CHAPITRE III :

L'ARTICLE 65 DU PROJET DE LOI DE FINANCES RATTACHÉ AU BUDGET DE L'ÉDUCATION NATIONALE

A. LA MESURE PROPOSÉE : L'INTÉGRATION DANS L'ENSEIGNEMENT PUBLIC DE PERSONNELS EN FONCTION DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES GÉRÉS PAR L'ASSOCIATION DIWAN

1. Une mesure qui s'inscrit dans le prolongement de la signature en 1999 de la charte européenne des langues régionales et minoritaires

a) La charte européenne des langues régionales et minoritaires

Le 7 mai 1999, le gouvernement a signé la Charte européennes des langues régionales et minoritaires proposée en 1992 par le Conseil de l'Europe, dont les dispositions générales prévoient notamment :

-
la reconnaissance des langues régionales ou minoritaires en tant qu'expression de la richesse culturelle ;

- le respect de l'aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un obstacle à la promotion de cette langue régionale ou minoritaire ;

- la nécessité d'une action résolue de promotion des langues régionales ou minoritaires, afin de les sauvegarder ;

- la facilitation et/ou l'encouragement de l'usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée ;

- le maintien et le développement de relations, dans les domaines couverts par la présente Charte, entre les groupes pratiquant une langue régionale ou minoritaire et d'autres groupes du même Etat parlant une langue pratiquée sous une forme identique ou proche, ainsi que l'établissement de relations culturelles avec d'autres groupes de l'Etat pratiquant des langues différentes ;

- la mise à disposition de formes et de moyens adéquats d'enseignement et d'étude des langues régionales ou minoritaires à tous les stades appropriés, ainsi que la mise à disposition de moyens permettant aux non-locuteurs d'une langue régionale ou minoritaire habitant l'aire où cette langue est pratiquée de l'apprendre s'ils le souhaitent.

On peut rappeler que les Etats signataires de cette Charte s'engagent :

- d'une part, à appliquer ces dispositions générales (prévues par le préambule et par les deux premières parties de la Charte) à toutes les langues régionales ou minoritaires pratiquées sur leur territoire ;

- d'autre part, à appliquer aux langues régionales ou minoritaires expressément indiquées au moment de la ratification, de l'acceptation ou de l'approbation de la Charte, un minimum de trente-cinq mesures choisies parmi celles énumérées dans la troisième partie de la Charte, dont au moins trois choisies dans chacun des articles 8 et 12 (relatifs respectivement à l'enseignement et à la culture) et un dans chacun des articles 9, 10, 11 et 13 (relatifs respectivement à la justice, à l'administration, aux médias et à la vie économique et sociale).

b) Les engagements du gouvernement lors de la signature de la charte

S'agissant des mesures proposées par l'article 8 de la charte, relatif à l'enseignement , le gouvernement français s'est ainsi engagé :

- à prévoir une éducation préscolaire assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées ou à prévoir qu'une partie substantielle de l'éducation préscolaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées, pour les élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant ;

- à prévoir que l'enseignement primaire, secondaire et technique ou professionnel soit en tout ou partie assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées ou que l'enseignement des langues régionales ou minoritaires concernées fasse partie intégrante du curriculum, pour les élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant ;

- à assurer la formation initiale et permanente des enseignants nécessaire à la mise en oeuvre des paragraphes précédents ;

- à créer un ou plusieurs organe(s) de contrôle chargé(s) de suivre les mesures prises et les progrès réalisés dans l'établissement ou le développement de l'enseignement des langues régionales ou minoritaires, et à établir sur ces points des rapports périodiques qui seront rendus publics.

c) Les réserves d'interprétation du gouvernement français

Le gouvernement français avait assorti sa signature de déclarations interprétatives précisant notamment :

- que l'emploi du terme de « groupes » de locuteurs ne confère pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires ;

- que les dispositions de la Charte « ne vont pas à l'encontre de l'article 2 de la Constitution selon lequel l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public, ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics ».

Cette réserve retranscrivait en fait la décision n° 96-373 du Conseil Constitutionnel du 9 avril 1996 relative à la loi organique portant statut d'autonomie pour la Polynésie française ;

- que l'article 8 de la charte relatif à l'enseignement préserve le caractère facultatif de l'enseignement et de l'étude des langues régionales ou minoritaires, ainsi que de l'histoire et de la culture dont elles sont l'expression, et que « cet enseignement n'a pas pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements du territoire aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci ».

Cette réserve retranscrivait en fait la décision n° 91-290 du Conseil Constitutionnel du 9 mai 1991 relative à la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse.

d) La décision du Conseil constitutionnel : les dispositions générales de la Charte ne sont pas conformes à la Constitution

Saisi le 20 mai 1999 par le Président de la République, le Conseil constitutionnel a décidé le 15 juin 1999 (DC n° 99-412) :

- qu'il résulte des dispositions combinées de portée générale de la charte, « qu'elle porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français, en ce qu'elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées ;

- qu'en outre, « ces dispositions sont contraires au premier alinéa de l'article 2 de la Constitution en ce qu'elles tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la « vie privée » mais également dans la « vie publique », à laquelle la charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics » ;

- qu'en revanche, « n'est contraire à la Constitution, eu égard à leur nature, aucun des autres engagements souscrits par la France [dont ceux relatifs à l'enseignement] dont la plupart, au demeurant, se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en oeuvre par la France en faveur des langues régionales ».

En conséquence, la Charte européenne des langues régionales et minoritaires n'a pu être ratifiée.

2. Une mesure qui résulte du protocole d'accord signé le 28 mai 2001 entre le ministre de l'Education nationale et l'association Diwan

a) La signature de la charte européenne des langues régionales et minoritaires a été suivie de l'ouverture de négociations avec des mouvements d'enseignement associatifs

Dans le prolongement de la signature de la charte européenne des langues régionales et minoritaires, le Premier ministre a demandé au ministre de l'Education nationale d'ouvrir des négociations avec les associations gestionnaires d'écoles pratiquant l'immersion linguistique en langue régionale (c'est à dire l'enseignement principalement en langue régionale) en vue de l'éventuelle intégration du réseau de leurs écoles, collèges et lycées, dans l'enseignement public.

Les principales associations concernées étaient les associations Diwan (pour le Breton), Seaska (pour le Basque), Calandretas (pour l'Occitan langue-d'Oc), Bressolas (pour le Catalan) et A.B.C.M-Zweisprachigkeit ou association de parents pour le bilinguisme en classe de maternelle (pour les langues Alsaciennes).

b) A ce jour, seule l'association Diwan a signé un protocole avec le ministère de l'Education nationale

A ce jour, seule l'association Diwan fédérant les établissements d'enseignement privé « immersif en langue bretonne » a été intéressée par cette évolution.

Un protocole d'accord visant au passage sous statut public des établissements de l'association Diwan a été signé à Rennes le 28 mai 2001 entre le ministre de l'Education nationale et le président de l'association.

Ce protocole couvre les domaines de la pédagogie, ainsi que du recrutement, de la formation, de la gestion et du statut des personnels en fonction.

On peut préciser que l'association Diwan, fondée en 1977, a ouvert sa première école en 1980, son premier collège en 1987 et un lycée en 1994. Elle reçoit depuis 1983 des subventions de l'Etat et bénéficie de contrats d'association depuis 1994.

Les établissements d'enseignement privé sous contrat fédérés par les établissements Diwan scolarisaient ainsi en 2000-2001 environ 1.500 élèves du primaire (dans 25 écoles) et 900 élèves du secondaire (dans 3 collèges et 1 lycée), répartis dans cinq départements (Côtes d'Armor, Finistère, Ille-et Vilaine, Loire atlantique et Morbihan).

c) Les aspects du protocole du 28 mai 2001 relatifs au statut des personnels en place

D'un point de vue administratif , les principales dispositions du protocole signé le 28 mai 2001 visaient à intégrer dans l'enseignement public les établissements et les personnels actuellement gérés par l'association Diwan.

S'agissant des personnels , les principales modalités de ce protocole sont les suivantes :

- l es instituteurs , les professeurs des écoles et les personnels enseignants du second degré en contrat définitif ou provisoire pourront être intégrés dans les corps correspondants de l'enseignement public. Il sera tenu compte du niveau de rémunération de ces personnels lors de l'intégration ;

- l es enseignants sur contrat de droit public précaire (délégués auxiliaires et délégués rectoraux) et les personnels exerçant dans des classes hors contrat pourront être recrutés en qualité de non titulaires (instituteurs suppléants). Ils bénéficieront de formations spécifiques leur permettant de se présenter dans des conditions favorables aux sessions 2002, 2003 et 2004 du concours spécial de recrutement des professeurs des écoles chargés d'un enseignement de et en langue régionale ou du CAPES de breton en vue de leur titularisation ;

- les personnels intégrés dans un corps de titulaires seront admis au bénéfice du régime spécial de retraite des fonctionnaires et ceux qui sont placés sur contrat de droit public bénéficieront de la protection sociale des non titulaires de l'Etat et cotiseront pour les différents risques à l'IRCANTEC ;

- les personnels enseignants intégrés justifiant de 15 années en qualité de fonctionnaire cumuleront, lors de leur cessation d'activité, une pension du régime spécial des fonctionnaires, calculée à proportion de leurs années de service public et une pension du régime général de la sécurité sociale éventuellement accrue d'un régime complémentaire pour les années effectuées dans l'enseignement privé sous contrat ou dans d'autres activités privées ;

- les personnels enseignants intégrés, qui à l'âge de leur cessation d'activité ne bénéficieraient pas de 15 années en qualité de fonctionnaire, verront leurs cotisations versées au titre du régime des fonctionnaires reversées au régime général de la sécurité sociale et seront affiliés à titre rétroactif au régime général de la sécurité sociale et à l'IRCANTEC pour cette période ;

- les personnels non enseignants des établissements du premier degré pourront être « contractualisés » en qualité d'agent territorial avec l'accord des municipalités concernées ;

- les personnels non enseignants du second degré seront recrutés sur des contrats de droit public à durée indéterminée et assimilés à une catégorie et à un corps de fonctionnaires titulaire , compte tenu de leurs titres, diplômes et qualifications et selon la quotité de service travaillée antérieurement à l'intégration des établissements dans l'enseignement public ;

- enfin, les actuels personnels de direction des écoles associatives seront intégrés dans les corps d'enseignant et seront chargés de fonctions de direction.

d) Les dispositions du projet de loi de finances pour 2002 prévoyant l'intégration des personnels

Le projet de loi de finances pour 2002 comporte deux types de dispositions visant à retranscrire ces modalités d'intégration des personnels des établissements Diwan.

• En premier lieu, le budget de l'enseignement scolaire pour 2002 prévoit la création , à compter du 1 er septembre 2002, de 194 emplois , au titre de l'intégration sous statut public, des personnels exerçant dans les établissements associatifs Diwan, dont 50 non titulaires, soit :

- 105 personnels enseignants du 1 er degré ;

- 27 personnels enseignants du 2 nd degré titulaires ;

- 38 personnels enseignants du 2 nd degré non titulaires ;

- 5 personnels de direction ;

- 2 conseillers principaux d'éducation ;

- 5 ATOS ;

- 12 personnels de surveillance non titulaires.

Cette mesure s'accompagne, sur le chapitre 43-01 (Etablissements d'enseignement privés-contrats des maîtres de l'enseignement privé) de la suppression de 156 contrats à compter du 1 er septembre 2002.

Il convient de rappeler que l'inscription de ces créations d'emplois dans le budget de l'enseignement scolaire était indispensable pour des raisons de fond comme de forme.

En effet, dans sa décision n°85-203 du 28 décembre 1985 relative à la loi de finances rectificative pour 1985, le Conseil constitutionnel avait déjà censuré pour vice de procédure une première tentative d'intégration des établissements Diwan , en considérant que cette disposition introduite dans la loi de finances rectificative pour 1985 était un cavalier budgétaire, puisque cette loi ne prévoyait par ailleurs ni création d'emplois, ni ouverture de crédits.

• En second lieu, l'article 65 du projet de loi de finances pour 2002, rattaché au budget de l'Education nationale, retranscrit les dispositions du protocole du 28 mai 2001 relatives à l'intégration des personnels des établissements Diwan dans l'enseignement public.

On peut rappeler à cet égard que ce type de disposition législative n'est a priori pas nécessaire à l'intégration dans l'enseignement public des personnels enseignants des établissements privés sous contrat.

En effet, cette faculté est ouverte par les disposition de la loi Debré du 31 décembre 1959, codifiées aux l'article L. 442-4 et L. 914-2 du code de l'éducation, selon lesquelles « les établissements d'enseignement privés peuvent demander à être intégrés dans l'enseignement public » et « lorsque la demande d'intégration des établissements d'enseignement privés dans l'enseignement public est agréée, les maîtres en fonction sont, soit titularisés et reclassés dans les cadres de l'enseignement public, soit maintenus en qualité de contractuels ».

Cependant, les dispositions du décret n° 60-388 du 22 avril 1960 d'application de la loi Debré emportent pour l'intégration des personnels enseignants comme titulaires des conditions de titre et surtout d'ancienneté (cinq ans de services effectifs) plus restrictives que celles du protocole du 28 mai 2001.

En outre, les dispositions de ce décret ne prévoient le recrutement des personnels administratifs des établissements d'enseignement secondaire que sur des contrats de cinq ans renouvelables (et non pas sur des contrats à durée indéterminée).

On peut d'ailleurs remarquer que ce type de disposition législative ad hoc n'est pas sans précédent , puisque la plupart des opérations antérieures d'intégration d'établissements privés (comme les établissements Michelin en 1968, les écoles de la société des forges et aciéries du Creusot en 1969, les établissements d'enseignement technique de la SOLLAC et de SACILOR en 1978, le lycée d'enseignement professionnel de la société nouvelle des aciéries de Pompey et l'école hôtelière de la Martinique en 1983, etc.), ont résulté de dispositions législatives spécifiques.

Votre rapporteur spécial s'interroge d'ailleurs dans ces conditions sur le maintien d'un dispositif législatif et réglementaire obsolète et regrette que l'intégration du réseau des établissements Diwan, qui présente une ampleur inédite, puisque les opérations d'intégration précitées ne concernaient qu'un nombre limité d'établissements répartis sur une zone géographique restreinte, n'ait pas donné lieu à une refonte du dispositif législatif et réglementaire relatif à l'intégration des établissements d'enseignement privé, de manière à ce que les règles du jeu soient à l'avenir plus transparentes.

e) La nécessité de délibérations des collectivités locales concernées

Il convient enfin de préciser que les dispositions législatures ci-dessus ne règlent que partiellement la situation des personnels , puisqu'elles ne concernent ni les personnels administratifs des écoles primaires (susceptibles toutefois d'êtres intégrés en tant qu'agent territorial par les municipalités concernées), ni les personnes employées en contrats emploi solidarité.

En outre, ces dispositions ne règlent nullement la situation des établissements eux-mêmes, qui ressort des compétences des collectivités locales.

Conformément à la loi Debré, à la demande des préfets et en liaison avec les autorités académiques, les collectivités locales concernées (communes pour les écoles, conseils généraux pour les collèges et conseil régional pour le lycée) étaient donc invitées à instruire concomitamment les demandes d'intégration des établissements (vérification des locaux, détermination du cadre juridique de transfert des locaux et des biens d'équipement), à prendre si elles le souhaitaient les délibérations nécessaires et, le cas échéant, à inscrire les dépenses correspondantes dans leur budget pour 2002.

Ce processus d'intégration était ainsi susceptible de soulever à la fois des problèmes de calendrier et des difficultés financières pour certaines communes.

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