D. REVALORISER L'EMPLOI DES SENIORS

Faire évoluer la société française sur la question du retrait précoce d'activité des « seniors » constitue aujourd'hui un impératif si l'on souhaite poursuivre l'adaptation de notre système de retraite aux réalités contemporaines.

a) Un large consensus en faveur des préretraites

Le recours aux mesures d'âge - et en premier chef aux préretraites - comme moyen de lutte contre le chômage a été généralisé à partir du début des années 1980. Il a conduit à une éviction durable des salariés âgés du marché du travail, dont les effets continuent de se faire sentir.

Une étude de l'INSEE 8 ( * ) souligne ainsi que « l'effet des préretraites sur le taux d'activité des 55-59 ans a été massif. Il explique l'essentiel de la chute des taux d'activité des hommes de cette tranche d'âge, qui est passée entre 1970 et 1998 d'une valeur moyenne de 84 % à un niveau inférieur de 15 points. L'effet est moins marqué chez les femmes que chez les hommes, sans doute parce que ces derniers représentent l'écrasante majorité des préretraités ».

Il en résulte que, en 2002, la population active était ainsi répartie :

- 2,311 millions de personnes sont âgées de 15 à 24 ans, soit 8,6 % du total ;

- 21,531 millions de personnes ont entre 25 à 54 ans, soit 80,7 % du total ;

- et seulement 2,857 millions de personnes sont âgées de plus de 55 ans (10,7 % de la population active totale).

Si les préretraites ont atteint leur dernier pic en 1997 avec quelque 240.000 bénéficiaires, elles continuent de concerner aujourd'hui 200.000 personnes. L'extinction de l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE) décidée par les partenaires sociaux à l'occasion de la conclusion de la nouvelle convention d'assurance chômage est en effet en grande partie compensée par la création et la montée en charge de nouveaux dispositifs similaires créés par l'État (PRP et CATS notamment).

Dispositifs de préretraite

 

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

Allocation spéciale du Fonds national de l'Emploi (ASFNE)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Nombre d'entrées annuelles

45.837

56.345

49.462

23.683

21.015

21.669

18.672

11.993

7.920

6.740

Nombre d'allocataires en cours à la fin décembre

162.558

174.662

179.219

152.409

128.442

107.789

90.654

73.411

59.939

48.045

Préretraite progressive

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Nombre d'entrées annuelles

4.517

10.616

22.282

26.858

24.262

20.870

16.717

13.372

11.117

12.357

Nombre d'allocataires en cours à la fin décembre

13.114

17.145

30.910

52.520

54.672

55.032

52.112

44.675

42.045

42.764

Allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Nombre d'entrées annuelles

 
 
 

2.650

52.211

35.353

43.438

45.170

37.461

21.354

Nombre d'allocataires en cours à la fin décembre

 
 
 

2.622

49.523

65.795

76.917

84.519

86.580

73.121

Congé de fin d'activité (CFA)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Nombre d'entrées annuelles

 
 
 
 
 

19.168

10.782

15.564

11.888

12.965

Nombre d'allocataires en cours à la fin décembre

 
 
 
 
 

10.061

12.117

15.142

18.407

21.579

Cessation d'activité de certains travailleurs salariés (CATS)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Nombre d'entrées annuelles

 
 
 
 
 
 
 
 

5.218

5.313

Nombre d'allocataires en cours à la fin décembre

 
 
 
 
 
 
 
 

5.218

9.871

Cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (CAATA)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Nombre d'entrées annuelles

 
 
 
 
 
 
 
 

3.894

5.803

Nombre d'allocataires en cours à la fin décembre

 
 
 
 
 
 
 
 

3.785

9.152

TOTAL

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Nombre d'entrées annuelles

50.354

66.961

71.744

53.191

97.488

97.060

89.609

86.099

77.498

64.532

Nombre d'allocataires en cours à la fin décembre

175.672

191.807

210.129

207.551

232.637

238.677

231.800

217.747

215.974

204.532

Source : Unédic, ministère de la fonction publique, CNAM, exploitation DARES

On peut considérer que la croissance des préretraites a résulté d'un consensus social implicite entre :

- les entreprises, renouvelant et rajeunissant plus rapidement leurs effectifs ;

- les salariés mettant fin plus tôt à leur activité professionnelle ;

- et les pouvoirs publics, comptant sur ces mesures d'âge pour accroître, à court terme, les sorties du marché du travail et ainsi lutter contre le chômage.

Conçue initialement sur un horizon de court terme, l'incitation publique au retrait précoce d'activité n'a jamais cessé et s'est même accrue avec le temps. Ces mesures, très populaires, sont devenues, malgré leur coût à long terme, difficiles à remettre en cause. Les raisons qui expliquent cette évolution ne sont donc pas uniquement économiques, mais sociales, voire sociologiques.

Evolution du taux d'emploi selon l'âge en 2001

Age

Taux d'emploi (%)

Age

Taux d'emploi (%)

50 ans

79,9

58 ans

45,9

51 ans

78,9

59 ans

38,3

52 ans

78,4

60 ans

31,2

53 ans

74,7

61 ans

14,6

54 ans

73,7

62 ans

9,0

55 ans

70,9

63 ans

8,2

56 ans

61,2

64 ans

6,5

57 ans

55,0

65 ans

5,4

Source : INSEE, enquête emploi, mars 2001.

Parmi les raisons économiques, on note l'importance des restructurations sectorielles. Une étude récente de la Direction de l'animation de la recherche et de la statistique du ministère du travail (DARES) 9 ( * ) illustre cette tendance et montre que le licenciement est souvent utilisé dans notre pays comme outil de gestion des salariés âgés : cette progression des licenciements pour motif personnel peut être attribuée à la diffusion des formes de management par objectifs, mais aussi à l'utilisation de ce mode de rupture du contrat de travail comme « outil de gestion » de la main-d'oeuvre vieillissante. Les salariés âgés sont plus exposés à ce risque, dans la mesure où ils sont plus nombreux à bénéficier d'un contrat de travail à durée indéterminée, mais également parce que « dans une logique de productivité focalisée sur une recherche de réduction de la masse salariale, il s'avère plus rentable, à poste égal, de faire partir les personnes qui coûtent le plus cher à l'entreprise (par exemple, les plus âgées) » .

b) Un taux d'activité des plus de cinquante-cinq ans parmi les plus bas d'Europe

En France, la baisse du taux d'emploi apparaît très rapide à partir de 50 ans, et surtout de 55 ans. On remarque que l' écart entre le taux d'emploi de la France et la moyenne européenne est sensible pour les personnes âgées de 60 à 65 ans (9,9 % contre 23,4 %). Mais la différence est impressionnante avec un pays comme la Suède qui conduit une politique visant à promouvoir l'emploi des « seniors » : le taux d'emploi des personnes âgées de 55 à 59 ans s'établit à 77,8 % contre 49,3 % en France, soit 29 points de plus. S'agissant des personnes de 60 à 65 ans ; l'écart est même de 40 points : 50,2 % en Suède contre 9,9 % en France. A l'exception de la Belgique, notre pays est celui dans lequel l'âge moyen de retrait du marché du travail est le plus précoce : 58,1 ans, c'est-à-dire presque deux ans de moins que la moyenne de l'Union européenne (59,9 années), plus de deux ans et demi avant l'Allemagne (60,9 années) et presque quatre ans de moins qu'en Suède (62 années).

Taux d'emploi et âge moyen du retrait du marché du travail
dans quelques pays européens en 2001

 

Taux d'emploi (en %)

Age moyen du retrait du marché du travail

 

50-54

55-59

60-64

65-69

70-74

Total

Belgique

64,6

38,1

12,1

3,0

1,2

57,0 ans

Allemagne

74,5

57,7

20,8

5,3

2,6

60,7 ans

Espagne

60,1

47,3

29,5

3,9

1,0

60,6 ans

France

75,8

49,3

9,9

2,1

0,9

58,1 ans

Italie

60,5

36,2

18,0

6,2

2,5

59,4 ans

Pays-Bas

73,7

56,9

18,5

6,0

4,2

60,9 ans

Suède

84,7

77,9

50,2

13,3

6,1

62,0 ans

Royaume-Uni

77,3

64,7

37,6

10,7

4,4

62,1 ans

Moyenne UE 15

71,3

52,9

23,4

6,7

3,1

59,9 ans

Source : Eurostat.

On peut ainsi parler de « préférence française pour le retrait d'activité des seniors » , même si l'on observe une progression de l'embauche des seniors en contrat aidé, depuis dix ans, qui a fait remonter leur taux d'activité mais sans modifier la tendance générale.

Les chômeurs de plus de cinquante ans ont constitué une des cibles prioritaires des contrats offerts par le secteur non marchand et leur part dans les embauches sous contrat aidé a doublé entre 1994 et 2001. Alors que les seniors sont devenus un public prioritaire, la politique de retrait d'activité est restée, jusqu'à récemment, très soutenue. Le volume des cessations d'activité demeure à un niveau élevé. On a ainsi dénombré, en 2001, 204.532 préretraités, tandis que les dispenses de recherche d'emploi se sont accrues de 28 % entre 1994 et 2001.

c) La nécessité d'un renversement de tendance

La situation actuelle fragilise nos régimes de retraites, déjà confrontés à d'importants besoins de financement compte tenu des évolutions démographiques. Sans évolution des politiques de l'emploi, notamment en faveur des salariés âgés, l'équilibre à venir restera particulièrement difficile à atteindre. On estime ainsi généralement qu'une hausse de un point du taux d'emploi ferait diminuer la part des besoins de financement des retraites exprimés par rapport au PIB de 0,2 à 0,4 point d'ici 2040 .

En outre, le vieillissement de la population active va se traduire par une augmentation de la fraction des plus de quarante-cinq ans dans les actifs. Or les entreprises qui ont souvent recouru aux mesures d'âge restent mal préparées au défi du vieillissement de la main-d'oeuvre, comme l'observe une étude de la DARES : « Si le thème du vieillissement est de plus en plus présent dans le débat public, il ne semble pas inquiéter outre mesure les entreprises, dont la réflexion sur le sujet reste limitée. Moins d'un établissement sur cinq gère aujourd'hui sa pyramide des âges de façon anticipée, et cette pratique est surtout répandue parmi les plus grands établissements. Même ceux qui sont les plus confrontés au vieillissement de leurs effectifs se préoccupent peu de la question et lorsqu'ils prennent des mesures, c'est rarement à titre préventif » 10 ( * ) .

Certes, on assiste aujourd'hui à l'amorce d'un changement d'état d'esprit. Ainsi, les pouvoirs publics, au niveau européen, ont souscrit des engagements particulièrement explicites en faveur du relèvement du taux d'emploi, notamment des plus âgés.


Les conclusions des sommets européens sur l'emploi des seniors

Le sommet de Lisbonne (mars 2000) avait proposé aux États membres de conduire une politique active pour l'emploi se donnant un objectif global consistant « à porter le taux d'emploi des personnes âgées de 15 à 64 ans (actuellement de 61 % en moyenne) à un niveau aussi proche que possible de 70 % en 2010 et à faire en sorte que la proportion des femmes actives (actuellement de 51 % en moyenne) dépasse 60 % d'ici 2010 » .

Le sommet de Stockholm (mars 2001) avait affirmé la résolution des États d'atteindre l'objectif du plein emploi comme moyen de répondre au « défi du vieillissement de la population » . Il proposait des objectifs intermédiaires pour 2005, soit un taux d'emploi de 67 % pour les hommes de 15 à 64 ans et de 57 % pour les femmes. Mais surtout il fixait un objectif spécifique de 50 % pour le taux d'emploi moyen des hommes et des femmes âgés de 55 à 64 ans. Il demandait en outre un rapport sur les moyens d'atteindre ces objectifs.

Le sommet de Barcelone (mars 2002) annonçait une évaluation à mi-parcours, en 2006, des résultats des politiques actives de l'emploi au regard de l'objectif d'élévation des taux d'emploi. Il affirmait que la stratégie européenne pour l'emploi devait « mettre l'accent sur le relèvement du taux d'emploi en encourageant l'aptitude à l'emploi et en supprimant les obstacles ou les freins à l'acceptation d'un emploi et au maintien dans cet emploi, tout en maintenant des normes de protection élevées, propres au modèle social européen » . Il proposait encore de réduire les incitations individuelles à la retraite anticipée, d'offrir aux travailleurs âgés davantage de possibilités de demeurer sur le marché du travail (par exemple par la retraite progressive). Il précisait enfin : « il faudrait chercher d'ici 2010 à augmenter progressivement d'environ cinq ans l'âge moyen auquel cesse, dans l'Union européenne, l'activité professionnelle » .

Source : Rapport « cumul emploi-retraite », Jean-Marc Boulanger, mars 2003.

De même, les entreprises commencent à réfléchir sur la gestion de l'emploi des salariés âgés et reconnaissent qu'une augmentation de la part des salariés de plus de cinquante ans pourrait avoir des effets positifs sur le plan collectif.

La loi du 21 août 2003 a fait le choix de recentrer les mesures d'âge autour de deux dispositifs : un dispositif visant à prendre en compte la pénibilité du travail, dans le cadre des cessations anticipées d'activité des travailleurs salariés (CATS), et un dispositif « plans sociaux ». A cet effet :

- une partie des préretraites d'entreprise a été assujettie à une contribution spécifique afin de dissuader les employeurs d'avoir recours à cette mesure d'âge ;

- les CATS ont été recentrés vers les seuls salariés ayant réalisé des travaux pénibles ;

- le dispositif de la préretraite progressive a été supprimé.

d) Favoriser la mobilisation nationale en faveur de l'emploi des seniors

Dans son rapport 2003 consacré aux perspectives de l'emploi, l'OCDE invite les Gouvernements à redoubler d'efforts pour améliorer la situation de l'emploi des femmes, des travailleurs âgés, des personnes handicapées et des personnes peu qualifiées. Cet organisme souligne que la mise à l'écart de ces catégories aura pour conséquence, à mesure que leur vieillissement s'accentuera, de limiter la croissance des pays occidentaux et pèsera fortement sur les finances publiques.

Selon ses conclusions, « les tendances démographiques futures accentuent la nécessité pour les gouvernements de supprimer les incitations existantes à la retraite anticipée. Les mesures, à cet effet, doivent s'intégrer dans une démarche globale visant à réformer à la fois les régimes de retraite et les autres programmes sociaux, de manière à réduire la désincitation à exercer un emploi à un âge avancé. Cette action devrait faire en sorte que l'impôt implicite sur le revenu découlant d'une année d'activité supplémentaire soit voisin de zéro et que les taux de remplacement soient compatibles à la fois avec des ressources suffisantes à la retraite (en particulier au bas de l'échelle des revenus), avec le maintien d'incitations appropriées à travailler et avec la viabilité budgétaire à long terme. »

Evolution du taux d'emploi des travailleurs âgés de 55 à 64 ans
dans quelques pays de l'Union européenne entre 1995 et 2001

 

Taux d'emploi en 2001

Evolution entre 1995
et 2001 (en points)

Belgique

25,1 %

+ 2,2

Allemagne

37,7 %

0

Espagne

39,2 %

+ 6,8

France

31,9 %

+ 2,6

Italie

28,1 %

- 0,5

Pays-Bas

39,6 %

+ 10,3

Suède

66,8 %

+ 5,1

Royaume-Uni

52,3 %

+ 4,7

Moyenne (UE 15)

38,8 %

+ 2,8

Source : Eurostat

La progression du taux d'emploi des travailleurs âgés constatée ces dernières années reste limitée, notamment en France.

Aussi convient-il aujourd'hui d'agir avec force en faveur de l'amélioration du taux d'emploi des travailleurs âgés : le Gouvernement s'est ainsi fixé comme objectif, dans un premier temps, d'augmenter l'âge moyen de cessation d'activité de un an et demi.

Il pourrait s'inspirer des exemples néerlandais et finlandais :

- aux Pays-Bas, la chute du taux d'emploi s'est stabilisée vers 1995 et a connu une remontée très nette depuis. Pour les 55-59 ans, comme pour les 60-64 ans, en seulement quatre ans, de 1995 à 1999, le taux d'emploi a augmenté respectivement de 7,4 points et de 6,2 points. Globalement, pour le groupe d'âge 55-64 ans, le taux d'emploi se situe désormais 9 points au-dessus de la France ;

- la Finlande connaît également, depuis 1995, une remontée significative du taux d'emploi de la classe d'âge 55-64 ans : entre 1995 et 2000, le gain a été de 12,6 points pour les 55-59 ans et de 5,1 points pour les 60-65 ans.

Ces deux exemples de réussite trouvent, dans les deux cas, leur origine dans un programme national fondé sur une campagne publique d'information, l'accent mis sur la formation professionnelle, une assistance spécifique aux chômeurs âgée et une grande place donnée à l'expérimentation.

* 8 Prévoir l'évolution des taux d'activité aux âges élevés : un exercice difficile », Economie et statistique, n os 355-356, 2002

* 9 DARES, premières synthèses n° 28- 21 juillet 2003.

* 10 Premières informations et premières synthèses, avril 2002, n° 15-1.

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