2. Une inquiétude persistante : un effort notoirement insuffisant dans le domaine des industries électroniques et des technologies de l'information

a) Une prise de conscience nécessaire

Les progrès dans les techniques défient les prévisions des experts.

Aussi, pour l'hertzien numérique : « ce n'est pas pour demain », disaient-ils. Et voilà que dès 1996 les bouquets de chaînes de télévision numériques satellitaires déferlent, que la radio numérique transmet des images, que les téléphones mobiles NOKIA reçoivent et stockent des données et bientôt des graphiques, que les extensions de réseaux câblés se font par micro-ondes.

On pensait que la plupart des réseaux câblés étaient par construction inadaptés à l'évolution des grands débits autres qu'unidirectionnels. Les réseaux câblés démontrent qu'ils peuvent avoir des voies de retour à grand débit.

On pensait : la fibre optique est une ruine. Or la connectique liée aux fibres optiques fait des progrès rapides et les coûts de mise en oeuvre diminuent. Il en va de même pour les progrès des logiciels de compaction.

La rapidité de l'évolution des techniques dépasse et de loin, celle des prises de décisions politiques ou l'adaptation des institutions notamment en Europe.

Les usagers éventuels ne sont pas suffisamment sensibilisés, informés et formés à ce qu'il faut bien dénommer la révolution des structures industrielles, financières, sociales, culturelles, administratives nécessaire pour intégrer l'accès à des grands débits d'information et de communication pour tous, en tout lieu et à bas coût de revient.

Pourtant, les rapports sur le sujet sont nombreux : rapport Bangeman, rapport Théry, rapport Breton, rapport Miléo pour ne citer que les plus connus en Europe.

Les colloques se succèdent au rythme de plusieurs par semaine. Les structures telles que les observatoires ou comités consultatifs se multiplient. La presse fourmille de références à Internet ou Intranet au point que d'aucuns pensent que c'est une mode.

Ce n'est pas une mode. C'est une nécessité. Le ministre de l'éducation nationale, lors du débat budgétaire, fin 1995, refusait la suggestion de « frapper un grand coup » pour mettre en réseau toutes les composantes du système éducatif. Quelques mois plus tard, le Québec, dix fois moins riche et moins peuplé que la France, dotait le système éducatif québécois de 100.000 ordinateurs reliés au réseau. Aujourd'hui, le ministre chargé de l'enseignement est d'accord pour « foncer ».

Il faut « foncer » pour rattraper un retard qui devient dramatique.

Nul ne peut continuer à se glorifier de disposer simplement du Minitel. Certes, il génère 25.000 services et rapporte 7 milliards de francs à France-Télécom et aux fournisseurs de services. Mais, il est confiné à l'hexagone et basé sur un système matériel et logiciel qui, en terme d'informatique moderne, paraît à de nombreux observateurs aussi archaïque que les diligences ou le télégraphe Chappe. En dix-huit ans en effet, les capacités de transmission se sont multipliées par 1.000 à prix constant (ou par 10 à un prix cent fois plus bas). On comprend que l'opérateur national n'ait pas ressenti la nécessité de diviser par cent ses recettes puisqu'il n'y avait pas de concurrence. Et qui pourrait le lui reprocher ?

La concurrence est désormais présente. La législation a évolué. Heureusement, la tradition de compétence technique des personnels et la qualité des recherches sont au rendez-vous de la compétition. Heureusement, les marchés mondiaux sont loin d'être saturés et il y a des potentialités fortes.

Mais sans un marché national dynamique peut-on s'imposer ? Les conditions pour un vrai marché national dynamique sur les réseaux à grand débit existent-elles ? Pas encore, tant que nous ne serons pas sortis de ce qui ressemble fort à un cercle vicieux.

Les acteurs de ce marché peuvent se classer en trois groupes : les utilisateurs des services, les fournisseurs de contenus, les technologies et les infrastructures fournies par les diffuseurs, les réseaux, les satellites, les matériels et les logiciels.

Les compétences des trois groupes -usagers, contenus, technologies (tuyaux, matériels et logiciels) - évoluent à des vitesses différentes.

Dans certains cas bien particuliers d'usagers (grandes entreprises techniques ou financières), la demande est précise et basée sur une bonne compétence et une compréhension des aspects internationaux du problème. Ces entreprises savent de quel type de contenu elles ont besoin. Souvent la fourniture du contenu est interne à l'usager. Elles demandent à la technologie de résoudre le problème. Le marché est tiré par la demande.

Mais ce cas n'est pas le cas général, en particulier pour toutes les opérations que l'on peut qualifier d'intérêt public. Pour les principales catégories de publics non avertis, de même que pour les administrations (et les entreprises qui fonctionnent comme des institutions bien établies), il n'en va pas de même.

L'usager ignore ce qu'il serait susceptible d'obtenir comme service. Le fournisseur de service ignore ce que l'usager souhaiterait et qui serait susceptible de financer son activité. Quant à la technologie, elle existe mais les diffuseurs ignorent dans quels délais les investissements nécessaires pour changer de niveau seront rentabilisés. Ils craignent que l'évolution rapide des techniques rende des travaux prématurés obsolètes avant d'être rentabilisés.

On représente souvent les relations entre la demande des usagers et les offres de technologies ou de contenu sous forme d'un cercle.

Compte tenu de la rapide évolution de la technique, il vaut mieux considérer une spirale de centre O qui représentera l'évolution de la technologie (point T) en fonction du temps qui s'écoule. La distance de O à T croît avec le temps (OT est l'aiguille d'une montre par exemple) qui ferait un tour en un an.

L'offre des fournisseurs de contenus est en général en retard sur les possibilités techniques ; cette offre de contenus sera représentée par un point C, entre O et T.

La demande des usagers est en général en retard sur l'offre des fournisseurs par suite d'un manque d'information. Le point représentatif (U) de cette demande se situera donc, entre C et O, à un niveau nettement inférieur à T.

Si nous procédons à une expérimentation de services dans le cadre d'une offre technico-économique qui préfigure l'offre future, par exemple avec un an d'avance, la figure représentée ci-dessus indique schématiquement que cela aidera à combler le retard entre la demande, l'offre technique et l'offre de contenu.

C'est la raison pour laquelle dans la plupart des pays évolués, des expérimentations se sont développées. Dans le rapport intermédiaire de l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, c'est la solution qui avait été préconisée. C'est aussi ce qui a été mis en place par le Gouvernement français.

L'observation et l'évaluation de ces expérimentations tant sur le plan français qu'au niveau mondial est désormais l'un des points essentiels.

Un observatoire vient d'être créé. Les objectifs et les moyens affectés à son fonctionnement sont-ils adaptés à l'importance du problème ? Il semble que non. N'oublions pas qu'il s'agit d'une demande dont l'importance en matière de chiffre d'affaires et d'emplois touche une part notable du produit national brut. La profonde évolution culturelle tant dans les rapports citoyens-pouvoirs publics ; employés-stratégie d'entreprise, accès au savoir et à la culture, rapports entre les groupes humains, etc., est également essentielle.

La spirale n'est pas un amusement d'ingénieur. Elle peut faciliter l'analyse des expérimentations et de leur évaluation. Faire croître la distance du centre O au point C (offre de contenu), c'est possible surtout s'il y a une croissance de l'offre de technologie à un moment donné. Ainsi, sur la partie de la courbe qui serait celle de l'année suivante, l'offre technique T' permet d'augmenter la distance du centre O au point C, ce qui veut dire que grâce à l'expérimentation technique on pourra augmenter l'offre de contenus (à condition que des moyens soient affectés à des fournisseurs de contenus).

L'évaluation de ce que représente ce nouveau point C pour les usagers est importante. Pour que cette évaluation soit fiable, il faut bien évidemment que les usagers soient correctement sensibilisés, informés et formés à l'usage de ces services et de ces contenus. Dans ce cas, le point C serait à un niveau comparable à celui atteint par les usagers des grandes entreprises, et la demande pourra stimuler l'offre, et le cas échéant résoudre le cercle vicieux et le financement.

Il faut constater qu'à l'heure actuelle ceci n'est pas le cas. Pourtant, la pratique du Minitel apporte à l'ensemble de la société française dans ce domaine une compétence. Mais rien ou presque n'est fait vis-à-vis du grand public et des collectivités et administrations publiques pour que l'usage des nouvelles techniques de l'information et de la communication représente une avancée valable.

Peu d'expérimentations ont été accompagnées d'un effort d'information, de sensibilisation et de formation du public. Il n'y a eu aucun financement prévu à cet effet.

Les entreprises qui ont lancé des systèmes internes d'utilisation d'Intranet savent bien qu'il s'agit là de l'essentiel des dépenses. Les milieux économiques informés s'étonnent d'un tel oubli.

Ces nécessités n'ont pas été prévues, et le retard s'accumule.

Certes, il existe quelques exceptions, soutenues par les collectivités locales : des expériences sont menées en Aquitaine avec le CEC ou dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur par exemple, grâce aux financements des conseils régionaux et de certains conseils généraux, aux initiatives prises par Bruxelles en faveur d'opérations style « Telecities » ou « Telerégion » qui ont favorisé une sensibilisation des acteurs et du public. La Datar a appuyé certaines opérations en Alsace, dans le Massif central ou dans le Vercors.

Mais globalement les sommes en jeu et donc les efforts restent ridiculement faibles.

Tant qu'il n'y aura pas des programmes d'une ampleur comparable au programme nucléaire et au programme spatial, programme intégrant la sensibilisation des usagers et le financement massif des expérimentations, la France ne pourra prendre le leadership auquel la pratique du Minitel lui permet de prétendre. L'entrée dans la société de l'Information serait ratée.

b) La mise en place des moyens nécessaires

Votre rapporteur s'inquiète fortement de constater que les moyens nécessaires à l'entrée dans la société de l'information restent aujourd'hui notoirement insuffisants et disséminés.

Les dotations budgétaires accordées à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) et à l'ensemble des institutions préparant l'entrée de la société française dans la société de l'information restent très sous-évaluées au regard des enjeux.

Le rattachement du Centre national des études en télécommunications (CNET) à France-Télécom ayant par ailleurs été confirmé à l'occasion de la réforme statutaire de cet opérateur, il est vraisemblable que les recherches effectuées par ses laboratoires auront naturellement tendance à évoluer vers la satisfaction des besoins propres à France-Télécom. Or, aucune structure susceptible de coordonner les recherches fondamentales à long terme conduites en ce domaine par des établissements publics ou les écoles spécialisées dans l'enseignement des télécommunications n'a jusqu'à présent été instituée pour combler le vide laissé par le retrait du CNET.

On observera que enfin les écoles spécialisées dans l'enseignement des télécommunications ont été rattachées directement au ministère chargé de l'industrie, de la poste et des télécommunications à l'occasion de la réforme statutaire de France-Télécom, sans qu'ait été affichée une volonté politique de les doter d'une puissante infrastructure de recherche ni de favoriser leur ouverture internationale.

Pour l'ensemble de ces motifs, votre rapporteur réclame la création d'une Agence de moyens susceptible d'orienter la recherche fondamentale en télécommunications.

PLAIDOYER POUR LA CRÉATION D'UNE AGENCE DE DÉVELOPPEMENT DE LA RECHERCHE PUBLIQUE EN TÉLÉCOMMUNICATIONS

L'évolution du statut de France-Télécom et la confirmation du rattachement du Centre national des études en télécommunications (CNET) à cet opérateur vont inéluctablement favoriser une évolution des activités du CNET vers des recherches de nature différente, à plus court terme ou centrées sur la dimension sociale et psychologique des nouveaux moyens de communication, destinées à faciliter leur insertion dans les habitudes des Français.

Les recherches fondamentales effectuées par le CNET, et les équipes de chercheurs rattachées à cet établissement, sont essentielles pour l'ensemble de l'économie française. Pour éviter que ne soit affectée la compétitivité de l'industrie nationale, on ne saurait trop recommander la création d'une agence de moyens destinée à renforcer et à coordonner les recherches effectuées dans les écoles spécialisées dans l'enseignement supérieur des télécommunications ou dans les laboratoires du CNRS, de l'INRIA, des universités et des écoles d'ingénieurs.

Cette agence, qui aurait vocation à demeurer une petite structure, exercerait une mission essentielle de coordination des programmes scientifiques.

Elle veillerait par ailleurs à ce que soit assurée une veille scientifique et socio-économique dans le domaine des télécommunications afin de faciliter l'identification des priorités.

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