B. LE DROIT DE PRÊT : UN DROIT FORMEL

L'article 2 de la directive du 19 novembre 1992 affirme que le droit d'autoriser ou d'interdire le prêt constitue un droit exclusif de l'auteur.

Sur ce point, la directive ne dit rien d'autre que le droit français. En effet, à travers le droit de destination, l'interprétation jurisprudentielle des dispositions du code de la propriété intellectuelle, et en particulier de l'article L. 113-3, reconnaît à l'auteur un droit de regard sur l'usage qui est fait des exemplaires de son oeuvre. C'est d'ailleurs pour cette raison que le gouvernement français a toujours estimé que cette directive n'avait pas à être transposée.

En pratique, le droit de prêt est cédé par l'auteur à l'éditeur : le contrat type de l'édition comporte depuis 1996 une clause relative à la cession du droit de prêt par l'auteur à l'éditeur.

Cependant, qu'il soit cédé ou non, force est de constater que ce droit n'est pas exercé et ne donne lieu à aucune rémunération. Les auteurs, même si certains ont menacé de le faire, n'interdisent pas le prêt de leurs oeuvres en bibliothèque tandis que les bibliothèques ne sollicitent pas l'accord des auteurs ou des éditeurs des oeuvres qu'elles prêtent, pas plus d'ailleurs qu'elles ne les rémunèrent pour cet usage.

Longtemps semble avoir prévalu l'idée que l'intérêt de service public attaché au prêt en bibliothèque permettait d'écarter les dispositions du CPI, dont la stricte application aurait d'ailleurs entraîné pour les bibliothèques des charges financières et des difficultés administratives non négligeables.

La circulaire de 1992 a eu pour effet de souligner une situation de fait contraire au droit de la propriété intellectuelle alors même que le nombre de prêt se multipliait.

Cette situation était d'autant plus difficile à admettre que nombre de pays européens, sous des formes certes variables, appliquaient le droit de prêt.

Ce droit est en effet mis en oeuvre dans la plupart des pays où la tradition de lecture publique est forte. Au sein de l'Union européenne, la directive de 1992 est aujourd'hui appliquée dans la majorité des pays membres. Plusieurs Etats ont modifié leur législation pour se mettre en conformité avec ce texte qui a incité certains d'entre eux -à l'image des Pays-Bas et de l'Autriche- à fonder le droit de prêt sur le droit d'auteur.

Les mécanismes retenus relèvent toutefois de logiques qui diffèrent d'un pays à l'autre et sont plus ou moins conformes à la conception française du droit d'auteur.

Ainsi, comme le note le rapport établi en juillet 1998 par M. Jean-Marie Borzeix à la demande du ministre de la culture et de la communication, « les modalités de perception et de répartition des droits sont fortement déterminées par les critères retenus pour fonder le droit de prêt. Dans les pays qui ne se réfèrent pas au droit d'auteur, où les rémunérations s'apparentent à des subventions, le rapport entre le prêt des oeuvres et les sommes distribuées à leurs auteurs est ainsi souvent très distendu » et « (...)là où il est fait référence au droit d'auteur, la perception du montant des droits de prêt est plus étroitement liée à la réalité de la circulation des livres dans les bibliothèques » .

Si une grande diversité prévaut dans les mécanismes de répartition, on soulignera toutefois que la charge du droit de prêt incombe dans la quasi-totalité des pays à l'Etat.

Dans ce contexte, la singularité de la position française était encore exacerbée par le fait que la directive de 1992, qui s'inspirait très étroitement de la loi française en reconnaissant le caractère exclusif du droit de prêt, prévoyait toutefois un dispositif permettant de concilier les deux impératifs que sont le respect des droits de l'auteur et la nécessité de favoriser la lecture publique.

En effet, son article 5 dispose que « les Etats membres peuvent déroger au droit exclusif (d'autoriser ou d'interdire) pour le prêt public, à condition que les auteurs au moins obtiennent une rémunération au titre de ce prêt » , « qu'ils ont la faculté de fixer cette rémunération en tenant compte de leurs objectifs de promotion culturelle » et que « les Etats peuvent exempter certaines catégories d'établissements du paiement de la rémunération ».

C'était donc moins sur le principe du droit de prêt que sur la portée et les modalités des exceptions à ce principe que portait le débat.

Ce débat a suscité de la part des auteurs et des bibliothécaires des réactions passionnées. Les premiers, largement relayés par les éditeurs, réclamaient l'instauration d'une rémunération à leur profit tandis que les seconds, soutenus par certains auteurs, craignaient que ces revendications n'aboutissent à une remise en cause du développement de la lecture publique. L'impossibilité de parvenir à une solution satisfaisante dans le cadre de la législation existante a conduit, en décembre 1997, le ministre de la culture et de la communication à confier à M. Jean-Marie Borzeix une mission de concertation et de réflexion.

Cette mission a été conclue par un rapport, remis en juillet 1998, qui préconisait la mise en place d'une rémunération financée en priorité par les usagers des bibliothèques par le biais d'une contribution forfaitaire et répartie entre les auteurs en fonction des achats réalisés par les bibliothèques. Cependant, ces conclusions n'ont pas permis de mettre un terme à la querelle opposant les défenseurs du droit d'auteur et les partisans de la lecture publique.

En effet, il aura encore fallu près de trois ans de concertation avant que le précédent gouvernement ne parvienne à élaborer le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.

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