ARTICLE 18 bis (nouveau)

Réforme de l'intérêt de retard

Commentaire : le présent article vise à étendre les possibilités de remise gracieuse et de transaction fiscale pour les montants dus au titre de l'intérêt de retard.

I. LE DROIT EXISTANT


L'intérêt de retard et la détermination de son taux sont définis par l'article 1727 du code général des impôts : « le défaut ou l'insuffisance dans le paiement ou le versement tardif de l'un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la direction générale des impôts donnent lieu au versement d'un intérêt de retard qui est dû indépendamment de toutes sanctions. Le taux de l'intérêt de retard est fixé à 0,75 % par mois et s'applique sur le montant des sommes mises à la charge du contribuable ou dont le versement a été différé ».

Les intérêts de retard concernent deux à trois millions de contribuables et atteignent souvent le quart des sommes dues à l'administration fiscale, compte tenu des délais des notifications du redressement qui atteignent souvent trois à quatre ans après la date d'exigibilité des impôts redressés.

Malgré plusieurs décisions de justice 132( * ) , non confirmées en dernière instance, et une diminution des taux d'intérêt de marché, le taux de l'intérêt de retard est resté fixé à 9 % par an.

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article a été adopté par l'Assemblée nationale avec l'avis favorable du gouvernement, sur l'initiative de nos collègues députés Jean-Yves Cousin et Gilles Carrez, rapporteur général du budget, afin de prendre en compte les situations difficiles de certains redevables, souvent de bonne foi, après un redressement fiscal.

Les dispositions adoptées visent à permettre des remises gracieuses et des transactions fiscales, suivant les procédures définies respectivement aux troisième et quatrième alinéas de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales 133( * ) , pour les sommes dues au titre de l'intérêt de retard.

L'exposé des motifs de l'amendement précise que cette faculté nouvelle offerte à l'administration respecterait les prescriptions qui s'imposent d'ores et déjà à elle, de façon notamment à « ne pas permettre aux contribuables d'obtenir du Trésor, pour le paiement des impôts exigibles, un crédit moins onéreux que celui qu'ils auraient pu éventuellement se procurer auprès des établissements bancaires » 134( * ) .

Cette réforme correspond aux préconisations de notre collègue député Jean-Yves Cousin, dans un rapport d'information de septembre 2003 au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale 135( * ) . Des deux solutions envisagées dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour l'année 2004, une modification des dispositions de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales a été retenue de préférence à une réinterprétation de ces mêmes dispositions.

Les dispositions adoptées ont été présentées comme un premier pas vers une réforme du taux de l'intérêt de retard qui s'élève 9 % par an, afin de le rapprocher des taux constatés sur le marché privé du crédit, ainsi que du taux de l'intérêt légal (fixé à 3,29 % pour l'année 2003 136( * ) ) dont bénéficient les contribuables qui disposent de créances sur le Trésor et se trouvent ainsi placés dans une position moins favorable. Notre collègue député Jean-Yves Cousin a proposé que le taux de l'intérêt soit fixé à environ 8 % par an .

« Réformer l'intérêt de retard : le souhaitable et le possible »

Extraits du rapport d'information de septembre 2003 de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur les relations entre l'administration fiscale et les contribuables

2004 : une contrainte budgétaire réelle

« Si votre Rapporteur est très favorable à une réforme de l'intérêt de retard et s'il est prêt à contribuer au débat préalable concernant les modalités souhaitables de cette réforme, il apparaît que sa mise en oeuvre dans l'état actuel du marché privé du crédit constituerait un coût substantiel pour les finances publiques. Au regard des modalités de réforme suggérées par votre Rapporteur, il apparaît que le taux de l'intérêt de retard pourrait être établi à environ 8 % l'an, voire un peu moins. Or, le « coût » pour les finances publiques d'une baisse d'un point du taux de l'intérêt de retard s'élève à environ 130 millions d'euros. Ce coût serait sans doute doublé si le taux des intérêts moratoires était fixé au niveau du taux de l'intérêt de retard.

« Au regard de la situation des finances publiques françaises, des engagements internationaux de la France en la matière et de la nécessité, dans ce contexte, d'opérer des choix s'agissant des mesures fiscales dont la mise en oeuvre est projetée l'année prochaine, votre Rapporteur estime que la réforme de l'intérêt de retard n'est pas envisageable pour 2004. Le retour à un solde des finances de nos administrations publiques dans les limites définies par le pacte de stabilité et de croissance pourrait constituer le moment opportun pour la mise en oeuvre de cette réforme. Par ailleurs, si d'ici là les conditions constatées sur le marché privé du crédit rendaient moins onéreuse pour les finances publiques, la réforme proposée, celle-ci pourrait être mise en oeuvre plus rapidement.

Une solution envisageable à court terme : la possibilité de remise et de transaction des montants dus au titre de l'intérêt de retard


« Le montant de l'intérêt de retard peut constituer une lourde charge pour le contribuable notamment dans les cas où ce montant est calculé suite à un redressement fiscal. Le 1 de l'article 1727 A du code général des impôts dispose en effet que « l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 est calculé à compter du premier jour du mois suivant celui au cours duquel l'impôt devait être acquitté [...] ». Le 2 de l'article 1729 du même code prévoit que, dans le cas d'un redressement fiscal, « le décompte de l'intérêt de retard est arrêté au dernier jour du mois de la notification de redressement ou, en cas d'échelonnement des impositions supplémentaires, au dernier jour du mois au cours duquel le rôle doit être mis en recouvrement. ». Par ailleurs, les articles L. 169 à L. 189 du livre des procédures fiscales disposent qu'en règle générale le délai de reprise de l'administration fiscale s'établit entre trois et quatre ans, rétrospectivement à la date du contrôle fiscal considéré.

« Ces dispositions combinées signifient, à titre d'exemple, qu'un redressement établi au mois de décembre 2003, relatif à des insuffisances concernant l'établissement des revenus ou des résultats pour 2000, donne lieu à des rappels de droits sur lesquels sont calculés un montant d'intérêt de retard qui court depuis la date à laquelle l'imposition qui fait l'objet de ces rappels de droits aurait due être payée, soit depuis le courant de l'année 2001. L'intérêt de retard peut courir, selon l'imposition considérée et l'attitude du contribuable, depuis un nombre d'années plus élevé encore, si le délai de reprise est plus long, en application de certaines des dispositions prévues par les articles L. 169 à L. 189 du livre des procédures fiscales. Un contribuable de bonne foi, à qui est adressé un redressement fiscal, peut donc constater dans certains cas, notamment si l'erreur qu'il a commise est ancienne, que le montant des sommes qu'il doit payer, relève pour une bonne part de l'application de l'intérêt de retard.

« Votre Rapporteur estime qu'une réflexion doit être menée afin d'envisager que dans ces cas, le montant des intérêts de retard puisse faire l'objet d'une remise gracieuse ou d'une transaction. Ces procédures sont prévues par l'article L. 247 du livre des procédures fiscales (...) .

« La documentation de base éditée par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie à l'attention des agents de l'administration fiscale, prescrit les éléments suivants s'agissant de la remise et de la transaction des intérêts de retard.

Point n° 23 de la sous-section 13 S 2434 de la documentation de base 13 RC contrôle de l'impôt - contentieux - autres réglementations

« En raison de leur nature même, les intérêts de retard ne présentent pas le caractère de véritables sanctions puisqu'ils ont pour objet de compenser le préjudice subi par le Trésor par suite de l'encaissement tardif des sommes qui devaient lui revenir.

« Ils ne doivent pas, en règle générale, faire l'objet de remise ou modération.

« Il ne peut être fait d'exception à cette règle que dans les circonstances particulières et spécialement le cas prévu à l'article L. 247-1° du LPF, c'est-à-dire lorsque le contribuable se trouve dans un état de gêne ou d'indigence le mettant dans l'impossibilité de se libérer envers le Trésor
.

« A cet égard, doivent notamment être examinées avec bienveillance des demandes présentées par les contribuables qui, ayant exécuté des marchés pour le compte d'organismes publics [...], n'ont pas perçu le montant de leurs créances dans les six mois suivant les échéances prévues.

« De même, en ce qui concerne le cas des petites et moyennes entreprises qui se créent et, notamment, des travailleurs s'établissant à leur compte, il a été décidé, pour tenir compte du fait que ces nouveaux chefs d'entreprise ne sont pas nécessairement familiarisés avec la législation fiscale, que les services feront preuve d'indulgence pour les erreurs commises de bonne foi pendant les quatre premières années de fonctionnement de l'entreprise. A cette fin, une large remise des pénalités peut être accordée.

« L'application de la règle ci-dessus exposée ne doit pas cependant priver le service de la possibilité d'envisager une modération des intérêts de retard lorsqu'il est constaté qu'en dehors des paiements tardifs et des insuffisances ayant motivé l'application de ces intérêts, le contribuable a effectué, par ailleurs, des excédents de versements.

« En tout état de cause, les intérêts de retard ne doivent pas faire l'objet d'une transaction.


« Votre Rapporteur suggère que dans les cas où le montant de l'intérêt de retard représente une part substantielle du montant global à recouvrer suite, notamment, à un contrôle fiscal, soit ouverte la possibilité pour l'administration de transiger en la matière ou de remettre une partie de ce montant. La règle cardinale concernant la mise en oeuvre de cette marge supplémentaire de remise ou de transaction demeurerait le fait qu'elle ne doit pas avoir « pour effet de permettre aux contribuables d'obtenir du Trésor, pour le paiement des impôts exigibles, un crédit moins onéreux que celui qu'ils auraient pu éventuellement se procurer auprès des établissements bancaires. ». Autrement dit, il serait possible, notamment dans les cas où la bonne foi du contribuable est avérée, de remettre une partie des montants dus du fait de l'application de l'intérêt de retard ou de transiger en la matière, afin que ces montants soient le cas échéant ramenés aux montants qui seraient dus si le taux de l'intérêt de retard était fixé à un niveau considéré comme adéquat ou souhaitable, au regard des critères suggérés supra par votre Rapporteur.

« S'il était envisagé de permettre ces pratiques fiscales, il serait nécessaire de déterminer au préalable si la législation doit être modifiée (...).

« Au total, deux solutions sont envisageables :

« -
une « nouvelle » interprétation du quatrième alinéa de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales pourrait permettre de considérer que, dorénavant, les montants dus au titre de l'intérêt de retard peuvent faire l'objet d'une transaction ;

« - l'article L. 247 du livre des procédures fiscales pourrait être modifié afin que soit expressément prévu que les montants dus au titre de l'intérêt de retard peuvent faire l'objet d'une transaction ou d'une remise gracieuse. Cette solution a la préférence de votre Rapporteur, parce qu'elle est certainement juridiquement la plus logique. Si la documentation de base évoquée permet dans certains cas que les montants dus au titre de l'intérêt de retard fassent l'objet d'une remise gracieuse, il s'agit d'une interprétation de la loi certes opportune, mais à tout le moins audacieuse
» .

Source : Assemblée nationale, 12 ème législature, rapport d'information n° 1064 sur les relations entre l'administration fiscale et les contribuables, extraits p. 32-37


III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Les dispositions du présent article doivent être approuvées dans la mesure où elles permettent une diminution du taux de l'intérêt de retard. Il faut cependant rappeler que votre commission des finances avait proposé à plusieurs reprises une réforme du taux de l'intérêt de retard tendant à l'abaisser plus fortement que ne l'envisage la commission des finances de l'Assemblée nationale.

Lors des débats relatifs à la loi de finances pour 2001 , le Sénat avait adopté un amendement 137( * ) indexant le taux de l'intérêt de retard sur celui de l'intérêt légal majoré de 0,25 % par mois (soit 3 % par an). La différence proposée se justifiait par la volonté d'éviter des calculs d'optimisation fiscale des contribuables.

Cette proposition n'avait pas été reprise par l'Assemblée nationale. Lors des débats relatifs à la loi de finances pour 1999, le Sénat avait adopté un amendement similaire de votre commission des finances 138( * ) .

Devant l'Assemblée nationale le 11 décembre 2002, le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire a déclaré vouloir arriver à cet objectif  dans la loi de finances pour 2004 , après en voir étudié le coût. Ce débat est intervenu suite à l'avis défavorable du gouvernement sur un amendement proche 139( * ) déposé par le groupe socialiste.

Le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire avait alors estimé que « nous devons traiter le contribuable de la même manière lorsque l'Etat est débiteur et lorsqu'il est créancier. Vu le calendrier de la démocratie française, Monsieur Goulard, on bâtit un budget trois semaines après avoir été nommé au gouvernement (...) Il faut naturellement analyser l'impact financier d'une telle décision, mais mon objectif, c'est d'arriver dans la loi de finances pour 2004 à cette équité ». Notre collègue député Didier Migaud a alors retiré l'amendement « en prenant tout à fait acte de (v)otre engagement à nous faire une proposition dans le cadre du projet de loi de finances pour 2004 » 140( * ) .

Le coût global de l'amendement de votre commission des finances avait été estimé en 1998 à un demi-milliard d'euros , mais les estimations s'avèrent trop variables faute de connaître précisément le champ d'application éventuel d'une telle mesure.

En outre, le Médiateur de la République a adopté en 2003 une proposition de réforme 98-R18 qui a relevé la différence de traitement « relativement inéquitable » entre les contribuables débiteurs et créanciers de l'administration fiscale :

« Le Médiateur de la République a cru devoir attirer l'attention sur une partie du problème qui lui paraissait sous-estimée, alors même qu'elle témoignait, plus que toute autre, du caractère inégalitaire des relations entre les contribuables et les services fiscaux : la différence entre les valeurs du taux applicable aux premiers et de celui retenu pour les seconds pour tenir compte du « prix du temps », et le fait que l'un est fixe et que l'autre est variable.

« S'il est légitime, dès lors que l'intérêt de retard auquel sont soumis les contribuables, n'est pas une pénalité, de rechercher la plus grande adéquation possible de sa valeur avec celle du loyer de l'argent, puisque les deux notions relèvent globalement du même concept - le prix du temps - , il me semble aussi indispensable, par souci d'équité, de parvenir à une égalité de traitement entre les citoyens et l'Etat (...).

« Le Médiateur de la République souhaiterait connaître l'issue éventuelle de la réflexion dont le gouvernement avait annoncé, en 1999, le lancement sur le lien entre le taux des intérêts de retard et le taux légal (...).

« Il estime que l'argument de la complexité des calculs induits par une éventuelle modification des taux - argument avancé par le ministère dans sa réponse à la question écrite n° 8658 JOAN 13/01/03 - ne saurait être retenu s'agissant d'une administration moderne et bien équipée, qui effectue le même type de calcul à son profit s'agissant des trop-perçus d'impôts qu'elle est tenue de rembourser ».

Votre rapporteur général formule le souhait que la réforme proposée dans le cadre du présent article ne constitue qu'une première étape vers une réforme de plus large portée du taux de l'intérêt de retard, en vue d'un traitement équitable des contribuables débiteurs et créanciers de l'Etat.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

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