- L'ESSENTIEL
- I. LA JUSTICE JUDICIAIRE BÉNÉFICIE
TANT D'UNE HAUSSE DE SES CRÉDITS QUE DE RECETTES NOUVELLES
- A. LA CHANCELLERIE CONNAÎT UNE AUGMENTATION
DES CRÉDITS QUI LUI SONT ALLOUÉS ET PROFITE DE LA MEILLEURE
MAÎTRISE DE SES DÉPENSES
- 1. Le maintien de l'engagement budgétaire en
faveur du ministère de la justice lui permettra a priori d'honorer les
ambitieux objectifs de recrutement fixés par la LOPJ
- 2. Le ministère de la justice parvient
progressivement à maîtriser les dépenses attachées
aux frais de justice et à l'aide juridictionnelle, qui furent longtemps
dynamiques
- 1. Le maintien de l'engagement budgétaire en
faveur du ministère de la justice lui permettra a priori d'honorer les
ambitieux objectifs de recrutement fixés par la LOPJ
- B. PLUSIEURS DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI DE
FINANCES INSTAURENT DES RECETTES OU ÉCONOMIES NOUVELLES POUR
LA JUSTICE
- 1. L'instauration d'une contribution pour l'aide
juridique et la mise de tout ou partie des frais d'enquête pénale
à la charge de la personne condamnée permettront de
percevoir des recettes utiles au fonctionnement de la justice
- 2. La réduction du périmètre
d'application de l'obligation de recours à certaines expertises
judiciaires soulève une question de procédure pénale qui
aurait mérité un examen législatif ordinaire
- 1. L'instauration d'une contribution pour l'aide
juridique et la mise de tout ou partie des frais d'enquête pénale
à la charge de la personne condamnée permettront de
percevoir des recettes utiles au fonctionnement de la justice
- A. LA CHANCELLERIE CONNAÎT UNE AUGMENTATION
DES CRÉDITS QUI LUI SONT ALLOUÉS ET PROFITE DE LA MEILLEURE
MAÎTRISE DE SES DÉPENSES
- II. LES AMÉLIORATIONS QUE CONNAÎT LA
JUSTICE JUDICIAIRE DOIVENT ÊTRE POURSUIVIES ET L'ÉCHÉANCE
DE LA LOPJ ANTICIPÉE
- A. LA CONDUITE DES POLITIQUES NUMÉRIQUE ET
IMMOBILIÈRE DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE APPARAÎT ENCORE
PERFECTIBLE EN DÉPIT DE CERTAINES ÉVOLUTIONS
BIENVENUES
- B. LA RESTAURATION DE L'ATTRACTIVITÉ DES
PROFESSIONS JUDICIAIRES NÉCESSITERA UN SUIVI DES MESURES ADOPTÉES
ET UNE ANTICIPATION DES SUITES DE LA LOPJ
- A. LA CONDUITE DES POLITIQUES NUMÉRIQUE ET
IMMOBILIÈRE DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE APPARAÎT ENCORE
PERFECTIBLE EN DÉPIT DE CERTAINES ÉVOLUTIONS
BIENVENUES
- I. LA JUSTICE JUDICIAIRE BÉNÉFICIE
TANT D'UNE HAUSSE DE SES CRÉDITS QUE DE RECETTES NOUVELLES
- EXAMEN EN COMMISSION
- COMPTE-RENDU DE L'AUDITION DE
M. GÉRALD DARMANIN, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA
JUSTICE
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
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N° 145 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026 |
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Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2025 |
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AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale (1) |
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TOME VII JUSTICE JUDICIAIRE ET ACCÈS AU DROIT |
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Par Mmes Lauriane JOSENDE et Dominique VÉRIEN, Sénatrices |
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(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Laurence Harribey, Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, Lauriane Josende, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. Jean-Baptiste Blanc, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Thani Mohamed Soilihi, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Anne-Sophie Patru, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel. |
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Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 1906, 1990, 1996, 2006, 2043, 2047, 2048, 2060, 2063 et T.A. 180 Sénat : 138 et 139 à 145 (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 prévoit une augmentation des crédits de la mission « Justice » directement liés à l'activité de la justice judiciaire, qui est cohérente avec la trajectoire définie par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ) pour 2023-2027.
Le budget de la justice judiciaire apparaît donc préservé dans un contexte budgétaire contraint, ce qui permet à la Chancellerie de poursuivre une politique de recrutement ambitieuse, de revaloriser les professions judiciaires et d'améliorer l'environnement numérique de travail des agents.
Les rapporteures demeurent particulièrement attentives à la politique numérique du ministère, dans la mesure où les dysfonctionnements nombreux et la désuétude manifeste des applicatifs judiciaires altèrent grandement les conditions de travail des agents. Le déploiement actuel de plusieurs applicatifs conséquents appelle donc à une vigilance accrue. Les rapporteures saluent les améliorations réalisées par le ministère dans la conduite de sa politique numérique, spécialement en ce qui concerne la procédure pénale numérique (PPN) et Cassiopée, et l'invitent à poursuivre cette démarche vertueuse.
Les rapporteures regrettent en revanche que l'immobilier judiciaire demeure une variable d'ajustement. La suspension de l'essentiel des projets dont les travaux n'avaient pas encore commencé compromet la bonne intégration à l'autorité judiciaire des nombreux effectifs qui la rejoignent. Plus, les avocats et les agents du ministère continuent de critiquer la conception même de ces projets, ce qui exige de repenser le pilotage de la politique immobilière de la Chancellerie.
Les rapporteures soulignent enfin que l'article 78 du projet de loi de finances concerne essentiellement la procédure pénale, en dépit des effets budgétaires que son adoption entraînerait, et aurait donc dû être examiné dans le cadre d'une procédure législative ordinaire.
Sous ces réserves et après avoir entendu le garde des sceaux, Gérald Darmanin, la commission a, sur la proposition de ses rapporteures, Lauriane Josende et Dominique Vérien, émis un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2026.
I. LA JUSTICE JUDICIAIRE BÉNÉFICIE TANT D'UNE HAUSSE DE SES CRÉDITS QUE DE RECETTES NOUVELLES
A. LA CHANCELLERIE CONNAÎT UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS QUI LUI SONT ALLOUÉS ET PROFITE DE LA MEILLEURE MAÎTRISE DE SES DÉPENSES
1. Le maintien de l'engagement budgétaire en faveur du ministère de la justice lui permettra a priori d'honorer les ambitieux objectifs de recrutement fixés par la LOPJ
La mission « Justice » apparaît de nouveau préservée dans le projet de loi de finances pour 2026, en dépit du contexte budgétaire délicat que connaît la France. La trajectoire budgétaire établie en LOPJ sera en conséquence respectée. Les crédits alloués aux différents programmes que couvre cet avis budgétaire connaissent ainsi une hausse réelle.
La poursuite des efforts budgétaires permettra donc d'assurer le schéma de recrutement du ministère, tel qu'il a été défini en LOPJ. Les rapporteures observent toutefois que l'atteinte de l'objectif de recrutement des greffiers repose largement sur le plan de requalification des adjoints administratifs faisant fonction de greffier.
Les 576 recrutements annoncés par la direction des services judiciaires (DSJ) comptent donc 342 recrutements nets et 234 requalifications. Aussi les rapporteures seront-elles attentives à ce que ces mouvements de personnel ne compromettent pas le fonctionnement des services.
2. Le ministère de la justice parvient progressivement à maîtriser les dépenses attachées aux frais de justice et à l'aide juridictionnelle, qui furent longtemps dynamiques
Le budget de la Chancellerie a longtemps été grevé par la hausse significative des dépenses liées aux frais de justice et à l'aide juridictionnelle, qui augmentèrent par exemple respectivement de 9,6 % et de 15 % en 2022. Les rapporteures saluent donc les actions entreprises par le ministère de la justice pour contenir la hausse de ces dépenses qui comprimaient la marge de manoeuvre budgétaire de ses services :
· le succès du plan de maîtrise des frais de justice repose notamment sur l'association, au sein d'un comité stratégique des frais de justice, de l'ensemble des directions concernées par cette dépense1(*) et sur plusieurs politiques de sensibilisation des acteurs impliqués, telles que l'institution d'un tableau de bord prévisionnel mensuel ou le déploiement d'un réseau de référents « frais de justice ». Le ministère a en outre poursuivi le développement de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (Pnij), qui assure actuellement près de 99 % des écoutes téléphoniques et investit désormais le champ de la géolocalisation. Les représentants de la direction des services judiciaires ont estimé devant les rapporteures que le recours à la Pnij permettra de réaliser, dès 2026, une économie en tendance de près de 100 millions d'euros par an, car les prestations fournies par la Pnij sont deux fois moins onéreuses que celles proposées par les prestataires privés. Les services de la Chancellerie sont par ailleurs parvenus à engager une baisse de 9 % du nombre de véhicules gardiennés en 2024 et doivent désormais travailler sur la réduction du coût des mémoires y afférents, grâce aux ventes avant jugement, à l'affectation de ces biens ou à leur destruction ;
· les dépenses d'aide juridictionnelle devraient en outre être partiellement contenues par l'entrée en vigueur de deux dispositifs. Le premier consiste en la réforme de la rétribution des avocats dans le cadre des « grands procès ». Le décret n° 2025-257 du 20 mars 2025 accentue la dégressivité des rétributions versées aux avocats au titre de l'aide juridictionnelle à compter du 20ème client et la porte à 90 % à partir du 51ème. Les représentants de la DSJ entendus par les rapporteures ont estimé que ce dispositif permettrait de réaliser une économie lissée d'un million d'euros par an. Le second favorise le recouvrement par l'État de l'aide juridictionnelle garantie - laquelle est versée sans examen a priori de l'éligibilité - auprès des justiciables qui ne s'y avèrent pas éligibles. Cette procédure, introduite par le décret n° 2024-193 du 6 mars 2024, entrera en vigueur le 1er janvier 2026. Si la Chancellerie ne dispose pas des données nécessaires à l'évaluation précise de son rendement, elle l'évalue à près de dix millions d'euros par an.
B. PLUSIEURS DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI DE FINANCES INSTAURENT DES RECETTES OU ÉCONOMIES NOUVELLES POUR LA JUSTICE
1. L'instauration d'une contribution pour l'aide juridique et la mise de tout ou partie des frais d'enquête pénale à la charge de la personne condamnée permettront de percevoir des recettes utiles au fonctionnement de la justice
Les rapporteures ont accueilli favorablement deux dispositions qui figurent au sein de la première partie du projet de loi de finances et concernent directement la Chancellerie :
· la création d'une contribution pour l'aide juridique, qui figure à l'article 30 du projet de loi de finances pour 2026 parmi plusieurs dispositions relatives aux droits de timbre. Son montant, qui s'élèverait à 50 euros, serait acquitté par voie électronique lors de l'introduction de l'instance. Le produit de cette contribution serait perçu par l'Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats, qui le répartirait entre les barreaux pour l'affecter au paiement des avocats et, partant, financer les dépenses d'aide juridictionnelle. Les rapporteures jugent cette contribution bienvenue et soulignent qu'elle prolonge une initiative du Sénat, qui avait adopté l'an dernier le rétablissement de cette mesure.
· la mise de tout ou partie des frais d'enquête pénale à la charge de la personne physique condamnée. L'article 46 du projet de loi de finances modifierait l'article 800-1 du code de procédure pénale pour mettre les frais de justice criminelle, correctionnelle et de police à la charge de la personne physique condamnée - et non plus seulement de la personne morale. Les frais d'enquête pénale sont à la charge de l'État lorsqu'une personne physique est condamnée depuis l'adoption de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale. Lors de l'examen en première lecture de ce texte, le rapporteur de la commission des lois, Jean-Marie Girault, observait que le Gouvernement s'appuyait pour le défendre sur deux rapports de l'inspection générale des finances et de la Cour des comptes, qui « [mirent] en relief les inconvénients du dispositif [précédent], liés notamment à la complexité du calcul des dépens, aux problèmes posés par la gestion d'une masse importante de mémoires et à l'importance des redevables sans domicile fixe ». Les rapporteures ont interrogé les représentants de la direction des services judiciaires sur ces questions. Ces derniers estiment que le recensement des frais de justice sera grandement facilité par le déploiement de la procédure pénale numérique (PPN), spécialement en tant qu'elle reposera sur un identifiant de dossier judiciaire (IDJ) associé à une procédure dès son ouverture. Dans l'attente de la généralisation de l'IDJ à l'horizon 2028 et compte tenu des différentes incertitudes qui planent sur ce dispositif, les représentants de la Chancellerie entendus par les rapporteures ont retenu une évaluation très prudente de 2 millions d'euros de recettes induites par ce dispositif en 2026.
2. La réduction du périmètre d'application de l'obligation de recours à certaines expertises judiciaires soulève une question de procédure pénale qui aurait mérité un examen législatif ordinaire
Le projet de loi de finances procèderait en son article 78 à la réduction du périmètre d'application de l'obligation de recours à certaines expertises judiciaires.
Le dispositif réserverait le caractère obligatoire du recours :
- à une expertise médicale psychiatrique, avant tout jugement au fond, lorsque la procédure concerne l'un des crimes mentionnés à l'article 706-47 du code de procédure pénale, et non plus l'une des infractions mentionnées à cet article ;
- à une enquête sociale rapide, lorsqu'un jugement immédiat ou une incarcération immédiate est envisagé.
Si la réduction du champ de cette expertise médicale obligatoire aux seuls crimes de l'article 706-47 du même code n'interdirait pas à la juridiction d'instruction ou de jugement d'ordonner une expertise, en vertu de l'article 156 du code de procédure pénale, il apparaît toutefois qu'une telle mesure pourrait avoir pour effet indirect de réduire la cohorte des experts. Une telle évolution pourrait donc avoir des conséquences sur la célérité des expertises demandées.
Enfin, en dépit des enjeux budgétaires qu'elle soulève, cette disposition concerne avant tout la procédure pénale. Aussi son insertion au sein d'un texte financier apparaît-elle regrettable aux rapporteures, qui auraient jugé préférable de l'examiner dans le cadre d'une procédure législative ordinaire.
II. LES AMÉLIORATIONS QUE CONNAÎT LA JUSTICE JUDICIAIRE DOIVENT ÊTRE POURSUIVIES ET L'ÉCHÉANCE DE LA LOPJ ANTICIPÉE
A. LA CONDUITE DES POLITIQUES NUMÉRIQUE ET IMMOBILIÈRE DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE APPARAÎT ENCORE PERFECTIBLE EN DÉPIT DE CERTAINES ÉVOLUTIONS BIENVENUES
1. Les progrès réalisés par la Chancellerie dans le domaine du numérique doivent être poursuivis
Les difficultés rencontrées par le ministère de la justice en matière numérique ont justifié la mise en place d'un suivi de cette politique qui conditionne la qualité de travail des personnels judiciaires. Les rapporteures ont constaté lors de l'examen du présent projet de loi de finances que la Chancellerie résout un nombre croissant des problèmes qui s'élèvent dans le domaine du numérique. Les organisations syndicales représentatives ont ainsi salué les progrès sensibles de la procédure pénale numérique (PPN), qui a été mise en place dans l'ensemble des tribunaux et dont le développement se poursuit en coordination avec ses utilisateurs. L'applicatif Cassiopée2(*) a quant à lui connu les mises à jour qui avaient été annoncées lors de l'examen du précédent PLF. Le nombre de trames de procédure, qui s'élevait à près de 1 400, a déjà été réduit de 70 % et le secrétariat général oeuvre à l'utilisation d'un seul moteur d'édition, Opentext, pour faciliter leur mise à jour. La direction du numérique développe par ailleurs l'interconnexion de Cassiopée avec le logiciel de recouvrement des amendes de la DGFip (AMD) et le fichier de traitement des antécédents judiciaires du ministère de l'intérieur (Taj) pour favoriser la transmission automatisée des données entre les services et, partant, réaliser des gains de temps et des économies d'affranchissement.
La progression rapide des travaux du ministère dans le champ de l'intelligence artificielle générative a également été saluée par les rapporteures. Le ministère de la justice accusait en effet un retard significatif en la matière, qui avait été documenté l'an dernier dans le rapport d'information sur l'intelligence artificielle et les professions du droit adopté par la commission des lois3(*).
Les rapporteures demeurent toutefois attentives à la poursuite des efforts du ministère en matière numérique, spécialement dans le contexte du déploiement de Portalis et de Prisme. Les commissaires aux lois ont en effet constaté lors de déplacements au sein de juridictions judiciaires en juin dernier que Prisme apparaissait inabouti. Si le secrétariat général du ministère a en partie dissipé ces inquiétudes en faisant état des corrections qui ont été apportées au logiciel depuis lors et des tests « utilisateurs » nationaux qui ont été organisés en septembre dernier, les rapporteures suivront scrupuleusement les prochaines étapes de déploiement de ces logiciels. Elles envisagent à cette fin d'organiser dans les prochains mois de nouveaux déplacements en juridiction consacrés à la question du numérique.
Enfin, les rapporteures alertent la Chancellerie quant à la nécessité d'anticiper l'éventuelle adoption d'un projet de loi d'ampleur, tel que celui annoncé par le garde des sceaux et visant à assurer une sanction utile, rapide et effective. Plusieurs personnes entendues lors de leurs travaux ont en effet rappelé que l'adoption du « bloc peines » en 2019 avait engendré de grandes difficultés liées au défaut d'actualisation des différents applicatifs concernés.
« Fondation », l'outil de travail développé par le CSM
Le conseil supérieur de la magistrature (CSM) a déployé l'applicatif Fondation auprès de l'ensemble de ses membres le 3 mars 2025. Il a donc pu servir de support aux travaux du CSM durant le dernier examen de la transparence judiciaire4(*). Si le logiciel devra encore intégrer des fonctionnalités supplémentaires pour répondre à l'ensemble des besoins de l'institution, la progression de son développement témoigne des vertus de la méthode de beta.gouv.fr. Cette méthode de conception structurée à partir des besoins des utilisateurs garantit l'efficacité et en conséquence l'utilisation de l'applicatif. Le CSM a ainsi indiqué aux rapporteures que, dès l'examen de transparence du 17 mars 2025, 19 des 22 membres avaient déjà utilisé Fondation, que 56 % des rapports avaient été préparés en son sein et que le délai de restitution des avis de cette transparence avait été de 33 jours, contre 39 en 2023.
2. La politique immobilière du ministère suscite une préoccupation majeure qu'accentue la situation budgétaire actuelle
L'immobilier judiciaire continue de servir de variable d'ajustement. Ceci tient au fait que les programmes que couvre cet avis reposent en grande partie sur des dépenses de personnel et de fonctionnement incompressibles. Or, il est plus facile de restreindre les investissements. Le contexte budgétaire a ainsi entraîné la suspension de « la quasi-totalité des opérations judiciaires dont les travaux n'avaient pas été engagés », selon les représentants de l'agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij) entendus par les rapporteures. En conséquence, les prises à bail réalisées dans l'attente de la livraison des immeubles seront prolongées, notamment pour les juridictions de Bobigny, Dieppe, Mâcon, Perpignan et Toulon.
Les crédits alloués à l'immobilier judiciaire dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026 permettront en revanche de poursuivre les travaux des juridictions de Bayonne, Bordeaux, Cayenne, Saint-Laurent du Maroni, Valenciennes et Vienne et d'assurer la livraison du nouveau palais de justice de Lille, de la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin et du chantier de réhabilitation de l'île de la Cité dit « B2P1 ».
Le nouveau palais de justice de Lille
L'opération de construction du nouveau palais de justice de Lille témoigne des difficultés que peut rencontrer le ministère de la justice dans la conception puis la réalisation de ses projets immobiliers. Si l'opération a été approuvée dès 2016 et qu'une date de livraison était alors envisagée en 2021, elle a connu plusieurs évolutions de programmation entre 2016 et 2019 et un appel d'offres infructueux en 2019. L'appel d'offres engagé en 2021 a dû faire l'objet d'aménagements conséquents puis d'un ajournement pour des motifs tant exogènes (la crise des matériaux entre 2022 et 2023) qu'endogènes (l'adaptation des aménagements intérieurs du palais aux engagements pris durant les états généraux de la justice) au ministère de la justice.
La nouvelle reprogrammation des projets de l'immobilier judiciaire souligne l'inquiétude exprimée par les rapporteures lors de l'examen du précédent PLF quant aux difficultés que l'Apij rencontre à fidéliser ses effectifs dans un contexte d'incertitude sur les projets qu'il lui revient de conduire. L'Apij dénombrait ainsi déjà 31 départs lors de son audition en 2025, contre 25 au cours de l'année 2024 (le plafond d'emplois de l'agence étant de 164). Si le nouveau directeur général de l'Apij a relativisé l'importance de ces mouvements, dont l'ampleur serait comparable chez les promoteurs immobiliers, il n'en demeure pas moins utile de suivre l'évolution de ce taux de rotation.
Les représentants de la direction des services judiciaires, du secrétariat général et de l'Apij entendus par les rapporteures ont en outre indiqué que le garde des sceaux a sollicité les collectivités territoriales concernées par les autres projets de l'immobilier judiciaire pour qu'elles contribuent à leur financement et permettent donc l'engagement des marchés de travaux. La commune de Cusset a par exemple cédé gracieusement à la Chancellerie le foncier destiné au futur palais de justice, ce qui a permis au garde des sceaux de relancer les actes préparatoires à cette opération immobilière.
Au-delà des questions budgétaires, les rapporteures constatent de nouveau l'incompréhension persistante des avocats et des personnels judiciaires quant au pilotage de la politique immobilière et à la conception des projets du ministère. Cette situation engendre à la fois une inadéquation aux besoins et un surcoût, qui pèsent tant sur le budget de la mission « Justice » que sur la qualité de travail de son personnel.
La conduite des politiques numérique et immobilière du ministère de la justice connaît donc une évolution partiellement favorable, qui traduit les efforts encore inaboutis du ministère de la justice en la matière. Le garde des sceaux a annoncé durant sa dernière audition par la commission des lois qu'une réorganisation structurelle de la Chancellerie relative à l'immobilier et au numérique serait engagée le 2 décembre prochain. Cette démarche, longtemps attendue par les rapporteures, fera l'objet d'un suivi attentif.
B. LA RESTAURATION DE L'ATTRACTIVITÉ DES PROFESSIONS JUDICIAIRES NÉCESSITERA UN SUIVI DES MESURES ADOPTÉES ET UNE ANTICIPATION DES SUITES DE LA LOPJ
1. La totalité des mesures de revalorisation des professions judiciaires annoncées a été mise en oeuvre
Les états généraux de la justice ont fait état de la nécessité de revaloriser les métiers de la Chancellerie. Cette démarche repose sur plusieurs dispositifs dont les rapporteures saluent l'adoption et l'application.
Concernant les greffiers, les dernières mesures de l'accord du 26 octobre 2023 sont mises en oeuvre depuis cet exercice budgétaire. Le décret n° 2024-1050 du 22 novembre 2024 fixant des modalités exceptionnelles de promotion interne dans le corps des greffiers permet la requalification de 700 adjoints administratifs qui « faisaient fonction » de greffier sans disposer du statut correspondant. Un corps de cadre greffier de catégorie A a par ailleurs été institué par le décret n° 2024-1089 du 3 décembre 2024 portant statut particulier du corps des cadres greffiers des services judiciaires. La direction des services judiciaires a confirmé devant les rapporteures que 30 % du corps des greffiers avait vocation à l'intégrer durant la période 2025-2026, avant qu'une procédure de recrutement pérenne soit instituée5(*). Les discussions relatives à la revalorisation des directeurs des services de greffe ont par ailleurs abouti cette année, après un cycle de consultations entre les services du ministère et les organisations syndicales représentatives, qui ont dit leur satisfaction aux rapporteures. S'il serait hasardeux d'établir un bilan de ces mesures, les représentants de la direction des services judiciaires comme ceux des organisations syndicales ont souligné devant les rapporteures que l'augmentation du nombre de candidats aux concours de l'école nationale des greffes apparaissait encourageante6(*).
Concernant les magistrats, les rapporteures se réjouissent de la publication du décret n° 2025-1033 du 31 octobre 2025 fixant l'échelonnement indiciaire des magistrats de l'ordre judiciaire, qui procède à l'alignement de la grille indiciaire des magistrats judiciaires sur celle des magistrats administratifs. Cette mesure, longuement attendue par les magistrats, avait suscité la vigilance de la commission des lois lors du dernier examen budgétaire.
2. La résolution de la situation décrite par les états généraux de la justice exigera d'anticiper l'échéance de la LOPJ
Les programmes que couvre cet avis budgétaire apparaissent donc préservés, voire privilégiés, en cette période budgétaire délicate, ce qui permettra en principe d'honorer l'essentiel des engagements pris par le législateur lors de l'adoption de la LOPJ. Au-delà de l'augmentation des crédits qui lui sont attribués, le ministère de la justice a effectué ces dernières années des progrès significatifs qu'il lui incombe de poursuivre, spécialement dans le domaine du numérique.
L'échéance prochaine de la LOPJ justifie en toute hypothèse d'engager une réflexion relative à la programmation suivante. Il est en effet patent que les efforts actuels, louables et nécessaires, ne suffisent pas à remédier à l'ensemble des problèmes que connaît depuis plusieurs décennies la justice judiciaire. Les organisations syndicales représentatives entendues par les rapporteures soulignent toutes un besoin persistant de recrutement, en dépit des efforts conséquents réalisés ces dernières années.
Aussi les rapporteures demeurent-elles attachées à ce que le ministère élabore un outil d'évaluation de la charge de travail des magistrats, dont le développement a été à plusieurs reprises suspendu par le passé. Le désengagement de la direction des services judiciaires de la procédure en 2024 avait provoqué l'incompréhension des organisations syndicales représentatives entendues par les rapporteures. Ces dernières seront donc attentives aux résultats de l'étude de temps engagée cette année, qui doivent être transmis d'ici la fin de l'année 2025 à l'observatoire en charge du suivi des référentiels de la direction des services judiciaires. Un tel outil apparaît crucial pour anticiper le terme de la LOPJ et, partant, les prochaines projections relatives à la politique de recrutement du ministère de la justice.
*
* *
La commission a émis un avis favorable
à l'adoption des crédits
des programmes « Justice
judiciaire », « Accès au droit et à la
justice »,
« Conduite et pilotage de la politique de la
justice » et « Conseil supérieur
de
la magistrature » de la mission
« Justice », inscrits au projet de loi de
finances pour 2026.
La mission « Justice » sera examinée en séance publique le 12 décembre 2025.
EXAMEN EN COMMISSION
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons à l'examen des avis de nos collègues Lauriane Josende et Dominique Vérien sur les programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature ».
Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature ». - Depuis plusieurs années, la situation budgétaire du ministère de la justice est spécifique. En effet, longtemps négligée, elle apparaît depuis 2023 préservée, voire privilégiée.
Il s'agit de l'une des rares missions dont les crédits augmentent et nous devons nous en féliciter. Seulement, nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette évolution comptable sans apprécier la manière qu'a la Chancellerie d'employer ses ressources. Cette hausse de ses moyens budgétaires doit permettre au ministère de la justice de conduire une vaste politique de recrutement, de valoriser les différents métiers de la justice judiciaire et d'améliorer les conditions de travail des agents.
Il serait incompréhensible pour la représentation nationale que l'engagement budgétaire consenti au bénéfice de la Chancellerie n'améliore pas la qualité de la justice rendue. Il s'agit d'une exigence de bon emploi des deniers publics, que la situation budgétaire du pays rend plus impérieuse encore. C'est la raison pour laquelle nous nous attachons, depuis plusieurs années, à évaluer les politiques structurantes du ministère de la justice.
Malheureusement, cet exercice tournait à l'inquiétante routine. Année après année, nous constations l'augmentation sensible des dépenses de la Chancellerie sans que la situation de la justice judiciaire ne s'améliore véritablement.
Cette année, nous sommes enthousiastes d'observer les premières conséquences favorables de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ), qu'il s'agisse de l'arrivée d'un grand nombre de magistrats et de greffiers dans les juridictions ou de la poursuite de certaines politiques vertueuses.
Ces conséquences positives se manifestent en premier lieu par une meilleure maîtrise des dépenses dynamiques. Je songe particulièrement aux frais de justice, qui connaissaient une hausse significative et comprimaient les autres dépenses du ministère. En 2022, cette augmentation a atteint environ 10 %, portant ces dépenses à près de 650 millions d'euros. Il était donc essentiel que le ministère parvienne à juguler cette hausse et il y parvient. Cela tient notamment au développement de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (Pnij), qui effectue près de 99 % des écoutes téléphoniques. Selon les représentants du ministère, le développement de ce service permettra de réaliser une économie en tendance de près de 100 millions d'euros par an dès 2026.
Par ailleurs, nous saluons l'adoption de nouvelles recettes qui concernent directement la justice judiciaire, même si elles figurent au sein de la première partie du projet de loi de finances (PLF).
Ainsi, l'article 30 vise à instaurer une contribution pour l'aide juridique. Chaque justiciable devra payer 50 euros lors de l'introduction d'une instance et le produit de cette mesure financera l'aide juridictionnelle. Elle nous semble donc bienvenue, ce d'autant que les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle n'auront pas à payer cette somme.
De plus, l'article 46 prévoit la possibilité de mettre les frais d'enquête à la charge de la personne condamnée. Ce mécanisme, qui nous paraît juste, a été supprimé en 1993, compte tenu des difficultés pratiques qu'il entraînait. Toutefois, le ministère juge que le déploiement de la procédure pénale numérique (PPN) permettra de surmonter ces obstacles. Nous y sommes donc favorables.
Enfin, l'article 78 est rattaché à la mission « Justice ». Il vise à modifier le périmètre de l'obligation de recours à certaines expertises judiciaires. Si nous regrettons qu'il ait été introduit au sein d'un PLF, ce dispositif nous paraît favorable, dans la mesure où il améliore la liberté d'appréciation du juge. De plus, certains de nos rapports préconisaient son introduction.
J'en viens au numérique. Pour la première fois depuis plusieurs années, nous avons le sentiment que la situation s'améliore, tant pour les applicatifs anciens comme Cassiopée, que pour les nouveaux comme Portalis ou Prisme. Le ministère a su apporter des réponses à nos questions et elles sont rassurantes. Nous devons nous assurer que la Chancellerie poursuive dans cette voie. C'est la raison pour laquelle nous aimerions organiser de nouveaux déplacements dans les juridictions, consacrés notamment à la question du numérique. Les bilans des stages de juin dernier nous ont été très précieux dans nos échanges avec le ministère.
Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature ». - Nous avons constaté avec satisfaction les progrès effectués par le ministère au cours de l'année écoulée.
L'un des domaines qui l'illustrent le mieux est probablement celui de l'intelligence artificielle générative. Nous nous souvenons du rapport d'information intitulé L'intelligence artificielle générative et les métiers du droit : agir plutôt que subir, que nous avons adopté il y a près d'un an, et plus particulièrement du constat dressé par Christophe-André Frassa et Marie-Pierre de la Gontrie au sujet du ministère de la justice. La Chancellerie semblait tout à fait dépassée en la matière, au moment où les cabinets d'avocats investissaient déjà massivement dans cette technologie.
Un an après, le ministère a considérablement progressé. Il a créé une direction de programme dédiée à l'intelligence artificielle, identifié des cas d'usage et engagé une collaboration avec l'entreprise Mistral AI.
La démarche même du ministère apparaît encourageante, dans la mesure où il tire des enseignements de ses erreurs passées. Ainsi, le développement des logiciels d'intelligence artificielle générative obéira à une logique de co-construction, qui doit placer l'utilisateur au centre de la méthode de développement.
Cette politique exigera un suivi spécifique dans les années à venir. En toute hypothèse et comme l'avaient déjà remarqué nos collègues, le développement de l'intelligence artificielle générative ne remédiera pas au déficit de personnel judiciaire, qui reste criant.
À cet égard, nous nous réjouissons de la poursuite de la politique audacieuse de recrutement définie par la LOPJ, qui devrait être respectée à l'horizon 2027.
Toutefois, la programmation encadrée par la LOPJ arrivera bientôt à échéance, ce qui doit nous conduire à engager des réflexions. Toutes les personnes que nous avons entendues durant nos travaux - avocats, greffiers, magistrats, représentants de l'administration et le garde des sceaux lui-même - s'accordent pour considérer que le besoin de personnel du ministère demeurera significatif après 2027, en dépit des efforts réalisés depuis 2023.
Il est donc primordial d'anticiper les débats que nous aurons en vue de la prochaine programmation. Leur qualité dépendra des informations dont nous disposerons quant aux besoins du ministère.
C'est la raison pour laquelle nous sommes attachées à l'idée que le ministère de la justice développe un outil d'évaluation de la charge de travail des magistrats. Le développement de cet outil a été suspendu à plusieurs reprises par le passé. Nous espérons que l'étude de temps engagée cette année permettra d'aboutir à un référentiel robuste, qui sera utile pour concevoir la prochaine trajectoire de recrutement du ministère.
Au-delà de la question du recrutement, il sera essentiel d'améliorer la conduite de la politique immobilière du ministère. L'immobilier judiciaire demeure la grande variable d'ajustement du budget de la justice. Cela tient à une raison simple : l'essentiel des dépenses de la Chancellerie sont contraintes, qu'il s'agisse de dépenses de personnel ou de fonctionnement. Il est donc plus aisé de restreindre les investissements immobiliers, surtout judiciaires.
Cependant, cette économie a un prix important. En effet, les conditions de travail des agents sont dégradées et la mauvaise gestion des projets engendre des aménagements, voire des ajournements des chantiers, dont le coût augmente.
L'exemple du nouveau palais de justice de Lille est à cet égard éloquent. L'opération a été approuvée en 2016 et devait aboutir en 2021. Mais la programmation a évolué à plusieurs reprises et l'appel d'offres finalement lancé en 2019 s'est révélé infructueux. Les travaux ont commencé sur le fondement d'un appel d'offres engagé en 2021, année initialement prévue pour la livraison du bâtiment, qui s'avère trop petit avant même d'avoir été livré, compte tenu des nouvelles projections de recrutement du ministère.
Il est donc essentiel d'améliorer la qualité de l'immobilier judiciaire, ce qui exige en premier lieu de remédier aux pesanteurs de la politique immobilière du ministère. À cet égard, je rejoins la proposition formulée plus tôt, durant l'examen de l'avis budgétaire relatif à l'administration pénitentiaire, concernant l'adoption d'une procédure spécifique.
Lors de son audition devant notre commission, le garde des sceaux a indiqué qu'il engagerait, le 2 décembre prochain, une vaste réorganisation des politiques numérique et immobilière de la Chancellerie. Nous attendons de ces annonces qu'elles étayent la démarche actuelle du ministère, qui nous semble vertueuse quoiqu'encore inaboutie.
Nous vous proposons donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de ces programmes.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Dans la situation budgétaire aride dans laquelle nous sommes, lorsque des crédits progressent, nous les considérons avec un oeil favorable. C'est le cas du budget de la justice, qui a déjà augmenté de manière conséquente pendant plusieurs années.
Cependant, nous devrons faire preuve de vigilance sur deux points : l'embolisation de la justice criminelle et le traitement des violences sexuelles et sexistes (VSS).
Le stock d'affaires criminelles a doublé en cinq ans. En 2024, 4 593 dossiers criminels étaient en attente de jugement, contre 2 368 en 2019. Le délai d'écoulement du stock est donc passé de 12 à 17 mois.
Dans le projet de loi visant à assurer une sanction utile, rapide et effective (Sure), Gérald Darmanin fait des propositions qui tentent de répondre à cette situation. Certaines posent problème, comme l'instauration de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) criminelle ou l'impossibilité de faire appel de la décision d'une cour d'assises départementale devant une cour d'assises classique. Le garde des sceaux propose des solutions pragmatiques, mais j'ignore quels principes fondent sa démarche.
Nous ne sommes pas très conscients de ce qui se passe en matière de justice criminelle et n'entendons parler que des grands procès. D'ailleurs, ces derniers peuvent poser des difficultés d'organisation. Ainsi, lorsque la cour d'assises du Vaucluse a organisé le procès Pelicot, les autres procédures en cours ont pris un an de retard.
La justice civile connaît aussi des retards considérables, auxquels le garde des sceaux essaie de répondre avec le décret dit Rivage, en sacrifiant certains principes. Plutôt que d'essayer de faire face à l'afflux des demandes, il décide de limiter la possibilité de formuler ces demandes, dans un état d'esprit qui percute le principe de l'accès à son juge. Vaut-il mieux attendre longtemps pour avoir accès à son juge ou ne pas y avoir accès du tout ?
Face aux difficultés financières, ce budget reprend quelques bonnes idées apparentes, comme celle du droit de timbre, à laquelle nous sommes défavorables, car nous sommes attachés au principe de la gratuité de la justice.
Par ailleurs, le PLF reprend l'idée de mettre les frais de justice à la charge du condamné. Cette mesure avait été abandonnée parce que les tribunaux étaient incapables d'établir ces frais de manière stable. En tout état de cause, le gain est plutôt modeste. Au-delà, je voudrais attirer votre attention sur un sujet précis. Une personne peut être condamnée à une peine de détention, à une amende et à l'indemnisation de la partie civile. Si nous mettons aussi à sa charge les frais de justice, nous serons confrontés à un problème de priorisation des créances. Nous ne souhaitons pas que la créance de l'État devance celle de la partie civile, qui risque de ne jamais être indemnisée. Nous sommes défavorables à cette mesure, car nous sommes soucieux des droits de la partie civile.
Enfin, nous proposerons un amendement de suppression de l'article rattaché concernant les expertises.
Toutes ces mesures révèlent un état d'esprit : pour trouver des solutions budgétaires, on affaiblit la capacité des plus modestes d'avoir accès à une justice de qualité.
J'en viens aux VSS. Après avoir baissé pendant vingt ans, le nombre de féminicides par an stagne, malgré la mise en place d'un grand nombre de mesures en quelques années, comme le dispositif téléphone grave danger, les ordonnances de protection ou encore la formation des magistrats et des policiers.
Un rapport très intéressant a été remis hier au garde des sceaux par Gwenola Joly-Coz et Éric Corbaux, les deux magistrats qui ont mis en place un processus de partenariat efficace entre le parquet et le siège lorsqu'ils servaient au tribunal de Pontoise, et proposent un certain nombre de pistes. Nous en revenons toujours à la question du modèle espagnol, à la possible création de juridictions spéciales et à l'instauration d'une juridiction qui traiterait en même temps du civil et du pénal dans ces affaires.
Nous proposerons des amendements. L'un porte sur les outre-mer, dont on s'émeut parfois, mais pour lesquels on ne fait rien.
Nous nous abstiendrons aujourd'hui et notre vote en séance dépendra du sort réservé à nos amendements.
Mme Agnès Canayer. - Nous progressons sur le numérique et l'immobilier. Cependant, concernant ce dernier sujet, est-ce bien à la justice de gérer ? Quel est son degré de compétence en la matière ? Cette question ne devrait-elle pas relever du patrimoine ?
La courbe prévue par la LOPJ est-elle respectée en matière de recrutement des magistrats et des greffiers ? Où en est-on de l'ouverture du recrutement des magistrats ? Compte-t-on davantage de juges ayant déjà eu une expérience professionnelle ?
M. Francis Szpiner. - Au parquet de Marseille, il manque 20 substituts pour lutter contre le narcotrafic. Qu'en est-il des recrutements ?
Je ferai quelques observations concernant l'engorgement des cours d'assises. D'abord, et c'est heureux, il est causé par des procédures d'appel qui n'existaient pas auparavant.
Par ailleurs, je ne comprends pas le blocage sur la CRPC. Celui qui s'y soumet accepte de reconnaître les faits et d'écoper d'une peine négociée. En matière criminelle, pensez-vous qu'une femme victime d'agression serait mécontente que son agresseur reconnaisse les faits et qu'il soit ainsi évité à la victime d'avoir à déballer à nouveau ce qui lui est arrivé ? Justice serait ainsi rendue et bien rendue. Dans de nombreux cas, nous pourrions nous épargner l'énergie dépensée lors de procès dont nous connaissons à peu près l'issue, avant même qu'ils n'aient commencé. Avec la CRPC, la sanction arrive plus vite et elle est mieux acceptée. Elle permet de désengorger les cours d'assises sans que la justice en soit pénalisée.
Concernant les frais de justice, vous allez donner aux greffiers un travail formidable pour calculer leur montant. Des sommes astronomiques seront demandées, qui ne seront jamais payées. Il vaut mieux établir un forfait de frais de justice, qui serait à la charge du condamné et serait fixé en fonction du type d'affaires. Nous gagnerions du temps et de l'argent. Par ailleurs, ces mesures ne nuisent pas aux parties civiles, car notre droit est protecteur des victimes.
Mme Olivia Richard. - Concernant le plaider coupable, nous savons à quel point ce qui s'est passé lors du procès de M. Pelicot a permis de faire évoluer les consciences et d'instaurer un débat, comme seul permet de le faire un procès public. Or, pour les violences sexuelles, la tendance est de correctionnaliser. Le recours à des cours criminelles permettait d'éviter cette pente glissante ; il ne faudrait pas rendre invisibles des sujets qui commencent enfin à émerger et à nourrir des débats de société.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas parlé de blocage sur la CRPC criminelle. Le sujet est complexe et il va falloir qu'on y réfléchisse. Pour tempérer l'enthousiasme de M. Szpiner, je préciserai que ce dispositif ne permettrait de traiter que 10 % environ des affaires criminelles.
Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis. - Au sujet du droit de timbre, nous n'avons pas encore trouvé de meilleure solution, compte tenu des besoins de la justice et de la situation budgétaire du pays. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une nouveauté. Un dispositif similaire était en vigueur entre 2011 et 2014 et je me permets de vous rappeler qu'un droit de timbre de 225 euros existe déjà lorsqu'un justiciable interjette appel.
Concernant la mise de tout ou partie des frais d'enquête à la charge de la personne physique condamnée, il ne s'agit en effet pas d'une nouveauté. Ce dispositif a été supprimé en 1993 du fait des difficultés techniques et matérielles alors rencontrées. Depuis, les moyens numériques ont beaucoup évolué. Le ministère assure que les actes, qui sont forfaitisés, seront comptabilisés de façon automatique, grâce à l'identifiant de dossier judiciaire (IDJ) attaché à chaque procédure au sein de la procédure pénale numérique. Vous remarquerez par ailleurs que le magistrat conservera une marge de manoeuvre en la matière et pourra décider de ne pas ordonner cette prise en charge, par la personne condamnée, des frais d'enquête. C'est l'une des raisons pour lesquelles le ministère reste prudent dans son estimation des sommes qui pourraient être récupérées : il ne les évalue qu'à 2 millions d'euros pour 2026. Cependant, il faut bien s'engager et tenter de prendre des mesures.
Concernant la politique immobilière, le ministère doit faire des annonces la semaine prochaine. Il s'engage à tenter de rationaliser sa politique en la matière et de clarifier la répartition des missions entre l'agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij) et la direction des services judiciaires (DSJ). L'un des problèmes essentiels réside dans le décalage entre la conception initiale et l'exécution des projets, qui souffre de la lourdeur des procédures et s'étend dans le temps.
S'agissant du nombre de magistrats, le ministère est confiant quant à sa capacité d'honorer les engagements pris dans la LOPJ. Il faudra en toute hypothèse tirer un bilan pour savoir quels recrutements il sera encore nécessaire d'opérer. L'essentiel des personnes que nous avons entendues s'accorde pour considérer qu'ils demeureront importants.
Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis. - En ce qui concerne le recrutement des greffiers, il y a eu des retards. Cependant, l'école nationale des greffes (ENG) s'est adaptée pour accueillir des promotions plus nombreuses et organiser deux concours par an. De plus, le nouveau statut des greffiers devrait aider à mieux recruter. Le nombre de candidats augmente sensiblement. Aussi, le ministère devrait rattraper son retard cette année.
Nous avons interrogé les syndicats représentatifs de la magistrature et les services de la Chancellerie au sujet de l'ouverture du recrutement des magistrats, mais tous considèrent qu'il est encore trop tôt pour en dresser un bilan. Nous assurerons le suivi de cette réforme dans les prochaines années.
J'en viens aux expertises judiciaires, notamment psychiatriques. Lorsque nous avons travaillé sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles dans le cadre d'une mission d'information, les psychiatres eux-mêmes nous avaient dit qu'il ne fallait pas tout psychiatriser et privilégier des interventions lorsqu'elles sont vraiment utiles. Cependant, les magistrats doivent être formés pour savoir si l'expertise est nécessaire ou non. Or, nous peinons à mettre en place des formations sur ces sujets.
Les formations ne se mettent pas en place comme elles le devraient. La mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) compte 9 postes et un budget de fonctionnement de 20 000 euros. Nous ne nous sommes pas donné les moyens d'assurer cette formation. Les magistrats ne sont donc pas forcément formés, y compris quand ils entrent dans des pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intrafamiliales (Vif). Nous sommes confrontés à un problème concernant les formations et leur efficacité.
Je suis prête à envisager la mise en place des CRPC. Je suis d'accord avec Olivia Richard : il faut quelques procès d'exemple. Cependant, certaines femmes ne souhaitent pas que le procès de leur agresseur soit public. Il faudra de toute façon l'avis de la victime pour mettre en place ces procédures. Je n'y suis pas opposée si l'on communique bien sur le résultat et que l'on explique que les peines sont lourdes aussi. La CRPC pourrait même être plus didactique qu'un grand procès.
Concernant les frais de justice, il serait dommage que le ministère soit le seul organisme à ne pas savoir faire une comptabilité analytique, qui pourrait aussi permettre de bien piloter les dépenses. Si cette mesure peut pousser à sa mise en place, ne nous en privons pas.
Mme Lana Tetuanui. - Je voudrais encore plaider pour nos outre-mer, où le narcotrafic et les Vif sévissent particulièrement, et où le regard porté sur le fonctionnement de la justice doit être le même qu'en métropole.
Je pense déposer un amendement sur le texte. Il portera sur la Polynésie française, territoire vaste comme l'Europe dans lequel, pour tenir des audiences foraines dans certains endroits, il faut que le juge, le greffier et le reste du personnel se déplacent. Il s'agira de se pencher sur l'accompagnement des très jeunes enfants victimes de violences sexuelles, qui doivent être suivis dans des structures adaptées.
Enfin, quid de la mobilité des magistrats dans les outre-mer ? Au-delà d'un certain temps passé en fonction, un problème d'impartialité se pose parce que les magistrats connaissent tout le monde.
Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis. - Selon un rapport de la Miprof, en 2024, 600 nourrissons ont été victimes de violences sexuelles. Je comprends votre engagement sur le sujet.
En ce qui concerne la mobilité des magistrats, elle est obligatoire au bout de dix ans pour ceux qui occupent des fonctions spécialisées. La LOPJ a modifié les choses ; il faudra vérifier que cette mesure s'applique bien.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 166 « Justice judiciaire », du programme 101 « Accès au droit et à la justice », du programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et du programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice ».
COMPTE-RENDU DE L'AUDITION DE M. GÉRALD DARMANIN, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous poursuivons nos auditions budgétaires en recevant le garde des sceaux, dans le cadre de l'examen des crédits de la mission « Justice ».
Cette mission, monsieur le garde des sceaux, fait figure de mission préservée au sein du projet de loi de finances., dans la mesure où les crédits demandés sont en augmentation par rapport à 2025, de façon à atteindre un total proche de l'objectif de 10,7 milliards d'euros hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « pensions » fixé par la loi du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ).
Dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, nous ne pouvons que nous en féliciter, d'autant plus - je suis certaine, monsieur le garde des sceaux, que vous ne me démentirez pas sur ce point - que les enjeux qui sont devant nous sont de taille.
L'année 2026, dans la continuité de l'année 2025, doit être celle de la montée en puissance de nos moyens de lutte contre la criminalité organisée. Après la création des nouveaux quartiers pénitentiaires de lutte contre la criminalité organisée (QLCO), 2026 sera l'année d'institution du parquet national anti-criminalité organisée, le Pnaco.
Cette audition est ainsi l'occasion d'évoquer les incidences budgétaires de la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, et plus généralement de faire le point sur son application. Il est inutile de vous rappeler combien notre commission est attentive à la bonne mise en oeuvre de cette loi.
L'année 2026 devrait également conduire le Parlement à être saisi d'une importante réforme portant sur l'utilisation dans les enquêtes pénales des données de connexion, en vue d'assurer la conformité du droit français aux règles européennes. Notre commission s'intéresse particulièrement à ce sujet, auquel elle a consacré un rapport d'information en 2023 ; j'espère que vous pourrez nous indiquer les projets du Gouvernement sur ce terrain, étant souligné que le contrôle préalable que nous devons mettre en place suppose, lui aussi, des moyens matériels et humains complémentaires.
Je vais vous laisser la parole, monsieur le garde des sceaux, pour nous présenter les grandes lignes du budget proposé pour l'année 2026. Je la donnerai ensuite à nos rapporteurs pour avis ainsi qu'au rapporteur spécial de la commission des finances, Antoine Lefèvre, qui vous demanderont certainement de nous apporter des précisions sur les différents programmes de la mission. Ensuite, l'ensemble des collègues pourront intervenir.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je suis très heureux de vous présenter aujourd'hui les crédits du ministère de la justice, d'autant que je n'ai pu le faire à l'Assemblée nationale. Je me réjouis de constater que la haute assemblée s'intéresse à cette mission.
Le premier message que je souhaite adresser à votre commission - vous l'avez vous-même souligné, madame la présidente - concerne le respect, à l'euro près, de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, adoptée par le Sénat dans des conditions budgétaires et politiques très différentes de celles qui prévalent aujourd'hui. Le ministère des armées et celui de la justice sont les deux seuls ministères intégralement protégés par les engagements adoptés par le Parlement.
Cela n'était pas gagné d'avance : le projet de loi de finances pour 2025, déposé avant mon arrivée à la Chancellerie, ne respectait ni les crédits ni les emplois décidés par le Parlement et beaucoup pensaient encore il y a quelques mois que 2026 serait une année blanche budgétaire, notamment pour les projets immobiliers de la justice, pénitentiaires ou judiciaires, comme pour les créations d'équivalents temps plein (ETP). La lettre de cadrage du Premier ministre d'alors ne comportait d'ailleurs aucune référence à la LOPJ, ce qui n'était pas de bon augure.
Toutefois, le choix fait par François Bayrou puis confirmé par Sébastien Lecornu, que je remercie, traduit la volonté du Gouvernement de soutenir résolument nos armées et notre justice, qui a bien besoin de moyens. Ainsi, le ministère de la justice disposera en 2026, si le Parlement adopte ce budget, de 10,7 milliards d'euros de crédits de paiement, hors pensions, soit 266 millions d'euros de plus qu'en 2025.
En outre, alors que 3 000 ETP sont supprimés dans l'ensemble de la fonction publique de l'État, nous en créons 1 600, soit la plus forte progression de tous les champs de l'action publique. Ces emplois et crédits nouveaux sont très importants pour notre justice. Je précise que ces 1 600 emplois ne sont pas des postes virtuels, ce sont des effectifs bien réels, il s'agit bien de créations nettes, après la compensation intégrale des départs en retraite. Ces 1 600 emplois se composent de 855 emplois dans l'administration pénitentiaire, de 660 emplois dans les juridictions, ce qui inclut les magistrats - nous respectons ainsi, au magistrat près, la promesse faite par Éric Dupond-Moretti il y a trois ans à Annecy concernant le nombre de créations de postes -, et de 70 postes supplémentaires pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ces créations constituent un effort inédit pour le ministère de la justice.
Ce renforcement s'accompagne d'un enjeu majeur en matière de ressources humaines, avec la mise en application de tous les accords signés en 2023, 2024 et 2025 - notamment le protocole d'Incarville pour le personnel pénitentiaire -, portant sur la création d'un troisième grade, sur les directeurs de greffe et le personnel administratif et technique. Le personnel bénéficiera ainsi des avancées prévues par la loi organique du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire, que vous avez adoptée.
Mon deuxième message, après le respect intégral de la loi de programmation, concerne la culture de la responsabilité budgétaire que doit développer le ministère de la justice. Ce n'est pas son fort, depuis de nombreuses années, pour diverses raisons, peut-être d'abord en raison d'une confusion entre l'indépendance de l'utilisation des moyens et l'indépendance de la magistrature, laquelle, s'il faut la chérir, concerne l'acte juridictionnel et non la gestion des moyens du service public de la justice.
Le ministère doit rendre des comptes, conformément aux règles de l'État de droit : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit bien que chaque citoyen peut demander des comptes à son administration et ce principe s'applique particulièrement au ministère de la justice, compte tenu des moyens considérables mis à sa disposition pour réduire les délais de jugement, améliorer l'efficacité de ses outils informatiques et accueillir les justiciables, les victimes et les professions juridiques. Nous devons donc instaurer une véritable culture de la responsabilité budgétaire et assumer d'employer le terme de performance, qui se justifie pleinement s'agissant d'argent public.
Jamais encore un garde des sceaux n'avait fixé des objectifs de gestion chiffrés à ses chefs de cour. Je l'ai fait, via une circulaire adressée aux chefs de siège et de parquet, afin d'améliorer la gestion des cours d'appel et des tribunaux. J'ai également organisé, place Vendôme, une réunion commune avec la ministre des comptes publics, ses chefs de programme budgétaire et les chefs de cour et de juridiction. Enfin, une lettre a été personnellement adressée à chacun de ces derniers pour connaître leurs délais de jugement, leurs frais de justice, ainsi que leur taux d'absentéisme.
En outre, je leur ai fixé un objectif de 100 millions d'euros de recettes supplémentaires, car la justice rapporte aussi. Cela rapporte d'abord grâce à l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), et je salue d'ailleurs les auteurs d'amendements relatifs à cette agence sur le projet de loi contre les fraudes sociales et fiscales. Toutefois, bien qu'elle accomplisse un travail important, elle pourrait recouvrer encore davantage : l'écart entre saisies et confiscations demeure trop important. Ensuite, les autres recettes perçues par le ministère pourraient aussi être plus importantes, notamment les amendes civiles ou pénales, insuffisamment prononcées et mal recouvrées.
Pour accroître ces recettes, et permettre ainsi d'alléger les charges affectées au ministère de la justice par le budget de l'État, plusieurs leviers sont possibles :
- d'abord, nous proposons l'introduction d'un droit de timbre modeste - 50 euros -qui ne s'appliquerait pas aux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle ; ce droit de timbre existait jusqu'en 2013, avant d'être supprimé par Mme Taubira, mais il était alors versé au budget général de l'État ; nous proposons qu'il alimente directement le budget de l'aide juridictionnelle ;
- ensuite, nous envisageons d'accroître le recours aux commissaires de justice pour recouvrer plus efficacement les amendes pénales et civiles ; un article du projet de loi de finances traduit ainsi un accord passé avec la direction générale des finances publiques (DGFiP), afin que le produit des amendes soit recouvré non plus par les services des impôts mais par des huissiers rémunérés à cette fin ;
- nous souhaitons également relancer les ventes avant jugement ; celles-ci ont progressé de 47 % en un an, à la suite des instructions que j'ai données à l'Agrasc, mais on pourrait faire davantage ;
- enfin, on pourrait développer le recours aux jours-amendes, dont l'existence dans le code pénal et le code de procédure pénale est embryonnaire ; c'est l'objet du projet de loi pour une sanction utile, rapide et effective (Sure) que je présenterai au conseil des ministres en janvier prochain.
Mon troisième message concerne la rigueur comme levier d'efficacité. Nous devons mieux gérer l'argent public.
Pour la première fois, les frais de justice, qui explosaient, sont stabilisés en 2025 sous le niveau de l'inflation, avec une progression de 0,3 %, contre 10 % par an auparavant. Les chefs de cour et de juridiction ont oeuvré, en lien avec les services du ministre de l'intérieur qui vient de nous quitter, à la maîtrise de ces dépenses, notamment grâce à la plateforme nationale des interceptions judiciaires, qui permet d'éviter le recours à des prestataires privés bien plus coûteux. Nous avons ainsi pu enregistrer une économie de 30 millions d'euros cette année et nous espérons atteindre 45 millions à 50 millions d'euros en 2026.
La rigueur de la gestion passe par d'autres leviers, sans que l'indépendance de la justice soit jamais remise en cause. C'est le cas par exemple des véhicules placés en fourrière judiciaire ; nous avons actuellement en stock des milliers de véhicules - voitures, motos, quads, camions - saisis par les services d'enquête. Or, il ne s'agit pas toujours de la voiture de Jacques Mesrine, si bien qu'il n'est pas nécessaire de conserver ces véhicules cinq ou six ans jusqu'au jugement. L'an dernier, les fourrières comptaient encore 32 500 véhicules immobilisés, pour un coût annuel de 60 millions d'euros. En moins d'un an, nous avons réduit ce nombre à moins de 29 000, ce qui correspond à une baisse de 8 % des stocks, et avons obtenu une économie de 40 millions d'euros. Il faut poursuivre cet effort. J'affecterai des greffiers dans chaque cour d'appel pour mieux gérer ces fourrières, symboles d'une mauvaise gestion.
De la même manière, nous pourrions optimiser la gestion des objets déposés dans les tribunaux, comme les montres, les sacs et autres effets saisis ou confisqués. Beaucoup pourraient être vendus ou donnés à des associations, afin de réduire les coûts de gardiennage.
Grâce à la dématérialisation désormais complète des procédures correctionnelles, nous avons franchi un cap. Lorsque j'ai été nommé pour la première fois à la Chancellerie - j'ai été nommé trois fois garde des sceaux cette année, j'espère que la troisième sera la dernière ! -la première question que nous avions évoquée était celle du retard numérique du ministère de la justice ; on en était à la préhistoire, si j'ose dire. J'y ai consacré beaucoup d'énergie et de moyens. Ainsi, la procédure pénale numérique (PPN) est déployée sur l'ensemble du territoire national depuis plusieurs semaines ; c'est très positif. Il reste à mener à bien le projet Portalis, équivalent civil de la PPN.
J'annoncerai, le 2 décembre prochain, à l'occasion du vingtième anniversaire du secrétariat général du ministère, une réorganisation structurelle portant sur l'immobilier et le numérique au sein de mes services, parce que trop de gens s'occupent de trop de choses et qu'il n'existe pas de direction du numérique telle qu'il en existe dans les autres administrations. Ce chantier s'impose, surtout avec l'arrivée de l'intelligence artificielle.
Autre enjeu majeur pour la bonne gestion : la construction des palais de justice et des établissements pénitentiaires. Le plan « 15 000 places » n'a pas été tenu, pour diverses raisons, mais il connaît désormais une accélération, avec la construction de plus de 5 000 places en dix-huit mois. Nous aurons ouvert en 2025 quatre établissements pénitentiaires non prévus initialement, dont le nouveau bâtiment dit « Baumettes 3 », à Marseille, dans quinze jours.
J'ai également proposé la nomination d'un nouveau directeur pour l'agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij), en la personne de Benoist Apparu, ancien ministre du logement, ancien promoteur immobilier et maire, qui mettra son expérience au service d'une vision pragmatique de la construction des prisons et des palais de justice. Il nous faut encore bâtir le palais de justice de Bobigny, celui de Marseille, celui de Cusset, et d'autres encore, et de nombreuses prisons doivent être rénovées. Nous devons mener une véritable révolution au sein du ministère pour que les constructions soient plus rapides et moins chères.
Par ailleurs, nous consacrons de nouveaux moyens budgétaires à une nouvelle stratégie pénitentiaire. Dans trois semaines, un décret important instaurera la première direction générale du ministère, la direction générale de l'administration pénitentiaire. Il y aura ainsi une structuration en deux pôles, insertion et probation d'une part, administration pénitentiaire d'autre part, afin de donner du muscle à une administration centrale qui en manque beaucoup.
En outre, a lieu aujourd'hui même l'ouverture de notre seconde prison de haute sécurité, celle de Condé-sur-Sarthe, permise par loi du 13 juin 2025 dite « Narcotrafic » ; le Parlement se réjouira de constater que l'on a su mettre en oeuvre très rapidement cette stratégie pénitentiaire, qui fonctionne, puisque pas un drone, pas une clef USB, pas un téléphone n'ont pénétré au sein de la prison de Vendin-le-Vieil. De plus, tous les recours engagés contre l'État - soixante-six au total - ont été gagnés par l'État, grâce à la solidité du travail parlementaire que nous avions accompli ensemble.
Nous poursuivons également les rénovations de maisons d'arrêt particulièrement poreuses : la Santé, Arras, Douai, Corbas, Nanterre, etc. Je remercie d'ailleurs le Premier ministre d'avoir débloqué 30 millions d'euros dans les crédits de 2025, pour ce plan de renforcement. Les appels d'offres et les bons de commande sont lancés aujourd'hui.
Un projet de loi sur la justice pénale sera présenté, je le disais, en janvier prochain au conseil des ministres.
Parallèlement, d'importantes réformes civiles avancent, notamment sur la justice amiable, afin de désengorger une partie de nos tribunaux : désormais, 50 % des affaires passent par la conciliation et l'accord amiable entre les parties.
Je souhaite également réformer la justice économique, en particulier prud'homale, confrontée à des délais insupportables : jusqu'à six ans, appel compris, dans certains ressorts. Pour un chef de PME ou un salarié, attendre six ans une décision crée une insécurité juridique et financière inacceptable. S'ajoute à cela une grande incertitude, puisque 50 % des décisions prud'homales sont infirmées en appel, contre seulement 13 % dans l'ensemble du contentieux civil. Cette situation nuit à la confiance économique que nous voulons tous restaurer.
Je travaille également à la refonte de l'école nationale de la magistrature (ENM), dont la préfiguration est engagée. Cette réforme, de nature réglementaire, sera finalisée d'ici à la fin du premier trimestre 2026 pour entrer en vigueur à la rentrée suivante. Nos autres écoles sont concernées : l'école nationale d'administration pénitentiaire (Enap), l'école nationale des greffes et l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse.
En somme, madame la présidente, vous recevez aujourd'hui un ministre qui, s'il n'est pas totalement satisfait de son budget, car il faudrait bien plus pour atteindre le niveau des standards européens, notamment de l'Allemagne, mieux dotée en magistrats, greffiers et agents pénitentiaires - les nôtres sont confrontés à la surpopulation carcérale, à la présence croissante de personnes souffrant de troubles psychiatriques et à un taux d'illettrisme dépassant 40 % -, ne peut pas se plaindre des arbitrages rendus.
D'ailleurs, lors de la réunion du président de la République avec le conseil supérieur de la magistrature, lundi dernier, j'ai constaté un fait inédit : pour la première fois, les propos introductifs et les questions du Conseil portaient non pas sur les moyens, mais sur d'autres sujets essentiels, notamment la défense de l'État de droit, que nous devons conforter, notamment en protégeant nos magistrats, victimes d'attaques personnelles, parfois d'origine étrangère. Je pense en particulier au juge Nicolas Guillou, membre de la cour pénale internationale (CPI), visé par un executive order de M. Trump. Bien sûr, nous avons besoin de moyens, mais la voix de la France, celle d'une justice indépendante, demeure une richesse inestimable qu'il nous faut préserver.
Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis de la mission « Justice » sur les programmes 166 « Justice judiciaire », 101 « Accès au droit et à la justice », 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et 335 « Conseil supérieur de la magistrature ». - Monsieur le garde des sceaux, je souhaite vous interroger sur deux thèmes que vous avez évoqués sans les développer : l'immobilier judiciaire et l'intelligence artificielle générative.
Tout d'abord, l'immobilier a souvent servi, avec le numérique, de variable d'ajustement budgétaire compte tenu des contraintes qui pèsent sur la Chancellerie. Nous le déplorons évidemment, mais nous craignons surtout que cette politique cruciale fasse l'objet d'un pilotage incertain. Vos services ont à cet égard été assez rassurants quant à la poursuite des chantiers qui doivent être livrés l'an prochain, qu'il s'agisse de Lille, de l'île de la Cité ou de Saint-Martin. Nous aimerions obtenir de votre part des précisions, notamment sur la participation que vous sollicitez auprès des collectivités territoriales pour financer certaines opérations.
Au-delà, nous constatons à chaque exercice budgétaire le mécontentement du personnel de votre ministère et des avocats quant à la conception même de ces différents projets immobiliers. Comment envisagez-vous d'améliorer la conception des projets à venir, qui conditionne largement leur qualité d'exécution ?
Ensuite, parmi les chantiers récemment lancés par votre ministère figure celui de l'intelligence artificielle générative, qui intéresse particulièrement le Sénat. Lorsque nos collègues Christophe-André Frassa et Marie-Pierre de La Gontrie ont présenté leur rapport d'information sur l'intelligence artificielle et les métiers du droit, il y a à peu près un an, vos services commençaient tout juste à identifier les cas d'usage potentiels de l'intelligence artificielle générative pour la Chancellerie, tandis que les cabinets d'avocats utilisaient déjà cette technologie. Quelles utilisations entendez-vous faire de l'intelligence artificielle générative et quand ces outils seront-ils disponibles pour vos agents ?
Outre ces cas d'application propres à la Chancellerie, cette technologie repose notamment sur l'exploitation des décisions de justice diffusées en données ouvertes. Quel est donc votre avis sur l'anonymisation des magistrats et greffiers concernés, qui semblent inquiets à ce sujet ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis de la mission « Justice » sur les programmes 166 « Justice judiciaire », 101 « Accès au droit et à la justice », 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et 335 « Conseil supérieur de la magistrature ». - Vous connaissez l'intérêt que le Sénat porte à la politique numérique de la Chancellerie. Ce sujet irrite singulièrement le personnel de votre ministère, alors que des crédits importants lui sont pourtant alloués depuis plusieurs exercices budgétaires.
On nous a parlé cette année de deux logiciels cruciaux, Portalis et Prisme, en cours de déploiement, et de mises à jour significatives de l'application Cassiopée. Sur ces sujets, je dois l'avouer, vos services se sont montrés rassurants et c'est la première fois en cinq ans que j'ai eu face à moi quelqu'un qui comprenait mes questions et dont je comprenais les réponses... Le chantier est pris à bras-le-corps et j'espère être là l'année prochaine pour voir si, effectivement, il y a eu une évolution.
Toutefois, dans les juridictions, on nous signale les problèmes de fiabilité de Prisme et de Cassiopée ; un greffier à Lyon nous a ainsi montré que la peine complémentaire d'un condamné apparaissait bien à l'écran, mais ne figurait pas sur le document une fois imprimé. Comment entendez-vous remédier à ces difficultés ?
Ensuite, vous l'avez dit, les cibles de la LOPJ sont encore loin des standards européens. Quel regard portez-vous sur cette loi ? Certes, on respecte sa trajectoire, mais sera-t-elle suffisante ? J'étais, avec Agnès Canayer, rapporteure sur ce texte, et nous avons d'emblée pensé que la trajectoire sur cinq ans devrait être prolongée. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, vous connaissez mon engagement contre les violences intrafamiliales, qui sont systémiques ; on ne pourra pas les éliminer sans prendre en charge les victimes, mais aussi les auteurs. Les centres de prise en charge ne relèvent pas de cette mission ; selon moi, ils y auraient pourtant plus leur place que dans le petit programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes ». Toutefois, ma question porte moins sur l'aspect budgétaire que sur l'efficacité de nos politiques publiques. Le niveau d'efficacité de ces centres de prise en charge est très variable. Dans un contexte où l'argent public est compté, il serait intéressant d'évaluer cette politique publique, afin de savoir qui doit être aidé et ce qui doit être dupliqué. Menez-vous une telle évaluation ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Justice ». - Je vous remercie, madame la présidente, mes chers collègues, de m'avoir convié à cette audition en tant que rapporteur spécial sur la mission « Justice ».
Ce projet de loi de finances est le douzième sur lequel je suis chargé du rapport spécial sur cette mission « Justice », ayant pris mes fonctions lors de l'examen du PLF 2015. Depuis lors, les crédits de la mission ont augmenté de 37 % en autorisations d'engagement et de 64 % en crédits de paiement.
Au cours de ces douze années, six gardes des sceaux de bords différents se sont succédé, avec des visions parfois éloignées, mais tous animés par la volonté de doter l'autorité judiciaire des moyens correspondant à la noblesse de sa mission. J'ai eu plaisir à travailler avec chacun d'eux.
Monsieur le garde des sceaux, je dois souligner votre volontarisme et votre ténacité. Vos précédentes expériences de ministre de l'action et des comptes publics puis de l'intérieur vous dotent certainement d'une vision périphérique de l'action judiciaire. Depuis votre installation place Vendôme, j'ai le sentiment que les choses bougent et semblent aller dans le bon sens.
J'ai publié en octobre 2023 un rapport sur le plan de construction des 15 000 places de prison et la dramatique question de la surpopulation carcérale soulevait quelques interrogations majeures. Or, la teneur innovante et volontariste de vos premières décisions en matière pénitentiaire témoigne d'une véritable vision pour la justice de demain, et je m'en félicite. Les quartiers de haute sécurité de Vendin-le-Vieil et de Condé-sur-Sarthe récemment ouverts aux détenus les plus dangereux, les projets de prison modulaire ou encore la récente nomination de Benoist Apparu à la tête de l'Apij constituent autant de signaux encourageants pour une politique carcérale marquée par des enjeux de respect des droits de l'homme. Ces mesures démontrent une volonté concrète d'augmenter les places de prison.
Je me félicite également que le Gouvernement ait choisi de reprendre à son compte, dans ce PLF, plusieurs propositions que j'ai formulées dans mon récent rapport sur les frais de justice et les frais d'enquête, notamment, à l'article 30 du texte, la réintroduction d'un droit de timbre pour chaque introduction d'instance, mais aussi le recouvrement, à l'article 46, de certains frais d'enquête pénale auprès des personnes condamnées. Ces nouvelles recettes permettront de combler la légère sous-exécution de la LOPJ 2023-2027.
J'ai trois questions à vous adresser.
À côté de la réintroduction d'une contribution forfaitaire de 50 euros pour chaque introduction d'instance, avez-vous également des projets pour la contribution de 225 euros due pour toute procédure en appel, qui existe mais doit se terminer le 31 décembre 2026 ? Son produit est actuellement affecté à l'indemnisation des anciens avoués auprès des cours d'appel, dont les fonctions ont été supprimées en 2011.
Le recouvrement des frais d'enquête par les personnes condamnées dépendra de la mise en place de systèmes informatiques et de procédures de recouvrement. Quelles solutions doivent être mises en oeuvre de façon prioritaire pour améliorer le taux de recouvrement, notamment des amendes pénales et des frais de justice ?
Sous réserve des résultats de la prochaine élection présidentielle, quelles priorités devraient, selon vous, être mises à l'agenda de la prochaine loi de programmation pour la justice, qui devra être examinée par le Parlement courant 2027 ? Quels devraient en être les grands contours et la trajectoire actuellement observée par la mission « Justice » sera-t-elle poursuivie ?
M. Louis Vogel, rapporteur pour avis de la mission « Justice » sur le programme 107 « Administration pénitentiaire ». - Je souhaite pour ma part évoquer les enjeux liés à la surpopulation carcérale. Depuis votre entrée en fonctions, vous vous êtes attaqué, monsieur le garde des sceaux, à ce problème ; il était temps.
Ma question aura trois volets.
Premièrement, le budget pour 2026 comporte un programme d'investissement pour créer de nouvelles places dans des prisons dites« modulaires ». Pourriez-vous nous détailler les raisons qui vous ont conduit à revoir certaines opérations du plan « 15 000 places » au profit de ces nouveaux programmes ? Pourriez-vous nous préciser le coût estimé de ces prisons modulaires ainsi que le calendrier de déploiement de ce nouveau plan ?
Deuxièmement, en ce qui concerne le plan « 15 000 places », de nombreux projets prêts à être mis en oeuvre sont bloqués faute de crédits. Envisagez-vous de prendre des mesures pour les débloquer ?
Troisièmement, la surpopulation carcérale ne peut pas se limiter à des mesures bâtimentaires, il faut changer la politique pénale. Un très intéressant rapport d'information de la commission des lois sur l'exécution des peines, rédigé par Dominique Vérien, Elsa Schalck et Laurence Harribey, propose de réintroduire les très courtes peines, de moins d'un mois, dont l'effet désocialisant serait moindre. En mai dernier, vous nous aviez indiqué ne pas disposer de structure adéquate pour recevoir des détenus sur de telles durées. Les quartiers pour courtes peines ne pourraient-ils pas remplir cette fonction ?
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je me permets de vous poser la question que Laurence Harribey, rapporteure pour avis du programme « Protection judiciaire de la jeunesse », qui ne peut malheureusement être présente aujourd'hui aurait voulu vous poser.
Elle porte sur les centres éducatifs fermés. Un programme de construction de vingt-deux centres est prévu. La commission des lois émet des réserves depuis plusieurs années sur ce dispositif et un rapport de l'inspection générale de la justice pointe cette année de réelles lacunes dans le fonctionnement des centres existants. Quelles mesures seront mises en oeuvre pour garantir que les nouveaux centres répondent à un besoin avéré et que leur implantation s'appuie sur une cartographie rationnelle, ainsi que pour garantir une durée effective de placement de six mois, condition sine qua non de l'efficacité de ces centres ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Je commencerai par les questions immobilières.
En premier lieu, le problème du ministère de la justice est qu'il possède un parc immobilier important, réparti sur tout le territoire, constitué à la fois de grands paquebots, comme le tribunal de Paris ou la prison de Fresnes, et de très petits sites, tels que les centres éducatifs fermés, sans disposer pour autant d'une direction de l'immobilier ni - c'était d'ailleurs un défaut du ministère, qui explique sans doute ses difficultés, indépendamment du manque de moyens - d'un plan pluriannuel d'investissement.
Quand on gère une collectivité locale, on sait qu'il faut un programme d'investissement. Cela ne signifie pas que tout est budgétisé, mais il faut au moins évaluer ce dont on a besoin en autorisations d'engagement et ne pas changer de plan constamment ; on doit avoir une vision de son investissement liée à l'augmentation de sa population et à son plan local d'urbanisme.
Cette question est mal traitée au ministère de la justice ; c'est pourquoi je mets en place depuis un an un plan pluriannuel qui doit porter sur cinq, six ou sept ans, puisqu'il fallait jusqu'à présent sept ans pour construire une prison. D'ailleurs, ces changements de programme et de destination des projets expliquent entre 15 % et 20 % de l'augmentation du coût des projets immobiliers. Nous n'avons déjà pas beaucoup d'argent, les projets coûtent déjà très cher, donc, si, en plus, chaque ministre qui arrive change le modèle alors que l'architecte a été choisi ou que les appels d'offres sont lancés, le coût final est beaucoup plus élevé.
En deuxième lieu, comme pour le numérique, il n'y a pas de pilotage unique de l'immobilier au sein du ministère de la justice. La direction des services judiciaires (DSJ) s'occupe d'immobilier, mais l'Apij et la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) aussi. Par conséquent, lorsque je veux parler d'immobilier, je suis parfois obligé d'avoir trois ou quatre directeurs en face de moi. Ce matin encore, le président du tribunal d'Alençon me disait que la porte d'entrée de son tribunal ne fermait pas bien et qu'il avait de nombreux menus travaux à faire pour sécuriser ses locaux lors des extractions de détenus dangereux ; et il n'était pas évident, sur le moment, de savoir quel service ministériel était compétent pour commander les travaux, alors même que les études ont déjà été réalisées. Cela ne va pas... Je vais donc faire en sorte qu'une administration unique pilote l'immobilier, cela changera beaucoup de choses.
En troisième lieu, l'administration pénitentiaire dispose de bâtiments conçus en fonction du statut juridique du détenu et non de sa dangerosité. C'est absurde. Nous avons ainsi les maisons d'arrêt, pour les personnes condamnées à moins de deux ans de détention, à peu près identiques partout et qui sont surpeuplées, et les établissements pour peine, dont le taux d'occupation est de 97 %.
Or gérer des détenus, ce n'est pas gérer leur statut juridique ; ce qui compte, c'est leur dangerosité, leurs addictions, leur capacité de réinsertion, leurs difficultés, leur état psychiatrique, le fait qu'ils aient ou non vocation à rester sur le territoire national à l'issue de leur peine. Aussi, j'essaie de mettre en place depuis un an la catégorisation des détenus en fonction de leur dangerosité : les plus dangereux iront dans des prisons de haute sécurité, très carcérales, et les autres, qui n'ont pas les mêmes moyens de corruption ou d'évasion, auront besoin de moins de sécurité et iront dans des établissements moins carcéraux.
Aujourd'hui, quelle que soit la prison, le coût de la place est de 500 000 euros, mais toutes les prisons n'ont pas besoin de miradors. Par exemple, sur les 86 000 détenus de France, 16 000 sont en prison pour des délits routiers n'ayant pas entraîné de blessure ou de mort. Ces détenus n'ont pas vocation à être dans le même établissement que, disons, Mohamed Amra. Cela nuit au bon travail des agents pénitentiaires, à leur formation, mais aussi à la réinsertion et au suivi des addictions des détenus. La politique pénitentiaire que je porte vise donc la catégorisation des détenus, comme le font nos amis britanniques et allemands, ce qui permet de catégoriser les prisons.
Cela explique la construction des prisons de haute sécurité pour les détenus les plus dangereux. Quant aux détenus qui ne sont pas dangereux pour l'extérieur, car ils n'appartiennent pas à un réseau corruptif, ne commandent pas un point de deal et ne font pas partie d'une organisation terroriste, ils peuvent correspondre au profil des prisons modulaires.
La prison modulaire n'est pas une prison en kit, elle est bien en béton. Elle présente deux grands avantages. D'abord, elle est petite, elle ne compte que 100 à 150 places, contrairement à une maison d'arrêt, qui en compte 600 à 800, ce qui est très dur à faire accepter dans les territoires. Au total, 3 000 places seraient créées, pour 550 millions d'euros. Ensuite, elle est fabriquée en usine avant d'être assemblée, ce qui fait gagner deux ans sur les sept années de construction. Comme il n'y a besoin ni de miradors, ni de douves, ni de très hauts murs d'enceinte, le coût de la place baisse, de 500 000 euros à 200 000 euros, et ce, grâce à la catégorisation des détenus.
De son côté, la construction de la prison de haute sécurité de Saint-Laurent-du-Maroni durera quatre ans, parce qu'elle nécessite plus de « carcéralité ».
S'agissant des cités judiciaires, à ce jour, neuf projets dont été présélectionnés. À Marseille, le projet, d'un montant de 360 millions d'euros, regroupera cinq services actuellement répartis dans cinq endroits différents de la ville, ce qui pose des problèmes de lisibilité, de sécurité et d'accès. Le pôle correctionnel du tribunal de Marseille est vétuste ; la pluie coule à l'intérieur.
Le coût de la construction de la cité judiciaire de Bobigny s'élèvera à plus de 300 millions d'euros. À Meaux, le projet est évalué à 60 millions d'euros ; à Cusset, à 35 millions d'euros ; à Bonneville, à 20 millions d'euros ; à Chartres, à 50 millions d'euros ; à Dieppe, à 10 millions d'euros ; à Mâcon, à 10 millions d'euros ; à Valence, à 4 millions d'euros.
Le nouveau tribunal de Lille est un exemple typique de dysfonctionnement du ministère de la justice. On y a construit un nouveau tribunal, mais il est trop petit, il faudrait en construire un autre pour le pôle civil ! Évidemment, nous allons plutôt louer des locaux, mais c'est une démonstration de mauvaise organisation.
M. Vogel a tout à fait raison. Certains projets de prison n'attendent plus que la signature de la direction du budget. Tout est prêt, sauf l'argent. Quatre prisons sont ainsi en attente, la plus symbolique étant celle d'Angers. Pour l'instant, au conseil d'administration de l'Apij, la direction du budget refuse de signer. Nous menons une discussion en lien avec le Premier ministre, afin de débloquer ces projets.
En outre, certaines prisons ne sont pas construites en raison du refus des élus, comme à Magnanville dans les Yvelines, ou dans le Val-de-Marne. Pourtant, l'Île-de-France est la région où la surpopulation carcérale est la plus élevée. D'autres projets sont par ailleurs freinés par des recours, qui entraînent des difficultés juridiques, comme à Muret.
Bref, plusieurs raisons expliquent que des prisons ne sortent pas de terre.
Toutefois, cet été, nous avons inauguré celles de Villenauxe, de Nîmes et des Baumettes 3, soit 1 500 places créées en une année, alors que tout était bloqué depuis de nombreux mois.
Pour avoir été maire moi-même, je sais que, si quelqu'un vient demander de l'argent à une collectivité territoriale pour implanter une entreprise qui crée 400 ou 500 emplois, les élus sont prêts à participer ! Depuis neuf ans que je suis ministre, je décentralise l'État. Je suis celui qui a le plus oeuvré en faveur de l'aménagement du territoire, tant au ministère des comptes publics qu'au ministère de l'intérieur. Beaucoup d'entre vous ont obtenu l'implantation de sites de la direction générale des finances publiques qui étaient auparavant à Paris. À chaque fois, les collectivités territoriales m'ont accompagné, par la mise à disposition de places en crèche ou de logements, ou par des financements en espèces sonnantes et trébuchantes. Le ministère de la justice est le seul qui ne demandait aucune participation des collectivités territoriales. Cette participation peut revêtir des formes très diverses. Ainsi, le maire de Meaux paie l'intégralité des aménagements et parkings liés au futur tribunal. À Cusset, la municipalité vend le terrain pour un euro symbolique. À Marseille, les collectivités territoriales - métropole, région, ville - participent à hauteur de 20 % des 360 millions d'euros.
Que les collectivités territoriales participent, toutes strates confondues, à 10 % du montant d'un projet ne me paraît pas déraisonnable. L'argent ainsi économisé par le ministère pourra financer tous les projets en attente. Vous êtes nombreux à me demander le réaménagement de vos prisons ou de vos palais de justice. Cette participation des collectivités territoriales n'est pas obligatoire, mais fortement incitée. Elle est le fait de tous, sans préférence politique. Ainsi, la mairie communiste de Dieppe a été la première à me répondre favorablement tandis que des élus du bloc central s'y refusent. En conséquence, Dieppe a été priorisée.
J'ai peu de moyens à ma disposition, mais si les parlementaires souhaitent augmenter les crédits du ministère de la justice, je ne m'y opposerai pas dans le débat parlementaire.
J'en viens à l'intelligence artificielle. Il est compliqué de parler de ce sujet à des agents quand leurs logiciels actuels sont si lents. Je pense notamment au logiciel TUTI, relatif aux tutelles, qui prend 30 secondes à se charger chaque fois que le greffier change de page.
Je remercie le sénateur Lefèvre d'avoir rappelé mon expérience. En effet, j'ai mis en place l'impôt à la source au ministère des comptes publics, avec un certain succès, tout comme la plainte en ligne au ministère de l'intérieur. Depuis un an et demi, 50 % des plaintes sont déposées en ligne alors qu'auparavant, tout le monde se déplaçait au commissariat ou à la gendarmerie. Le permis de conduire est aussi totalement dématérialisé. Le fautif perd ses points directement sur son permis. Il n'est plus possible d'accuser sa grand-mère !
Ces projets numériques doivent être suivis politiquement. Il faut aussi que des directions « métier » s'en occupent, plutôt que de laisser simplement des personnes apporter un logiciel qui, si intéressant soit-il, ne correspond pas aux besoins quotidiens.
Vous ne m'avez pas parlé de la PPN, ce qui prouve que les choses ont progressé dans un continuum entre forces de l'ordre, parquet et siège. Le logiciel Portalis pose encore problème. Je pense raisonnablement que nous verrons le bout du tunnel en 2026. Nous étions mal partis. Je serai moins dur sur le logiciel d'exécution des peines Prisme, expérimenté dans les tribunaux judiciaires de Thionville et de Bordeaux. Nous prenons le temps ; il sera généralisé en 2026 si la conclusion est positive.
Tout cela n'est pas une question d'argent, c'est un problème d'organisation du ministère. Je pense que c'est au secrétariat général de mener les projets numériques. Actuellement, ils le sont un peu par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), un peu par la DSJ. Il faut un copilotage entre les ingénieurs et la direction « métier ». Je vous demande de me faire confiance, au regard des projets numériques que j'ai menés précédemment. C'est toujours très long, surtout quand c'est mal parti, mais nous n'allons pas tarder à voir le bout du tunnel.
Toutes les données de ces logiciels serviront la politique d'intelligence artificielle du ministère de la justice. J'appelle votre attention sur deux éléments très importants relatifs à cet enjeu au ministère de la justice : c'est à la fois une question de souveraineté et d'efficacité.
Face à l'utilisation de l'IA par les notaires, les avocats et les citoyens, on ne peut pas répondre uniquement par la hausse du nombre de greffiers ou de magistrats. Désormais, l'IA est capable de trouver, en quelques instants, une trentaine de motifs de nullité dans un dossier de 600 pages. Nous devons, nous aussi, travailler avec l'IA. L'an dernier, il n'y avait pas d'IA au ministère de la justice. Nous avons confié la première mission à ce sujet au directeur adjoint de l'ENM, qui m'a rendu ses conclusions. Désormais, 15 ETP sont consacrés à ce sujet.
Les magistrats utilisaient tout de même l'IA, de façon sauvage, en transmettant des données relevant du secret de l'instruction ou du secret des affaires à des outils comme ChatGPT, avec des références anglo-saxonnes n'ayant rien à voir avec notre droit napoléonien. L'IA peut servir le fonctionnement classique de la justice, par exemple pour une retranscription immédiate dans le cabinet du juge d'instruction, pour la lecture rapide de pièces afin d'éviter l'absence des signatures nécessaires, pour la synthèse des très nombreux documents d'un dossier volumineux, ou encore pour la rédaction d'un réquisitoire. Elle peut aussi servir l'administration pénitentiaire, pour mieux lutter contre les drones ou mieux sélectionner les repas des détenus.
Nous avons lancé plusieurs appels d'offres. De grandes entreprises françaises d'édition de livres juridiques sont désormais capables d'éditer des logiciels conversationnels, qui répondent à des questions de jurisprudence.
Nous devons bâtir un modèle français qui garantira, dans un cloud français, que le secret de l'instruction et le secret des affaires sont respectés, sans recourir à un serveur américain, israélien ou chinois, qui serait ensuite utilisé contre notre souveraineté. L'extraterritorialité, l'ingérence, voire l'espionnage, peuvent concerner le parquet national financier (PNF) lorsqu'il enquête sur de grands industriels français en concurrence avec de grands industriels américains. Nous devons faire attention à nos données.
L'IA concerne aussi, très concrètement, l'interprétariat. Nous avons tous constaté, en garde à vue ou au tribunal, qu'il fallait attendre l'arrivée du traducteur pour commencer. L'IA pourrait se charger de la traduction instantanée.
J'en viens à la question sur la poursuite de la trajectoire de la LOPJ. Dans la prochaine LOPJ, il faudrait inscrire au moins 5 000 à 6 000 nouveaux magistrats et au moins 3 000 à 4 000 agents pénitentiaires supplémentaires, ce qui inclut les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP), en comptant sur les innovations technologiques. J'espère que le Parlement et le Gouvernement y consentiront.
Madame Vérien, nous consacrons beaucoup de moyens à la lutte contre les violences faites aux femmes et aux mineurs. Sans doute doit-on étudier davantage ce qui se fait ailleurs, notamment en Espagne. Mon anté-prédécesseur s'était opposé aux tribunaux spécialisés. Pour ma part, j'estime la question ouverte. Puisque ce n'est pas une criminalité organisée, il n'est sans doute pas nécessaire de créer un parquet national dédié, mais ce contentieux de masse pourrait être spécialisé. C'est déjà un peu le cas de la cour criminelle, puisque 85 % des affaires traitées sont des viols. Toutefois, les violences faites aux femmes sont plus diverses. Le 25 novembre, journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, Mme Joly-Coz et M. Corbaux me remettront le rapport que je leur ai commandé sur ce sujet. Il en ressortira sans doute des propositions sur lesquelles nous pourrons travailler ensemble.
Dans le projet de loi pour une sanction utile, rapide et effective (Sure), je proposerai la fin de l'obligation d'aménagement de peine, donc, par principe, la possibilité d'effectuer de courtes peines. Il faut aussi utiliser toutes les peines substitutives à la prison ; d'ailleurs, la courte peine n'est pas forcément effectuée en prison. On dénombre encore 1 500 placements extérieurs non occupés, 11 000 bracelets électroniques non utilisés et un nombre de peines de travaux d'intérêt général (Tig) réalisées en baisse alors que l'offre de Tig augmente. Les magistrats ne souhaitent pas la surpopulation carcérale, mais parfois, leur seule façon de s'assurer de l'exécution de la peine qu'ils prononcent est de l'assortir d'un mandat de dépôt. Il faudrait créer une forme de mandat de dépôt des peines substitutives, pour garantir au magistrat que l'administration pénitentiaire les applique, qu'il s'agisse du bracelet électronique, du placement extérieur ou du Tig. Nous en reparlerons lors de l'examen du projet de loi Sure. Je suis favorable à une expérimentation sur les courtes peines, en la ciblant dans des territoires équipés de l'immobilier adapté.
Nous reparlerons des 225 euros des avoués avec les avocats, monsieur Lefèvre. Je suis favorable à ce que cet argent aille à l'aide juridictionnelle.
J'ai moi-même déclaré que j'étais désormais dubitatif sur les centres éducatifs fermés. J'ai commandé un rapport d'inspection qui indique que peu d'enfants sont concernés, sur le nombre de mineurs délinquants, et que les CEF sont plus efficaces lorsqu'ils sont gérés par des associations que lorsqu'ils le sont par l'État lui-même. Le nouveau directeur de la PJJ, M. Lesueur, travaille à une proposition. Il pourrait s'agir d'y mettre fin et d'aller vers d'autres dispositifs, avec l'armée ou l'éducation nationale. Les enfants en CEF ont paradoxalement moins d'heures de cours que les autres - huit heures hebdomadaires en moyenne -, alors qu'ils en ont davantage besoin. Faute de statut spécifique de professeur en CEF, l'enfant doit attendre plusieurs mois avant d'en avoir un. La politique des CEF est peu efficace alors qu'elle reçoit beaucoup de moyens.
M. Guy Benarroche. - Nous accueillons tous favorablement l'augmentation du budget de la justice dans ce PLF, tout en étant conscients que c'est un rattrapage progressif, pour une fonction régalienne laissée trop longtemps à l'abandon. Il faut renforcer tous les corps de métier, qui sont en sous-effectif. Trop peu d'ajustements sont réalisés après évaluation et, de plus, les mécanismes d'évaluation sont trop superficiels ou trop imprécis. On a parfois du mal à s'assurer du bon emploi de nos ressources, sauf à mener des missions parlementaires.
Après mes visites régulières, que l'on peut qualifier, comme vous l'avez fait, monsieur le garde des sceaux, de voyeurisme carcéral, auprès du CEF de Marseille ou de l'établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) La Valentine, je dresse un constat clair : cela coûte cher pour des résultats mitigés. Vous le dites ; nous le disons ; la Cour des comptes et l'Assemblée nationale le disent. En commission, nos collègues députés socialistes ont fait adopter un amendement visant à suspendre le plan de construction des CEF afin d'en réorienter les moyens, en particulier vers la PJJ. Lors de l'examen de cette mesure au Sénat, la défendrez-vous ?
Lors d'une réunion du conseil de juridiction à laquelle j'ai assisté vendredi dernier à Marseille, a été abordée la question de la prise en compte des victimes. En commission, les députés ont adopté un amendement écologiste de soutien aux associations venant en aide aux femmes victimes d'infractions pénales. Quelle est la position du Gouvernement sur cette mesure qui abonde de 2 millions d'euros les crédits de l'aide aux victimes ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Louis Vogel a dressé un constat sur la surpopulation carcérale que nous partageons tous. Monsieur le garde des sceaux, j'ai l'impression que vous faites de la régulation carcérale sans le dire. Vous refusez de prononcer ce terme, pourtant, vous avez organisé des rencontres avec l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale pour éviter que la surpopulation carcérale ne soit intenable pendant l'été dernier. Les parquetiers ont eu le sentiment que le Gouvernement, ne voulant pas assumer cette responsabilité, la leur faisait porter.
La course à la construction est assez vaine. Elle ne réduira pas la surpopulation.
La seule peine considérée comme certaine est la peine de prison avec mandat de dépôt. Pourtant, c'est aux parquetiers de s'assurer de l'exécution de la peine prononcée. Quelque chose ne fonctionne pas. Le pouvoir, quel qu'il soit, doit faire face à la réalité et assumer qu'il faut développer des alternatives : vous le dites vous-même.
Vos propos paraissent donc contradictoires ; je vous encourage à abandonner ce double discours. Cessez de bannir le terme de « régulation carcérale ». Lisez plutôt l'excellente proposition de loi visant à instaurer un mécanisme contraignant de régulation carcérale, que j'ai déposée avec Laurence Harribey.
On a évoqué le retour du droit de timbre en procédure civile - il est bien plus coûteux en appel : 225 euros. Monsieur le garde des sceaux, vous préparez un décret baptisé Rivage qui a vocation à réduire l'accès à la justice, à défaut de pouvoir répondre aux besoins. Vous voulez limiter, voire supprimer, la possibilité de faire appel et rendre la médiation obligatoire dans un nombre accru de procédures, ce qui n'est pas simple, car il faut des médiateurs, qui peuvent être payants. Ce décret traduit un état d'esprit selon lequel, quand on n'arrive pas à faire face au stock, on réduit le flux.
Enfin, je voudrais aborder la question de la suppression, par une décision du Conseil constitutionnel du 29 avril 2025, du droit de visite des parlementaires en prison. Je connais votre réponse, mais je veux vous l'entendre dire devant l'ensemble de mes collègues. Il est nécessaire, avant avril 2026, de réécrire l'article 719 du code de procédure pénale pour que ce droit soit maintenu. Vous m'avez affirmé en privé vouloir vous en assurer dans le projet de loi Sure, mais nous n'en connaissons pas le calendrier d'examen. Une de mes propositions de loi réglant ce problème pourrait être votée rapidement par tous mes collègues.
M. Pierre-Alain Roiron. - L'attractivité de la PJJ est faible. Le taux de vacance des postes d'éducateurs y atteint 7 %. La crise est grave. En moyenne, 20 % des agents qui travaillent à la PJJ sont contractuels. Que prévoyez-vous pour y remédier ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - S'il est défendu au Sénat, j'émettrai un avis favorable sur l'amendement socialiste imposant un moratoire sur les CEF. C'est l'objet même de ma réflexion et de l'inspection que j'ai demandée aux services. Il faudra savoir si ce moratoire inclut les CEF en chantier - je pense à ceux de Chalon-sur-Saône et La Rochelle -, qui doivent pouvoir être livrés.
Il faut des moyens pour la PJJ. Distinguons toutefois les EPM, comme La Valentine, des CEF. Il faut travailler, sur le modèle des établissements pour l'insertion dans l'emploi (Epide) ou des régiments du service militaire adapté (RSMA), entre éducation nationale, armées et ministère de la justice. La PJJ doit être mieux accompagnée et compter moins de contractuels. La réforme de l'école nationale de la PJJ est également un élément important. Je suis favorable au redéploiement des moyens des CEF auprès des agents de la jeunesse de notre ministère. La création actuelle de postes est un bon signe.
Certaines subventions aux associations de victimes relèvent d'autres ministères, dont celui de Mme Bergé. Dans le PLF pour 2026, le seul ministère de la justice consacre 17 millions d'euros aux associations de victimes de violences intrafamiliales, comme en 2025. Ce montant était de 16 millions d'euros l'année précédente. Il n'y a pas de baisse de crédits au ministère de la justice. Il se peut, en revanche, que les crédits aillent à des associations nouvelles.
Madame de La Gontrie, vous affirmez - accusation piquante - que j'aurais un double discours. Je m'étonne de votre changement de point de vue, selon que vous êtes ou non dans la majorité gouvernementale.
La surpopulation carcérale est un drame, tant pour les détenus que pour les agents. On dénombre 6 000 matelas au sol. Je ne m'en satisfais absolument pas. Une partie de cette surpopulation est liée à notre retard collectif dans la construction de prisons. Pendant le quinquennat de François Hollande, aucune construction n'a été décidée et les seuls établissements inaugurés à cette époque sont ceux qui avaient été lancés par son prédécesseur. En revanche, il y a eu 9 000 détenus supplémentaires sous son mandat. Il me semble même que Mme Taubira avait annulé la création de places voulues par ses prédécesseurs.
Ensuite, si le plan « 15 000 » n'a pas été à la hauteur, au moins, l'intention était là.
J'assume de mener la politique pénale du ministère de la justice. C'est même un pouvoir qui m'est garanti. Oui, j'ai donné des orientations ; ce sont les mêmes depuis un an. J'ai demandé aux parquets de requérir des peines de prison ferme dans trois domaines : le narcobanditisme ; les violences faites aux femmes et aux enfants ; les violences contre la République, qu'il s'agisse d'actes homophobes, antisémites, antireligieux ou attentatoires aux élus. Pour le reste, sauf cas individuel apprécié par le parquetier, je demande de ne pas requérir de peine de prison. L'été dernier, j'ai réuni, nationalement et localement, l'ensemble des branches du ministère. Je leur ai dit que je continuais à lire dans la presse locale, en l'occurrence dans La Voix du Nord, que des procureurs de la République requéraient des peines de prison ferme dans d'autres domaines que ceux que j'ai fixés. On me répond : « Fermeté ! ». Je trouve que la fermeté est formidable, mais ce n'est pas ce que j'ai demandé ! On ne peut pas me demander de régulation carcérale alors que l'on n'applique pas mes orientations. Je vous ai déjà parlé des bracelets électroniques et des placements extérieurs disponibles, mais en plus, cet été, la moitié des places de semi-liberté étaient vacantes ! Je me suis permis de dire à tous que je ne prendrais pas de mesure de régulation carcérale pour vider les prisons si les alternatives à l'incarcération n'étaient pas utilisées.
Le nombre de détenus augmente parce que le quantum moyen des peines prononcées par les juges a augmenté. En 1981, quand M. Mitterrand a été élu président de la République, il était de quatre mois. En 1995, à son départ, il était de neuf mois. En 2017, lorsque M. Macron a été élu, il était de onze mois. L'an dernier, il approchait les quatorze mois.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et on dit que la justice est laxiste !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - La justice n'est pas laxiste. Sous la présidence d'Emmanuel Macron, le nombre d'années de prison prononcées par an est passé de 94 000 à 122 000. Mais une peine de prison sur deux n'est jamais effectuée, contre une sur cinq quand M. Mitterrand était président de la République. M. Perben, Mme Dati, Mme Taubira, Mme Belloubet, M. Dupond-Moretti : chacun a renforcé les aménagements de peine. Or, plus ceux-ci étaient rendus obligatoires, plus les magistrats augmentaient les quantums de peine. Je suis très solidaire de mes prédécesseurs, mais l'aménagement de peine obligatoire ne fonctionne pas. Supprimons-le ! Cette obligation va profondément à l'encontre de l'indépendance du magistrat. Le code pénal dispose à la fois que l'auteur de telle ou telle infraction encourt une peine de six mois de prison et que pour une telle peine, nul ne va en prison ! C'est objectivement très difficile à comprendre.
Il ne faut pas réduire le nombre de personnes qui entrent en prison, mais le nombre de jours qu'elles y passent. Beccaria l'a dit : « Ce n'est point par la rigueur des supplices qu'on prévient le plus sûrement les crimes, c'est par la certitude de la punition ».
En revanche, la régulation carcérale, ce n'est pas demander au procureur de la République ou, le cas échéant, au juge de l'application des peines, de requérir une peine substitutive ou de laisser les gens en prison. La régulation carcérale, c'est ce que l'on a fait, par exemple, pendant la pandémie de covid-19. Cela répondait à des difficultés propres à la crise sanitaire, mais le fait de remettre en liberté un sixième, un cinquième, voire un quart des détenus a-t-il amélioré la situation ? Pas du tout, car il s'agissait de sorties sèches !
La régulation carcérale telle que vous la demandez et telle que l'a proposée le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui est un ami mais dont je ne partage pas les conclusions, n'est rien de moins qu'une sortie sèche ! Or, nous savons tous que les sorties sèches encouragent la récidive.
Je suis bien sûr très favorable à ce que des peines alternatives soient prononcées lorsque le cas s'y prête, qu'il s'agisse de Tig, s'ils sont bien encadrés, du port d'un bracelet électronique si son porteur n'est pas susceptible de frapper sa femme en rentrant chez lui, ou encore d'un placement extérieur si les associations font bien leur travail. La peine de prison ne doit pas être systématique. En revanche, lorsque le juge prononce une peine de prison, celle-ci doit être effectuée sans qu'il soit obligé d'augmenter le quantum de peines pour s'en assurer.
Nous ne sommes pas très loin d'être d'accord, madame de La Gontrie. Nous aurons l'occasion d'en discuter lors de l'examen de la loi Sure. Vous verrez alors que la philosophie que je porte, c'est surtout de redonner de la latitude aux magistrats pour qu'ils fassent baisser le quantum de peine. Je ne proposerai pas de toucher aux infractions du code pénal.
Enfin, je prendrai le temps de vous répondre sur le projet de décret Rivage, car peu de gens parlent de la politique civile, qui est pourtant essentielle pour nos concitoyens. J'ai publié l'été dernier deux décrets très importants consistant à placer l'amiable au premier rang lors d'un procès civil et qui ont été correctement accueillis par la profession d'avocat. La culture française veut qu'il y ait un perdant et un gagnant et donc un procès, alors que tous nos voisins cherchent à trouver un compromis. Cela vaut tant en matière correctionnelle qu'en matière civile.
Du reste, le divorce par consentement mutuel est une forme de règlement amiable que nous avons mis à la disposition des avocats. Peut-on pratiquer des formes de règlements à l'amiable dans d'autres domaines que les affaires familiales ? Sans doute : comme je l'ai mentionné précédemment, 50 % des affaires civiles concernées par les décrets que j'ai pris aboutissent à un accord sans avoir besoin d'être présentées devant le juge. C'est une question non pas de moyens, mais de procédure : comme le dit le dicton populaire, un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès.
Le projet de décret Rivage porte sur un autre sujet. L'un de ses objets est en effet de favoriser l'amiable et la conciliation, mais ce n'est pas le seul. Là encore, ce n'est pas une question de moyens : ce décret concerne 12 500 dossiers par an sur des centaines de milliers d'affaires civiles. Je précise d'ailleurs qu'il doit faire l'objet d'une concertation avec la profession d'avocat et n'a pas encore été envoyé au Conseil d'État.
Actuellement, le droit civil oblige le magistrat en appel à instruire un recours, avec le concours d'un avocat - peut-être est-ce là le problème -, même si l'appel a été déposé hors délai. Tout le monde sait qu'il sera donné tort au requérant in fine, mais on continue malgré tout d'emboliser les cours d'appel. Le projet de décret Rivage prévoit que, dans 12 500 dossiers par an, le magistrat peut refuser un recours s'il est manifestement irrecevable.
Il n'est en aucun cas question de priver le requérant de l'appel en matière civile. D'ailleurs, si je puis me permettre, madame de La Gontrie, le droit d'appel ne figure pas dans le code civil. Il est un droit en matière pénale, mais il n'est qu'une option, certes nécessaire, en matière civile, et non un principe général du droit. Le législateur ne l'a jamais souhaité ainsi.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas dit cela...
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Le périmètre du projet de décret Rivage exclut la quasi-intégralité des contentieux qui ont, si je puis dire, une portée sentimentale. Je pense bien sûr aux affaires familiales, mais aussi, par exemple, aux problèmes avec des locataires dans le domaine de l'immobilier. Il ne concerne que très peu de cas du champ du droit civil.
Prenons l'exemple d'un contentieux qui embolise les tribunaux et représente 30 % des contentieux d'une cour d'appel comme celle de Lyon : le contentieux entre la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et l'État pour savoir si un enfant doit être ou non accompagné par un accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH). Si la MDPH dit non et que l'État fait appel, il faut, en moyenne, quatre ans pour qu'un jugement soit prononcé en appel. Autant dire que l'enfant a alors quitté l'établissement où il aurait eu besoin d'un AESH... Voilà le genre de situations un peu absurdes qui mériteraient qu'un appel formulé hors délai ne soit pas examiné.
Ceci étant dit, vous avez parfaitement raison, des interrogations, des doutes ont été formulés que je veux écarter. Nous allons donc nous concerter avec la profession d'avocat, qui a l'impression que les réformes des dernières années n'ont pas donné les résultats qu'avait promis la Chancellerie, notamment les décrets du 3 juillet 2024 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées et du 8 juillet 2025 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile, dits décrets Magicobus. Je suis prêt à en discuter.
Toutefois, entre nous, madame de La Gontrie, la protection du justiciable ne consiste pas à lui promettre qu'il obtiendra un appel s'il prend un avocat, puisque dans 97 % des cas que j'ai évoqués, au moment où le juge statue, il rejette l'appel qui n'a plus de pertinence. Le projet de décret Rivage ne va donc pas révolutionner le monde. Vous me demandez combien de temps il nous fera gagner ; il nous fera gagner l'équivalent de quarante magistrats, ce qui est à la fois beaucoup et peu. Encore une fois, si ce projet de décret n'obtient pas le soutien de la profession d'avocat - notamment pour des raisons compréhensibles de modèle économique, car il est aussi question de cela -, je ne le déposerai pas en l'état.
Oui, je serai favorable à votre proposition de loi visant à garantir le droit de visite des lieux de privation de liberté des parlementaires et des bâtonniers si elle est inscrite à l'ordre du jour du Sénat, mais ce n'est pas moi qui en décide. Si ce n'est pas le cas, je l'intégrerai, en citant bien sûr ses auteurs, au projet de loi Sure.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Chiche !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Cela figure déjà dans le projet de loi.
Du reste, l'article L. 111-1 du code pénitentiaire autorise le garde des sceaux à visiter quand il le souhaite n'importe quel lieu dépendant de son administration, mais j'ai cru comprendre que vous lui refusiez ce droit.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - J'ai eu peur !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Enfin, je partage la grande détresse des agents de la protection judiciaire de la jeunesse, qui rencontrent des difficultés à exercer leur métier face à une jeunesse à la fois plus violente et plus souvent victime, malgré un manque de moyens et de reconnaissance. Sans doute est-ce celle des administrations dont j'ai la charge qui est le plus en difficulté. C'est pourquoi j'ai nommé un nouveau directeur et je prendrai des dispositions très fortes en début d'année prochaine.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, d'avoir bien voulu répondre à nos questions.
Ces débats évoquant de nombreux souvenirs chez les vieux avocats qui siègent dans cette commission, je me permettrai de formuler quelques observations.
Tout d'abord, je rappelle qu'il fut un temps où, lorsque l'on assignait devant le tribunal d'instance - qui n'existe plus -, on assignait aux fins de conciliation, puis de jugement. Je vois d'anciens confrères opiner du chef. Il existe toujours des conciliateurs, devant lesquels le juge renvoie souvent les parties avant de les entendre en vue de trouver un accord à l'amiable. Les procédures à l'amiable ont toujours existé.
Ensuite, si l'appel n'est pas un droit en tant que tel, le double degré de juridiction est un acquis de longue date. Il me semble que c'est à cela qu'il était fait allusion, plutôt qu'à un droit de faire appel à proprement parler.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Secrétariat général du ministère de la justice
M. Philippe Clergeot, directeur, secrétaire général adjoint
M. Pierre Chalan-Belval, chef du département chaîne civile et pénale, à la direction du numérique
M. Étienne Donat, directeur du cabinet de la secrétaire générale
Mme Claire Liaud, cheffe du service de l'accès au droit et à la justice et de l'aide aux victimes
Direction des services judiciaires (DSJ)
M. Roland de Lesquen, directeur des services judiciaires adjoint
M. Gautier Lefort, sous-directeur adjoint de la sous-direction des finances, de l'immobilier et de la performance
Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij)
M. Benoist Apparu, directeur général
M. Guilhem Blanchard, directeur général adjoint
Conseil supérieur de la magistrature (CSM)
M. Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation
M. Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation
M. Xavier Serrier, secrétaire général
Conseil national des barreaux (CNB)
Mme Anne-Sophie Lepinard, présidente de la commission Accès au droit et à la justice
Mme Nancy Ranarivelo, chargée de mission affaires publiques
Table ronde des organisations syndicales de la magistrature
Union syndicale des magistrats (USM)
M. Ludovic Friat, président
Mme Catherine Vandier, trésorière nationale adjointe
Syndicat de la magistrature
Mme Judith Allenbach, secrétaire permanente
Mme. Justine Probst, secrétaire nationale
Unité magistrats Force ouvrière
Mme Valérie Dervieux, membre du conseil national
M. Marc Lifchitz, trésorier général
Table ronde des organisations syndicales
relative
aux autres professions judiciaires
UNSa Services judiciaires
M. Hervé Bonglet, secrétaire général
Mme Sandra Charlier, secrétaire générale adjointe
Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires
M. Henri-Férréol Billy, secrétaire général adjoint
Syndicat des greffiers de France Force ouvrière
M. Jean-Jacques Pieron, délégué
M. Christophe Douchet, délégué
CFDT Services judiciaires
M. Guillaume Grassaud, secrétaire général
Mme Laurence de Susanne, secrétaire fédérale justice
* 1 Le comité stratégique des frais de justice rassemble depuis 2024 tant les directions du ministère de la justice concernées (DACG, ANTENJ, par exemple) que celles du ministère de l'intérieur dont les agents engagent cette dépense (DGPN, DGGN). Ce dernier a entraîné notamment l'institution de tableaux de bord mensuels prévisionnels, le déploiement d'un réseau de référents frais de justice, l'expérimentation des services centralisateurs régionalisés des frais de justice et le développement des actions de formation et de sensibilisation.
* 2 Cet applicatif constitue le bureau d'ordre national automatisé des procédures judiciaires. Il permet le suivi des procédures pénales de leur engagement à la décision rendue en appel.
* 3 Rapport d'information (2024-2025) sur l'intelligence artificielle et les professions du droit, fait par M. Christophe-André Frassa, sénateur, et Mme Marie-Pierre de la Gontrie, sénatrice, au nom de la commission des lois.
* 4 La « transparence » désigne l'examen par le CSM des propositions de nomination de magistrats.
* 5 L'accession à ce corps entraîne un gain indiciaire de 31 à 61 points. Cela représente une augmentation du traitement annuel de 1 944 euros à 3 719 euros pour les greffiers fonctionnels et de 2 419 euros à 3 395 euros pour les greffiers. Les crédits attachés à cette démarche de revalorisation s'élèvent à près de 9,5 millions d'euros en 2025 et 9,7 millions d'euros en 2026.
* 6 La direction des services judiciaires a indiqué que les concours des greffes ont réuni 3 585 candidats en 2023, 6 674 en 2024 et 12 383 en 2025, ce qui représente une augmentation de 245 % sur la période. Les rapporteures précisent toutefois que l'organisation, depuis 2024, de deux concours annuels biaise partiellement ces chiffres, car de nombreux candidats s'inscrivent aux deux sessions.

