2. Les nouveaux risques de contamination hydrique

Jusqu'à ces dix dernières années, le premier critère de qualité de l'eau distribuée était de garantir l'absence de contamination bactérienne d'origine fécale. Les paramètres indicateurs de contamination fécale étaient simples à identifier et les bactéries étaient simples à éliminer par désinfection/chloration. Une évolution profonde est en cours depuis dix ans, et ce dans deux domaines :

- la reconnaissance de limites des indicateurs de contamination fécale,

- la découverte de nouveaux agents pathogènes difficiles à repérer et insensibles aux traitements de désinfection classique,

Ces évolutions, méconnues du grand public, vont entraîner de profondes transformations dans la gestion de l'utilisation de l'eau dans les prochaines années.

a) La reconnaissance des limites des contrôles de contamination fécale

La recherche de ces paramètres bactériologiques crée souvent un malentendu. La réglementation impose la recherche d`indicateurs de contamination fécale à partir de bactéries cultivables et faciles à observer mais n'impose pas une analyse exhaustive des millions de micro organismes présents dans l'eau. De telle sorte que l'eau distribuée sera toujours une eau chargée de micro organismes évalués à 1 à 10 millions par litre d'eau !... Même si une infime fraction est pathogène, il en reste suffisamment pour entraîner des complications intestinales sous forme de diarrhées ou de gastro-entérites.

Le rapport entre la maladie et l'origine hydrique est très difficile à établir. Un médecin voit en moyenne un cas de gastro entérite par jour. S'il en voit dix d'un seul coup, il se doutera d'une possible épidémie -qui évidemment peut avoir d'autres origines qu'hydriques !-. S'il en voit deux ou trois, il n'y prêtera pas attention. La contamination hydrique passera inaperçue.


Peut-on évaluer les troubles intestinaux
liés à la consommation d'une eau respectant les normes de distribution ?

Une fraction des microorganismes introduits dans le réseau, et s'y multipliant principalement au niveau du biofilm dans les canalisations, représente un danger pour le consommateur. Certains de ces microorganismes entraînent des symptômes gastro-entériques (diarrhées et vomissements), bien que les quantités d'eau du robinet ingérées sans aucune transformation (comme chauffer l'eau pour le café ou le thé) soient faibles, voisines de 400 ml d'eau par jour et par habitant en moyenne.

Les travaux épidémiologiques publiés mettent en évidence un taux de 0,02 à 0,1 incident gastro-intestinal par personne et par an résultant de la consommation d'une eau respectant les normes de potabilité. D'autres équipes, travaillant sur les enfants, rapportent des valeurs encore plus élevées voisines de 4 troubles digestifs/personne-an et 1 épisode diarrhéique/personne-an. Ces épisodes endémiques de contamination à faible bruit (par opposition aux contaminations massives de caractère épidémique) ne sont pas identifiés par le système médical classique. Ils sont mis en évidence par des études spécifiques des populations exposées.

On estime que le nombre de gastro-entérites de type endémique associé à l'ingestion d'eau potable est 3 à 10 fois plus élevé que le nombre de troubles gastro-intestinaux de type épidémique (accidents massifs avec déclaration des cas).

Les simulations fondées sur des hypothèses issues de ces études montrent alors que le nombre de jours de travail perdus en Europe du fait de la consommation d'eau répondant aux normes bactériologiques de la directive européenne est de 500.000 à 1.600.000 /an.

b) Les nouveaux agents de contamination microbiologique

L'épidémie de Milwaukee en 1993 aux Etats-Unis a été un tournant dans l'histoire du traitement de l'eau. En quelques mois, 400.000 cas de gastro-entérite ont été identifiés (dont 80 cas mortels), et si l'origine hydrique de la contamination était suspectée, aucun indicateur de suivi de la qualité de l'eau n'avait bougé, aucun dépassement de norme bactérienne n'avait été enregistré. L'agent microbiologique finalement identifié était un parasite protozoaire, le cryptosporidium .

Cette épidémie constatée aux Etats-Unis signifiait un triple échec :

- un échec de la surveillance : Cette surveillance est exercée par les DDASS. L'histoire, l'habitude et la facilité des mesures et l'efficacité des traitements ont conduit les DDASS à privilégier le contrôle bactérien. Probablement à l'excès. L'Institut de veille sanitaire évoque même « la focalisation des DDASS sur le risque bactérien, à l'exclusion des risques viraux et parasitaires ». L'indicateur de contamination représentatif de bactéries pathogènes était un mauvais indicateur des contaminations d'origine microbiologique. Même une eau potable pouvait entraîner des épidémies.

- un échec de la connaissance : En sus des contaminations bactériennes bien connues, les contaminations massives pouvaient provenir d'autres agents microbiologiques, les parasites et les virus. Les contaminations microbiologiques d'origine hydrique font l'objet d'importantes recherches aux Etats-Unis. Plus de 100 germes ont déjà été recensés (61 ( * )). Malgré ces progrès, de très nombreuses incertitudes demeurent, notamment sur les quantités infectieuses et sur le repérage des agents pathogènes. Il fallait plusieurs millions de vibrions du choléra ou de salmonelles pour entraîner la maladie. Il suffit probablement de 10 à 100 unités de protozoaires et de 1 à 10 unités de virus pour entraîner des effets pathogènes. Un niveau qui rend l'identification difficile et coûteuse : la recherche de la bactérie E. coli coûte de l'ordre de 20 euros ; la recherche du criptosporidium coûte de 500 à 1.000 euros...

- un échec des traitements de désinfection : La virulence de l'épidémie a montré que la désinfection traditionnelle, par voie de chloration notamment, élimine les bactéries pathogènes, mais est parfois sans effet sur d'autres agents microbiologiques. Même avec un matraquage de l'eau au chlore, quelques virus et parasites demeurent !....

L'inadaptation des critères d'identification des risques et des méthodes de désinfection a été un formidable défi pour la communauté scientifique et les professionnels de l'eau. Ce défi a été relevé. Les techniques membranaires constituent une barrière de protection efficace contre tous les risques microbiologiques connus. Cette technologie encore émergente progresse rapidement.

* (61) Annexe 61 -Microbiologie et maladies hydriques.

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