Audition de M. Philippe LAMOUREUX
Directeur général de l'Institut national de prévention et
d'éducation pour la santé (INPES)
(mercredi 10 décembre 2003)

M. le PRÉSIDENT - Nous accueillons maintenant M. Philippe Lamoureux, directeur général de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES). Monsieur le directeur général, pourriez-vous nous dresser en quelques minutes votre perception de ce texte ? Les rapporteurs et les commissaires vous interrogeront ensuite.

M. Philippe LAMOUREUX - Merci, monsieur le président, messieurs les sénateurs. Ma vision de ce texte est assez simple. Il a plusieurs intérêts pour l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. Deux axes forts sont notables dans ce projet. Il comporte la définition d'objectifs, certes ambitieux, mais clairement définis. C'est l'une des premières fois qu'un support législatif de cette ampleur vient à l'appui de tels objectifs de santé. C'est pour l'INPES un guide d'action particulièrement précis.

Vous m'aviez soumis par écrit une question portant sur la place réservée à l'INPES par ce projet. Nous travaillons aujourd'hui sur des programmes de préventions. Ces programmes seront revus cette année, et les objectifs introduits par cette loi nous permettrons de refondre complètement ces programmes. Ce premier point est particulièrement saillant et important pour nous.

Cette loi pose clairement la question de l'articulation des échelles locale, régionale et nationale. En particulier, elle pose le problème majeur de la capillarité. Comment transcender le niveau national ? Notre système de prévention peut-il se contenter de grandes campagnes médiatiques et de produire des outils sans veiller à leur application ? Je crois au contraire qu'une action de prévention pour la santé doit être menée sur le terrain, en articulation avec les opérateurs locaux. La circulation verticale de l'information doit se faire dans les deux sens. Nous avons, par exemple, anticipé l'esprit de cette loi en mettant cette année en place un appel à projet cancer bénéficiant d'une dotation de 4 millions d'euros. L'INPES soutient ainsi des projets de terrain dans le cadre de la lutte contre le cancer, en partenariat avec la Direction générale de la santé qui participe à ce financement.

Les deux intérêts majeurs de ce texte sont donc de poser la question de cette articulation au travers des groupements régionaux de santé publique (GRSP) et de définir de grands objectifs. Le texte ne remet pas en cause l'existence de l'INPES ni son positionnement au sein du ministère. Je le souligne car l'INPES n'a après tout que dix-huit mois d'existence. L'INPES, issu du Comité français d'éducation pour la santé (CFES), est en effet institué par la loi du 4 mars 2002. Le premier changement important apporté au fonctionnement du CFES devenu INPES par la loi de santé publique est la suppression de sa mission d'accréditation, effectivement délicate à coordonner avec ses missions d'appui. Le second changement a trait à la suppression de la mention de ses délégations régionales, aujourd'hui remplacées par la participation de l'INPES aux GRSP. Voilà les commentaires liminaires dont je souhaitais vous faire part.

M. le PRÉSIDENT - Merci, monsieur le directeur. La parole est à M. le rapporteur.

M. Francis GIRAUD, rapporteur - Votre institut a pris la suite du CFES. J'ai retenu de vos propos l'importance de la notion de capillarité. La prévention ne peut se résumer à de grandes campagnes nationales. Il s'agit d'éducation, ce qui implique avant tout d'atteindre dans leur proximité l'ensemble des enfants de notre pays. Comment comptez-vous collaborer avec l'Education nationale afin que la capillarité que vous mentionnez devienne une réalité ?

Le GRSP doit générer des initiatives. Vous nous avez exposé votre perception positive de ce système. L'INPES dispose-t-il des moyens humains indispensables pour être présent sur le plan régional au sein des GRSP ? Quel sera votre rôle au sein de ces groupements ?

Je vous demanderai également de nous présenter plus en détail les principales modifications survenues depuis 18 mois et les conséquences pour l'INPES de l'article 4 du projet de loi. Cet article dispose que votre établissement doit assurer le développement de l'éducation pour la santé mais également de l'éducation thérapeutique. Qu'est-ce que l'éducation thérapeutique ? S'agit-il de la formation des professionnels ? Cela semble être le rôle des facultés de médecine. Cela concerne-t-il le grand public, ce qui me paraîtrait légitime ? Pouvez-vous donc nous préciser votre définition de l'éducation thérapeutique ?

M. Philippe LAMOUREUX - Merci, monsieur le président. Je vais essayer de répondre à ces questions dans l'ordre. Citons quelques chiffres concernant les moyens dont dispose l'INPES afin d'éclairer les détails de sa collaboration avec l'Education nationale. Notre établissement est très particulier au sein du ministère de la santé, puisqu'il gère un budget important, s'élevant à 89 millions d'euros pour 2004, ce qui en fait le plus gros budget des établissements publics de santé avec l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Mais seuls 13 % de ce budget sont consacrés au fonctionnement de l'INPES. La quasi-totalité des crédits de l'établissement sont des crédits d'intervention. Nous menons en effet de larges campagnes de communication à l'échelle nationale et dépensons beaucoup en achat d'espaces publicitaires ainsi qu'en honoraires d'agence. Nous finançons également depuis cette année l'ensemble des lignes de téléphonie sociale du ministère de la santé. Il s'agit notamment de la ligne Sida Info Service, de la ligne Fil Santé Jeune et de la ligne Tabac Info Service, dont la fréquentation a été multipliée par sept depuis un an. C'est un des premiers résultats de la politique publique de lutte contre le tabagisme.

Nous organisons nos activités sur la base de programmes. Nous utilisons deux approches. L'approche par les risques se consacre à six thèmes : les addictions (alcool, tabac et drogues), les maladies infectieuses (VIH, VHB, VHC, vaccinations, infections sexuellement transmissibles, bronchiolite depuis cette année), les maladies chroniques, la santé mentale, l'équilibre de vie (nutrition, activités et exercice physique) et enfin les risques de la vie courante (pratique des sports à risques, accidents domestiques, prévention des chutes chez les personnes âgées).

Le second type d'approche vient en réponse à votre question. Nous ciblons ainsi nos programmes selon les lieux d'exercice de l'éducation pour la santé. Il s'agit évidemment des lieux de soins, mais également du milieu scolaire. C'est une cible très importante puisque c'est au moment de l'enfance et de l'adolescence que les comportements à risques s'acquièrent ou non. C'est un programme prioritaire pour nous. Nous traitons également le milieu de travail, les réseaux, comme les collectivités locales et enfin les lieux d'accueil des populations en situation de précarité. Ces populations nécessitent en termes de prévention une approche particulière.

L'Education nationale est pour nous une préoccupation de premier ordre. Nous avons signé, l'année dernière, une convention de partenariat avec le ministère de l'éducation nationale comportant des objectifs variés. Deux d'entre eux méritent qu'on s'y attarde. Il s'agit tout d'abord de l'amélioration de la diffusion des outils réalisés par l'Institut dans les circuits de l'Education nationale. Nous disposons en effet d'une série d'outils destinés au système scolaire qui sont encore sous-utilisés. Le deuxième objectif est peut-être le plus important. Il concerne le projet de mise en place d'un module d'éducation de la santé étendu de la maternelle au lycée. C'est assez innovant.

Je trouve insuffisant de délivrer des messages différents à chaque classe d'âge sur un mode injonctif. Il ne s'agit pas seulement de faire de la prévention à douze ans sur le tabac, à quatorze ans sur l'alcool, à quinze ans sur les relations sexuelles... Nous respectons l'esprit éducatif et pédagogique de la Charte d'Ottawa : le développement des aptitudes. Nous devons permettre aux enfants et aux adolescents de gérer leur propre santé à travers les informations qu'on peut leur délivrer. C'est un travail de fond mis en place avec l'Education nationale. Nous débuterons par des expérimentations localisées, car les moyens de développer immédiatement un programme national nous font défaut et le dispositif a besoin d'être testé pour être mis au point.

L'échelon régional est essentiel à notre collaboration avec l'Education nationale. Nos interlocuteurs au sein du ministère de l'Education nationale sont extrêmement ouverts et motivés, mais il faut également convaincre les rectorats, les établissements et enfin les enseignants de soutenir ces projets. C'est l'esprit de capillarité. Les GRSP peuvent nous aider sur ces questions.

Par exemple, l'un des obstacles à la lutte contre le tabagisme est le fort taux de tabagisme parmi les enseignants eux-mêmes. Cela concerne également le milieu médical malgré certaines améliorations. Au Royaume-Uni, on a d'ailleurs commencé la campagne de lutte contre le tabagisme par la sensibilisation des médecins.

Concernant ses ressources au niveau régional, l'INPES n'a clairement pas les moyens humains d'être présent aujourd'hui au sein des GRSP. L'Institut comprend 117,5 personnes en équivalent temps plein, avec un budget fonctionnel de 13 %. Dès lors que l'institut participerait à des délégations régionales au sein de ces groupements, il faudrait augmenter très sensiblement ses effectifs. Le budget est alimenté à environ 30 % par l'État et à 70 % par l'assurance maladie, financé sur le risque et non sur le Fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaire (FNPEIS). Il existe des pistes exploitables : il ne serait par exemple ni illogique ni illégitime qu'une partie de la taxe sur les alcools et tabacs vienne financer le budget de la prévention.

Notre rôle dans les GRSP est assez facile à définir. Je mentionnais tout à l'heure la nécessité de capillarité. Or les régions génèrent beaucoup d'initiatives très innovantes. Chacun de mes déplacements en région me permet de le vérifier. Je me refuse à tenir ce discours misérabiliste que l'on entend souvent sur l'état de la prévention en France. Dans certaines régions, le dispositif de prévention fonctionne et peut servir de modèle. Je pense aux régions du Nord-Pas-de-Calais et de Provence-Alpes-Côte-d'Azur. La maison régionale de promotion de la santé dans le Nord-Pas-de-Calais rassemble ainsi le conseil régional, les deux conseils généraux, la Direction régionale des affaires sociales et sanitaires (DRASS), l'Union régionale des caisses d'assurance maladie (URCAM) et l'ensemble des associations. Ces organismes se regroupent dans un pôle unique en charge de la politique régionale de prévention. Ce système est particulièrement opérationnel.

Dans d'autres régions, la politique de prévention fonctionne de manière moins satisfaisante, du fait d'un tissu associatif insuffisant, du manque d'implication des collectivités territoriales ou de multiples vacances de postes au sein des services de l'État. Les GRSP sont censés résoudre ce problème. Notre rôle serait de faire le lien entre programmes de prévention aux niveaux national et local. Dans le cas du message contre le tabagisme diffusé il y a 18 mois, nous avions mis en place un standard correspondant à la capacité maximale de traitement que nous proposait France Télécom, c'est-à-dire 50.000 appels par heure. Un quart d'heure après la diffusion du spot publicitaire, nous avions reçu 421.000 appels. Il y a eu une prise de conscience brutale du problème. Mais cet effort sera vain si cette action n'est pas suivie dans les écoles, les entreprises, les hôpitaux ou s'il est impossible d'obtenir un rendez-vous dans un service de tabacologie avant 6 mois. C'est le travail du GRSP, et le rôle de l'INPES est d'articuler ces deux niveaux.

Il existe par ailleurs un besoin de professionnalisation des métiers d'éducation pour la santé et d'appui méthodologique. Nous collaborons avec des associations de bénévoles très motivés, bien qu'encore fortement cloisonnées entre les réseaux de l'alcool, de la toxicomanie... Seul le réseau des comités régionaux et départementaux d'éducation pour la santé (CRES) et des comités départementaux et régionaux d'éducation pour la santé publique (CODES) intervient de façon générale sur l'ensemble du territoire. Dans le cas de l'appel à projets contre le cancer que nous menons, certains partenaires sont capables de créer des propositions extrêmement robustes sans notre appui. Cependant, on ressent chez de nombreux autres une vraie demande d'appui et d'aide méthodologique. La présence régionale de l'INPES pourrait également répondre à cette demande.

Un de nos axes prioritaires en matière de lutte contre le VIH est le problème des migrants. Aujourd'hui, une contamination sur deux a pour origine les populations migrantes d'Afrique sub-saharienne, comme le montre le dernier rapport de l'InVS. Lorsque l'on travaille sur le problème des migrants, il est nécessaire de coopérer avec les associations. Le vecteur de l'information parmi cette population est en effet bien plus le père et la communauté que le médecin, le directeur régional des affaires sociales ou le journaliste de santé. Ces associations très impliquées ressentent un gigantesque besoin d'appui méthodologique. Il est nécessaire de leur expliquer comment communiquer, bâtir un projet et l'évaluer. Nous pourrions faire un tel travail à travers les GRSP.

Je terminerai sur les modifications apportées par la transformation du CFES en INPES. Un changement fondamental est en cours entre l'époque du CFES et l'époque de l'INPES. Le CFES était une association tributaire de ses financeurs et en particulier de l'assurance maladie. L'assurance maladie décidait du lancement d'actions de prévention sur des thèmes variés par l'intermédiaire du CFES. Le CFES n'avait pas assez de perspective en matière de politique de prévention et ne participait pas à la prise de décision. Il était éloigné dans son fonctionnement du ministère de la santé. La création d'un établissement public nous garantit un budget stable, visible et structuré. Nous ne travaillons plus sur des actions mais sur des programmes, en articulation avec les plans de santé publique que le ministère met en place.

Au sujet de notre définition de l'éducation thérapeutique, elle ne concerne effectivement pas les médecins. Je déplore pourtant au passage la faible place accordée aux méthodes d'éducation pour la santé dans leur formation initiale et continue. Ce problème est d'ailleurs en cours de discussion avec l'appui du professeur San Marco, président du Conseil d'administration de l'INPES. Il conviendrait aussi de reconnaître l'existence des métiers d'éducation de la santé. Il n'y a pas aujourd'hui de formation reconnue dans ce domaine.

L'éducation thérapeutique elle-même consiste à apprendre au patient et à son entourage à vivre avec la maladie. Le médecin intervient dans le diagnostic et la prescription d'un traitement, parfois mais encore insuffisamment dans la prévention. Le reste du traitement repose sur le patient. L'éducation thérapeutique aborde les thèmes de l'observance des prescriptions, de la connaissance de son état de santé et de ses symptômes. A propos de l'insuffisance rénale chronique, par exemple, un patient ayant reçu une éducation thérapeutique approfondie se comportera différemment : il pourra être autodyalisé, et aura recours aux systèmes d'urgence à meilleur escient. C'est à mon avis l'un des secteurs qui permettra à la Sécurité sociale d'éviter des dépenses inutiles. Des patients mieux informés qui s'approprient l'information médicale feront une meilleure utilisation du système de santé et en accroîtront l'efficacité.

M. le PRÉSIDENT - Merci beaucoup. Monsieur le rapporteur, si vous n'avez pas d'autres questions, la parole est à Mme Annick Bocandé.

Mme Annick BOCANDÉ - Vous avez insisté sur la notion de capillarité qui me semble tout à fait nécessaire. Dans le cadre de l'actuel débat sur la réforme de l'Education nationale, j'ai participé comme beaucoup de mes collègues aux discussions en cours dans les établissements. Samedi dernier, les enseignants se plaignaient de la transversalité omniprésente dans les programmes. Il s'agissait de la prévention routière, mais cela s'applique sans doute aux programmes de prévention sanitaire que vous mettez en place.

Cette transversalité complique la distribution des rôles et alourdit encore les programmes déjà chargés, de sorte que cette problématique finit par être purement et simplement omise. Comment allez-vous descendre à l'échelon des rectorats et des établissements ? Comment organiser et intégrer vos objectifs de prévention dans une logique de proximité maximale, pour que la capillarité ne soit pas un vain mot ?

M. le PRÉSIDENT - La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur.

M. Jean-Louis LORRAIN, rapporteur - J'aimerais connaître vos relations exactes avec le secteur associatif. Il ne s'agit plus là de prévention primaire mais d'une véritable collaboration avec les usagers qui deviennent des interlocuteurs à part entière. Quelle est votre politique vis-à-vis de ce secteur qui participe de la prévention voire de la non-aggravation des maladies ?

M. le PRÉSIDENT - Monsieur Michel Esneu, je vous cède la parole.

M. Michel ESNEU - Merci, monsieur le président, monsieur le directeur général, mes chers collègues. Vous avez mis en avant le problème de l'éducation sanitaire des jeunes et notamment un programme intégré d'éducation de la santé de la maternelle au lycée. Ce projet très intéressant sera-t-il intégré dans les programmes ou consistera-t-il en actions ponctuelles, ce qui serait beaucoup plus pauvre en résultats ? Comment suivre l'évolution de cette action dans les programmes ?

M. le PRÉSIDENT - Monsieur le président Guy Fischer, vous pouvez intervenir.

M. Guy FISCHER - Monsieur le directeur, vous avez fait allusion aux critiques formulées à l'égard de la prévention sanitaire en France et de son inexistence ou de son insuffisance. Ces critiques ont présidé à la transformation du CFES. A travers vos propos, je n'ai pas su déterminer si vous étiez chargé de mettre en oeuvre la politique de prévention ou de santé publique mise en place par le ministère. Agissez-vous véritablement à plusieurs niveaux dans le suivi de ces politiques, comme le sous-entend la notion de capillarité ?

Vous mentionnez l'action de l'INPES concernant l'appel à projets contre le cancer. Comment s'articulera votre action avec celle de l'Institut national du cancer en création ?

M. le PRÉSIDENT - Monsieur le président Jean-Pierre Fourcade, souhaitez-vous prendre la parole ?

M. Jean-Pierre FOURCADE - Monsieur le directeur, vos propos m'ont fortement intéressé. Ma première question concerne vos 117 collaborateurs : de quels profils disposez-vous (médecins, sociologues, psychologues, publicitaires...) ?

Lors de ma participation la semaine dernière à un colloque sur la santé à l'Assemblée nationale, on a attiré mon attention sur ce que l'on m'a dit être le problème actuel majeur des jeunes, l'obésité. Allez-vous traiter ce thème dans l'une de vos campagnes nationales ?

M. le PRÉSIDENT - Nous écouterons enfin M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre GODEFROY - Je poserai deux questions. Comment envisagez-vous l'harmonisation de ce projet de loi relatif à la politique de santé publique avec celui relatif aux responsabilités locales ? Ce projet va en effet à l'encontre du travail de terrain que vous préconisiez en redonnant à l'État le rôle principal dans la lutte contre le cancer. Comment assurer l'articulation de ces deux textes ?

Mon autre question porte sur la médecine du travail. Ma région a beaucoup souffert des conséquences du cancer lié à l'amiante. De nouvelles maladies professionnelles émergent actuellement, je pense aux travailleurs du nucléaire qui subissent des arrêts de travail prolongés et subiront sans doute de lourdes conséquences sanitaires. Quelle est la politique de prévention des risques de maladie liés au travail ?

M. Philippe LAMOUREUX - Merci. Je vais m'efforcer de répondre à toutes ces questions.

Au sujet de la coopération avec l'Education nationale, il existe déjà une circulaire de 1998 sur l'éducation à la santé en milieu scolaire qui me paraît très bien rédigée. Son application est encore malheureusement problématique. Nous possédons d'ores et déjà dans les textes un grand nombre d'outils, que je signalais récemment à la mission de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale de l'éducation nationale chargée de réfléchir actuellement à ces sujets et qui doit formuler des propositions. Notre constat en tant qu'établissement public national est que les difficultés principales surviennent à partir du collège. Au sein des collèges, ce sont aujourd'hui surtout les professeurs de sciences de la vie et les professeurs d'éducation physique et sportive qui relaient les messages de prévention et d'éducation pour la santé. Nous souhaiterions intégrer ces messages à l'ensemble des programmes, comme le proposait M. Michel Esneu. L'éducation pour la santé doit être partie intégrante du projet d'établissement et procéder d'une volonté collective. C'est l'esprit de notre rapprochement avec l'Education nationale : nous observions une certaine dispersion dans les initiatives en cours, indépendamment de leur intérêt. Je suis cependant bien sûr conscient que la seule volonté politique ne suffit pas toujours à concrétiser l'action.

Nous avons d'étroites relations avec les associations pour au moins trois raisons. Tout d'abord, la particularité du conseil d'administration de l'INPES est que l'État y est minoritaire. Six grandes associations siègent au sein de ce Conseil (la Ligue contre le cancer, AIDES, la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, l'Union nationale des associations familiales...). Cette sensibilité associative est encore renforcée par la culture de notre organisme qui était lui-même une association il y a seulement dix-huit mois. Ensuite, nous finançons également de nombreuses associations. Nous finançons par exemple le réseau des comités d'éducation pour la santé, impliqué dans la prévention, ainsi que les associations contre le SIDA. J'ai également obtenu cette année un financement, encore trop modeste, destiné aux actions d'éducation pour la santé, qui pourront, je l'espère, se mettre en place en partenariat avec l'assurance maladie ou d'autres financeurs. Ce levier financier permettra d'engager des partenariats. Le troisième point concerne les groupes d'experts participant à l'élaboration des programmes et des outils de l'INPES. Ceux-ci incluent bien sûr les associations qui participent activement à ces groupes. Ainsi, lors de notre appel d'offre concernant notre programme de lutte contre l'alcoolisme, l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme était membre de la commission d'appel d'offres et a participé à l'expertise avec l'INPES. Les associations sont donc des partenaires importants et incontournables et nous tenons à préserver cette ouverture. Nous sommes encore peu impliqués dans le domaine de la prévention des maladies rares. En effet, nous traitons en priorité les causes de mortalité principales avant soixante-cinq ans. Nous manquons de moyens pour traiter ces maladies. Nous travaillons donc surtout avec les grandes associations nationales qui couvrent les principales pathologies. Ce sont des partenaires très habituels et très impliqués.

Concernant notre rôle, nous sommes un opérateur mais aussi une force de proposition. Certains travaux de la commission nationale d'orientation contre le cancer sont ainsi en large partie inspirés de nos recommandations en matière de consommation d'alcool et de tabac, ainsi que de nutrition. Nous avons donc de plus en plus un rôle d'expertise qui vient seconder notre rôle d'opérateur.

Au sujet des profils de nos collaborateurs, nous possédons grâce à la loi une structure administrative assez robuste. Nous rassemblons quatre grands métiers. Nous employons tout d'abord une dizaine de communicants, ce qui est peu par rapport à l'image d'agence de communication que l'on donne parfois à notre Institut. Ensuite, des spécialistes en sciences humaines comme en sciences médicales travaillent au sein de l'institut. Notre spécificité est véritablement l'étude des comportements. C'est ainsi l'INPES qui publie régulièrement des « baromètres santé ». Nous avons aussi réalisé le sondage largement commenté en ce moment par le ministre de la santé sur la baisse du tabagisme. Notre troisième métier est celui de l'édition : nous publions 55 millions de documents par an sous de nombreuses formes. Nous employons enfin des éducateurs et des pédagogues. L'INPES possède donc une culture très particulière et des compétences que le directeur général s'efforce de coordonner. J'ai ainsi mis en place une petite cellule de programmation pour faire face à ces enjeux.

L'obésité est effectivement un sujet très important. La prochaine campagne de communication que nous mènerons dans le cadre du programme national nutrition santé (PNNS) portera ainsi sur l'exercice physique. Nous avons également réalisé un guide de nutrition, « La santé vient en mangeant », qui a connu un large succès et a été diffusé à plus de deux millions d'exemplaires. Nous publierons bientôt des versions adaptées aux enfants, adolescents et parents. Nous travaillions donc activement sur ce public cible.

Je ne répondrai pas à la question de M. Jean-Pierre Godefroy sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales, car je n'en ai pas pris connaissance et mon rôle en tant que directeur général d'un institut public n'est pas de juger le travail du législateur. Vous auriez également pu citer la loi sur la nouvelle gouvernance, relative à la sécurité sociale. Je pense simplement que ces trois lois devront être harmonisées sous peine de risquer de créer une confusion dans le champ de la santé.

Enfin, au sujet de la médecine du travail, nous étions à l'époque du CFES dans une phase exploratoire. Les moyens nous manquaient. C'est aujourd'hui un objectif prioritaire, et nous y travaillons de plus en plus à la demande des entreprises. C'est l'une des tâches potentiellement dévolues aux délégués régionaux de l'INPES, car au niveau central nous n'avons pas la capacité de tout traiter. Le sujet de la santé environnementale nous préoccupe aussi fortement en ce moment. Malgré son importance, nous ne pouvons l'aborder comme nous le souhaiterions aujourd'hui par manque de moyens.

M. le PRÉSIDENT - Monsieur le directeur général, M. André Vantomme, souhaiterait profiter de votre présence encore un instant pour vous poser une dernière question.

M. André VANTOMME - Merci, monsieur le président. Je voudrais revenir sur la prévention des maladies rares. Les maladies rares ne semblent pas en effet être un sujet majeur en matière de prévention mais bien plutôt concerner l'évolution des pratiques curatives. En quoi consiste d'après vous la prévention des maladies rares ?

M. Philippe LAMOUREUX - L'activité de prévention des maladies rares est évidemment très faible. Nous négocions actuellement avec le ministère le transfert à l'INPES du financement de la plate-forme téléphonique d'information sur les maladies rares. Mais nous sommes loin du traitement de centaines de milliers d'appels comme pour les lignes dédiées aux pathologies les plus courantes. Il s'agit là de repérer un très petit nombre de cas. La prévention consiste surtout à assurer l'éducation thérapeutique de ces patients. L'une de nos missions est de produire des référentiels d'éducation thérapeutique, qui sont dans leurs grands principes applicables aux différentes pathologies. Sur ce point, nous pouvons assister les associations qui luttent contre les maladies rares.

M. le PRÉSIDENT - Merci beaucoup, monsieur le directeur général. Je vais vous demander de laisser la place au Professeur Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire.

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