b) Les conséquences financières de la « loi Fillon »
Le schéma d'ensemble du financement de la
réforme
Les effets à long terme de la loi du 21 août 2003 ont fait l'objet
d'une première évaluation par le ministère des finances
présentée dans le cadre du rapport économique, social et
financier annexé au projet de loi de finances pour 2004.
Sur cette base, la réforme des retraites représente, à
terme, pour les finances publiques et sociales, l'équivalent d'une
diminution durable d'un point de PIB (cf. tableau présenté
ci-après) du déficit structurel. Cette estimation prend en compte
l'ensemble des régimes du secteur public et du secteur privé.
L'amélioration pourrait même se monter à 1,5 point de
PIB en tenant compte des recettes supplémentaires liées à
l'accroissement de la population active que la réforme pourrait
susciter. Toutefois, ces évaluations sont affectées par une marge
d'incertitude propre aux projections de long terme, notamment relative à
l'attitude future des salariés face à la décote pour
départ anticipé ou à la surcote pour maintien en
activité au-delà de l'âge légal de la retraite.
La même étude prévoit, à partir de 2010, une
augmentation de la population active allant jusqu'à 300.000 personnes en
2020 et 400.000 en 2040, qui pourrait conduire, en termes de recettes, à
un gain supplémentaire de 0,5 point de PIB.
Il convient de remarquer que le pourcentage relatif des économies
réalisées dans la fonction publique (- 46,2 %)
apparaît, en première analyse plus important que dans le
régime général (- 41,3 %). Mais ce dernier avait
déjà fait l'objet d'une première réforme en 1993,
contrairement aux régimes publics : ces derniers partaient ainsi de
« plus loin ».
On notera également, qu'à l'exception de l'augmentation de la
durée de cotisations, de la hausse de celles-ci et de l'alignement des
règles d'indexation du privé sur le public, les autres mesures
introduites par la « loi Fillon » présentent toutes
un bilan net négatif en termes d'économies.
Tableau détaillé du régime général en 2020
(en millions d'euros 2000)
Besoin de financement initial |
- 15.000 |
Allongement durée assurance pour le taux plein, proratisation, allégement de la décote et création de la surcote |
+ 6.000 |
Revalorisation minimum contributif |
- 600 |
Retraite anticipée |
- 300 |
Mesure pluripensionnés |
- 1.000 |
Augmentation de cotisations de 2006 (0,2 point) |
+ 900 |
Solde des mesures |
+ 6.200 |
Affectation de cotisation chômage |
+ 9.800 |
Solde final |
0 |
Tableau détaillé des régimes de la fonction publique en 2020
(en millions d'euros 2000)
Besoin de financement initial |
- 28.000 |
Allongement durée assurance pour le taux plein, proratisation, allégement de la décote et création de la surcote |
9.300 |
Indexation sur les prix |
4.500 |
Création du régime additionnel |
- 800 |
Solde des mesures |
+ 13.000 |
Solde après mesures |
- 15.000 |
Effort supplémentaire des employeurs publics |
+ 15.000 |
Solde final |
0 |
Les
besoins de financement des régimes de retraite des secteurs public et
privé devraient être notablement réduits. S'agissant de la
fonction publique, le solde proviendrait des « employeurs
publics », donc, in fine, du contribuable. Pour ce qui concerne le
secteur privé, la hausse des cotisations vieillesse devrait pouvoir
être neutralisée par des transferts de l'Unédic, par effet
mécanique du retournement démographique prévisible.
La suppression de la « surcompensation »
La « surcompensation » ou « compensation
spécifique » désigne un mécanisme financier
créé en 1985 afin d'assurer des transferts de ressources entre
les régimes spéciaux et de prendre en compte ainsi les
disparités démographiques qui les affectent.
Les principaux bénéficiaires de ce système sont le
régime des mines, de la SNCF. Les principaux contributeurs sont la
CNRACL et le régime des fonctionnaires.
Evolution des montant de la surcompensation (en millions d'euros)
Régimes contributeurs |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
Fonctionnaires civils |
1 503,9 |
1 469,1 |
1 257,5 |
1 065,4 |
CNRACL |
1 268,0 |
1 366,6 |
1 311,2 |
1 210,3 |
EGF |
61,7 |
55,8 |
35,2 |
18,0 |
Total |
2 833,6 |
2 891,5 |
2 603,9 |
2 293,7 |
Régimes bénéficiaires |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
Fonctionnaires militaires |
488,6 |
584,7 |
491,0 |
421,3 |
FSPOEIE |
189,0 |
182,1 |
171,2 |
153,2 |
CANSSM |
1 237,6 |
1 232,9 |
1 122,3 |
986,6 |
SNCF |
498,4 |
481,1 |
431,2 |
378,9 |
RATP |
6,6 |
1,6 |
0,2 |
0,0 |
ENIM |
270,0 |
268,6 |
260,2 |
239,4 |
CRPCEN |
44,6 |
44,6 |
44,6 |
43,6 |
Banque de France |
7,7 |
7,8 |
6,7 |
5,8 |
SEITA |
31,5 |
31,5 |
28,6 |
25,6 |
CAMR |
59,6 |
56,6 |
47,9 |
39,3 |
Total |
2 833,6 |
2 891,5 |
2 603,9 |
2 293,7 |
Source : CCSS - septembre 2003
Les principales règles de la
« surcompensation »
Les
régimes concernés sont ceux dont l'effectif des retraités
titulaires de pensions de droit direct, âgés de 60 ans ou plus,
dépasse 5.000 personnes : fonctionnaires de l'État, CNRACL,
ouvriers de l'État (FSPOIE), marins (ENIM), mines (CANMSS),
salariés des chemins de fer secondaires (CAMR), EDF-GDF, Banque de
France, clercs de notaire (CRPCEN), régimes de la RATP et de la SEITA.
Le calcul de la surcompensation est réalisé en deux temps et
correspond à l'addition de deux éléments.
Dans un premier temps, une compensation est calculée entre l'ensemble
des régimes participant à la compensation spécifique. Elle
se distingue de la compensation généralisée sur plusieurs
points : elle concerne à la fois les retraités de droit
direct et les retraités de droit dérivé ; les
effectifs de retraités incluent
tous les retraités de 60 ans
et plus
(contre 65 ans pour la compensation
généralisée) ; les prestations de
référence (droit direct et droit dérivé) sont des
prestations moyennes
et non des
prestations minimales
. Le
coût global est réparti entre les régimes au prorata des
rémunérations servant de base au versement des cotisations
d'assurance vieillesse.
Dans un second temps, il est opéré une redistribution des
transferts versés au titre de la compensation
généralisée. Tous, à l'exception de la SEITA et de
la CAMR, participent à la compensation généralisée
et sont globalement débiteurs. La première étape de la
compensation spécifique consiste à redistribuer entre ces
régimes, au prorata de leurs masses salariales, le total de leurs
versements à la compensation généralisée. Dans ce
nouveau calcul, tous les régimes sont débiteurs. On calcule pour
chaque régime la différence entre le versement à la
compensation généralisée calculé
« après redistribution » et le transfert
(débit ou crédit) initial à cette compensation.
Pour chaque régime, la somme des deux transferts
précédents définit le transfert de compensation
spécifique, mais compte tenu des montants excessifs auxquels ces calculs
aboutissent, la compensation spécifique n'est appliquée que
partiellement. Le taux d'application, de 22 % à l'origine, a
été augmenté jusqu'à 38 %, puis ramené
à 34 % en 2000 et 30 % en 2001. En outre, le transfert de
compensation est limité pour chaque régime à 25 % de ses
charges totales de pensions de droits directs de plus de 60 ans et de
droits dérivés.
Pour mémoire, la surcompensation fut instituée par la loi de
finances pour 1986 avec pour justification
« l'homogénéité »
de certains
régimes spéciaux justifiant la mise en place de mécanismes
spécifiques de solidarité. Cette homogénéité
était pourtant dès l'origine sujette à caution puisque ni
l'assiette de cotisation, ni la qualité des prestations, ni les
conditions de financement de ces régimes n'étaient
homogènes. En outre, les règles de calcul de la surcompensation
étaient elles-mêmes contestables. Contrairement à la
compensation généralisée, la prestation servant de
référence est très supérieure à la pension
moyenne la plus faible des régimes bénéficiaires. Il
s'agit de la pension moyenne de l'ensemble des régimes participants. Les
modalités de calculs aboutissaient à des niveaux de transfert
tellement élevés qu'ils ont dû être plafonnés.
Cette description éclaire en soi la véritable nature de la
surcompensation qui n'a jamais été qu'un artifice permettant la
captation des réserves de la CNRACL au profit des autres régimes,
c'est-à-dire en réalité, du budget de l'État
lui-même pouvant ainsi réaliser une économie sur le montant
de la subvention d'équilibre qu'il verse à ces régimes.
Les mécanismes de la surcompensation et son principe même
faisaient l'objet de critiques croissantes.
« La compensation spécifique a peu de
justifications... »
« De fait, la compensation spécifique a peu de justifications. Telle qu'elle fonctionne, elle met à la charge d'un régime des transferts pour d'autres régimes (mines, SNCF, marins...) qui, par ailleurs, sont équilibrés par une subvention de l'État. Sans homogénéité entre les régimes, il est difficile de mettre en place une compensation équitable, qui complète la compensation généralisée. Dans ce cas, il faudrait peut-être recourir à d'autres mécanismes de solidarité, du moins pour les régimes les plus atypiques ou les plus déséquilibrés démographiquement (mines, marins), dont l'équilibre pourrait être assuré par l'État ou par le FSV ».
Rapport de
MM. Yves Ullmo et Louis-Paul Pelé,
document remis au Conseil
d'orientation des retraites septembre 2001, p. 25
.
La
suppression du système de surcompensation a été
décidée par la loi du 21 août 2003. Elle sera mise en
oeuvre sur une période de neuf ans entre le 1
er
janvier
2004 et le 1
er
janvier 2013. Un décret prévoira une
diminution progressive du taux de surcompensation de 3 % par an.
La fin de la surcompensation permet, à très court terme,
d'assurer le sauvetage de la CNRACL en lui permettant de revenir à un
résultat net positif qui devrait être de 240 millions d'euros
en 2003 et de 420 millions d'euros en 2004.
Il est vrai que la CNRACL a été fortement mise à
contribution au titre du mécanisme de
« surcompensation » depuis 1985.
Sommes versées par la CNRACL au titre de la surcompensation
(en
millions d'euros)
Source : CNRACL
La succession de résultats déficitaires depuis 1992, à l'exception de 1997 et 2001, avait en effet totalement absorbé les réserves de la CNRACL au point que celle-ci a dû recourir à un dispositif d'avance de trésorerie.