III. LA LOIRE À BOIRE

Décisions claires, financements assurés : « ce n'est pas la Loire à boire » pourrait-on penser, pour reprendre l'expression des anciens mariniers, que l'exécution du plan du 1er février 1994. Si, de fait, le plan semble bien lancé, des incertitudes subsistent, qui interdisent de relâcher l'effort entrepris à la fin de 1994.

Deux des principales difficultés apparues au cours de l'élaboration du Plan Loire et qui pouvaient retarder, altérer ou remettre en cause son exécution sont en voie de résolution. Les visites effectuées par votre rapporteur dans l'estuaire et en Haute-Loire, les entretiens qu'il y a eus ainsi qu'à Paris, lui ont donné le sentiment que les parties prenantes étaient très largement disposées à admettre la logique de l'aménagement durable. La conviction que le dispositif adopté par le Gouvernement est irrévocable dans tous ses éléments y est sans doute pour beaucoup. Chez certains adversaires initiaux du Plan Loire, votre rapporteur a cependant cru pouvoir identifier, au-delà de la résignation à l'inéluctable, une véritable compréhension de la nouvelle logique de gestion intégrée.

Dans la mesure où il n'était guère envisageable de dresser l'inventaire exhaustif d'une situation complexe et évolutive, votre rapporteur a choisi de mettre en relief quelques aspects particulièrement significatifs à ses yeux des conditions de la mise en oeuvre du Plan Loire.

A. UN LANCEMENT SATISFAISANT

1. Le Plan Loire entre dans les moeurs

L'évolution récente de la situation dans l'estuaire et en Haute-Loire tend à démontrer la possibilité de concilier, dans des cas de figure profondément différents, la protection des personnes, la poursuite et le développement de l'activité économique, la protection des richesses naturelles.

a) L'estuaire

C'est un espace paradoxal, le plus aménagé du fleuve sans doute, voué largement à l'activité industrialo-portuaire, mais en même temps l'un des plus préservés, avec ses vasières et ses marécages qui servent d'abri et de site de reproduction à de nombreuses espèces d'oiseaux en disparition sur d'autres portions du fleuve et dans d'autres régions. Cette zone est en contact avec les zones humides voisines, en particulier le lac de Grand-Lieu dont la préservation est aussi prévue dans le cadre du Plan Loire. Le conflit d'usages dont le Plan Loire trace les axes de résolution a été provoqué par le projet d'extension du port autonome de Nantes-Saint-Nazaire.


L'extension du port autonome de Nantes-Saint-Nazaire

Le comité interministériel d'aménagement du territoire, du 20 septembre 1994, considérant que les estuaires constituent des pôles de développement privilégié de l'espace littoral, a décidé d'engager sur les trois principaux estuaires, dont fait partie celui de la Loire, des programmes concertés d'aménagement, de développement et de protection qui pourront faire l'objet de directives territoriales d'aménagement au sens de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire adoptée en décembre 1994.

L'élaboration d'un programme d'aménagement de l'estuaire a été lancée dans cette perspective, et dans la continuité de travaux et d'études déjà disponibles sur l'extension du port autonome de Nantes-Saint-Nazaire.

Celle-ci est d'une incontestable nécessité compte tenu du rôle reconnu au port dans le développement économique de la façade atlantique, que devrait confirmer le schéma d'aménagement portuaire en cours d'élaboration. En effet, le port autonome, qui ne dessert pas les mêmes axes de navigation que les ports de Dunkerque et du Havre, conserve un trafic non négligeable et un dynamisme certain en dépit des problèmes de compétitivité que pose le coût du dragage du chenal de navigation.

Afin que le port dispose des atouts nécessaires à son développement, il paraît indispensable de réaliser à moyen terme les extensions souhaitables. Le site de Montoir à l'amont immédiat du port de Saint-Nazaire, paraît en effet proche de la saturation et juxtapose dans un espace réduit un terminal méthanier, un terminal agro-alimentaire et un terminal charbonnier de façon jugée peu souhaitable sur le plan commercial. Il apparaît donc nécessaire de desserrer les activités liées au vrac. Enfin le terminal à conteneurs, qui assure les trafics à haute valeur ajoutée, n'a pas une capacité suffisante pour permettre le développement de ce type de trafic.

Un projet a donc été élaboré et des crédits d'étude ont été inscrits dans le contrat de plan État-région, afin d'étendre le port, en amont de Montoir, sur le site de Donges-est qui offre 700 hectares de vasières et de roselières intéressantes sur le plan ornithologique bien que partiellement remblayées à partir de 1978. Une digue devait être construite d'autre part sur la rive sud, à la hauteur de Paimboeuf, afin de concentrer la force du courant sur le chenal de navigation du port. L'objectif était de faciliter l'évacuation par la marée des dépôts qui envasent ce chenal et de diminuer ainsi le coût du dragage.

Du point de vue de la conservation de l'environnement, ce projet avait un double inconvénient. Il impliquait d'une part la disparition de vasières fréquentées par les oiseaux migrateurs, il paraissait ouvrir d'autre part, avec la digue sud, dénommée « virgule » de Paimboeuf, la perspective d'un comblement à plus ou moins long terme du bras de Loire situé au sud de l'île de Bilho avec des conséquences très négatives pour la qualité biologique de l'estuaire et pour la pêche professionnelle.


• Le Plan Loire

Le Plan Loire a défini un compromis entre ces divers intérêts dans les termes suivants :

« Afin de concilier le développement économique avec l'équilibre du milieu, le Gouvernement décide d'engager, sous l'autorité du préfet de région, l'élaboration d'un schéma d'aménagement et de protection de l'estuaire de la Loire. Le préfet fera établir un bilan régulier de l'état de l'estuaire en y associant les spécialistes compétents.

Le Gouvernement retient l'objectif visant à assurer la cohérence de la protection des zones humides voisines de l'estuaire et de leur gestion au sein de « l'écharpe verte » allant de la Brière au lac de Grand-Lieu de façon à aboutir au classement en zones de protection spéciales des secteurs les plus riches du point de vue ornithologique. Le préfet de région mettra en oeuvre les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif en s'appuyant notamment sur le Conservatoire du littoral.

La préservation des vasières situées dans l'estuaire, riches en bancs de poissons, notamment au sud de l'île de Bilho, est un objectif prioritaire. Les aménagements hydrauliques dans l'estuaire ne devront pas remettre en cause l'équilibre de ces zones.

Tenant compte de son intérêt économique, le Gouvernement confirme la décision d'extension des aménagements du port autonome sur la zone de Donges-est ainsi que sur la zone du Carnet et autorise le port à solliciter les autorisations nécessaires à cet aménagement. Cette décision est cependant subordonnée à la remise au Conservatoire du littoral par le port autonome de 1.500 hectares de terrains situés à l'intérieur de « l'écharpe verte » présentant un intérêt écologique et ne faisant pas l'objet d'aménagement. Ces terrains seront aménagés par le port de façon à reconstituer des vasières d'importance comparable à celle de Donges-est, notamment à l'amont de Donges-est et dans le secteur du bras de Migron. Le port autonome sera incité à participer à l'entretien de ces terrains ».

Tous les intérêts en présence paraissaient ainsi pris en compte. On notera que le sort réservé à la « virgule » de Paimboeuf n'est pas mentionné dans le relevé de conclusions du 4 janvier 1994. Celui-ci subordonne cependant les aménagements hydrauliques de l'estuaire à la préservation des vasières et des bancs de poissons au sud de l'île de Bilho, ce qui paraît impliquer l'abandon de la digue.

Le ministre de l'équipement de l'époque ne paraît pas avoir interprété dans ce sens l'arbitrage du Premier ministre puisque, autorisant en février 1995 le préfet de Loire-Atlantique à engager les procédures nécessaires au remblaiement des 700 hectares de Donges-est, il précisait, en ce qui concerne la digue de Paimboeuf, que les études hydrauliques devaient être poursuivies afin d'optimiser la gestion écologique et économique des dragages en tenant le plus grand compte du problème essentiel des conditions d'entretien et de servitude des accès maritimes, il rappelait aussi la diminution progressive de la participation de l'État à l'entretien des accès maritimes, insistant en conclusion sur l'intérêt qui s'attache aux projets hydrauliques qui permettent de garantir l'accès aux installations de Donges-est avec les moyens financiers qui lui sont accordés par l'État.

La « virgule » de Paimboeuf dont l'objectif était de faciliter le nettoyage du chenal de navigation de Donges en accentuant la force du courant qui s'y dirige, peut apparaître comme le type de projet hydraulique auquel le ministre paraissait faire allusion.

Il reste que la préservation du site de l'île de Bilho est désignée comme un objectif prioritaire du Plan Loire, ce qui paraît condamner la « virgule » à moins qu'une solution technique de compromis ne permette d'en reprendre l'étude sur de nouvelles bases.

L'incertitude touchant le sort de la « virgule » de Paimboeuf a suscité des interrogations sur la validité de l'implantation d'une nouvelle zone prioritaire à Donges-est. En effet, le coût du dragage est important sur cette portion du fleuve située assez en amont de l'estuaire, et l'entretien d'un chenal de 12 mètres de profondeur au droit de la digue de Donges sans l'effet de chasse attendu de la « virgule » a paru altérer la cohérence de l'opération projetée. D'autres difficultés se sont présentées.


Le rappel à l'ordre de l'Europe

L'aménagement des zones de l'estuaire intéressantes du point de vue ornithologique, et c'est le cas des vasières de Donges-est, est hypothéqué par la réglementation européenne sur la protection des oiseaux sauvages, instituée par la directive du 2 août 1979.

Il est intéressant de présenter un bref rappel du contenu de celle-ci.

La plus ancienne (mais pas la moins controversée) des mesures communautaires édictées en matière de protection de la faune sauvage a été la directive adoptée le 2 avril 1979 « concernant la protection des oiseaux sauvages ».

La protection, la gestion et la régulation de ces espèces prévues par la directive s'appliquent aux oiseaux ainsi qu'à leurs oeufs, à leurs nids et à leurs habitats. La directive accorde une attention particulière aux espèces menacées de disparition, aux espèces rares, aux espèces vulnérables et aux espèces à habitat spécifique ainsi qu'aux espèces migratrices en général.

Elle comporte cinq annexes. L'annexe V dresse la liste des activités de recherche et de protection à mettre en oeuvre par les États membres. Classant les espèces protégées dans les catégories énoncées dans des listes annexes, elle interdit toute chasse des espèces relevant de l'annexe I et invite les États à classer leurs territoires de conservation en « zones de protection spéciale », de même les territoires visités par les espèces migratrices.

Les États membres avaient en principe deux ans pour mettre leurs réglementations nationales en conformité avec la directive. On sait les problèmes de réglementation de la chasse que cette mise en conformité a posés à la France. On découvre avec l'estuaire de la Loire les problèmes de « zonage » qu'elle continue de susciter et la difficulté de résoudre les conflits d'usage sur les territoires répertoriés dans les inventaires de zones intéressantes pour la conservation des oiseaux dont la Commission européenne dispose. En effet, la France n'a pas encore effectué à ce jour la notification des zones de protection spéciale (ZPS) qu'elle entend instituer sur l'estuaire. Ce retard paraît provoquer à la Commission européenne une impatience croissante et somme toute légitime. Une mise en demeure aurait été préparée à la suite de la visite, en mars dernier, de représentants de la direction générale de l'environnement sur l'estuaire, visite qui a mis en lumière l'absence de progrès du dossier de la protection de l'estuaire au sein des administrations françaises. Aucune mise en demeure n'a encore été notifiée à la France par la Commission sur ce sujet. Il apparaît important de prévenir cet acte qui pourrait figer les positions en exacerbant localement les passions des partenaires-adversaires de la gestion de l'estuaire, et en rendant ainsi plus difficile l'exécution d'un élément essentiel du Plan Loire.


Un nouvel arbitrage

C'est ainsi que le ministre de l'environnement a annoncé, au cours d'une visite dans l'estuaire, le 16 octobre 1995, le lancement du processus de délimitation de la ZPS. L'objectif est de donner satisfaction à la Commission européenne sur la mise en oeuvre de la directive tout en permettant l'extension du port sur le site de Donges-est.

La partie aval de ce site, disposant des plus grandes facilités d'accès nautique mais dont l'intérêt écologique est particulièrement remarquable, serait classée en zone de protection spéciale sur une superficie de 180 hectares. La partie amont du site, composée de roselières et de prairies humides, serait également classée sur une superficie de 110 hectares. L'alimentation hydraulique de la vasière aval serait assurée grâce à des travaux exécutés dans le cadre des mesures complémentaires prévues par le Plan Loire.

Resterait alors disponible pour le port un linéaire de 2.600 mètres de quais se développant, en profondeur, sur un espace de 250 hectares. Enfin, au nord du site, une réserve industrielle de 150 hectares serait installée.

En définitive, la ZPS de l'estuaire pourrait s'étendre sur les 17.000 hectares répertoriés dans l'inventaire des zones de conservation des oiseaux à l'exception des 400 hectares de Donges-est maintenus en réserve pour le port, du chenal de Montoir (afin d'y poursuivre les travaux de dragage nécessaires), de la moitié sud du banc de Bilho, la partie nord étant réservée à un éventuel redéploiement des terminaux de Montoir, de la vasière de Méan, enclavée dans l'agglomération de Saint-Nazaire, et de zones humides de l'amont de l'estuaire.

Les consultations préalables à l'adoption définitive de cette délimitation sont en cours et les propositions françaises devraient être transmises à la Commission européenne au début du mois de décembre, ce qui permettra de lever l'hypothèque européenne sur l'extension du port de Nantes-Saint-Nazaire en direction de Donges-est, et de repartir de l'avant.


Les réactions locales et le projet de « port-aval »

Le collectif « Loire vivante » a jugé ce dernier arbitrage « irrecevable » au double motif qu'il abandonnerait au port autonome sur Donges-est une zone plus importante que celle réclamée par le port en 1992 pour son extension, et que les secteurs clés les plus intéressants du point de vue écologique seraient exclus de la ZPS : « Les vasières et les roselières, milieux biologiquement très riches, ont déjà payé un lourd tribut au développement portuaire. Aujourd'hui, le découpage proposé exclut la dernière grande roselière de l'estuaire située à Donges-est, ainsi que deux de ses trois vasières les plus riches : Donges-est et Méan. De plus, l'inclusion, dans le périmètre de la ZPS, du secteur de la Taillée, n'assure pas sa préservation. En effet, la zone de contact avec la Loire, indispensable à la survie du marais, est réduite à la portion congrue. Le port a eu beau jeu d'accepter, en échange, une extension de la ZPS sur la partie est : c'est un secteur qu'il n 'a jamais convoité en raison des difficultés d'accès ».

Par ailleurs, la limitation de la surface qui resterait disponible à Donges-est donne incontestablement un regain d'intérêt au projet d'étendre le port autonome non pas sur Donges mais à l'aval immédiat du port de Saint-Nazaire, à la limite de l'agglomération. Ce projet dit « port aval » avait été soutenu avec vigueur par le maire de Saint-Nazaire devant le conseil d'administration du port autonome en mai dernier avec les arguments suivants :

« - le linéaire de quai offert se situerait aux alentours de 2.000 mètres, à l'aval de l'existant, avec des hauteurs d'eau plus importantes et plus aisément accessibles ;

- cette nouvelle plate forme serait d'une surface et d'une profondeur suffisante pour des fonctions commerciales reliées directement aux infrastructures de Montoir ;

- la consommation d'espaces naturels (60 hectares) serait très réduite et facilement justifiée par la nécessité d'accueillir des sous-traitants des chantiers de l'Atlantique dans leur environnement proche ;

- enfin, la voirie et la voie ferrée de ce nouveau quai desserviraient également la façade sud des Chantiers de l'Atlantique et leurs zones de sous-traitance. Ceci permettrait le désenclavement des Chantiers et le décongestionnement de la voirie portuaire actuelle, (terre-plein de Penhoët et Boulevard des Apprentis). »

Dans une étude sommaire présentée en juin dernier, les services du port ont estimé que les caractéristiques et fonctionnalités du site du port aval ne permettaient pas de présenter le projet comme une véritable alternative à Donges-est qui permet de réaliser tous les types de terminaux. En outre, des problèmes de houle et de courants, dont l'expertise est en cours, se poseraient.

Il semble en tout état de cause, et c'est le sentiment que votre rapporteur retire des nombreux entretiens qu'il a eus à ce sujet, que le projet de port aval, encore insuffisamment étudié, représente sur les plans technique et économique une possibilité d'extension du port autonome susceptible de concurrencer sérieusement et intelligemment le projet de Donges-est.


Quelques remarques

La décision de permettre l'extension du port autonome sur le site de Donges-est, corrigée compte tenu de la contrainte européenne mais confirmée pour l'essentiel, apparaît, dans la logique de développement durable qui a inspiré l'ensemble du Plan Loire, comme un compromis satisfaisant entre la valorisation économique de l'estuaire et la préservation du milieu naturel. On peut certes en critiquer l'équilibre, ce que font les associations de protection de la nature qui en déplorent les conséquences sur la diversité biologique de l'estuaire. Il n'en demeure pas moins qu'il serait dangereux de remettre en cause, au nom d'une conception maximaliste de la préservation de l'environnement, le laborieux travail de conciliation des points de vue effectué ces dernières années sur l'estuaire comme sur l'ensemble de la Loire.

Cela n'interdit pas de reconsidérer éventuellement la pertinence des choix de développement portuaire effectués dans un contexte différent. L'aménagement à Donges-est d'un site amputé de 290 hectares dont il faudra maintenir l'alimentation en eau au prix de travaux dont le coût n'est pas encore évalué peut présenter un intérêt économique moindre et renforcer l'intérêt de l'option de port-aval, écologiquement plus satisfaisante. Aussi serait-il utile d'accélérer les études actuellement effectuées sur la faisabilité de ce projet afin de disposer des moyens d'apprécier, du point de vue économique, l'intérêt relatif des deux sites d'extension du port. Ne serait-il pas désastreux que les études d'impact qui seront nécessairement entreprises avant le lancement des travaux sur Donges-est concluent en faveur d'une autre implantation des extensions portuaires ? Toutes les conditions seraient alors réunies pour le déclenchement de nouveaux contentieux qui ne pourraient que retarder des aménagements qui doivent intervenir dans les meilleurs délais afin de donner au port autonome de Nantes-Saint-Nazaire la marge de développement dont il a besoin. En tout état de cause, le critère d'une reconsidération éventuelle de la décision concernant le site d'extension du port doit être économique. Votre rapporteur considère en effet qu'une remise en cause du compromis défini sur l'estuaire entre la logique d'aménagement et celle de protection du milieu naturel porterait atteinte à la crédibilité de l'ensemble du Plan Loire.

Telle n'est pas la perspective la plus vraisemblable et le déblocage des procédures de mise en oeuvre du plan permis par la délimitation des ZPS permet d'envisager avec confiance la mise en oeuvre du volet estuaire du Plan Loire, quel que soit le choix définitif du site destiné à recevoir les nouvelles installations du port autonome.

b) La Haute-Loire

Ce n'est pas par excès d'optimisme ni par goût du paradoxe que votre rapporteur considère le lancement des travaux prévus par le Plan Loire dans l'agglomération du Puy-en-Velay comme une manifestation convaincante, à quelques conditions près, de la pertinence de la notion de développement durable appliquée à la sécurité contre les crues. Il a en effet constaté lors d'un déplacement en Haute-Loire, que le lancement rapide des études préalables à la définition des travaux à réaliser et la bonne information de la population de Brives Charensac sur les objectifs hydrauliques recherchés, avaient commencé à atténuer le climat de suspicion qui s'est manifesté localement à l'encontre du Plan Loire.

En effet, le département de la Haute-Loire et l'EPALA ont refusé de participer financièrement au programme d'aménagement du lit à Brives Charensac. Celui-ci est donc exécuté avec une maîtrise d'ouvrage de l'État déléguée à la direction départementale de l'équipement de la Haute-Loire.

Celle-ci a mené à bien le choix des solutions techniques destinées à faciliter le passage des crues dans la ville et celui du maître d'oeuvre de l'opération, après un concours qui a assuré la transparence du processus et a permis de bien informer la population et les élus des solutions envisagées.

Le projet retenu prévoit la suppression de plusieurs seuils naturels et l'approfondissement du lit de la Loire dans la traversée de la commune de Brives Charensac. Il prévoit aussi le déroctage de 200.000 m 3 de roches et de 200.000 m 3 de matériaux alluvionnaires, des aménagements des rives (reprofilage des berges, débroussaillage sélectif), la construction de trois barrages mobiles pour le rétablissement de plans d'eau en étiage et des aménagements de loisirs (zones piétonnières, jardins, pistes cyclables).

Il prévoit également l'acquisition et la démolition de trois usines le long du fleuve, qui constituent une gêne à l'écoulement des crues.

L'ensemble de l'opération est estimé à près de 300 millions de francs.

Quelque 1.100 habitants de Brives Charensac devraient être protégés par cet aménagement. En outre, celui-ci aura une incidence négligeable sur l'écoulement des crues en aval de Brives Charensac.

Au droit du pont de Gallard de Brives Charensac, vieux pont en maçonnerie, il est prévu un déroctage entre les piles. Cette opération, délicate et coûteuse, réduira le remous, à l'amont de ce site, en période de crue, à une quarantaine de centimètres, ce qui est encore important. La démolition de ce pont et son remplacement par un ouvrage ne faisant pas obstacle à l'écoulement des crues seraient souhaitables, a-t-il été indiqué à votre rapporteur.

Un comité local de suivi de ce projet a été mis en place.

Votre rapporteur a constaté, lors d'une visite dans l'agglomération du Puy-en-Velay, que la logique du Plan Loire paraissait mieux acceptée que cela n'a été le cas immédiatement après l'annonce de l'abandon du projet de Serre-de-la-Fare. Il a noté par ailleurs qu'une des raisons des réticences persistantes était l'absence de mesures en faveur de la vallée à l'aval de Brives. Or, même si le danger des crues pour les vies humaines s'atténue rapidement dans la partie aval du cours supérieur de la Loire, on n'en est pas moins naturellement porté à considérer, localement, que la renonciation à la sécurité garantie par le barrage de Serre-de-la-Fare justifie que l'État finance des mesures préventives en faveur des quelques sites industriels ou d'habitat qui seraient exposés à des risques de dégâts matériels en cas de crue. Ce sentiment mérite d'être pris en considération. Votre rapporteur souhaite donc que soit étudiée la possibilité de réaliser localement des aménagements de protection ou tout autre mesure de compensation qui pourrait s'avérer justifiée.

c) les autres chantiers


L'ampleur des opérations

La liste des quelque vingt chantiers importants actuellement en cours d'instruction ou d'exécution, dont il n'est pas possible de retracer l'évolution dans le cadre du présent avis budgétaire, montre l'ampleur des opérations :

Les mesures spécifiques à la Haute-Loire, l'écloserie de saumon du haut Allier, le barrage de Naussac 2, le barrage de Chambonchard et les opérations annexes, l'effacement du barrage de Maisons-Rouges, la modélisation hydraulique de la Loire moyenne, les chantiers expérimentaux

de remise en état des berges, les expérimentations intéressant le relèvement de la ligne d'eau en basse Loire, la modélisation de l'estuaire, l'écharpe verte et le sauvetage de Grand-Lieu, les travaux sur les levées, la cartographie des zones inondables, l'adaptation des documents d'urbanisme, la modernisation de l'alerte de l'annonce des crues, le programme « milieu naturel » de 110 millions de francs, le programme « LIFE », l'évolution des extractions de granulats, le programme « Paysages », les mesures agri-environnementales.

Votre rapporteur a choisi de présenter quelques opérations exemplaires afin de dresser un tableau suffisamment évocateur de l'avancée du Plan Loire entre la Haute-Loire et l'estuaire.


L'effacement du barrage de Maisons-Rouges et autres éléments du programme « poissons migrateurs ».

Le Plan Loire prévoit l'effacement du barrage de Maisons-Rouges, sur la Vienne, pour permettre la remontée des poissons migrateurs. Une étude visant à définir les modalités de cet effacement et à proposer des mesures d'accompagnement a été effectuée par l'Agence de l'eau. Elle a été menée d'avril à décembre 1994 par un consortium de bureaux d'études et comprend deux parties :

- une partie étude technique : recueil et analyse des données, bibliographie, enquêtes et mesures de terrains (qualité, quantité, sédimentologie, paysage, analyse et élaboration des financements) :

- une partie programme d'accompagnement : étude des impacts socio-économiques (l'effacement n'entraînerait pas de cessations d'activités de commerces et de services, à l'exception du camping « du bec des deux eaux » qui est reconvertible, et de l'exploitation EDF), rencontre avec l'ensemble des partenaires, entretiens individuels, conception d'un projet global de développement pour la région considérée (restructuration des conditions d'accueil local, aménagement d'un camping 3 étoiles, aménagement d'un espace du voyage et des transports).

Le bureau d'études a étudié trois variantes : la démolition complète du barrage, la démolition de la partie du barrage située dans le lit mineur et la démolition de la partie du barrage située dans le lit mineur au-dessus d'un seuil.

Les mesures d'accompagnement concernent essentiellement le rétablissement des pompages, les aménagements de berges (avec une revégétalisation importante) et le ski nautique (la pratique ne sera plus possible sur le plan d'eau ; il est envisagé de trouver un autre site sur la Loire en amont de Tours).

Le coût total de l'opération serait de 20 millions de francs hors taxes dont près de la moitié pour les mesures d'accompagnement.

II semble que l'exécution de ce volet du programme de rétablissement de la libre circulation des poissons migrateurs prenne du retard en raison d'une forte opposition locale à la disparition du plan d'eau de la retenue.

Dans la mesure où l'effacement du barrage de Maisons-Rouges apparaît comme une condition de la réussite du programme « poissons migrateurs » au profit duquel des crédits importants vont être engagés (pour la construction d'une écloserie sur l'Allier et pour l'adaptation du pont-barrage de Vichy, en particulier), il serait nécessaire que l'État manifeste clairement sa volonté d'aboutir sur ce dossier à des résultats rapides.

En effet, la préparation technique du dossier de l'écloserie a évolué de façon satisfaisante. Le site a été choisi, près de Langeac, et la recolonisation sur dix ans des frayères du haut Allier semble être un jour réalisable. Une production annuelle est prévue de 3 millions d'oeufs, qui devrait permettre de relâcher 500.000 oeufs dans des incubateurs de terrain, d'un million d'alevins et de 300.000 saumoneaux. Des animaux d'âges différents recoloniseront ainsi le milieu naturel.

Mais les modalités du financement, évalué à 50 millions de francs sur dix ans en investissement et en fonctionnement, ne sont pas encore arrêtées. Or l'ouverture de l'écloserie est prévue pour l'automne 1997.

La réussite du rétablissement de la circulation des poissons migrateurs vers les frayères dépend aussi de la solution qui sera donnée au problème du « bouchon vaseux » qui pose sur l'estuaire, un obstacle biologique à la circulation des poissons. Il semble à cet égard nécessaire de lancer rapidement le programme prévu d'expérimentations et d'études sur la section Bouchemaine-Nantes afin de favoriser le relèvement de la ligne d'eau susceptible de faciliter la dilution du « bouchon ». En effet, il semble que l'aggravation du problème soit largement due aux travaux hydrauliques, aux dragages en particulier, qui ont modifié le régime d'écoulement du fleuve.


Le renforcement des levées et la restauration du lit de la Loire

Votre rapporteur a pu constater, au cours d'un déplacement en Loire moyenne, le lancement des travaux prévus par le Plan Loire pour le renforcement des levées et la restauration du lit du fleuve.

Il semble cependant que ces opérations n'aient pas encore été véritablement intégrées dans un programme pluriannuel cohérent et complet susceptible de donner à cette dimension essentielle du plan toute l'efficacité nécessaire.

En ce qui concerne les levées, il s'agit d'achever un programme lancé en 1970 en région Centre et poursuivi jusqu'en 1993 dans le cadre du contrat de plan entre l'État et la région. A cette fin, il reste nécessaire d'élaborer un catalogue complet des levées entre le Bec d'Allier et Nantes et de leur situation juridique, de mener à bien les investigations nécessaires pour établir le diagnostic précis de leur état ainsi que des travaux à entreprendre, compte tenu des enseignements retirés de l'étude prévue sur l'écoulement des grandes crues en Loire moyenne (il s'agit de l'étude qui permettra d'éclairer la décision définitive sur la construction du barrage du Veurdre à la fin de 1998)

En ce qui concerne l'entretien du lit, votre rapporteur a aussi pu constater le lancement de travaux ponctuels sur le cours de la Loire moyenne. Jusqu'à présent, à la différence du renforcement des levées, aucune opération d'envergure cofinancée par l'État et les collectivités locales n'avait été lancée. Il est vrai cependant que quelques travaux de restauration du lit avaient été réalisés dans le cadre du plan de relance de 1993, sur lesquels l'administration s'est appuyée pour lancer l'exécution du Plan Loire dans ce domaine notamment en Indre-et-Loire.

En 1994, des acquisitions de matériel ont été réalisées, une étude générale de repérage a été effectuée, mais il semble qu'aucun programme assurant la cohérence technique et financière de cette action ne soit encore disponible.

2. Le dispositif de mise en oeuvre du Plan Loire

L'un des défis majeurs du Plan Loire est la mise en place des partenariats nécessaires. On a vu ci-dessus que le relevé de décisions du 4 janvier 1994 a apporté un début de réponse à cette nécessité en prévoyant le renforcement du rôle du préfet coordonateur de bassin, le préfet de la région Centre, assisté d'une mission interministérielle « Plan Loire » chargée du suivi de celui-ci.

Le préfet coordonateur, ainsi qu'il l'a précisé à votre rapporteur lors d'un déplacement à Orléans, joue un rôle d'animation, d'information, de suivi, d'arbitrage, sans disposer d'un pouvoir hiérarchique sur les préfets et sur l'ensemble des services de l'État intéressés.

Il est assisté par le chargé de mission interministériel, l'ingénieur général Villey qui assure au jour le jour la coordination de l'ensemble des acteurs avec l'aide d'un secrétaire général du Plan Loire, récemment désigné.

La tâche dévolue à cette structure légère dont votre rapporteur a constaté l'inlassable dynamisme et la compétence sans faille dans le tissage de cette toile de Pénélope que le Plan Loire aurait pu rapidement devenir, est complexe. Il s'agit en effet de nouer des partenariats entre trente préfectures de région et de département, les services déconcentrés, régionaux ou départementaux, de l'environnement, de l'équipement et de l'agriculture l'Agence de bassin Loire-Bretagne, l'EPALA, les collectivités territoriales, les associations associées à la mise en oeuvre du plan, qu'elles soient maîtres d'oeuvre de certaines actions (c'est le cas pour les aspects de la restauration du milieu naturel liés au programme européen LIFE) ou simplement informées et consultées.

Il s'agit aussi de rechercher à monter dans les délais nécessaires à l'exécution des travaux les financements croisés de l'État, de l'EPALA, de l'Agence de l'eau, des collectivités territoriales, de suivre le déroulement des chantiers et la consommation des crédits, et enfin d'informer les différents partenaires, en particulier le comité de bassin dont la décision du 4 janvier 1994 a prévu la large association à l'exécution du plan, ainsi que la commission Loire, créée au sein du comité de bassin, spécialement chargée d'élaborer le programme de reconstitution des milieux naturels doté d'une enveloppe de 110 millions de francs.

Cette situation crée un enchevêtrement de responsabilités que la structure de coordination du Plan Loire paraît avoir jusqu'à présent fort bien maîtrisé en dépit d'un contexte parfois difficile localement comme il a été précédemment indiqué.

Le préfet coordonnateur de bassin n'en relevait pas moins devant votre rapporteur la nécessité de clarifier plus nettement les responsabilités des acteurs directs et des structures concernées par le Plan Loire. Il appartient au ministère de l'environnement de répondre à ce besoin afin d'éviter que la difficulté de lancer certaines études, de mener à bien certaines procédures, de réunir certains financements et d'engager en temps voulu les dépenses nécessaires, ne retarde l'exécution du programme gouvernemental.

Sans doute serait-il d'ailleurs tout aussi nécessaire de renforcer les moyens de certains services déconcentrés, la direction régionale de l'environnement (DIREN) de bassin, en particulier, pour faciliter la mise en oeuvre du plan dans de bonnes conditions administratives et techniques.

Le préfet coordonateur de bassin a suscité la mise en place d'unités de responsabilité qui devraient permettre de préciser les responsabilités des différents acteurs et de faciliter ainsi la mise en oeuvre des actions. Leur compétence sera thématique ou géographique, indépendamment des frontières administratives. Ainsi une unité de responsabilité pourra suivre plusieurs chantiers sur plusieurs départements. Les douze unités de responsabilité géographiques auront à gérer, entre autre, les chantiers suivants : les mesures spécifiques à la Haute-Loire, l'écloserie du haut Allier, le barrage de Naussac 2, la modélisation de l'estuaire. Les 12 unités de responsabilité thématiques seront de leur côté chargées d'opérations telles que : le programme de restauration des levées, les travaux dans le lit de la Loire et dans le lit aval de l'Allier, la modernisation de l'alerte de l'annonce des crues, le programme poissons migrateurs.

L'association de l'EPALA à la mise en oeuvre du Plan Loire était une condition essentielle de réussite compte tenu de son rôle passé et à venir dans la gestion de la Loire. Aussi une charte d'exécution du plan associant l'État, l'EPALA et l'Agence de l'eau a-t-elle été signée le 6 juillet 1994 afin de préciser dans leurs grandes lignes les responsabilités de chacun dans la mise en oeuvre des actions prévues. Cette charte présente une programmation des dépenses jusqu'en 2003 ainsi que leur répartition entre l'État, l'Agence de l'eau, l'EPALA et les collectivités locales, le partage des contributions entre ces derniers n'étant pas précisé. Enfin, l'EPALA ne contribue pas aux travaux réalisés en Haute-Loire.

3. Le financement de l'État

Le ministre de l'environnement, auditionné par votre commission, a indiqué que l'exécution du Plan Loire figurait parmi les priorités du Gouvernement en 1996.

Le tableau ci-après fait apparaître la situation des engagements budgétaires en octobre 1995, ainsi que les engagements de crédits prévus en 1996.

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