II. LES PERSONNELS

A. LA GESTION DES ENSEIGNANTS

1. Les observations de la Cour des Comptes

Dans son rapport particulier d'avril 2003 sur la gestion du système éducatif, la Cour des Comptes a formulé trois séries d'observations relatives respectivement à la gestion prévisionnelle, au respect des obligations de service des enseignants et à la gestion de la « fonction enseignement » , dont de larges extraits sont reproduits ci-après.

a) « Une gestion prévisionnelle particulièrement difficile »

« ... D'ores et déjà, la Cour a, dans son rapport sur la fonction publique publié en janvier 2001, rendu compte à la fois des progrès indéniables réalisés par le ministère de l'éducation nationale en matière de gestion prévisionnelle et de l'urgence d'un approfondissement de cette démarche, notamment en matière de traitement des informations. En effet, les services ministériels ne disposent pas d'une information complète et sûre sur les liens entre emplois, postes et personnes. Le rapprochement des différents fichiers disponibles relatifs aux emplois et aux personnels révèle un écart entre les effectifs recensés selon les diverses sources qui atteignait en 2001 près de 3.000 personnes physiques. Dans ces conditions, le ministère ne peut qu'avoir des difficultés à mettre en place une gestion prévisionnelle, difficultés encore aggravées par d'autres lacunes.

Ainsi chaque établissement organise son offre de formation comme il l'entend. Or le ministère ne dispose pas des éléments qui lui permettraient de déterminer le volume adéquat de recrutement d'enseignants par discipline en tenant compte des évolutions prévues de la demande de formation des étudiants. En effet, il ne connaît pas de manière précise la répartition des enseignements disciplinaires par niveau de formation, les volumes horaires dispensés par discipline et la taille des groupes d'étudiants. En particulier, les services ministériels sont contraints de raisonner à partir des maquettes pédagogiques - c'est-à-dire des arrêtés précisant les volumes horaires d'enseignement par niveau et formation - établies lors des habilitations de formations. Ces documents portent sur des planchers horaires. Une telle base de travail ne correspond que rarement à la réalité. Ainsi la Cour a-t-elle pu constater, sur un échantillon de dix-huit universités, de très grandes disparités de la durée des enseignements dispensés par les établissements pour une même formation : huit fois plus d'heures pour la maîtrise d'anglais d'une université à l'autre, 2,4 fois plus en licence de droit ou encore 50 % d'heures en plus en DEUG de droit entre deux établissements.

Enfin, le travail de comparaison entre offre d'enseignement et besoins en personnel, constitutif de la gestion prévisionnelle, s'avère difficile, en l'absence de concordance entre les nomenclatures des disciplines dispensées par les enseignants et celles des disciplines suivies par les étudiants. La répartition des étudiants par discipline d'inscription est effectuée selon une nomenclature particulièrement fine qui regroupe plus de 6.000 codes de diplômes, tandis que les nomenclatures disciplinaires des enseignants sont différentes et en nombre plus restreint
».

b) « Des obligations statutaires inégalement observées »

« Les obligations de service des enseignants servent à déterminer le potentiel d'enseignement disponible. Elles obéissent à des règles précises, tant en terme de contenu (enseignement, orientation, coordination pédagogique, contrôle des connaissances, etc.) que de quantum (nombre d'heures dues devant les enseignés). Dans ce domaine cependant la diversité des pratiques est la règle et les textes ne sont pas toujours respectés, voire même sont enfreints délibérément. Par rapport à l'ensemble des dispositions en vigueur, les dérives, qu'il s'agisse de la pratique des « sous-services » ou de l'existence de décharges non-réglementaires, sont fréquentes et contribuent à une sous-utilisation du potentiel d'enseignement. En outre, ces situations, bien que régulièrement relevées par la Cour ou par l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, perdurent sans que les responsables d'établissements manifestent la volonté d'y mettre fin.

Une première pratique largement répandue consiste en l'attribution d'équivalences de service, permettant de prendre en compte certaines activités pédagogiques (hors enseignements proprement dits) ou certaines tâches administratives. Ces équivalences peuvent se traduire soit par une réduction du service d'enseignement (ou décharge) qui ne sera pas effectué dans sa totalité, soit par un dépassement de ce service qui sera alors rémunéré par l'attribution d'heures complémentaires Elles concernent des activités aussi diverses que la responsabilité d'une option ou d'une année, les visites en entreprises, l'organisation d'un voyage d'études, ou encore la gestion du site « web » de l'université. Hormis les cas prévus par la réglementation (décharges statutaires et décharges correspondant à la transformation de certaines primes), de telles pratiques, qui peuvent être extrêmement hétérogènes d'un établissement à l'autre, voire d'une composante à l'autre, sont évidemment irrégulières. Il arrive en outre que pour une fonction donnée, un enseignant cumule l'attribution de la prime correspondante avec l'octroi d'une décharge de son service d'enseignement.

Certains établissements pratiquent également des décharges de service au profit de jeunes enseignants pour leur permettre de consacrer un temps significatif à leurs travaux de recherche. Les heures accordées en décharge sont alors compensées par des heures complémentaires permettant de faire effectuer par d'autres le service correspondant à cette décharge.

Au-delà des réductions de services ou des modalités particulières de prise en compte de certaines « tâches supplémentaires », les services d'enseignement en présence d'étudiants peuvent être diversement comptabilisés, avec l'application à l'heure de cours effective d'un « coefficient de majoration », non prévu par les textes : doublement des heures de cours magistraux pour la préparation à l'agrégation, attribution d'une heure majorée (1,2 heure TD) pour les séances de travaux dirigés devant des groupes de plus de 40 étudiants, etc.

Les déperditions qui affectent le potentiel enseignant peuvent enfin tenir à l'existence de sous-services plus ou moins institutionnalisés. En effet, les enseignants chercheurs n'effectuent pas systématiquement un service complet d'enseignement soit en raison du manque d'étudiants inscrits, soit parce que l'université est sur-dotée en personnel et que la charge d'enseignement ne suffit pas à les employer tous. Dans une université parisienne récemment contrôlée par la Cour, sur 62 états de service portés à la connaissance de la juridiction, 22 indiquaient ainsi un sous-service pouvant aller jusqu'à 40 % des obligations statutaires. Dans cette situation, la réglementation (décret du 6 juin 1984) impose à l'enseignant concerné de compléter son service dans un autre établissement de la même académie. Cette disposition, normalement mise en oeuvre à la demande du président ou du directeur de l'établissement, n'est en réalité jamais appliquée. Dans les faits, les sous-services conduisent plus fréquemment à une inflation de l'offre de formation, soit par la création d'un enseignement supplémentaire correspondant au complément de service à assurer, soit à travers une « sur-comptabilisation » des heures de cours : tel enseignement de 30 heures sera compté pour 40 heures afin d'atteindre les obligations réglementaires de service de l'intéressé
» .

c) « Une gestion encore défaillante de la fonction enseignement »

« Le pilotage de l'offre de formation suppose une adéquation rigoureuse entre d'une part le potentiel disponible (obligations statutaires des personnels enseignants, diminuées des éventuelles décharges de service) et d'autre part les charges pédagogiques qui découlent des formations dispensées. Pour combler le déficit entre les charges et le potentiel, les établissements doivent généralement faire appel à des moyens d'enseignement supplémentaires, constitués par la dotation en heures complémentaires.

Cet ajustement de l'offre de formation exige une connaissance fine du contenu des formations, ainsi qu'un contrôle vigilant de l'emploi du temps des enseignants. Il suppose également que l'ouverture des enseignements soit subordonnée à la disponibilité des moyens et fasse l'objet d'un arbitrage
préalable au sein de l'établissement. Ces deux conditions sont aujourd'hui très inégalement réunies dans les universités. Les différentes pratiques qui conduisent à sous-utiliser le potentiel statutaire, comme l'inflation des charges pédagogiques, témoignent d'une maîtrise encore défaillante de cette fonction enseignement...

L'ajustement du potentiel enseignant à l'offre de formation (en fonction des effectifs étudiants et de l'organisation des enseignements) est un travail réalisé de façon empirique, qui revient généralement aux responsables de département ou de filière....

Les nombreuses enquêtes réalisées tant par la Cour que par les chambres régionales des comptes ont par ailleurs montré qu'il n'existait pas de contrôle portant sur le service réellement effectué par les enseignants...
»

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