F. LA QUESTION DE LA LAÏCITÉ DANS L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Compte-tenu des débats en cours sur l'application du principe de laïcité dans l'enseignement scolaire, votre rapporteur spécial a demandé au ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche des éléments d'information sur le principe de laïcité dans l'enseignement supérieur. La réponse intégrale du ministère est reproduite ci-après :

« Le principe de laïcité est consacré, s'agissant de l'enseignement supérieur, par l'article L. 141-6 du code de l'éducation aux termes duquel « le service public de l'enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ». En pratique, la mise en oeuvre de ce principe se traduit simultanément par la reconnaissance, à ses usagers, de la liberté de conscience et de manifestation de leur foi dans les conditions prévues à l'article L. 811-1 du même code et par un devoir de neutralité imposé aux enseignants et à l'administration .

Ainsi, la loi garantit la liberté d'expression aux étudiants et leur reconnaît le droit d'exprimer, individuellement ou dans le cadre d'associations, leur opinion à l'égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels et, notamment, religieux. Aucun étudiant ne paraît pouvoir se voir refuser l'accès aux formations dispensées par les établissements publics d'enseignement supérieur pour la seule raison qu'il porte un signe d'appartenance religieuse. De même, le principe de laïcité de l'enseignement supérieur n'interdit pas aux étudiants de créer entre eux des associations liées à une croyance religieuse particulière et d'avoir, dans le cadre de la liberté d'expression largement reconnue aux étudiants comme aux autres membres de la communauté universitaire, des activités liées à cette appartenance.

Néanmoins, l'expression de cette liberté connaît les limites fixées par le 2 ème alinéa de l'article L. 811-1 du code de l'éducation qui dispose qu'elle s'exerce « dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l'ordre public ». Le Conseil d'Etat a précisé dans un arrêt du 26 juillet 1996 (Université de Lille II, Rec. p. 915) que la liberté d'expression reconnue aux usagers de l'enseignement supérieur ne saurait « leur permettre d'accomplir des actes qui, par leur caractère ostentatoire, constitueraient des actes de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et de recherche ou troubleraient le fonctionnement normal du service public ».

Si le principe de liberté d'expression reçoit une acception plus large dans l'enseignement supérieur que dans l'enseignement du second degré du fait de l'âge des usagers et conduit à admettre que les étudiants soient destinataires de messages politiques, syndicaux ou religieux, le principe de laïcité formulé à l'article L. 141-6 précité s'oppose à ce les étudiants se livrent à toutes formes de pressions ou tentent d'imposer des prohibitions à l'égard d'autres étudiants, voire des enseignants, comportements par ailleurs contraires au principe de neutralité et de tolérance figurant dans les textes législatifs régissant l'enseignement supérieur.

A défaut de décisions de justice portant sur ces questions dans l'enseignement supérieur, la jurisprudence intervenue sur des espèces concernant l'enseignement scolaire permet d'appréhender les limites à la liberté d'expression qui peuvent être justifiées par les nécessités de l'ordre public et les exigences inhérentes au respect de la neutralité et de la laïcité du service public de l'enseignement supérieur et qui interdit aux étudiants :

- de faire acte de prosélytisme en faisant pression sur d'autres étudiants pour qu'ils portent des signes d'appartenance religieuse dans l'établissement (CE, 2 avril 1997, ministre de l'éducation nationale c/ époux Mehila, req. n° 173103) ;

- de provoquer des mouvements de protestation qui causeraient un trouble grave au fonctionnement de l'établissement, notamment en portant atteinte au bon déroulement des enseignements (CE, 10 mars 1995, Epoux Aoukili, Rec. p. 122) et auxquels se joindraient des personnes extérieures (CE, 27 mars 1996, Ligue islamique du Nord, M. et Mme Chabou et autres, Rec. p. 461) ;

- de refuser l'accès aux réunion qu'ils organisent dans l'établissement à des catégories d'usagers au motif de leur sexe, race ou religion ou de solliciter des aménagements dans l'organisation des enseignements qui remettraient en cause leur mixité ;

- de mettre en cause la santé, l'hygiène ou la sécurité durant les enseignements qui exigent le port de tenues appropriées tels que l'éducation physique, les travaux pratiques de chimie, de mécanique, de biologie... (CE, Epoux Aoukili précité et CE, 20 octobre 1999, ministre de l'éducation nationale c/ Ait Ahmad, Rec. p. 776) ;

- de mettre en cause la dignité tant de leur personne que de celles des autres usagers ou des autres membres de la communauté universitaire (avis du CE n° 346.893 du 27 novembre 1989, Etudes et Documents n° 41, p. 239 et CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, Rec. p. 372) ;

- de porter des tenues contraires à le dignité de la personne humaine ou qui ne permettent pas, notamment lorsqu'elles dissimulent la plus grande partie du visage des intéressés, de garantir le respect de l'ordre et de la sécurité dans l'établissement ni d'établir la relation humaine nécessaire à l'enseignement.

Les établissements publics d'enseignement supérieur étant autonomes en vertu de l'article L. 711-1 du code de l'éducation, il appartient aux présidents ou directeurs d'établissement de mettre en oeuvre les moyens juridiques, disciplinaires notamment, permettant de poursuivre les usagers du service public de l'enseignement supérieur qui se livreraient à des actes portant atteinte aux activités d'enseignement et de recherche ou contraires à l'ordre public, notamment celles qui ont pour effet d'exercer des pressions sur les étudiants ou qui visent à instaurer entre eux des formes quelconques de discrimination.

Compte tenu de l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur, l'administration centrale du ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche est rarement informée de faits de nature à porter atteinte au principe de laïcité et n'est pas en mesure d'évaluer les difficultés que soulèverait l'application de ce principe dans les établissements d'enseignement supérieur. L'administration centrale a néanmoins eu connaissance et apporté une assistance juridique aux interrogations suivantes :

- la possibilité pour le règlement d'une université d'imposer le retrait de tout voile ou foulard lors de la prise de vues pour l'établissement de la photo d'identité figurant sur une acte d'identité. Il a été indiqué que compte tenu de l'objet de la carte d'étudiant, qui répond notamment au besoin de pouvoir identifier rapidement les étudiants inscrits dans l'établissement, il est légitime d'exiger de ces derniers qu'ils fournissent des photographies permettant de les reconnaître aisément et qu'il est vraisemblable que le juge administratif admettrait la légalité d'une règle exigeant la fourniture d'une photographie tête nue pour la carte d'étudiant, comme il l'a fait pour la carte nationale d'identité, par un arrêt du 27 juillet 2001, Fonds de défense des musulmans en justice, requête n°216903 ;

- l'accès des étudiants portant des signes d'appartenance religieuse aux formations dispensées dans les IUFM . Il a été répondu que l'admission à ce dispositif de préparation professionnelle, réservé à des étudiants aspirant à devenir enseignants, et qui comporte des stages en situation dans les établissements d'enseignement du premier et second degré, implique, par son objet même, le respect par ces étudiants des principes de neutralité des services publics et de laïcité de l'Etat, l'interdiction du port de signes d'appartenance religieuse semblant donc s'imposer également à eux ;

- les absences à l'occasion de fêtes religieuses. Si l'administration doit s'efforcer de permettre aux étudiants le libre exercice du culte et de tenir compte, dans la mesure du possible, des exigences liées à l'expression de leurs convictions religieuses, dans l'organisation du service, notamment lors de l'élaboration du calendrier des examens, il résulte d'un arrêt du Conseil d'Etat (Assemblée, 14 avril 1995, Koen, Rec, p. 169) que si, pour des raisons liées à l'organisation des cours et aux contraintes afférentes aux études poursuivies, un examen (ou tout autre élément d'une formation auquel la présence de l'étudiant est indispensable) ne peut être organisé qu'un jour déterminé, la circonstance que la date retenue coïncide avec une fête ou une cérémonie religieuse n'est pas de nature à entacher d'illégalité la décision de l'administration.

Enfin, face aux pressions exercées par certains étudiants de l'Institut national des langues et civilisations orientales sur d'autres étudiants ainsi que sur des enseignants, le ministère a participé à la rédaction d'une charte annexée au règlement intérieur de l'établissement et rappelant le principe de la liberté d'expression des étudiants mais également les limites qui peuvent y être apportées
».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page