2. En dépenses : l'absence de tutelle de l'Etat sur les dépenses décidées par les exécutifs locaux

La loi du 2 mars 1982 a supprimé la tutelle a priori de l'Etat sur les dépenses des collectivités locales. Désormais, il appartient aux exécutifs locaux de déterminer comme ils l'entendent la manière d'élaborer leurs budgets de manière à exercer leurs compétences, à s'acquitter des dépenses obligatoires déterminées par le législateur et à mener leurs politiques propres. L'Etat exerce un contrôle de légalité a posteriori et les chambres régionales des comptes un contrôle financier, également a posteriori , corollaire indispensable de la décentralisation.

La suppression de la tutelle financière s'est accompagnée du transfert aux collectivités locales de compétences antérieurement exercées par l'Etat. Le transfert de compétence s'est accompagné du transfert concomitant des ressources auparavant consacrées par l'Etat à leur exercice. Les principes qui régissent les transferts de ressources en cas de transferts de compétence ont été définis par les lois de décentralisation et ont été codifiés aux articles L. 1614-1 à L. 1614-7 du code général des collectivités territoriales.

Cependant, les lois de décentralisation n'ont pas prévu de transfert de ressources lorsque des textes législatifs ou réglementaires créent des charges pour les collectivités locales qui ne correspondent pas à des transferts de compétence. De telles charges surviennent lorsque :

- le législateur, le pouvoir réglementaire ou le droit communautaire édictent de nouvelles règles dans le domaine de compétence des collectivités locales , par exemple en matière de normes environnementales ou de sécurité des infrastructures. Elles existent également en matière de rémunération des agents, puisque les décisions de l'Etat dans ce domaine sont automatiquement étendues aux collectivités territoriales, sans que les collectivités soient pour autant associées aux négociations. La gestion des services départementaux d'incendie et de secours constitue l'exemple le plus parlant de domaine dans lequel l'ensemble de ces sources potentielles de charges supplémentaires a trouvé une traduction concrète ;

- le législateur met à la charge des collectivités locales des compétences nouvelles 59 ( * ) , l'Etat conservant la maîtrise de l'élaboration des règles dont les collectivités doivent assurer l'application. Il en est allé ainsi lorsque les départements ont été chargés du volet « insertion » du revenu minimum d'insertion en 1988 ou de la gestion de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) en 2001 ;

- l'Etat incite les collectivités locales à financer ou à cofinancer des actions ou des investissements dans des domaines, parfois régaliens, qui sont de la compétence de l'Etat.

Lorsque des dépenses nouvelles sont mises à la charge des collectivités locales sans être accompagnées de ressources supplémentaires, elles se traduisent dans les budgets locaux soit par une augmentation de la pression fiscale, soit par le recours à l'emprunt, soit par l'éviction de dépenses correspondant non pas à l'application d'une politique décidée par l'Etat mais à des choix politiques effectués par les conseils élus des collectivités locales.

A cet égard, l'analyse des budgets primitifs des collectivités locales pour 2002 est révélatrice. Dans les départements, qui ne perçoivent aucune compensation financière pour le financement des services d'incendie et de secours et seulement une compensation très partielle pour la gestion de l'APA, les taux des impôts directs locaux augmentent. Dans certains départements, on constate par surcroît une diminution des dépenses d'investissement afin de faire face aux charges nouvelles. A l'inverse, les régions, dont l'augmentation forte des dépenses à la suite du transfert de la compétence en matière de transport ferroviaire s'accompagne du transfert concomitant de ressources, ont pu stabiliser leurs taux d'impositions en 2002.

Les transferts de charges non compensés, en réduisant les marges de manoeuvre des exécutifs locaux sur le niveau et la nature de leurs dépenses, s'apparentent à une nouvelle forme de tutelle de l'Etat sur les budgets locaux et érodent indéniablement la portée du principe de libre administration des collectivités locales.

Au total, on peut se demander quelle a été la portée concrète de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, dans sa décision n° 90-274 DC du 29 mai 1990, a considéré que « si le législateur est compétent pour définir les catégories de dépenses qui revêtent un caractère obligatoire (...) , toutefois les obligations ainsi mises à la charge d'une collectivité territoriale doivent être définies avec précision quant à leur objet et à leur portée et ne sauraient méconnaître la compétence propre des collectivités territoriales ni entraver leur libre administration ».

* 59 Votre commission s'est souvent interrogée sur cette manière, qui revient dans une large mesure à de « jouer sur les mots », de distinguer les « transferts de compétence » et les « compétences nouvelles ». Sur ce sujet, voir par exemple le rapport pour avis de notre collègue Michel Mercier au nom de votre commission des finances sur le projet de loi relatif à l'allocation personnalisée d'autonomie, n° 316 (2000-2001).

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