raisonnable au regard des effets positifs de cette réforme, à savoir un rapprochement du justiciable avec le juge de l'asile qui, outre l'amélioration du service public de la justice, permet d'augmenter la présence du requérant lors des audiences et ainsi de diminuer la fréquence des renvois. Conformément aux préconisations du rapporteur, la CNDA a effectué un important travail partenarial - encore en cours - avec les barreaux des départements dans lesquels ont été ouvertes des chambres. Un même travail a été entrepris pour constituer un vivier local d'interprètes, qui permet désormais de couvrir entre 50 et 75 % des vacations dans les cinq chambres ouvertes en 2024, et donc de réduire les frais de déplacement.
Ces deux mesures, couplées à une baisse de 12,5 % des entrées contentieuses, ont permis à la CNDA d'afficher des résultats positifs. En 2024, la cour a ainsi été saisie de 56 497 recours et a rendu 61 593 décisions, dans un délai moyen d'un peu moins de 6 mois, hors procédures accélérées. Outre qu'elle a abaissé son délai moyen de jugement de plus d'un mois, la cour a également réduit de 4 000 son stock d'affaires, soit 15 %. Cette baisse des entrées contentieuses - qui fait suite à plusieurs années de hausse consécutives - est cohérente avec les prévisions établies l'année dernière par la présidence de la cour, qui estimait que, sauf évènement géopolitique majeur, le nombre moyen de recours devant la CNDA atteindrait 60 000.
Enfin, la CNDA devrait gagner en productivité à court terme, la construction de son nouveau siège à Montreuil, dont le coût est évalué à 130 millions d'euros, étant presque achevée. Un déménagement est prévu à l'été 2026, afin d'y tenir les premières audiences en septembre. Au-delà de ces enjeux immobiliers, le rapporteur considère qu'une réflexion sur la valorisation du travail des rapporteurs pourrait utilement être menée par le nouveau président, Thomas Andrieu.
3. Le contentieux du stationnement payant, véritable tonneau des Danaïdes
Créé en 2018 à la suite de la dépénalisation du stationnement payant, le tribunal du stationnement payant - nouvelle appellation de la commission du contentieux du stationnement payant - était initialement dimensionné pour traiter 100 000 affaires par an. Or, en 2024, il a enregistré 203 242 requêtes et a rendu 146 280 décisions, dans un délai moyen de 24 mois et 5 jours. Tous ces indicateurs sont en forte hausse par rapport à 2023 : les entrées accusent une augmentation vertigineuse de 18,6 %, les sorties sont heureusement en hausse de 12 % et le délai moyen de jugement a crû de quatre mois en un an. Les requêtes enregistrées par le TSP représentent ainsi 38,7 % des saisines totales de la juridiction administrative6(*), et ce alors que le TSP n'est composé que de 15 magistrats, épaulés par 153 agents de greffe.
Pour l'année 2025, le Conseil d'État estime que le nombre de requêtes devrait vraisemblablement avoisiner 220 000, soit une augmentation annuelle de 8,4 %.
Malgré la forte augmentation du nombre de sorties, qui illustre les importants efforts consentis par tous les agents du TSP, et les améliorations procédurales résultant du décret n° 2024-733 du 5 juillet 20247(*), qui permet notamment de constater plus facilement les désistements d'office des requérants, les sorties demeurent à un niveau bien inférieur à celui des entrées, avec un différentiel de 60 000 affaires, soit 41 % de la capacité annuelle de jugement du TSP. En conséquence, le stock d'affaires en cours continue de croître à un rythme effréné (+ 25 % en un an) et atteint des niveaux qui interrogent sur la viabilité du système de traitement du contentieux du stationnement payant : au 31 décembre 2024, 281 299 requêtes restaient à traiter, soit davantage que le stock d'affaires en cours de l'ensemble des juridictions administratives non spécialisées (272 478, voir supra). Pour 2025, le stock d'affaires en cours devrait atteindre, selon les prévisions du Conseil d'État, 355 000, une hausse de 26,6 % en un an.
Source : commission des lois, d'après les documents budgétaires
Cet emballement trouve principalement sa source dans le recours de plus en plus fréquent à la « lecture automatisée des plaques d'immatriculation » (LAPI) et dans l'abrogation, par le Conseil constitutionnel8(*) en 2020, de l'article L. 2333-87-5 du code général des collectivités territoriales, qui subordonnait tout recours contentieux à l'obligation du paiement préalable du forfait de post-stationnement et, le cas échéant, du titre exécutoire.
Autant du point de vue du justiciable que des agents du TSP, cette situation n'est pas satisfaisante et ne saurait perdurer, sauf à acter une embolie du contentieux du stationnement payant qui porterait préjudice à la crédibilité de la justice administrative. Dans l'attente d'une réponse structurelle de niveau législatif aux difficultés que connaît le TSP et malgré le volontarisme du nouveau président du TSP, Yann Livenais, qui agit notamment pour fluidifier le partage d'informations avec les collectivités territoriales, le rapporteur appelle de ses voeux, a minima, un renforcement des effectifs de la juridiction, quitte à procéder à des réaffectations au sein du corps des magistrats administratifs. Le rapporteur soutient ainsi la demande formulée par le TSP auprès du Conseil d'État de création de quatre postes supplémentaires de magistrats.
B. MALGRÉ LEURS DIFFICULTÉS, LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES CONTRIBUENT SIGNIFICATIVEMENT À L'OBJECTIF DE MAÎTRISE DE LA DÉPENSE PUBLIQUE
1. Un budget en rupture avec les évolutions des années précédentes
Avec des crédits s'élevant à 537,9 millions d'euros en autorisations d'engagement et 568 millions d'euros en crédits de paiement, le programme 165 se caractérise, malgré des évolutions se chiffrant en dizaines de millions d'euros, par une stabilité d'ensemble, puisqu'aucune dépense nouvelle significative n'est engagée et que le programme échappe à des coupes claires, les économies étant plutôt réalisées via le report de projets immobiliers et le gel des créations d'emplois (voir infra).
Plus précisément, s'observent une baisse de 31 millions d'euros pour les CP, soit 5,2%, et une augmentation de 26,7 millions d'euros en AE, soit à nouveau 5,2 %, cette dernière étant liée au renouvellement de certains baux, les dépenses s'échelonnant sur plusieurs années.
La relative stabilité du programme 165 s'explique principalement par le fait qu'il finance principalement des dépenses de personnel, à hauteur de 81,3 % des CP. Ces dépenses augmentent seulement marginalement, en raison notamment de l'absence de création d'emplois. Cette hausse est partiellement portée par les effets de l'extension sur 2026 de la revalorisation indemnitaire des magistrats dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique. Le coût de cette réforme est évalué à 8,9 millions d'euros pour 2026. Les dépenses de fonctionnement et d'investissement représentent quant à elles 105 millions d'euros en CP, soit 18,7 % du programme, une somme inférieure de 40 millions d'euros par rapport à 2025.
Toutefois, cette stabilité d'ensemble masque une rupture nette avec la tendance des six dernières années. En effet, si les crédits du programme ont été fluctuants en ce qui concerne les autorisations d'engagement, notamment liées à l'échelonnement de travaux immobiliers, ils affichaient une hausse continue des crédits de paiement jusqu'en 2025. Ces derniers ont ainsi augmenté d'environ 60 millions d'euros entre 2020 et 2025, soit une hausse de 13,6 %.
Ce mouvement de hausse continue a pris fin avec le PLF pour 2026, celui-ci prévoyant donc, pour la première fois depuis 2020, une baisse des CP.
Cette baisse des CP s'explique, d'après le Conseil d'État, par deux éléments. En premier lieu, elle est liée au fait que la dotation pour 2025 contenait les paiements de projets immobiliers majeurs, qui arriveront à leur terme à compter de 2026 (nouveau siège de la CNDA, travaux sur les TA de Montreuil et de Guyane et pour les services du secrétariat général du Conseil d'État). En second lieu, des mesures générales d'économie ont été proposées à hauteur de 5,5 millions d'euros et d'importants travaux ont été reportés, en ce qui concerne par exemple les tribunaux administratifs de Nîmes, de Strasbourg et de Mamoudzou.
Quoi qu'il en soit, le rapporteur note que dans le contexte de très forte hausse de l'activité des juridictions administratives, le simple fait de ne pas engager de nouveaux projets structurants, que ce soit de nature immobilière, informatique ou en termes de recrutements, constitue une mesure d'économie significative.
Évolution des crédits de paiement du programme 165 depuis 2019 (en M€)
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LFI 2020 |
LFI 2021 |
LFI 2022 |
LFI 2023 |
LFI 2024 |
LFI 2025 |
PLF 2025 |
Progression 2025/2026 |
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(en M€) |
(en %) |
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Programme 165 |
439,7 |
451,7 |
481,1 |
525,0 |
583,4 |
599,0 |
568,0 |
- 31 |
- 5,2 % |
Source : commission des lois, d'après les documents budgétaires
2. À rebours de la programmation pluriannuelle, un déficit cumulé pour les juridictions administratives de 80 emplois
Après une hausse de 41 ETPT en 2022 et 2023, et de 46 ETPT en 2024, dont un membre du Conseil d'État, 25 magistrats, 15 agents du greffe et, pour 2024, 5 agents du TSP, le plafond d'emplois pour 2026 est, comme pour 2025, neutre, voire en légère baisse de 3 ETPT. Il s'élève à 4 498 ETPT pour 2026, dont 235,98 membres du Conseil d'État et 1336,52 magistrats de l'ordre administratif. Toutefois, ce gel des emplois masque des mouvements dans la structure des emplois, puisque sept postes de magistrats administratifs sont créés, tandis que dix postes d'agents de catégorie C sont supprimés.
Ce second gel des emplois constitue une mesure contraire à la loi de programmation pluriannuelle pour les années 2023 - 2027, qui prévoyait 40 créations d'emplois en 2025 comme en 2026 pour le programme 165 (25 pour les magistrats et 15 pour les agents de greffe). Au total, la juridiction administrative affiche donc, sur ces deux années cumulées, un déficit de 80 emplois par rapport au schéma d'emplois voté par le législateur. Ce nouveau gel des créations d'emplois constitue donc la principale contribution du programme 165 à l'objectif de réduction de la dépense publique fixé par le Gouvernement.
L'absence de créations d'emplois est d'autant plus significative que le programme 165 affiche un taux de consommation de ses plafonds d'emplois très élevé, de 99,1 % en 2024.
Le rapporteur partage entièrement l'analyse du Conseil d'État, selon lequel « ce schéma d'emploi nul ne permet pas de faire face à la très forte hausse de l'activité enregistrée par les tribunaux administratifs [et] va donc se traduire par un accroissement rapide du stock [d'affaires en cours] et une augmentation corrélative des délais de jugement ». Au total, le Conseil d'État évalue à 300 le nombre de postes de magistrats et de greffiers (150 pour chaque catégorie) qu'il faudrait créer pour maintenir le stock d'affaires en cours à son niveau actuel. La situation est d'autant plus préoccupante que le Conseil d'État n'a aucune garantie quant au report de ces 80 créations cumulées d'emplois à 2027, ces créations étant à ce stade annulées. Si la situation actuelle des finances publiques exige effectivement des efforts, le rapporteur appelle toutefois le Gouvernement à maintenir, éventuellement dans un avenir moins proche qu'initialement prévu, la création de ces 80 emplois, qui apparaît indispensable compte tenu l'activité croissante de la justice administrative. Le rapporteur s'interroge notamment sur l'atteinte des objectifs fixés dans le projet annuel de performances qui lui paraît irréaliste dans ce contexte de gel des emplois, même au prix d'une mobilisation soutenue du personnel et des magistrats. Or, le rapporteur a pu constater que l'opinion est désormais majoritairement partagée par les magistrats et agents des juridictions administratives que « l'exercice atteint désormais ses limites ». Aux yeux du rapporteur, il en va de même de la tolérance à la souffrance au travail.
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* *
La commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » et du programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » inscrits au projet de loi de finances pour 2026.
EXAMEN EN COMMISSION
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous terminons nos travaux par l'examen de l'avis de notre collègue Guy Benarroche sur les programmes « Cour des comptes et autres juridictions financières » et « Conseil d'État et autres juridictions administratives ».
M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis des programmes « Cour des comptes et autres juridictions financières » et « Conseil d'État et autres juridictions administratives ». - Il me revient de vous présenter, pour la sixième fois depuis que j'ai rejoint notre commission, les crédits des programmes 164 et 165, qui traitent respectivement des juridictions financières et administratives.
Je me suis rendu non seulement dans les sièges de chacune des juridictions - au Conseil d'État, à la Cour des comptes et aussi bien à l'actuel qu'au futur siège de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) -, mais également en région, comme j'en ai désormais pris l'habitude. Cette année, je suis allé à Nantes, ce qui m'a permis de visiter la chambre régionale des comptes, le tribunal administratif et la chambre territoriale de la CNDA et d'échanger avec leurs agents respectifs.
Ces déplacements me paraissent indispensables pour évaluer l'adéquation des moyens proposés par le projet de loi de finances avec les objectifs, naturellement ambitieux, qui sont fixés par le projet annuel de performance aux juridictions administratives et financières.
Bien que ces deux programmes contribuent tous deux à l'objectif de réduction de la dépense publique affiché par le Gouvernement, cette contribution n'est pas identique, d'une part, et ne s'inscrit pas dans le même contexte, d'autre part. En conséquence, l'appréciation que je porte sur les crédits alloués à chacun de ces programmes n'est pas homogène.
Pour ce qui concerne les juridictions financières, les crédits de paiement (CP) pour 2026 s'élèvent à 267,2 millions d'euros, soit une hausse de 3,2 %, qui est donc supérieure à l'inflation anticipée. S'il s'agit de la dixième année consécutive d'augmentation, celle-ci ne doit cependant pas nous leurrer : elle masque en réalité un budget de fin de cycle, assez modeste puisque le budget 2026 ne s'engage sur aucun nouveau projet. En effet, comme vous le savez, le premier président Pierre Moscovici a annoncé son départ de la Cour pour la fin de l'année. Ainsi, l'année 2025 a été celle de l'aboutissement de son vaste plan « JF 2025 », qui a été lancé en 2020 et dont j'ai pu vous relater, chaque année, l'avancée.
La hausse de 3,2 % proposée dans le projet de budget pour 2026 est exclusivement portée par les dépenses de personnel, et plus particulièrement par la mise en oeuvre d'une des mesures de ce plan, à savoir l'alignement de la rémunération des magistrats financiers sur celle des administrateurs de l'État. Cette revalorisation indemnitaire, dont le coût total est évalué à une dizaine de millions d'euros par la Cour des comptes, n'est toutefois pas encore achevée, puisque seul un premier palier de 5 millions d'euros a été atteint. Il reviendra au successeur de Pierre Moscovici de s'assurer que cette réforme sera menée à terme. Par ailleurs, si je salue la signature, en juin dernier, d'un accord avec les représentants du personnel ayant permis l'allocation d'un montant de 1,5 million d'euros à destination des personnels techniques et administratifs, j'inviterai le successeur de Pierre Moscovici à poursuivre le travail engagé pour ne pas limiter les revalorisations indemnitaires aux seuls magistrats.
Les autres mesures du plan « JF 2025 » qui, pour rappel, en contient 75, n'appellent pas de nouvelles remarques de ma part depuis le bilan dans l'ensemble positif que j'ai dressé devant vous l'année dernière. Nonobstant quelques réserves mineures, il est indéniable que ce plan a considérablement modifié les méthodes de travail des juridictions financières en démontrant leur dynamisme et leur capacité d'adaptation. Je me tiens toutefois à votre disposition pour vous donner des chiffres actualisés, que vous trouverez par ailleurs dans mon rapport.
Avant de passer au programme 165, je souhaite souligner que, malgré des crédits en hausse, les juridictions financières participent, elles aussi, à la maîtrise des dépenses publiques demandée par le Gouvernement. D'une part, les dépenses de fonctionnement sont gelées, malgré l'inflation. Des efforts ont notamment été entrepris pour réduire l'emprise immobilière des juridictions : à titre d'exemple, la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine va restituer 40 % de ses locaux ! D'autre part, le plafond d'emplois diminue de 18 unités, les suppressions d'emplois concernant exclusivement les postes de catégories B et C.
Enfin, les plus assidus d'entre vous s'en souviennent peut-être, j'ai, pendant trois années consécutives, proposé à la commission un amendement visant à ajuster les indicateurs de performance aux avancées du plan « JF 2025 ». Ce n'est désormais plus nécessaire, et pour cause, la Cour a enfin donné suite à notre demande, en intégrant le nouvel indicateur que nous appelions de nos voeux, à savoir le décompte des rapports d'évaluation des politiques publiques, qui est une mesure que nous avions votée dans la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS ».
J'en viens au programme 165, qui concerne les juridictions administratives. La situation y est beaucoup plus délicate.
Contrairement au programme 164, le programme 165 affiche une baisse de ses crédits de paiement, qui s'élèvent pour 2026 à 568 millions d'euros, soit une diminution de 31 millions d'euros, qui représente 5,2 % des crédits de l'année dernière.
Si cette baisse peut sembler brutale, elle ne résulte pas pour autant tant de coupes claires puisque les mesures générales d'économies ne se chiffrent qu'à 5,5 millions d'euros, mais plutôt de l'achèvement de projets importants initiés précédemment, à l'instar du nouveau siège de la CNDA, dont le coût total s'élève à 130 millions d'euros, et de l'absence d'engagement de nouvelles dépenses d'envergure.
Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une rupture assez nette avec la tendance des dernières années, puisque c'est la première fois depuis que je rapporte ce programme que j'ai à vous présenter des crédits de paiement en diminution.
Outre les mesures générales d'économies que j'ai évoquées, ainsi que le report de plusieurs projets immobiliers, comme à Mamoudzou ou à Nîmes, la baisse des crédits de paiement s'explique en partie par un nouveau gel des effectifs du programme, et ce alors que la dernière loi de programmation des finances publiques prévoyait 40 créations d'emplois en 2025 et en 2026. Plus précisément, il était prévu pour ces deux années la création de 25 postes de magistrats et de 15 postes de greffiers. Le cumul des gels d'emplois a donc pour conséquence un déficit de 80 emplois pour la justice administrative. En sus de ce gel des créations d'emplois, le plafond d'emplois affiche une suppression de trois postes.
Ce gel des effectifs, outre qu'il constitue une mesure contraire à ce que nous avions voté dans la loi de programmation, me paraît particulièrement préoccupant compte tenu de la tendance haussière inarrêtable que connaît l'activité contentieuse des juridictions administratives. Chaque année, les chiffres que je vous présente sont de plus en plus alarmants.
L'année 2024, dernière année pour laquelle nous disposons de chiffres consolidés, n'y échappe pas : les juridictions administratives non spécialisées ont franchi pour la première fois le seuil des 300 000 saisines. Plus précisément, elles ont été saisies de 320 014 affaires, soit une hausse de 7,4 % par rapport à 2023. Si l'activité contentieuse s'est avérée à peu près stable au Conseil d'État et dans les cours administratives d'appel, ce sont les tribunaux administratifs qui sont en première ligne de ce besoin accru de justice administrative. Plus inquiétant encore, les chiffres prévisionnels de 2025 font état d'une hausse vertigineuse de 20 % attendue dans les tribunaux administratifs.
Malheureusement, nonobstant une mobilisation des juges administratifs et des greffiers que je tiens à saluer puisqu'ils ont augmenté le nombre de sorties de 3,9 % à effectifs constants, le stock d'affaires en cours a augmenté de 10 % en un an, pour atteindre 272 478 affaires. Le seuil des 300 000 affaires en stock sera vraisemblablement dépassé en 2025.
Les deux juridictions administratives spécialisées présentent, quant à elles, une situation très contrastée.
La CNDA affiche des résultats indéniablement positifs, même si des avancées sont attendues en matière de valorisation du travail des rapporteurs.
En premier lieu, elle a mis en oeuvre la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, dite loi Immigration, avec une célérité qui est à souligner. Deux mesures principales la concernaient : l'extension du principe du juge unique et la territorialisation de son office. La première mesure n'a eu qu'un effet limité sur l'office du juge, puisque les affaires sensibles restent jugées collégialement - heureusement, dirai-je. La part des audiences à juge unique a tout de même augmenté de 21 % en un an. La seconde mesure s'est traduite par l'ouverture rapide de sept chambres territoriales. Cinq ont ouvert fin 2024 : deux à Lyon, une à Nancy, une à Toulouse et une à Bordeaux. Les deux dernières ont ouvert en septembre 2025 à Nantes et à Marseille. Cette territorialisation, que le Sénat avait soutenue, permet de rapprocher le justiciable du juge de l'asile et donc de réduire la fréquence des renvois, pour un coût maîtrisé d'approximativement 1 million d'euros. J'ai en outre constaté que les locaux de la chambre territoriale de Nantes, où je me suis déplacé en octobre, étaient parfaitement adaptés à la pratique juridictionnelle.
En second lieu, la Cour a su mettre à profit une baisse de ses entrées, qui se sont tout de même élevées à 56 497 recours, pour diminuer de 15 % ses affaires en stock, qui n'atteignent plus que 22 194 affaires, et pour réduire d'un mois son délai moyen de jugement. Je tiens à ce titre à saluer la mémoire de l'ancien président de la Cour, Mathieu Hérondart, qui est subitement décédé l'été dernier Il était apprécié pour son sens de l'écoute et son grand professionnalisme.
La dynamique est diamétralement différente en ce qui concerne le tribunal du stationnement payant (TSP) pour lequel la comparaison avec le mythe du tonneau des Danaïdes me semble appropriée tant la hausse des recours dépasse l'entendement.
Alors que le TSP ne compte que 15 magistrats et 150 agents de greffe, il a enregistré à lui seul presque 40 % des entrées contentieuses de la juridiction administrative pour l'année 2024 ! Les entrées contentieuses ont ainsi dépassé le seuil des 200 000 recours, soit une impressionnante hausse de 18,6 % par rapport à 2023.
Bien qu'en 2024 les sorties aient augmenté, grâce aux importants efforts consentis par le personnel du TSP et aux améliorations procédurales apportées par un décret de juillet 2024, elles restent tout de même à un niveau très inférieur aux entrées, le différentiel se chiffrant à 60 000. En conséquence, le stock d'affaires continue de croître et atteint désormais des niveaux qui interrogent sur la viabilité de l'ensemble du système de traitement du contentieux du stationnement payant : au 31 décembre 2024, 281 299 requêtes restaient à traiter, soit davantage que le stock d'affaires de l'ensemble des juridictions administratives non spécialisées, qui s'élève à 272 000. Pour 2025, le stock d'affaires devrait atteindre 355 000.
Cette situation dans les tribunaux administratifs et au TSP, qui prend chaque année des proportions plus préoccupantes, n'est plus acceptable. L'ensemble des agents m'ont confié qu'ils n'allaient plus y arriver. C'est pourquoi, en raison de l'inadéquation entre les moyens affectés par le projet de loi de finances aux juridictions administratives et la hausse continue de leur activité, couplée à un gel des effectifs, qui est contraire à la loi de programmation, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits des programmes 164 et 165.
M. Hussein Bourgi. - Je remercie le rapporteur de la qualité de son travail. Deux indicateurs nous préoccupent beaucoup : l'augmentation du nombre de contentieux dont sont saisies les juridictions de première instance et l'allongement de la durée de l'audiencement. L'érosion aussi infime soit-elle des budgets alloués pourrait conduire, dans les prochaines années, à de véritables difficultés dans les juridictions administratives. Je vous laisse imaginer l'impact d'une baisse de 22 ETP lorsque le nombre de contentieux augmente ! Le délai d'audiencement ne peut qu'augmenter...
C'est pourquoi nous sommes défavorables à l'adoption des crédits qui nous sont proposés.
M. Hervé Reynaud. - Je tiens à saluer le travail du rapporteur, qui a croisé les éléments budgétaires avec ses constats sur le terrain. J'entends les réserves émises sur les crédits dévolus à ces deux programmes. Pour autant, la situation de nos finances publiques peut justifier la contribution de ces juridictions à l'effort de maîtrise de nos comptes publics. C'est pourquoi nous soutiendrons un avis favorable.
M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis. - M. Bourgi l'a rappelé, le délai d'audiencement va augmenter ; le Conseil d'État l'a lui-même annoncé.
Merci, Monsieur Reynaud, de votre appréciation. Permettez-moi de vous dire pourquoi un avis favorable à ces crédits n'est pas susceptible de contribuer à participer à l'effort d'économies demandé, d'autant que les mesures d'économies générales ne représentent que 5,5 millions d'euros. Celles-ci se traduiront inévitablement par une augmentation de certains coûts supplémentaires dans les mois et les années à venir et par une justice de qualité moindre, avec une augmentation des délais de jugement, ce qui va à l'encontre des objectifs affichés depuis des années. Je pense que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Il importe, mes chers collègues, de marquer le coup sur ce sujet particulier !
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je vous rappelle l'avis défavorable émis par le rapporteur sur les crédits des deux programmes.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » et du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Justice ».
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Tribunal du stationnement payant
M. Yann Livenais, président
Mme Nathalie Massot, cheffe du greffe
Force ouvrière (FO) - Préfectures
Mme Catherine Magri, déléguée nationale
UNSA-Intérieur ATS
M. Paul Afonso, secrétaire général
Mme Roshni Raghunandan, membre
Association des magistrats de la Cour des comptes
M. Philippe-Pierre Cabourdin, président
M. Emmanuel Suard, vice-président
Mme Audrey Chaffard, secrétaire générale
Mme Ekrame Boubtane, trésorière
Syndicat des juridictions financières unifié (SJFU)
M. Laurent Catinaud, vice-président
M. Marc Simon, vice-président
Association des présidents et vice-présidents des chambres régionales des comptes
M. Thierry Vught, président
M. Christophe Strassel, membre de l'association
Syndicat de la juridiction administrative
Mme Sanaa Marzoug, vice-présidente
Mme Tiphaine Renvoise, secrétaire générale
CGT CE-CNDA
Mme Émilie Legris, secrétaire générale
M. Timothée Barbier, membre du bureau
M. Louis Martin, représentant du personnel
Union syndicale des magistrats administratifs
Mme Anne-Sophie Picque, présidente
M. Nicolas Connin, secrétaire général
LISTE DES DÉPLACEMENTS
NANTES - JEUDI 13 NOVEMBRE 2025
Chambre régionale des comptes du Pays de la Loire
25 rue Paul Bellamy, 44041 Nantes
- Entretien avec M. Luc Héritier, président
- Visite des locaux et rencontre des équipes
Tribunal administratif de Nantes
Hôtel Deurbroucq, 6 allée de l'Île Gloriette, 44000 Nantes
- Entretien avec M. Christophe Hervouet, président, et Mme Frédérique Specht-Chazottes, première vice-présidente
- Visite des locaux et rencontre des équipes
Chambre territoriale de la Cour nationale du droit d'asile
105 rue des Français Libres, 44200 Nantes
- Entretien avec M. Jean-Marc Guyau, président de la chambre territoriale, et Mme Anne-Laure Delamarre, secrétaire générale de la Cour nationale du droit d'asile
- Visite des locaux
MONTREUIL / PARIS - JEUDI 20 NOVEMBRE 2025
Cour nationale du droit d'asile (CNDA)
35 rue Henri Rol Tanguy, 93000 Montreuil
- Visite des nouveaux locaux puis entretien avec M. Thomas Andrieu, président, Mme Anne-Laure Delamarre, secrétaire générale et Mme Marie Lunshof, secrétaire générale adjointe
Conseil d'État
1 place du Palais Royal, 75001 Paris
- Entretien M. Thierry-Xavier Girardot, secrétaire général, et Mme Cécile Nyssen, secrétaire générale adjointe
Cour des comptes
13 rue Cambon, 75001 Paris
- Entretien avec M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, et Mme Maïa Wirgin, secrétaire générale de la Cour des comptes
* 1 Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.
* 2 Issu de l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics.
* 3 Voir le compte rendu de la séance du 22 janvier 2025.
* 4 Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.
* 5 Voir notamment le décret n° 2024-800 du 8 juillet 2024.
* 6 Cette part a été calculée en ajoutant, au dénominateur, le nombre de saisines des juridictions administratives non spécialisées, le nombre de recours devant la CNDA et le nombre de requêtes enregistrées par le TSP.
* 7 Décret n° 2024-733 du 5 juillet 2024 relatif au tribunal et au contentieux du stationnement payant.
* 8 Décision n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020.











