E. LE PATRIMOINE CONTRAINT PAR LE POIDS DES GRANDS TRAVAUX

En fait, l'abandon, au nom d'un pragmatisme non complètement dépourvu de fondement, du système des lois programmes, démontre que les arbitrages budgétaires se font, compte tenu de l'urgence, plutôt en défaveur du patrimoine.

On a tendance à privilégier ce qui se voit, l'action culturelle et les grands projets, au risque d'une détérioration de notre héritage, alors qu'avec la reconnaissance de l'intérêt du patrimoine du XXe siècle, notamment industriel, le nombre de bâtiments à protéger ne cesse d'augmenter.

1. La grande misère des monuments historiques

Sur les quelque 40 000 bâtiments protégés, 50 % appartiennent à des propriétaires privés, 45 % à des communes, 4 % à l'État.

Le nombre de monuments historiques « en péril » (état où, en l'absence de mesures de sauvetage ou d'intervention à très court terme, il y a un risque élevé de disparition de la totalité ou d'une partie du monument) ou celui des monuments en « état défectueux » (état où, en l'absence d'opérations de travaux à court terme, il y a un risque élevé de dégradation de la totalité ou d'une partie du monument) sont restés respectivement aux alentours de 470 et 3690 unités après une pointe au niveau de 487 et 3709 unités en 1998.

On pare manifestement au plus pressé sans avoir les moyens de mettre hors de danger des monuments, pourtant classés et donc considérés comme appartenant à l'héritage national.

On ne note pas dans le budget pour 2001 d'améliorations significatives. Ainsi au chapitre 35-20, qui depuis 1996 ne concerne plus que l'entretien des monuments historiques appartenant à l'État, les crédits inscrits en LFI continuent de rester au niveau de 80 MF : 77.9 MF en 1197 et 1998, 79 MF en 1999, 82 MF ( dont 3 millions de crédits non reconductibles) en 2000, 83 MF pour 2001 avec une mesure nouvelle de 1 MF à caractère tout à fait symbolique.

Les dépenses d'entretien pour les monuments historiques appartenant à l'État et, notamment, les 87 cathédrales et les 100 monuments ouverts au public ont représenté moins de 200 000 francs par bâtiment . La Cour des comptes dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances pour 1999 souligne que pour pallier partiellement cette insuffisance, le ministère réserve sur ses crédits d'investissement de ses directions régionales du chapitre 56-20 des enveloppes dites d'interventions ponctuelles, afin de réaliser des interventions d'urgence : elle indique que ces ponctions sur les crédits du chapitre 56-20 se sont montées à 11,35 MF, sans qu'aucune évaluation fiable ne puisse être effectuée pour les crédits déconcentrés.

On remarque également que l'État fait toujours aussi peu d'efforts pour aider les propriétaires de monuments historiques. Ainsi la dotation prévue au chapitre 43-30 restera pour 2001 une fois de plus égale à 69 MF.

La tempête des 26 et 27 décembre 1999 , dont le coût a été initialement estimé à 630 MF pour les bâtiments appartenant à l'État et 400 MF pour les autres bâtiments, a constitué le révélateur du mauvais entretien de nos monuments historiques .

Le collectif budgétaire du 13 juillet 2000, a ouvert en AP comme en CP 242 MF sur le chapitre 56-20 et 195 MF sur le chapitre 66-20 pour faire face à la situation. Il s'agit de faire face notamment aux dégâts causés par les tempêtes des 26 et 27 décembre 1999, notamment dans les domaines nationaux de Versailles et Saint-Cloud, à la Sainte-Chapelle du château de Vincennes ou aux cathédrales de Rouen et de Paris.

C'est en effet le domaine national de Versailles qui a subi les dégâts les plus spectaculaires évalués à 245 MF. Au delà des 5 MF de mécénat, 89 MF a été ouverts en AP dans le cadre du collectif budgétaire de printemps et une ouverture supplémentaire de 151 MF devrait intervenir dans le collectif budgétaire de fin d'année.

Il faut préciser que les collectivités locales et les propriétaires privés touchés par les intempéries qui souhaiteraient déléguer la maîtrise d'ouvrage des travaux à l'État, devront s'acquitter de leur participation, y compris les indemnités d'assurance sous la forme de fonds de concours au chapitre 56-20. Dans le cas contraire, si les collectivités ou les propriétaires privés souhaitent conserver la maîtrise d'ouvrage, ils devront adresser une demande de subvention à la direction régionale des affaires culturelles, subvention qui sera financée sur le chapitre 66-20.

En ce qui concerne la mise en oeuvre de ces procédures, il faut noter le point suivant : si les 300 MF prévus pour les bâtiments appartenant à l'État sont largement engagés, il n'en est pas de même des 200 MF destinés aux monuments historiques n'appartenant pas à l'État.

2. Les grandes opérations au jour le jour

Votre rapporteur spécial n'entend pas remettre en cause le principe des grandes opérations en cours. Ses observations portent en fait plus sur leur programmation financière - pourquoi inscrire des crédits dont on sait qu'ils ne pourront être engagés et qu'ils devront être reportés - et sur, pour deux d'entre elles, en l'occurrence la rénovation du Grand palais et du Palais de Tokyo, sur l'absence de projet de fond.

En 1998, votre commission des finances avait, à l'initiative de son rapporteur général, proposé dans le cadre de son budget alternatif un amendement tendant à diminuer les autorisations de programme du montant affecté à l'aménagement de l'immeuble dit des « Bons enfants » destiné à accueillir la quasi totalité des services du ministère de la culture actuellement dispersés sur 19 sites.

Il ne s'agissait pas, dans l'esprit de votre commission, de contester l'intérêt de l'opération. Mais, ce qui était apparu possible à votre commission en dépit des protestations véhémentes du ministre d'alors, apparaît raisonnable dans la mesure où deux ans après les travaux n'ont toujours pas commencé.

Après avis favorable de la commission spécialisée des marchés, le marché de maîtrise d'oeuvre a été notifié en novembre 1999 à l'équipe d'architectes Francis Soler/Frédéric Druot, lauréate du concours organisé par le ministère de la culture et de la communication en 1995.

Le permis de construire a été déposé en mai 2000 auprès de la préfecture de région ÎlE-de-France ; il devrait être obtenu à l'automne 2000. La consultation des entreprises devrait être lancée fin janvier 2001, et selon le calendrier prévisionnel, les travaux débuteront en juillet 2001 pour être achevés au second trimestre 2003.

Le coût global prévisionnel, comprenant le coût des études et des travaux (TTC), s'élève à 358,5 MF à valeur d'avril 1999.

Les stocks d'autorisations de programme ouvertes pour cette opération jusqu'à la loi de finances 2000 s'élèvent à 356,15 MF. Le projet de loi de finances pour 2001 comporte une ouverture de 5 MF au titre de l'aménagement de la cuisine du restaurant collectif. Les montants d'AP engagées au 1er septembre 2000 s'élèvent à 42,8 MF.

Comme on l'avait déjà souligné l'an passé, la restauration du Grand Palais, fermé depuis 1994, n'est toujours pas entrée dans sa phase opérationnelle.

On peut rappeler que l'enveloppe prévue pour la première phase de l'opération s'élève à 400 MF ; l'enveloppe de crédits nécessaires à la réalisation de la deuxième phase des travaux de consolidation et de restauration du bâtiment - partie nord - a été arrêtée à 384 MF.

L'opération a été financée progressivement à hauteur de 33 MF en 1994, 150 MF en 1998, 217 MF en 1999 et 30 MF en 2000 . Une ouverture de 40 MF, toujours en termes d'autorisations de programme, est prévue dans le projet de loi de finances pour 2001 au titre de la deuxième phase de cette opération.

Il a été précisé que les travaux se dérouleraient de la façon suivante :

les travaux de la première tranche concernant essentiellement la grande Nef doivent démarrer au premier trimestre 2001 et durer 36 mois, pour s'achever à la fin du premier trimestre 2004 ;

la deuxième phase des travaux de consolidation, qui portent sur le reste du Grand Palais, devrait intervenir au milieu de l'année 2002 et s'achever à la fin de l'année 2004 ;

enfin, les travaux de restauration de façade et des sculptures devraient être réalisés entre 2003 et 2004. Les autorisations de programme prévues au projet de loi de finances pour 2001 permettent d'engager les études et les travaux à ce titre.

Votre rapporteur spécial peut à ce stade faire l'observation suivante : ce qui est étonnant, ce n'est pas que l'avenir du Grand Palais reste encore indéterminé, ce que l'on peut comprendre eu égard à la complexité de l'opération, au nombre de parties prenantes et à la diversité des choix possibles ; c'est plutôt que le ministère n'ait pas mis en place une structure d'analyse et de proposition chargée de procéder aux consultations qui s'impose pour éclairer la décision du ministre.

Le Palais de Tokyo , inauguré pour l'exposition de 1937 par Léon Blum a abrité le musée national d'art moderne jusqu'en 1976. Il aurait dû accueillir le Musée et l'Ecole du cinéma. Leur transfert à Bercy dans l'immeuble construit par Frank Gehry pour l'American Center, a de nouveau privé le bâtiment d'affectation, après que l'on ait dépensé quelques dizaines de MF d'études en pure perte.

La précédente loi de finances lui a trouvé une affectation provisoire avec le Centre de la jeune création française , un outil de diffusion largement souhaité tant par les artistes que les galeries. On note que le centre d'art n'occupera que 3000 mètres carrés sur 18 000 mètres carrés, ce qui laisse 15 000 mètres carrés sans affectation.

Il est précisé qu'il est prévu pour son installation 17 MF d'autorisations de programme, auxquels s'ajoutent des crédits de fonctionnements : 2 MF avait été inscrits en 2000 sur le chapitre 43-20 du budget de la culture pour 2000 ; pour 2001, année au cours de laquelle commencera pleinement l'activité du centre, une mesure nouvelle de 5 MF est prévue au projet de loi de finances. En plein exercice, la structure de gestion du centre devrait fonctionner avec une subvention publique de 10 MF, auxquelles devraient s'ajouter les ressources générées par son activité (billetterie), les redevances de concessions (restaurant, librairie...) et les recettes de parrainage et de mécénat.

Le lancement du projet du Musée des arts premiers semble s'effectuer dans des conditions normales. Le projet dont la charge, financée à part égale par le ministère de la Culture et le ministère de l'Education nationale, été évaluée, en investissement, à 1,1 milliard de francs a déjà donné lieu à des engagements de crédits. En 1999, ont déjà été inscrits 15 MF de frais de fonctionnement, 50 MF de frais d'acquisition et 124 MF en AP (34 MF en CP).

Il faut souligner comme on l'avait déjà fait l'année dernière que le sort de ces deux bâtiments est étroitement lié à la solution qui sera donné au problème général d'affectation des lieux ou des collections, qu'il s'agisse de l'actuel Musée des arts africains et Océaniens, dont l'avenir préoccupe tout particulièrement votre rapporteur spécial, ou des collections du Musée national d'art moderne, qui ne pourront pas indéfiniment comprendre l'art du XX e siècle et l'art vraiment contemporain.

*

Votre rapporteur spécial comprend ceux qui, notamment parmi les créateurs, regrettent l'insuffisance de telle ou telle dotation, mais il ne critiquera pas le présent projet de budget en raison de la croissance trop modérée de ses crédits.

Il reste convaincu que, si de nouvelles actions doivent être financées, elles peuvent l'être par redéploiements de crédits pour les crédits de fonctionnement et d'intervention ou, en ce qui concerne les investissements, par un réaménagement du phasage des opérations ou la remise à plat des priorités.

Une étude approfondie de l'offre culturelle est indispensable. Celle-ci passe par une évaluation systématique d'une politique que son objet ne peut mettre a priori au-dessus des considérations d'efficacité de la dépense.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page